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Savoir-faire : 6 décembre 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 18/00522

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Savoir-faire : 6 décembre 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 18/00522

6 décembre 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
18/00522

Grosse + copie

délivrée le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre sociale

ARRET DU 06 DECEMBRE 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/00522 – N° Portalis DBVK-V-B7C-NQPC

ARRET n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 JANVIER 2018

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D’AUDE

N° RG21600676

APPELANTE :

CAF DE L’AUDE

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : Me Francette BENE de la SCP BENE, avocat au barreau de MONTPELLIER subsituée par Me CALAUDI avocat

INTIMEE :

Madame [V] [W] [E]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentant : Me Thierry CHOPIN de la SELAS CHOPIN-PEPIN & ASSOCIES, avocat au barreau de NARBONNE substitué par Me MARLE PLANTE avocat

En application de l’article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l’audience.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 OCTOBRE 2023,en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Magali VENET, Conseiller

M. Patrick HIDALGO, Conseiller

Greffier, lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

– contradictoire.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour ;

– signé par Monsieur Pascal MATHIS, Président, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [V] [W] [E] exerce la profession d’esthéticienne à titre indépendant depuis le 4 novembre 2014. Elle élève deux enfants mineurs nés les 9 août 2008 et 17’novembre 2014 de son union avec M. [L] [C]. Elle a indiqué à la CAF de l’Aude qu’elle s’était séparée de M. [L] [C] le 4 novembre 2013.

La CAF de l’Aude ayant diligenté une enquête, M. [R] [S], agent enquêteur, a déposé son rapport le 17 décembre 2015 concluant au caractère fictif de la séparation des concubins.

Le 20 janvier 2016, la CAF de l’Aude a réclamé à Mme [V] [W] [E] un indu de 22’011,79’€ concernant les prestations suivantes’: allocation logement, allocation de base, allocation de rentrée scolaire, allocations familiales, allocation de soutien familial, RSA et prime exceptionnelle, perçues durant la période de décembre 2013 à novembre 2015 au motif que son couple ne s’était pas séparé.

Le 26 février 2016, la CAF de l’Aude reprochait à Mme [V] [W] [E] une man’uvre frauduleuse consistant en la déclaration d’une séparation de fait qui s’avère en réalité fictive et lui infligeait une pénalité administrative de 3’000’€.

Mme [V] [W] [E] ayant saisi la commission de recours amiable, cette dernière s’est prononcée par décision notifiée le 23 mai 2016 et ainsi rédigée’:

«’OBJET’: Contestation de la situation de vie maritale et des indus résultant de la régularisation du dossier

L’allocataire saisit la commission de recours amiable d’une requête contestant les indus. FAITS

L’allocataire était connue comme étant séparée, or, suite à un rapport d’enquête effectué par un agent de contrôle agrée et assermenté de la CAF de l’Aude, il a été établi que’:

”lors d’une première visite le 24.06.15., en contrôle inopiné, Mme qui ne s’y attendait pas et a souhaité recevoir le contrôleur sur sa terrasse’; elle avait préparé des factures au nom de Monsieur’; elle déclare être séparée et que Monsieur paye les factures relatives au domicile’;

”Mr est inscrit sur les listes électorales avec l’adresse de Mme’; il a ouvert un compte bancaire avec l’adresse de Mme’; le relevé de propriété fait état du couple.

Face à la persistance des déclarations de Mme comme vivant séparée le contrôleur lui demande de confirmer ses dires par écrit’; elle maintient vivre séparée de Monsieur.

Le contrôleur se déplace une seconde fois le 24.09.15. au domicile de l’allocataire’; l’allocataire est absente.

Lors d’une 3e visite le 26.11.15., un véhicule devant la maison est au nom de Mme’: Mme est encore absente’; le contrôleur téléphone sur le portable de Mme et c’est Mr qui répond’; étonné il dit être chez lui et ne pas vivre chez Mme’; puis peu de temps après Mme téléphone au contrôleur lui indiquant être surprise de cette communication téléphonique. Le contrôleur se rend au domicile et interroge les voisins qui lui précisent que Mr et Mme vivent bien là tous les 2 et qu’ils travaillent tous les 2.

