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30 janvier 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
23/01995
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
1ère CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 30 JANVIER 2024
EB
N° RG 23/01995 – N° Portalis DBVJ-V-B7H-NHQA
S.A.S. RHODIA OPERATIONS
c/
[E] [Y]
S.A.S. CAREHUB
S.A.S. CAREMAG
S.A.S. CAREMAG PARTNER
S.A.S. CARESTER
Nature de la décision : AU FOND
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 24 avril 2023 par le Président du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (RG : 23/00041) suivant déclaration d’appel du 25 avril 2023
APPELANTE :
S.A.S. RHODIA OPERATIONS, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]
représentée par Maître Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Thomas BOUVET du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMÉS :
[E] [Y]
né le 16 Juin 1967 à [Localité 4] (64)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
S.A.S. CAREHUB, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Lyon sous le n° 911 349 702, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siége social sis [Adresse 1]
S.A.S. CAREMAG, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Lyon sous le n° 890 977 580, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siége social sis [Adresse 1]
S.A.S. CAREMAG PARTNER, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Lyon sous le n° 901 711 747, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siége social sis [Adresse 1]
S.A.S. CARESTER, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Lyon sous le n° 847 925 732, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siége social sis [Adresse 1]
représentés par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Sébastien SEMOUN de la SELARL LEXCASE SOCIETE D’AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été examinée le 21 novembre 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Paule POIREL, Président
Mme Bérengère VALLEE, Conseiller
M. Emmanuel BREARD, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE
Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
M. [E] [Y], employé pendant 28 ans par la société Rhodia, l’a quittée en 2017 et travaille désormais pour le groupe Carester.
Disant soupçonner une violation du secret d’affaires, la société Rhodia a déposé plusieurs requêtes sur le territoire national aux fins d’être autorisée à faire effectuer des constats dans divers locaux du groupe et au domicile de certains actionnaires ou anciens salariés.
C’est ainsi qu’elle a saisi sur requête le premier vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux qui, par ordonnance rendue le 26 octobre 2022, l’a autorisée à faire procéder par commissaire de justice à l’encontre de M. [Y], en son domicile ainsi qu’en tous autres lieux situés à proximité immédiate et en dépendant, à toute opération utile pour constater et établir l’origine, la consistance et l’étendue de tout acte de violation de secrets des affaires de la requérante.
Les mesures ont été menées le 25 novembre 2022.
Par acte du 22 décembre 2022, M. [Y] a assigné la S.A.S. Rhodia Opérations devant le président du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir, à titre principal, rétracter l’ordonnance rendue le 26 octobre 2022 ; à titre subsidiaire, en voir modifier les termes.
Par ordonnance du 24 avril 2023, le juge des référés tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– déclaré les sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub recevables en leur intervention volontaire ;
– rétracté l’ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Bordeaux le 26
octobre 2022 sur requête de la société Rhodia Opérations ;
– ordonné aux commissaires de justice ayant pratiqué les mesures de :
* procéder à la destruction de tous les duplicatas ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022, quelle qu’en soit la forme,
* dresser procès-verbal de destruction de l’ensemble des duplicatas ayant pu être récupérés, aux frais de la société Rhodia Opérations, et en justifier auprès de M. [Y] et des Sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub,
* restituer à M. [Y] les originaux ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022,
– fait interdiction aux commissaires de justice ayant pratiqué les mesures de remettre à quiconque quelque élément que ce soit recueilli lors des opérations du 25 novembre 2022, ainsi que tout constat qui aurait pu être établi sur la base de ces documents ;
– condamné la société Rhodia Opérations à payer la somme de 8 000 euros à M. [Y] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit des Sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;
– condamné la société Rhodia Opérations aux entiers dépens.
