Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom
(*) Vos données sont traitées conformément à notre Déclaration de Protection des Données Vous disposez d’un droit de rectification, de limitation du traitement, d’opposition et de portabilité.

Savoir-faire : 8 novembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/03349

·

·

Savoir-faire : 8 novembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/03349

8 novembre 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
20/03349

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 20/03349 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NAN2

Société BOUYGUES E&S FM FRANCE

C/

[Y]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 05 Juin 2020

RG : F18/03218

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2023

APPELANTE :

Société BOUYGUES E&S FM FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Myriam ADJERAD de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Mélanie SCHLITTER de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[B] [Y]

né le 09 Mars 1967 à [Localité 7] (KOSOVO)

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Marie-pierre PORTAY de la SELARL LOIA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Septembre 2023

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Catherine MAILHES, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 08 Novembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. [Y] (ci-après le salarié) a été embauché à compter du 8 octobre 2007 avec une reprise d’ancienneté au 8 juillet 2007, en qualité d’Agent technique 2B, coefficient 630, par la société Exprimm (ci-après la société). Cette dernière est ensuite devenue la société Bouygues Energies et Services FM France (ci-après «Bouygues E&S») qui a pour activité les travaux d’installation d’équipements thermiques et de climatisation.

Initialement, le salarié était affecté sur le site Rhodia Chimie Solvay, situé à [Localité 8].

La société Bouygues Energies et Services emploie environ 1250 salariés et applique une convention collective d’entreprise ainsi que la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment.

Le 14 janvier 2014, M. [Y] a été victime d’un accident du travail. Le même jour, il a été placé en arrêt de travail pour lombalgie aiguë, prolongé plusieurs fois jusqu’au 7 mars 2014, puis jusqu’au 7 avril 2014.

Lors de la visite de reprise du 15 avril 2014, le médecin du travail a émis un avis d’aptitude avec réserves : « Pas de port de charge supérieure à 10 kg. Doit se faire aider pour la manutention, à revoir fin juin ». Le 1er juillet 2014, le médecin du travail a émis les mêmes réserves.

Par courrier en date du 20 août 2014, M. [Y] a été informé qu’à compter du 1er octobre 2014, il serait affecté sur le site du Centre Hospitalier [6] (CHPO), situé à [Localité 5], en Isère. Son employeur lui a indiqué que cette nouvelle affectation était rendue nécessaire en raison des réserves émises par le médecin du travail le 15 avril 2014.

A la suite d’une visite médicale en date du 5 mars 2015, le médecin du travail a déclaré M. [Y] apte au poste qu’il occupait à [Localité 5].

Par courrier recommandé en date du 6 novembre 2015, M. [Y] s’est vu notifier sa mise à pied à titre conservatoire, son employeur invoquant une altercation avec son supérieur hiérarchique qui se serait déroulée le même jour, et a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé le 18 novembre 2015.

Par courrier en date du 25 novembre 2015, le salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse en ces termes :

« Le 1er octobre 2014, vous avez été affecté sur le site du CHPO à [Localité 5]. Cette affectation avait pour objectif de vous permettre de poursuivre votre emploi de Technicien Autonome Froid/Climatisation au sein de Bouygues E&S, dans le respect des recommandations du médecin du travail. Depuis le 1er octobre 2014, nous avons constaté de manière récurrente, le non-respect de l’article 2 du Titre I de notre règlement intérieur concernant les retards. Nous vous reprochons de ne pas respecter vos horaires, en particulier l’horaire d’arrivée sur le lieu de travail. Votre hiérarchie a fait preuve d’indulgence à votre égard, en tenant compte de vos difficultés personnelles. Elle vous a alors affecté exclusivement au planning du matin qui correspond mieux à vos contraintes. En dépit de ces efforts, nous n’avons pas constaté d’amélioration. Ainsi, vous avez été rappelé à l’ordre de nombreuses fois sur ce point, et notamment le 18 septembre 2015. A titre d’exemple et sans que ceux-ci soient exhaustifs nous vous reprochons vos retards du 21, 24, 28 septembre et du 9 et 21 octobre 2015. La récurrence de vos retards, de surcroît sans en informer au préalable votre hiérarchie a pour conséquence, une désorganisation importante de l’équipe ainsi que de l’activité du site. Les recadrages de la part de votre hiérarchie n’ont eu aucun effet sur votre comportement, ce qui démontre votre volonté manifeste de ne pas vous ressaisir. Votre comportement a pris un caractère d’autant plus grave le 5 novembre 2015 lorsque vous avez eu un échange avec votre responsable hiérarchique direct concernant vos retards.