Lors d’un passage à [Localité 7] pour un autre contrôle le 04.12.15. le contrôleur est passé devant la maison’; à 8’h du matin les voitures de Mr et de Mme étaient devant le domicile’; au niveau de la mairie Monsieur est inscrit sur les listes électorales avec l’adresse de Mme’; le relevé de propriété mentionne que Mr et Mme sont propriétaires de la maison, le dernier enfant né a été déclaré à la mairie qui ne connaît pas de séparation de ce couple même si sur l’acte de naissance une adresse différente de celle de Mme est portée pour Monsieur.

Concernant les comptes bancaires Mr les a ouverts le 23.01.15. avec l’adresse de Mme’; l’employeur de Monsieur, la communauté d’agglomération donne pour Monsieur l’adresse de Mme.

À l’heure du contrôle Mme arrive à pied et dit qu’elle n’a pas les clefs donc elle propose à nouveau le contrôle dehors’; le contrôleur lui demande des pièces et elle répond qu’il n’a pas besoin de les voir’: le contrôleur lui précise qu’il ne fera pas le contrôle dehors, elle s’énerve lui dit qu’il lui fait perdre son temps.

Le contrôleur établit son rapport au regard de tous les éléments qu’il a eus’; il considère qu’il n’y a jamais eu de séparation et que Monsieur étant pompier sur [Localité 5] utilise l’adresse de ses parents, le contrôleur retient l’intention de frauder et le refus de se soumettre au contrôle. En conséquence, le dossier de Madame a été régularisé et le 20 janvier 2016 une notification d’indus lui a été adressée pour un montant global de 22’011,79’€ pour la période de décembre 2013 à novembre 2015 se répartissant comme suit’:

”ING-1 (Prime Exceptionnelle) pour un montant initial de 228,67’€ pour le mois de décembre’2013

”ING-2 (Prime Exceptionnelle) pour un montant initial de 228,67’€ pour le mois de décembre’2014

”INL-3 (RSA) pour un montant initial de 5’534,23’€ pour la période de décembre 2013 à novembre’2015

”INN-2 (RSA) pour un montant initial de 3’438,39’€ pour la période de mars 2014 à novembre’2015

”INl-7 (ALF) pour un montant initial de 45,44’€ pour le mois de décembre 2013

”INl-6 (ALF) pour un montant initial de 72,82’€ pour le mois de décembre 2014

”INl-5 (AF) pour un montant initial de 11’399,74’€ pour la période de décembre 2013 à novembre’2015.

Madame par courrier du 21 mars 2016 conteste la notification d’indu précédemment envoyée en affirmant qu’elle ne vivait pas en couple. Toutefois, elle n’apporte pas d’éléments nouveaux permettant de remettre en cause le rapport d’enquête. Le 26 février 2016, la fraude a été notifiée à Madame et une pénalité administrative a été actée à son encontre pour un montant de 3’000’€.

En l’espèce la commission de recours amiable n’a pas compétence pour statuer sur la contestation de vie maritale en matière de revenu solidarité active et de prime exceptionnelle. Il convient de préciser que la contestation de prime sera examinée par la commission des primes de la CAF de l’Aude, quant à la contestation de l’indu RSA elle sera examinée par le conseil départemental seul compétent en la matière auquel le dossier a été transmis.

ARGUMENTAIRE

Considérant que les conditions d’attribution de l’allocation de logement familiale sont précisées aux articles L. 542-2, L. 542-5, D. 542-8, D. 542-9 et D. 542-20 du code de la sécurité sociale

Considérant les conditions générales d’attribution du revenu de solidarité active sont définies aux articles L. 262-1 à L. 262-12 du code de l’action sociale et des familles

Considérant que les conditions d’attribution de l’allocation de soutien familial sont précisées aux articles L. 523 à L. 523-3, R. 523-1 à R. 523-8, et D. 523-1 du code de la sécurité sociale, que selon l’article R. 523.1, cette prestation concerne les enfants dont l’un des parents se soustrait ou se trouve hors d’état de faire face à son obligation d’entretien ou au versement d’une pension alimentaire mise à sa charge par décision de justice