La société Rhodia Opérations a relevé appel de cette décision par déclaration du 25 avril 2023 et par conclusions déposées le 30 octobre 2023, elle demande à la cour de :
Avant toute autre mesure et décision,
– ordonner la mise en place d’un cercle de confidentialité listant les personnes pouvant avoir accès aux pièces confidentielles et imposant à ces personnes des obligations de confidentialité, sur la base du projet d’engagement de confidentialité communiqué comme pièce Rhodia n° R.12.11 ;
– dire que l’audience des plaidoiries se tiendra en chambre du conseil ;
– dire que la motivation de l’ordonnance à venir et ses modalités de publicité seront adaptées aux nécessités de la protection des secrets des affaires des parties ;
Sur les demandes des parties,
– déclarer la société Rhodia Opérations recevable en son appel contre l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux du 24 avril 2023 ;
– réformer en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux du 24 avril 2023 ;
Statuant à nouveau, à titre principal :
– rejeter les demandes en rétractation de l’ordonnance du président du tribunal judiciaire de Bordeaux du 26 octobre 2022, rendue sur requête de la société Rhodia Opérations, autorisant les mesures de constat in futurum au domicile de M. [E] [Y] ;
– rejeter les demandes subsidiaires de modification de l’ordonnance destinées à réduire l’étendue des mesures autorisées et la demande de contribution aux frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau, à titre subsidiaire :
– modifier l’ordonnance du président du tribunal judiciaire de Bordeaux du 26 octobre 2022 pour limiter l’étendue des mesures autorisées ;
– supprimer de l’ordonnance du 26 octobre 2022 les deux attendus ci-dessous :
« De toute prestation de consultant fournie par la société Carester à ses clients dans le domaine de l’extraction des terres rares, notamment aux sociétés Three Arch Mining (TAM), Iluka et Energy Fuels, et en particulier concernant les caractéristiques techniques et économiques des installations proposées, notamment rapport d’analyse et de faisabilité, propositions techniques, plan d’installations, détail du matériel et des réactifs, et ce sous différentes versions de chaque document ;
« De tout document détenu par la partie saisie concernant tout dossier déposé par la société CARESTER ou ses filiales les sociétés CAREMAG, CAREMAG PARTNER ou CAREHUB en vue de l’obtention de financement pour ses projets de construction d’unités d’extraction de terres rares, en particulier les descriptifs techniques des unités envisagées ».
En tout état de cause :
– condamner M. [E] [Y] à payer à la société Rhodia Opérations la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner in solidum les sociétés Carester, Caremag, Carehub et Caremag Partner à payer à la société Rhodia Opérations la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner in solidum les sociétés Carester, Caremag, Carehub et Caremag Partner aux entiers dépens, y compris ceux de première instance.
Par conclusions déposées le 31 août 2023, M. [Y] et les sociétés Carehub, Caremag, Caremag Partner et Carester demandent à la cour de :
– confirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par Mme la présidente du tribunal judiciaire de Bordeaux du 24 avril 2023 ;
ET EN TOUT ETAT DE CAUSE
A titre principal,
– rétracter l’ordonnance rendue par M. le président du tribunal judiciaire de Bordeaux du 26 octobre 2022 sur requête de la société Rhodia Opérations ;
SUBSÉQUEMMENT ET EN TOUTE HYPOTHÈSE :
– faire obligation aux Commissaires de justice ayant pratiqué les mesures de :
* procéder à la destruction de tous les duplicatas ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022, quelle qu’en soit leur forme ;
* dresser procès-verbal de destruction de l’ensemble des duplicatas ayant pu être récupérés, aux frais de la société Rhodia Opérations, et d’en justifier auprès des sociétés demanderesses ;
* restituer aux demanderesses les originaux ayant pu être saisis au cours des opérations du 25 novembre 2022 ;
– faire interdiction aux Commissaires de justice ayant pratiqué les mesures de remettre à quiconque quelque élément que ce soit recueilli lors des opérations du 25 novembre 2022, ainsi que tout constat qui aurait pu être établi sur la base de ces documents ;
A titre subsidiaire
– modifier l’ordonnance rendue par M. le président du tribunal judiciaire de Bordeaux du 26 octobre 2022 sur requête de la société Rhodia Opérations de la façon suivante :
Supprimer les attendus ci-dessous :
« De toute prestation de consultant fournie par la société Carester à ses clients dans le domaine de l’extraction des terres rares, notamment aux sociétés Three ARCH Mining (TAM), Iluka et Energy Fuels, et en particulier concernant les caractéristiques techniques et économiques des installations proposées, notamment rapport d’analyse et de faisabilité, propositions techniques, plan d’installations, détail du matériel et des réactifs, et ce sous différentes versions de chaque document ;
« De tout document détenu par la partie saisie concernant tout dossier déposé par la société CARESTER ou ses filiales les sociétés CAREMAG, CAREMAG PARTNER ou CAREHUB en vue de l’obtention de financement pour ses projets de construction d’unités d’extraction de terres rares, en particulier les descriptifs techniques des unités envisagées »,
EN TOUT ETAT DE CAUSE
– débouter la société Rhodia Opérations de l’ensemble de ses demandes ;
– condamner la société Rhodia Opérations à payer :
* 15.000 euros à M. [E] [Y] ;
* 5.000 euros à chacune des Sociétés Carester, Caremag, Caremag Partners et Carehub ;
au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
– condamner la société Rhodia Opérations aux entiers dépens de l’instance.