Au cours de cet échange vous l’avez menacé au sujet d’agissements que vous avez considérés, à tort, comme des actes de délation à votre encontre. Les menaces que vous avez proféré à son endroit représentent un manquement à l’article 4 du Titre I de notre règlement intérieur et vous ont conduit à manquer de respect à votre hiérarchie.

Cette attitude négligente et désinvolte s’est également traduite à travers la qualité de votre travail. Vous avez d’ailleurs été rappelé à l’ordre à de nombreuses reprises sur ce point et sur le respect des consignes qui vous sont données. A titre d’exemple, vous ne remplissez pas systématiquement les bons d’intervention sur l’outil FMAO prévu à cet effet. Afin de vous permettre de consolider les connaissances nécessaires à cette mission de votre poste, vous avez suivi une formation le 13 août 2015. Malgré les moyens mis à votre disposition pour vous permettre d’atteindre vos objectifs, et du délai qui vous a été laissé pour vous ressaisir, votre hiérarchie a constaté la persistance de votre négligence vis-à-vis des objectifs attendus.

Votre attitude transgressive vis-à-vis des règles de l’entreprise n’est pas un incident isolé, vous concernant. Vous avez reçu plusieurs avertissements, en décembre 2013 et en juillet 2014, ces derniers concernaient le non-respect des règles de l’entreprise de votre part, soit en matière de sécurité, soit de consignes de travail ou de qualité dégradée de votre travail par rapport aux attendus de l’entreprise.

L’ensemble de ces éléments, tant sur le plan de la récurrence de vos retards, de votre négligence au regard de la qualité de votre travail que sur le plan comportemental, ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des faits. Il en résulte l’impossibilité de poursuivre notre collaboration. Néanmoins, nous avons tenu compte de vos explications lors de l’entretien et avons noté votre persistance à nier votre quelconque intentionnalité de menace à travers votre comportement. En conséquence, nous vous notifions par la présente un licenciement ayant pour cause un comportement en inadéquation avec les règles de l’entreprise, constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement. »

Par requête en date du 20 mai 2016, M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de lui demander de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que son employeur a exécuté de manière déloyale son contrat de travail, et de condamner la société Bouygues Energies et Services à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail.

Par jugement en date du 5 juin 2020, le conseil de prud’hommes a :

– fixé le salaire de M. [Y] à 1 857,97 euros,

– dit que la clause de mobilité est nulle et de nul effet,

– dit que la société Bouygues Energies et Services a exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail de M. [Y],

– condamné la société Bouygues Energies et Services à verser à M. [Y] la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,

– dit que le licenciement de M. [Y] est abusif,

– condamné la société Bouygues Energies et Services à verser à M. [Y] la somme de 5 600 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– alloué la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à M. [Y],

– débouté M. [Y] et la société Bouygues Energies et Services du surplus de leurs demandes,

– ordonné l’exécution provisoire de l’entier jugement,

– mis les entiers dépens à la charge de la société Bouygues Energies et Services.

La société Bouygues Energies et Services a interjeté appel de ce jugement le 29 juin 2020. L’appel porte sur les chefs suivants :

« Fixe le salaire de Monsieur [Y] [B] à 1 857,97 euros

Dit que la clause de mobilité est nulle et de nul effet

Dit que la société Bouygues Energies & Services a exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail de Monsieur [Y] [B]

Condamne la société Bouygues Energies & Services à verser à Monsieur [Y] [B] la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail

Dit que le licenciement de Monsieur [Y] [B] est abusif

Condamne la société Bouygues Energies & Services à verser à Monsieur [Y] [B] la somme de 5 600 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Alloue la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à Monsieur [Y] [B]

Mets les entiers dépens à la charge de la société Bouygues Energies& Services. »

M. [Y] a formé un appel incident et demandé l’infirmation du jugement en ce qu’il a fixé son salaire à la somme de 1 857,87 euros et en ce qu’il a condamné la société Bouygues S&E à lui payer la somme de 5 600 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par ses dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2022, la société Bouygues Energies et Services demande à la cour de :

– recevoir l’intégralité de ses moyens et prétentions,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 5 juin 2020 en ce qu’il :

a fixé le salaire de M. [Y] à 1 857,97 euros,

a dit que la clause de mobilité est nulle et de nul effet,

a dit qu’elle a exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail de M. [Y],

a dit que le licenciement de M. [Y] est abusif,

l’a condamnée à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,

5 600 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

a mis les dépens à sa charge.