Considérant que le requérant à l’allocation doit élever seul les enfants au profit desquels il sollicite cette allocation, qu’en effet, l’article L. 523.2 du code de la sécurité sociale dispose dans son deuxième alinéa’: «’Lorsque le père ou la mère titulaire du droit à l’allocation de soutien familial se marie, conclut un pacte civil de solidarité ou vit en concubinage, cette prestation cesse d’être due’»

Considérant que le code de la sécurité sociale ne prévoit aucune exception à ce texte

Considérant l’article L. 531-3 du code de la sécurité sociale’: L’allocation de base est attribuée, à compter de la date de la naissance du ou des enfants. Elle est versée jusqu’au dernier jour du mois civil précédant celui au cours duquel l’enfant atteint l’âge limite prévu au premier alinéa de l’article L. 531-1. L’allocation de base est versée à taux partiel aux ménages ou aux personnes dont les ressources ne dépassent pas le plafond défini à l’article L. 531-2. Elle est versée à taux plein lorsque les ressources ne dépassent pas un plafond, défini par décret, qui varie selon le nombre d’enfants nés ou à naître et qui est majoré lorsque la charge du ou des enfants est assumée soit par un couple dont chaque membre dispose d’un revenu professionnel minimal, soit par une personne seule. Ce plafond est revalorisé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale conformément à l’évolution des prix à la consommation hors tabac.

Considérant les conditions générales d’attribution de l’allocation de rentrée scolaire définies aux articles L. 543.1 et L. 543.2, R. 543.1 à R. 543.7 du code de la sécurité sociale

Considérant les conditions générales d’attribution des allocations familiales fixées aux articles L. 521-1 à L. 521-3 et D. 521-1 à D. 521-4 du code de la sécurité sociale

Considérant que l’article 1235 du code civil dispose’: «’Ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition’».

Considérant que l’article 1376 du code civil prévoit’: Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.

Considérant qu’en l’espèce la situation de l’allocataire fait ressortir qu’elle ne pouvait prétendre au bénéfice de l’ALF, de l’ASF, de l’allocation de base, de l’ARS, et des allocations familiales.

Considérant qu’il y a lieu de dire que la caisse d’allocations familiales de l’Aude a fait une juste application de la législation en la matière.

DÉCISION DE LA COMMISSION

Rejet’»

Contestant cette décision, Mme [V] [W] [E] a saisi le 29 juillet 2016 le tribunal des affaires de sécurité sociale de l’Aude, lequel, par jugement rendu le 9 janvier 2018, a’:

dit la juridiction incompétente pour statuer sur la réclamation concernant un indu de RSA’;

rejeté la demande d’annulation du rapport d’enquête de la CAF mais a écarté des débats les paragraphes de ce rapport d’enquête ayant fait l’objet d’un masquage partiel’;

débouté la CAF de l’Aude de sa demande en répétition d’un indu présentée à l’encontre de Mme [V] [W] [E] pour le versement d’allocation logement, d’allocation de base, d’allocation de rentrée scolaire et d’allocations familiales pour la période de décembre 2013 à décembre 2015′;

annulé la pénalité financière de 3’000’€ prononcée par le directeur de la CAF de l’Aude le 21 avril 2016 à l’encontre de Mme [W] [E]’;

rejeté toute prétention contraire ou plus ample’;

rappelé qu’il n’existe pas de dépens devant la juridiction.

Cette décision a été notifiée le 15 janvier 2018 à la CAF de l’Aude qui en a interjeté appel suivant déclaration du 29 janvier 2018.