L’affaire a été fixée à bref délai à l’audience collégiale du 21 novembre 2023, avec clôture de la procédure à la date du 7 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I Sur la mise en place d’un cercle de confidentialité.
La société appelante expose solliciter l’application des articles L.153-1 et R.153-10 du code de commerce en ce que la présente procédure s’inscrit dans le contexte d’une action en violation de secrets des affaires qu’elle a engagé devant le tribunal de commerce de Lyon le 30 décembre 2022 à l’encontre des sociétés intimées.
Elle entend que la confidentialité de certaines pièces contenant des informations constitutives de secrets d’affaires soit préservée, notamment les schémas contenus dans les requêtes aux fins de mesures de constat en version complète.
Elle réclame d’une part que l’audience de plaidoirie se tienne en chambre du conseil, que les pièces confidentielles ne soient accessibles qu’à un nombre limité de personnes et pour les seuls besoins de la présente procédure, que les noms de certains projets soient préservés dans le cadre d’un cercle de confidentialité et que la motivation du présent arrêt et ses modalités de publicités soient adaptés aux nécessités de la protection des secrets des affaires des parties.
***
L’article L.153-1 du code de commerce prévoit que ‘Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :
1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;
2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;
4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires’.
L’article R.153-10 du même code précise que ‘A la demande d’une partie, un extrait de la décision ne comportant que son dispositif, revêtu de la formule exécutoire, peut lui être remis pour les besoins de son exécution forcée.
Une version non confidentielle de la décision, dans laquelle sont occultées les informations couvertes par le secret des affaires, peut être remise aux tiers et mise à la disposition du public sous forme électronique’.
La cour constate l’accord des parties quant à la mise en place d’un cercle de confidentialité aux fins de préserver le secret de leurs affaires.
Outre que seuls les points de droits ont été énoncés lors de l’audience, il sera prévu que les dispositions de l’article R.153-10 du code de commerce s’appliqueront à la présente décision et que la motivation relative au point II de la présente décision sera occultée à ce titre.
II Sur la rétractation de l’ordonnance en date du 26 octobre 2022.
La société Rhodia Opérations affirme que sa requête initiale justifiait parfaitement les mesures in futurum demandées par ses soins par voie de requête.
Elle rappelle que l’article 145 du code de procédure civile permet non seulement de telles mesures, mais également que celles-ci ne soient pas contradictoires afin d’en assurer l’efficacité et d’éviter la disparition d’informations nécessaires au succès de l’action au fond.
Elle admet que cette procédure dérogatoire doit être justifiée par des faits précis et circonstanciés, notamment en cas de concurrence déloyale ou de violation de secrets des affaires par un risque de dépérissement des preuves.
Elle estime que la motivation par renvoi à la requête est suffisant pour motiver ses prétentions et la dérogation au principe du contradictoire.
Elle conteste avoir à démontrer le caractère urgent des mesures sollicitées à ce titre, faute de condition d’urgence prévue par l’article 145 du code de procédure civile, la seule référence lors de sa requête à l’article 845 du même code ne suffisant pas à introduire cette condition.
Elle avance que, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, elle a justifié de la nécessité de déroger au principe du contradictoire en ce que sa requête contient sur 37 pages la nature de l’affaire et des pièces recherchées, ce qui remplit cette condition. Elle indique qu’il est établi une violation du secret des affaires du fait de la détention et l’utilisation d’informations acquises par ses adversaires dans des circonstances non autorisées ou déloyales. Ainsi, elle soutient que les prestations ou les projets des sociétés intimées ont été conçues non en partant d’une feuille blanche, mais en utilisant ses secrets d’affaires.
Elle insiste sur le fait que la procédure sur requête évite que ses adversaires déplacent ou détruisent les preuves que les opérations de constat sollicitées ont pour but de trouver, en ce que celles-ci sont en mémoire de messageries électroniques, de répertoires informatiques, des documents de travail nécessaires et leurs différentes versions afin de savoir comment les connaissances en cause ont pu être acquises, si des logiciels ou fichiers lui appartenant ou relatifs à ses installations de la Rochelle sont détenus par la partie adverse.