Statuant à nouveau,

– dire et juger que le licenciement de M. [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– dire et juger qu’elle a exécuté en toute loyauté et bonne foi le contrat de travail de M.[Y],

– débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– condamner M. [Y] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées le 23 avril 2021, M. [Y] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 5 juin 2020 en ce qu’il :

a dit que la clause de mobilité est nulle et de nul effet,

a dit que la société Bouygues Energies et Services a exécuté de manière fautive et déloyale son contrat de travail,

a condamné la société à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail,

a dit que son licenciement est abusif,

lui a alloué à la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

a mis les entiers dépens à la charge de la société Bouygues Energies et Services.

l’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau,

– fixer à la somme de 2 253,33 euros son salaire mensuel moyen,

– condamner la société Bouygues Energies et Services FM France à lui payer la somme de 27 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Y ajoutant,

– condamner la société Bouygues Energies et Services FM France à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Bouygues Energies et Services FM France aux entiers dépens d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 juin 2023.

SUR CE :

– Sur la demande de confirmation du jugement demandée à titre incident :

Le salarié invoque que :

– après avoir demandé à la cour d’infirmer le jugement, l’appelant doit nécessairement lui présenter ses prétentions et le « débouté » est une prétention qu’il convient de mentionner dans le dispositif des conclusions d’appel (2e Civ., 16 nov. 2017, n°16-21885),

– en l’espèce, la société Bouygues E&M sollicite l’infirmation du jugement mais, en l’absence de prétentions dans le dispositif de ses conclusions (les « dire et juger » ne constituant pas des prétentions mais des rappels de moyens), la cour n’est pas saisie d’une demande visant à le débouter de ses demandes à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que les condamnations de la société Bouygues E&S sur ces points doivent être confirmées.

La société fait valoir que :

– dès lors que l’appelant précise les chefs de jugement sur lesquels l’infirmation est demandée, la cour d’appel doit en connaître, et il est inutile de lui demander de réformer le jugement et de débouter l’intimé de ses demandes de premières instances,

– ni l’article 542 ni l’article 954 ni aucun autre article du code de procédure civile n’exige de l’appelant qu’il demande à la cour de débouter l’intimé de ses demandes qui ont été accueillies par la juridiction de première instance,

– elle a interjeté appel des condamnations prononcées à son encontre en première instance et l’arrêt de la cour qui réformera totalement ou partiellement ces condamnations aura nécessairement pour conséquence de rejeter les demandes du salarié, le rejet des demandes étant un accessoire de la demande de réformation, non une prétention en elle-même.

****

L’article 562 du code de procédure civile énonce que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs du jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Et il résulte de l’article 954 du code de procédure civile que les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation, et qu’elles comprennent un dispositif récapitulant les prétentions.

En l’espèce, les termes de la déclaration d’appel sont univoques en ce que la société Bouygues E&S a expressément indiqué contester les termes du dispositif qu’elle a indiqués in extenso dans la déclaration d’appel.

En outre, le dispositif des dernières conclusions de la société Bouygues Energies et Services FM France notifiées le 10 octobre 2022, intitulées « Conclusions récapitulatives et responsives d’appelant à titre principal et intimé à titre incident n°2 », comprend la demande expresse de « débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions. » Or, cette demande vise nécessairement les condamnations à des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l’exécution déloyale dès lors que ces condamnations sont effectivement dans la limite de la dévolution.

Il en résulte que la cour est bien saisie d’une demande visant à débouter le salarié de ses demandes de dommages-intérêts, de sorte qu’il n’y a pas lieu à confirmer « en leur principe », les condamnations prononcées et qu’il convient d’examiner les moyens de fait et de droit soulevés par la société Bouygues E&S.