Vu les écritures déposées à l’audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles la CAF de l’Aude demande à la cour de’:

confirmer son incompétence pour statuer sur la réclamation concernant un indu de RSA’;

confirmer que son rapport d’enquête n’est pas nul’;

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a écarté des débats les paragraphes du rapport d’enquête ayant fait l’objet d’un masquage partiel’;

dire que le rapport d’enquête est recevable dans son intégralité’;

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de répétition de l’indu à l’encontre de Mme [V] [W] [E]’;

confirmer la décision de la commission de recours amiable de la CAF de l’Aude’;

condamner Mme [V] [W] [E] à lui payer la somme de 5’843,89’€ au titre des sommes restant dues’;

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a annulé la pénalité financière d’un montant de 3’000’€ prononcée par le directeur de la CAF de l’Aude à l’encontre de Mme [V] [W] [E]’;

dire que la cour n’est pas compétente pour annuler la pénalité financière infligée à Mme'[V] [W] [E]’;

condamner Mme [V] [W] [E] au paiement de la somme de 3’000’€ à titre de pénalité financière’;

débouter Mme [V] [W] [E] de l’ensemble de ses prétentions’;

condamner Mme [V] [W] [E] à porter et payer la somme de 1’500’€ au titre des frais irrépétibles’;

condamner Mme [V] [W] [E] aux entiers dépens.

Vu les écritures déposées à l’audience et reprises par son conseil selon lesquelles Mme'[V] [W] [E] demande à la cour de’:

au principal et avant tout débat au fond,

dire qu’aucune partie n’a accompli de diligence entre le 29 janvier 2018 et le 11 août 2023′;

dire en conséquence qu’il y a péremption d’instance, considérant qu’aucune des parties n’a accompli de diligence pendant deux ans’;

dire l’appel irrecevable’;

subsidiairement,

infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation du rapport d’enquête de la CAF’;

dire que le rapport d’enquête de la CAF en date du 17 décembre 2015 est nul’;

en tout état de cause,

confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la CAF de l’Aude de sa demande en répétition d’un indu présentée à son encontre pour le versement d’allocation logement, de base, de rentrée scolaire et d’allocations familiales pour la période de décembre 2013 à décembre’2015′;

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a annulé la pénalité financière de 3’000’€ prononcée par le directeur de la CAF de l’Aude le 21 avril 2016 à son encontre’;

condamner la CAF de l’Aude au paiement de la somme de 2’500’€ au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la péremption d’instance

L’intimée soutient que l’instance se trouve atteinte par la péremption biennale de l’article’386 du code de procédure civile dès lors que l’appelante n’a accompli aucune diligence entre son appel du 29 janvier 2018 et le 11 août 2023, date du dépôt de ses premières conclusions.

La cour retient que concernant le contentieux de la sécurité sociale et de l’admission à l’aide sociale, le code de la sécurité sociale a comporté un article R. 142-22 qui en son dernier alinéa, depuis un décret du 18’mars 1986, limitait la péremption d’instance à l’hypothèse où les parties s’abstenaient d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui avaient été expressément mises à leur charge par la juridiction. Cette disposition avait été rendue applicable à la procédure d’appel par l’ancien article R. 142-30 du même code.

Cette limitation de la péremption d’instance que l’on retrouvait aussi en matière de contentieux prud’homal en vertu d’une autre exception textuelle ne tenait pas au seul caractère oral de la procédure dès lors qu’une jurisprudence constante faisait application des dispositions de l’article 386 du code de procédure civile au contentieux des baux ruraux en l’absence d’exception textuelle.

Le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 a abrogé au 1er janvier 2019 l’article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, l’article 17 III du même décret précisant que ses dispositions relatives à la procédure étaient applicables aux instances en cours.

Concernant uniquement la première instance, le pouvoir réglementaire est rapidement revenu sur cette réforme par un décret n° 2019-1506 du 30 décembre 2019, applicable au 1er’janvier’2020, qui introduit dans le code de la sécurité sociale un article R. 142-10-10, lequel limite à nouveau la péremption à l’abstention, durant deux ans, par les parties, d’accomplir les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. Conformément à son article 9-III, cette nouvelle réforme a été rendue applicable à compter du 1er janvier 2020, y compris aux péremptions non constatées à cette date.

En application de l’article 6, §’1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit à l’accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d’accomplir les charges procédurales leur incombant. L’effectivité de ce droit impose, en particulier, d’avoir égard à l’obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter. L’ensemble des dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel instaure un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d’accomplir les actes de la procédure d’appel.