Elle conteste avoir à justifier de ce que les personnes visées par la mesure avaient une volonté de soustraire les preuves, une telle démonstration n’étant pas à sa charge en droit positif, alors que les intimés ont sollicité la destruction des éléments saisis, ce qui démontre à ses yeux que sa crainte liée à la disparition de preuves est légitime.
Elle souligne qu’elle ne souhaite pas avoir directement accès aux éléments recueillis, mais qu’un expert judiciaire les examine dans le cadre d’un cercle de confidentialité restreint, afin d’éviter tout risque d’accès illégitime à des documents saisis et à ce que la partie intimée voit ses intérêts préservés.
Sur la motivation de l’ordonnance de rétractation, elle argue de ce qu’elle n’a pas eu accès aux propres secrets d’affaires des sociétés adverses, notamment en ce qui concerne les unités de séparation de terres rares qu’elles souhaitent construire. Elle dit rechercher à savoir si ses anciens salariés détenaient des documents en provenance de ses services et remis à la société Carester, qui risquent d’être détruit contrairement à ceux relatifs aux projets de construction d’unités en cours.
Elle affirme avoir un motif légitime pour fonder ses demandes au sens de l’article 145 du code de procédure civile, un procès étant possible et non voué à l’échec, avec un fondement suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Elle précise ne pas avoir à rapporter le caractère certain de l’existence de manoeuvres déloyales, ni le bien fondé de ses prétentions au fond.
Elle reproche au premier juge d’avoir retenu une absence d’intérêt légitime de sa part en l’absence d’action au fond contre son ancien salarié, au domicile duquel les mesures de constat ont eu lieu.
Elle observe en ce sens qu’elle a un motif d’action suffisamment plausible à l’encontre des sociétés intimées en ce qu’elle détient des secrets d’affaires relatifs à la séparation de terres rares, car il s’agit d’informations non généralement connues, ayant une valeur économique et qu’elle a mis en place des mesures raisonnables pour les conserver secrètes.
Ainsi, il s’agit plus particulièrement selon ses dires de points de fonctionnement de la chimie, du design des équipements, de données de rentabilité économique détaillées en page 16 de sa requête. Ces éléments présentent une valeur économique en ce que leur connaissance permet de concevoir des installations de séparations des terres rares en faisant des économies de temps et d’argent, en évitant le passage par une installation pilote pour vérifier les points de fonctionnement de la chimie et la reprise d’une telle installation à une dimension industrielle.
Elle avance avoir déjà constaté que les prestations fournies par la société Carester dans le cadre d’un autre contrat a montré que celles-ci reposent sur ses secrets d’affaires, communiquant des extraits du diaporama utilisé à cette occasion par ce prestataire contenant des schémas spécifiques et détaillés similaires à ceux de son usine de la Rochelle qui ne sont pas publics.
Elle met également en avant qu’en octobre 2021 et en février 2022, un de ses anciens salariés, employé à présent par la société Carester, l’a sollicitée pour lui fournir un solvant utilisé à l’usine de la Rochelle et spécifique à l’extraction de terres rares par la voie nitrate.
Elle ajoute que ce solvant ne peut être trouvé chez un fournisseur, car modifié chimiquement en son usine de la Rochelle avant son utilisation et n’est pas disponible dans le commerce.
Elle en déduit que les projets d’usines de séparations de terres rares adverses reposent sur les mêmes technologies que celles mises au point dans son unité de production et le caractère plausible de son action au fond.
Elle s’oppose à ce que les mesures sollicitées par ses soins n’aient pas d’intérêt probatoire, puisque leur but est d’établir que ses secrets d’affaires ont été utilisés par les intimés pour réaliser leurs activités, ce que le développement de leurs procédés permet de fonder.
Elle dénie qu’il n’existe pas de secret d’affaire, car si les grandes lignes des procédés de séparation de terres rares sont connues, elle se prévaut de ce que les points de fonctionnement de la chimie pour des procédés industriels et le design des équipements ont toujours été protégés par ses soins.
Elle dit donner au titre 1.3.1. de sa requête une liste exemplative des points sur lesquels elle estime détenir des secrets des affaires, outre ses pièces R.2.4 et R.2.2, du fait de son procédé technique spécifique. A l’inverse, elle soutient que les pièces adverses n° 5.2.5, 5.2.6, 5.2.8, 5.3.3, 5.3.4, 5.3.5, 5.4 sont des thèses académiques ne permettant pas de définir un enchaînement industriel, le dimensionnement d’un enchaînement de séparation, les éléments de définition des équipements.