– Sur l’exécution fautive et déloyale du contrat de travail :

Le salarié soutient que :

– à l’issue de son arrêt de travail, il a repris son ancien poste à [Localité 8] à partir du 15 avril 2014, durant quatre mois, et ce n’est que le 20 août 2014 qu’il a été informé de sa nouvelle affectation au CPHO de [Localité 5], pour une prise de poste fixée au 1er octobre 2014,

– la société ne lui a pas expliqué en quoi sa mutation sur un site éloigné s’imposait au regard des restrictions émises par le médecin du travail et ce qui s’opposait au maintien de son poste à [Localité 8], si besoin en procédant à des aménagements s’agissant des tâches de manutention,

– les tâches qui lui ont été confiées dans le cadre de sa nouvelle affectation à [Localité 5] étaient les mêmes que celles qu’il effectuait auparavant à [Localité 8], et son employeur ne s’est pas assuré de la compatibilité de ce nouveau poste avec les restrictions émises par le médecin du travail,

– son employeur l’a muté sur un site fort éloigné de son domicile, en sachant qu’il ne disposait pas du permis de conduire au moment de son affectation,

– la société ne peut invoquer a posteriori une clause de mobilité pour justifier sa mutation, laquelle est en outre nulle et de nul effet, la zone géographique d’application de la clause de mobilité n’étant pas précisée et pas définie clairement,

– la clause litigieuse est une clause de mobilité puisqu’elle permettait à son employeur de l’affecter librement sur quelque site que ce soit du groupe, en France ou à l’étranger ; cette clause était donc nulle et son contrat de travail a été modifié sans son accord,

– initialement, son trajet entre son domicile et son lieu de travail était direct et durait entre 20 et 30 minutes lorsqu’il travaillait à [Localité 8] alors que sa nouvelle affectation était environ à 40 kilomètres de plus, qu’il devait prendre plusieurs correspondances et mettait plus d’1h30 pour s’y rendre ; il s’agit par conséquent d’une modification de son contrat de travail, à laquelle il s’était opposé.

La société rétorque que :

– le salarié a été licencié en novembre 2015, de sorte que les articles L.4624-3 et L.4624-6 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi du 8 août 2016 était inapplicable, et en tout état de cause, aucune des parties n’avaient soulevé ces moyens de droit en première instance,

– les représentants du personnel ne doivent être consultés uniquement en cas d’inaptitude médicalement constatée à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque le salarié a été déclaré apte avec réserves, puis apte sans réserve,

– elle n’a pas manqué à son obligation de loyauté en procédant à la mutation de M. [Y] sur un poste aménagé conforme aux observations du médecin du travail, la mutation professionnelle notifiée le 20 août 2014 étant intervenue en application de l’avis du médecin du travail,

– le salarié a été muté dans le même secteur géographique, ce qui constitue un simple changement de son lieu de travail et non une modification de son contrat de travail,

– la clause du contrat de travail du salarié est une clause de déplacement professionnel qui informe les salariés du fait que leur emploi impose nécessairement des changements de lieu de travail et en tout état de cause, elle n’a pas modifié l’affectation du salarié sur le fondement de cette clause,

– un allongement de 15 minutes du temps de trajet du salarié pour se rendre à sa nouvelle affectation ne démontre pas un manque de loyauté de sa part,

– elle a accompagné le salarié dans sa nouvelle prise de poste, en toute bonne foi et en tenant compte de sa situation personnelle (respect d’un long délai de prévenance, affectation sur un poste de technicien climatisation conformément aux souhaits du salarié, proposition d’informations et aménagements complémentaires),

– elle a affecté le salarié exclusivement au planning du matin et ce dernier a bénéficié de nombreux aménagements horaires.

****

Le salarié fait grief à l’employeur de lui avoir, d’une part, adressé deux avertissements injustifiés en quelques mois et d’avoir décidé, d’autre part, non pas d’adapter son poste de travail mais de le muter sur un site fort éloigné de son domicile en sachant parfaitement qu’il n’était pas titulaire du permis de conduire.

Il reproche par ailleurs à la société de justifier cette mutation au visa de la clause de mobilité mentionnée au contrat, alors d’une part que cette clause n’a pas été mise en ‘uvre en ce qui le concerne et que cette clause est, en tout état de cause, nulle et de nul effet.

La lettre du 20 août 2014 par laquelle la société a affecté le salarié au poste de technicien autonome froid/climatisation sur le site du centre hospitalier [6] à [Localité 5] justifie expressément et exclusivement ce changement d’affectation, par la nécessité de respecter les prescriptions du médecin du travail du 15 avril 2014 et de garantir le respect des dites recommandations.