L’article 6, §’1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme doit être lue à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme laquelle rappelle en un arrêt du 30 mars 2021, OORZHAK c. RUSSIE, n° 001-208885, que le «’droit à un tribunal’», dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation’; que toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même’; qu’enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Ces principes ont conduit la Cour européenne des droits de l’homme à reprocher au gouvernement en cause de ne pas indiquer quel serait le but légitime poursuivi par la norme et de ne pas préciser par exemple s’il s’agit d’assurer une bonne administration de la justice, de désengorger la juridiction de cassation en simplifiant l’attribution des pourvois, ou encore de raccourcir la durée d’examen des dossiers. Retenant que les explications du gouvernement défendeur ne permettent pas de déceler un but légitime visé par la mesure contestée et que cette dernière avait porté atteinte au droit du requérant à accéder à un tribunal, compte tenu de l’absence de but légitime déclaré, la Cour européenne des droits de l’homme a dit qu’il n’y avait pas lieu d’examiner la proportionnalité de la mesure.

L’ancienne limitation de la péremption d’instance à l’hypothèse où les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction participait d’un formalisme allégé retenu en considération des spécificités du contentieux alors dévolu au tribunal des affaires de sécurité sociale.

Il convient donc de rechercher si, en excluant la limitation de la péremption d’instance applicable au contentieux de la sécurité sociale au seul stade de l’appel, le pouvoir réglementaire n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit à l’accès au juge au regard de la légitimité des buts qu’il poursuit.

Il sera tout d’abord relevé que le contentieux prud’homal a connu un semblable retour au droit commun de l’article 386 du code de procédure civile. Mais cette évolution n’éclaire pas le présent débat dès lors qu’elle s’est accompagnée à hauteur d’appel d’un passage en procédure écrite et d’une assistance obligatoire par avocat ou par défenseur syndical, toutes réformes guidées explicitement par le constat de la complexité de plus en plus grande du droit du travail et de la nécessité corrélative d’offrir au contentieux prud’homal un traitement de droit commun adapté, toutes considérations qui ont permis de retenir que le retour au droit commun de la péremption d’instance poursuivait en cette matière un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique et ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable.

Concernant cette fois spécifiquement le contentieux de la sécurité sociale, le pouvoir réglementaire peut légitimement chercher à accélérer le traitement des procédures d’appel. Il y va en effet d’une obtention plus rapide par les parties d’une décision définitive et de la réduction du stock des affaires que doivent gérer les cours d’appel, laquelle gestion spécifique du retard ampute d’autant les moyens disponibles pour instruire et juger ces mêmes affaires.

Mais l’accélération du traitement des procédures peut être obtenu par deux types de moyens, directs ou indirects. Les premiers accélèrent les procédures qu’ils concernent directement, il en va ainsi des délais de procédure qui enserrent l’accomplissement d’un acte dans une durée précise ou de la standardisation des actes qui permet de les traiter plus aisément et donc plus rapidement. Les seconds visent au contraire à soulager les juridictions de certaines affaires dans l’espoir qu’elles puissent traiter dès lors plus rapidement les affaires restantes. Il en va ainsi de toutes les formalités qui ne facilitent pas le traitement des affaires auxquelles elles s’appliquent. Même si les moyens directs sont susceptibles d’effets indirects, ils ne sauraient se confondre au regard de leur légitimité.

L’alourdissement du formalisme procédural, dans le seul but de priver d’accès au juge les parties qui ne parviendraient pas à le maîtriser, en espérant que celles qui s’en seront accommodé avec succès puissent voir leur affaire traitée plus rapidement, ne saurait constituer en soi un but parfaitement légitime. Dans ce cas, le contrôle de rapport raisonnable de proportionnalité à l’atteinte au droit à l’accès au juge doit être particulièrement strict.