Elle expose que les pièces n° 5.3.1 et 5.3.2 ne sont pas utilisables ou pertinentes, car ne représentant pas un usage industriel.
Elle remet en cause que la voie nitrate, utilisée par son usine de la Rochelle, soit utilisée par d’autres opérateurs, hormis une autre installation en Estonie, la technologie utilisée en Chine étant celle de la voie chlorure.
Elle explique qu’en outre la pièce R.7.2 montre que les niveaux d’impureté lors de la séparation de terres rares sont connus de ses adversaires, alors que ceux-ci résultent de la pratique et qu’aucun validation par test n’a été effectuée. Elle en déduit qu’il s’agit de l’exploitation de ses données tirées du site de la Rochelle.
Elle considère qu’il en est de même sur d’autres éléments techniques que sont les batteries, le design des installations et que ces éléments ne seront pertinents qu’en comparant les caractéristiques de l’usine de la Rochelle avec celles contenues dans les fichiers saisis.
Le fait que ses secrets d’affaires soient connus de certains de ses anciens salariés est sans importance, même en l’absence de clause de non concurrence, ceux-ci n’ayant pas le droit de les divulguer ou des les utiliser pour son compte.
Elle fait également part de ce que ses secrets d’affaires sont toujours actuels et pas obsolètes, notamment en perfectionnant ses procédés de séparation de terres rares, tout en soulignant que ceux-ci ont pu faire gagner des années de développement et donc un avantage important à ses adversaires.
Elle relève encore que la société Carester a dès sa première année de fonctionnement fourni des prestations de consultant en matière de conception d’unités de séparation de terres rares, ce qui la surprend s’agissant d’un domaine industriel requérant de longues années de recherches et de mises au point.
Elle dénonce le fait que ce concurrent ait été capable de développer une activité aussi complexe aussi rapidement, sans investissements substantiels.
Elle note que l’argumentation tirée de l’absence de brevet de sa part est inopérante, faute que cet argument empêche une éventuelle prétention devant le juge du fond, n’impliquant pas une absence de secrets d’affaires.
Elle remarque que les mesures accordées dans l’ordonnance rétractée étaient proportionnées aux objectifs recherchés, n’étant pas trop large au vu des éléments recherchés et limités aux techniques industrielles de séparation et de purification de terres rares, leur rendement et leur rentabilité et aux documents émanant de ses services ou de son logiciel. Elle rejette l’argument tiré du fait que cette mission lui donnerait accès à l’ensemble des connaissances des sociétés adverses sur le procédé de séparation des terres rares et pas seulement à ceux pouvant concerner ses secrets d’affaires, faute de démontrer qu’il ne s’agit de procédés connus et des mots clés trop génériques. Elle rappelle à ce propos que les mots clés utilisés sont pour certains spécifiques à l’usine de la Rochelle et au procédé qui y est mis en oeuvre
Enfin, elle se prévaut du fait qu’elle n’aura pas accès à ces données, celles-ci étant sous séquestre et devant être exploitées par un expert.
A titre subsidiaire, elle entend, si les mesures de constat étaient considérées comme trop large, que les mesures autorisées soient limitées à la recherche de documents relatifs à ses services et qu’il ne soit prononcé qu’une mesure partielle de rétractation en application de l’article 497 du code de procédure civile.
Ainsi, se prévalant du fait que ses anciens salariés ne devaient pas conserver de documents relatifs à ses propres installations ou des outils logiciels lui appartenant, elle conclut à ce que ces éléments soient recherchés, ceux-ci constituant de l’aveu des intimés une violation du secret des affaires.
***
En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L’article 845 alinéas 1 et 2 du même code ajoute que ‘Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi.
Il peut également ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement’.
Il résulte également de l’article 496 alinéa 2 du code de procédure civile que s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance.
L’obtention de telles mesures est subordonnée à trois conditions :
– l’absence de procès devant le juge du fond
– l’existence d’un motif légitime
– l’intérêt probatoire du demandeur, apprécié notamment au regard de la mesure sollicitée et des intérêts du défendeur.