Cette affectation n’étant pas justifiée par la mise en oeuvre d’une quelconque clause de mobilité, la question de son opposabilité au salarié est sans objet.

S’agissant de l’avis médical visé, il convient de souligner que c’est un avis d’aptitude prohibant seulement le port de charges supérieures à 10 kg et préconisant une aide à la manutention.

En réponse au salarié sur les difficultés de transport que cette nouvelle affectation lui causait, la société a indiqué : « (‘) Votre aptitude partielle prononcée par la médecine du travail en date du 15 avril 2014 ainsi que les recommandations de la part du médecin du travail ne nous permettent pas de vous maintenir sur le site client de Solvay-Rhodia, nous sommes donc dans l’obligation de vous trouver une nouvelle affectation. (‘) »

La société se contente, ce faisant, d’affirmer une impossibilité de maintenir le salarié sur son site de travail habituel sans justifier que l’aménagement était impossible en raison du type de poste ou de l’organisation existante sur celui-ci, et ce alors même que le poste de reclassement est un poste identique de technicien, soumis, jusqu’à preuve du contraire, aux mêmes contraintes physiques et de manutention que le poste initial sur le site client de Solvay-Rhodia.

Or, une obligation générale de prévention et d’évaluation des risques pèse sur l’employeur et en application des dispositions de l’article R 4541-5 du code du travail, lorsque la manutention manuelle ne peut pas être évitée, l’employeur doit d’une part évaluer les risques, d’autre part, organiser les postes de travail de façon à éviter ou à réduire les risques, notamment dorso-lombaires, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs, des aides mécaniques ou, à défaut de pouvoir les mettre en ‘uvre, les accessoires de préhension propres à rendre leur tâche plus sûre et moins pénible.

En l’espèce, la société ne justifie d’aucune évaluation du risque, ni d’aucune démarche d’aménagement du poste de travail alors même que le salarié fait l’objet d’un avis d’aptitude et d’une restriction relativement banale, à la manutention de charges.

Dans ces conditions, la nouvelle affectation du salarié, qui a eu pour effet d’augmenter de façon considérable son temps de trajet, étant précisé que le salarié ne dispose pas d’un véhicule, et qui n’est pas justifiée par une impossibilité d’aménager le poste initial, relève d’une exécution déloyale du contrat de travail, faute pour l’employeur d’avoir mis en ‘uvre tous les moyens à sa disposition pour maintenir le salarié sur son poste de travail.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu’il a jugé que l’employeur a exécuté de manière déloyale le contrat de travail. La société est condamnée à payer au salarié la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice et le salarié est débouté de sa demande pour le surplus.

– Sur le licenciement :

La société soutient que le licenciement du salarié est justifié par différents griefs et fait valoir que :

– le salarié a été licencié en raison de ses retards fréquents, constituant un non-respect de ses obligations professionnelles et perturbant le bon fonctionnement de l’équipe, et de son comportement négligent et désinvolte, 

– il ne conteste pas la matérialité de ces faits,

– elle a fait preuve de souplesse en acceptant d’aménager ses horaires,

– le salarié, qui dispose de la liberté de choisir le lieu de son domicile, ne peut reprocher à son employeur l’éloignement entre son domicile et son lieu de travail, et il lui appartient de se rendre en temps et en heure sur son lieu de travail selon les moyens dont il dispose,

– elle a proposé plusieurs solutions au salarié pour répondre à ses prétendues difficultés (proposition d’aides pour passer le permis conduire et rappel de la possibilité d’acquérir un véhicule sans permis),

– le salarié a admis dans ses écritures de première instance être titulaire du permis de conduire depuis mars 2015, et sa rémunération mensuelle de 2 082 euros par mois lui permettait d’acquérir un véhicule – elle a respecté l’obligation qui lui incombait de trouver un poste compatible avec les restrictions imposées par le médecin du travail et les compétences du salarié, le poste de technicien autonome froid sur le site de CHPO répondant à ces conditions ; en outre, le salarié a été déclaré apte à ce poste et bénéficiait d’un maintien de rémunération,

– elle ne disposait d’aucun autre poste compatible avec les restrictions émises par le médecin du travail et correspondant au savoir-faire du salarié dans le cadre de sa zone géographique,

– le passé disciplinaire ainsi que les manquements professionnels du salarié, perpétués malgré trois avertissements et les formations dont il a bénéficié, justifient son licenciement,

– le 6 novembre, le salarié a interpellé et menacé M. [W] après que ce dernier ait informé M. [P] que le salarié n’avait pas pris son poste à l’heure la veille, et le salarié n’a pas nié les propos qui lui sont reprochés lors de son entretien préalable,

– les accusations du salarié (nullité de sa clause de déplacement professionnel, non prise en charge des frais d’entretien des tenues professionnelles, mise à disposition d’une fontaine à eau, etc.) sont erronées et ne remettent pas en cause la réalité des griefs qui lui sont reprochés,

– le salarié a retrouvé un emploi depuis le 5 juillet 2017 et ne justifie d’aucun préjudice.