En l’espèce, compte tenu de l’engorgement de certaines cours d’appel, le retour au droit commun de la péremption d’instance, sous l’apparence de la réforme d’un délai de procédure, constitue effectivement l’imposition aux parties d’une formalité de vigilance les forçant à interrompre un délai, même dans l’hypothèse où elles n’ont aucune prétention à un traitement particulier de leur contentieux, uniquement pour éviter de perdre leur droit d’accès au juge. Ce retour au droit commun ne se justifie pas par la cohérence d’une réforme globale de la procédure, celle-ci restant orale et sans représentation obligatoire, et il n’a même plus vocation à s’appliquer à la procédure de première instance depuis le 1er janvier 2020. Dès lors, il n’apparaît pas chercher à accélérer directement le traitement des procédures, mais uniquement à décharger les juridictions des affaires dans lesquelles il n’aura pas été respecté. Sa faible légitimité, seulement indirecte, n’est pas raisonnablement proportionnée à l’atteinte qu’il porte au droit à l’accès au juge concernant un contentieux mettant en ‘uvre une législation d’ordre public qui assure notamment des ressources minimales aux parents isolés tout en évitant les fraudes.

En conséquence, il convient de retenir que la péremption d’instance, qui résulte de l’application des dispositions de l’article 386 du code de procédure civile au contentieux de la sécurité sociale seulement à hauteur d’appel, doit être écartée en l’espèce afin d’assurer l’effectivité du droit d’accès au juge, étant relevé que l’appelante s’est montrée diligente en concluant au fond le 11 août 2023 dès lors qu’aucune diligence n’avait été mise à la charge des parties avant l’ordonnance d’injonction du 27 juillet 2023, lui demandant de conclure avant le 30 août 2023.

2/ Sur le rapport d’enquête

L’intimée sollicite l’annulation du rapport d’enquête au motif que le principe du contradictoire n’aurait pas été respecté dès lors que la caisse n’a produit les 12 pièces visées au rapport que postérieurement à la décision de la commission de recours amiable et que la copie du rapport comporte toujours des mentions effacées.

La caisse répond qu’en application des dispositions de l’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration, elle était bien-fondée à masquer l’identité des témoins, ce qui de toute façon ne faisait pas grief à l’allocataire qui restait libre de prouver la réalité de la séparation qu’elle allègue.

La cour retient que le rapport d’enquête tel que produit par l’intimée comporte des mentions occultées dans les développements suivants’:

«’Le véhicule Fiat Panda verte immatriculé [Immatriculation 4] qui est toujours à côté du logement et qui [partie occultée] serait à M. [C], est sur les registres des cartes grises à [partie occultée] domicilié à [Localité 6] voir [partie occultée] Pièce jointe n° 2.

[‘]

[partie occultée] Il m’a répondu «’Oui c’est bien son logement mais là ils ne sont pas là ils travaillent tous les deux.’» J’ai insisté en demandant M. [P] [sic] est bien là touts les jours [partie occultée] m’a répondu oui bien sûr.

[‘]

Le journal de la ville de [Localité 7] a marqué la naissance du dernier enfant et [partie occultée] séparation. Pièce jointe n° 9′: journal de la ville de [Localité 7]’»

La caisse produit une copie du rapport d’enquête et des pièces jointes qui n’est que partiellement lisible compte tenu de sa trop mauvaise qualité et qui présente les mêmes occultations.

L’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration dispose que’:

«’Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions.’»

L’article L. 311-5 du même code précise’:

«’Ne sont pas communicables’:

1° Les avis du Conseil d’État et des juridictions administratives, les documents de la Cour des comptes mentionnés à l’article L. 141-3 du code des juridictions financières et les documents des chambres régionales des comptes mentionnés aux articles L. 241-1 et L. 241-4 du même code, les documents élaborés ou détenus par l’Autorité de la concurrence dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs d’enquête, d’instruction et de décision, les documents élaborés ou détenus par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique dans le cadre des missions prévues à l’article 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les documents préalables à l’élaboration du rapport d’accréditation des établissements de santé prévu à l’article L.’6113-6 du code de la santé publique, les documents préalables à l’accréditation des personnels de santé prévue à l’article L. 1414-3-3 du code de la santé publique, les rapports d’audit des établissements de santé mentionnés à l’article 40 de la loi n° 2000-1257 du 23’décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 et les documents réalisés en exécution d’un contrat de prestation de services exécuté pour le compte d’une ou de plusieurs personnes déterminées’;

2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte’:

a) Au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif’;

b) Au secret de la défense nationale’;

c) A la conduite de la politique extérieure de la France’;

d) A la sûreté de l’État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations’;

e) A la monnaie et au crédit public’;

f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente’;

g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature’;

h) Ou sous réserve de l’article L. 124-4 du code de l’environnement, aux autres secrets protégés par la loi.’»