Le salarié objecte que :

– les retards qui lui sont reprochés trouvent leur seule cause dans la mutation qui lui a été imposée et bien qu’il ait entrepris des démarches pour obtenir son permis de conduire, il n’avait pas les moyens d’acquérir un véhicule,

– la société évoque une désorganisation de l’équipe qui résulterait de ses retards sans en apporter la preuve, et s’appuie uniquement sur l’attestation de M. [C],

– son employeur invoque une altercation en date du 6 novembre 2015 en se basant uniquement sur le témoignage de M. [W] et aucun témoin n’était présent ; de plus, sa lettre de licenciement mentionne des « menaces » sans davantage de précision,

– il a été licencié le jour même, sans que ses explications et sa version des faits n’aient été recueillies.

****

La société produit en pièce n°24 des accords de modification des horaires du salarié aux dates suivantes : 25 août 2015, 21 au 25 septembre 2015, 28 septembre 2015, 9 octobre et 21 octobre 2015 ou sont mentionnés deux rattrapages ou récupération de retards.

Elle produit également l’attestation de M. [P], responsable de projet sur le site du CHPO de [Localité 5] qui atteste des retards répétitifs du salarié depuis la fin du mois de juin 2015 et de la récurrence des retards y compris après l’aménagement de ses horaires de travail.

M. [P] ajoute que le salarié ne remplissait pas la FMAO de sorte que les chefs d’équipe ou ses collègues de travail le faisaient pour lui.

Si le salarié conteste toute désorganisation du travail du fait de ses retards récurrents, il ne conteste pas les dit retards exposant qu’ils trouvent leur seule cause dans la mutation qui lui a été imposée par la société et dans les difficultés pratiques qu’il a rencontrées à partir de ce moment-là.

En revanche, il conteste l’altercation avec M. [D] [W], manager de site, en soulignant que ce grief ne repose, en l’absence de témoin, que sur les déclarations imprécises de la supposée victime de menaces. En effet M. [W] a indiqué que le 6 novembre 2015, il avait croisé le salarié qui lui avait reproché de l’avoir dénoncé pour un retard la veille, et qui lui avait dit de faire attention, ce qu’il avait interprété comme une menace.

Ce témoignage ne présente pas les garanties d’impartialité permettant de retenir les menaces invoquées comme un fait établi.

En définitive, la répétition des retards à la prise de poste apparaît directement liée à la nouvelle affectation du salarié dès lors que la société n’invoque aucun précédent de retard avant cette nouvelle affectation. La cour considérant que cette nouvelle affectation relevait d’une exécution déloyale du contrat de travail, la société n’est pas fondée à s’appuyer sur ce motif pour justifier le licenciement.

Le jugement et par conséquent confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [Y] est abusif.

– Sur les dommages-intérêts :

En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, le salarié ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l’absence de réintégration dans l’entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l’effectif de l’entreprise, dont il n’est pas contesté qu’il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, âgé de 48 ans lors de la rupture, de son ancienneté de plus de huit années et quatre mois, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 16 000 euros, sur la base d’un salaire moyen mensuel de 2 253,33 euros ; en conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 5 600 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être infirmé.

– Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation; le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

– Sur les demandes accessoires :

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu’il a alloué au salarié une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société sera condamnée aux dépens d’appel.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, dans la limite de la dévolution, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts

INFIRME le jugement déféré sur ces chefs

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société Bouygues E&S à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

* 3 000 euros de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

* 16 000 euros de dommages-intérêts en réparation de la perte d’emploi

ORDONNE d’office à la société Bouygues E&S le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [Y] dans la limite de trois mois d’indemnisation,

RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

CONDAMNE la société Bouygues E&S à payer à M. [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,

CONDAMNE la société Bouygues E&S aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x