L’article L. 311-6 du même code indique encore’:

«’Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs’:

1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence’;

2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable’;

3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

Les informations à caractère médical sont communiquées à l’intéressé, selon son choix, directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’il désigne à cet effet, dans le respect des dispositions de l’article L. 1111-7 du code de la santé publique.’»

Aucun de ces textes ne permet à une caisse d’allocation familiale de tenir secrète l’identité d’un témoin qu’elle interroge sur la réalité de la séparation alléguée par une allocataire et ce d’autant moins que l’agent enquêteur a interrogé l’unique témoin concernant un certain «’M.'[P]’» alors que le compagnon de l’allocataire se nommait «'[C]’».

De plus, la caisse ne conteste pas n’avoir pas communiqué les pièces jointes à l’allocataire pour lui permettre de discuter utilement le rapport d’enquête devant la commission de recours amiable.

En conséquence, la caisse n’a pas respecté le principe du contradictoire et il convient dès lors d’annuler le rapport d’enquête qui ne permet pas à l’allocataire de discuter utilement les éléments allégués par l’agent enquêteur lesquels font pourtant foi jusqu’à preuve du contraire, preuve rendue impossible par les occultations opérées.

L’indu réclamé par la caisse n’étant fondé que sur le rapport annulé, il suivra le même sort que ce dernier.

3/ Sur la pénalité

La caisse fait valoir que sa décision imposant à l’allocataire une pénalité de 3’000’€ pour fraude est devenue définitive faute d’avoir été expressément contestée devant la commission de recours amiable.

Mais il apparaît que l’allocataire n’a pas saisi la commission de recours amiable précisément d’une contestation de l’indu à l’exception de la pénalité mais qu’elle a usé de la formule générale «’Je viens vers vous pour conteste du montant de notification de la dette à mon encontre et du rapport du contrôleur M. [R] [S].’»

Ainsi, en critiquant le rapport de M. [S], l’allocataire en a nécessairement contesté les conséquences tant quant à l’indu qu’à la fraude que ce dernier prétendait établir.

Dès lors, la cour se trouve valablement saisie de la pénalité qu’il convient d’annuler en l’absence de fraude.

4/ Sur les autres demandes

Il y a lieu d’allouer à l’allocataire la somme de 2’500’€ au titre des frais irrépétibles d’appel par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La caisse supportera la charge des dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Dit que l’instance n’est pas frappée de péremption.

Déclare l’appel recevable.

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a’:

dit la juridiction incompétente pour statuer sur la réclamation concernant un indu de RSA’;

débouté la CAF de l’Aude de sa demande en répétition d’un indu présentée à l’encontre de Mme [V] [W] [E] pour le versement d’allocation logement, d’allocation de base, d’allocation de rentrée scolaire et d’allocations familiales pour la période de décembre 2013 à décembre 2015′;

annulé la pénalité financière de 3’000’€ prononcée par le directeur de la CAF de l’Aude le 21 avril 2016 à l’encontre de Mme [V] [W] [E]’;

rappelé qu’il n’existe pas de dépens devant la juridiction.

L’infirme en ce qu’il a’:

rejeté la demande d’annulation du rapport d’enquête de la CAF mais a écarté des débats les paragraphes de ce rapport d’enquête ayant fait l’objet d’un masquage partiel’;

Statuant à nouveau,

Annule le rapport d’enquête.

Déboute la CAF de l’Aude de ses demandes.

Condamne la CAF de l’Aude à payer à Mme [V] [W] [E] la somme de 2’500’€ au titre des frais irrépétibles d’appel.

Condamne la CAF de l’Aude aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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