Celui qui, sur le fondement de l’article 145 précité, opte pour la procédure sur requête plutôt que pour la procédure de référé, doit faire la preuve de l’existence de circonstances imposant qu’il soit fait exception au respect du contradictoire.
Ainsi, en application de l’article 493 du même code, les mesures d’instruction prévues à l’article 145 ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.
Il appartient au juge de vérifier l’existence de ces circonstances, étant rappelé qu’il n’est pas besoin de caractériser l’urgence.
En l’espèce, il ressort de l’ordonnance attaquée que le premier juge a reproché à l’appelante de n’avoir fait état d’aucun élément précisé et concret susceptible de motiver la dérogation au principe du contradictoire.
Néanmoins, il revient à la cour d’examiner en premier lieu le motif légitime avant d’examiner la nécessité de déroger au principe du contradictoire, s’agissant d’une condition pour recourir à la présente procédure, étant relevé que la question de l’absence de procès devant le juge du fond n’est pas posée.
Ainsi, le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.
En l’occurrence, il est mis en avant en pages 26 à 33 de la requête aux fins de mesures de constat in futurum différents éléments présentés par ses adversaires lors de sa prestation de consultant, à savoir une succession particulière des batteries et des schémas d’usine montrant le nombre de batteries nécessaires pour extraire chaque terre rare, dont certaines présentent une configuration spécifique. Elle affirme que ce dispositif est propre à son usine de la Rochelle.
Elle communique également à ce titre des photographies et des plans de cannes de récupération de terres rares particulières émanant de la société Carester pourtant relatives à celles utilisées au sein de l’usine de la Rochelle et confidentielles.
En outre, elle verse au dossier une liste d’impuretés et de leur concentration qui n’est pas selon ses dires publique et correspond à celle de la Rochelle, alors qu’il s’agit d’une pièce proposée par la société Carester à propos de l’installation pour la société TAM.
Elle se prévaut encore d’autres diapositives de la société Carester présentant un schéma de séparation détaillant les réactifs utilisés qui est particulière à l’usine de la Rochelle et qui est différente de celles figurant dans les concentrations évoquées dans les ouvrages consacrés au sujet ou une méthode de traitement des effluents par frottement à froid qui n’est pas publique.
De surcroît, elle met en avant le fait que le plan des mélangeurs présenté par la société Carester et de leurs turbines présente des caractéristiques particulières développées au sein de son usine de la Rochelle.
Elle dénonce également les demandes qui lui ont été faites par la société Carester ou un de ses anciens employés travaillant pour celle-ci aux fins de récupérer des éléments relatifs au process utilisé dans son usine.
Il convient toutefois de vérifier que ces éléments représentent bien des secrets d’affaires et ne relèvent pas de connaissances générales.
A ce titre, la partie intimée indique, s’agissant des mélangeurs et de leurs turbines que les plans sont déjà publiés par des ouvrages relatifs à l’extraction ou proposés par d’autres constructeurs d’agitateurs pour extraction liquide liquide (pièces 5.1.1. à 5.1.4 de cette partie).
Surtout, elle dénonce le fait que la voie nitrate, donc le schéma d’usine et de batteries, n’est pas propre à l’usine de la Rochelle, puisque utilisée dans au moins 3 autres usines au Kazakhstan, Kirghizistan et en Estonie (pièces 5.2.5, 5.2.6, 5.3.6 de cette partie. L’existence de cette dernière est d’ailleurs admise par les écritures mêmes de l’appelante. De même, les produits et solvant sont connus, étant décrit dans littérature et par des conférenciers (pièces 5.2.7, 5.2.8, 5.3.3 et 5.3.7 de la partie intimée). Ainsi, s’il peut exister des solutions propres à l’usine de la société Rhodia Opérations, ces documents établissent néanmoins qu’il existe des connaissances suffisamment précises en la matière pour permettre un usage industriel et l’activité de séparation des terres rares.
S’agissant des schémas, plans et photographies relatifs aux cannes de récupération des terres rares, en ce que ces éléments ne sont pas davantage propres à l’usine de la Rochelle, mais relevant bien à la fois de connaissance générale et d’un usage sur d’autres lieux de production, cet élément ne saurait être davantage probant.
S’il est exact que la liste d’impuretés et de concentration n’est pas expliquée, ce seul élément ne saurait justifier à lui seul les mesures sollicitées, d’autant que ces éléments sont le résultat du process industriel mis en place et non les caractéristiques de ce dernier.
Il est exact, comme l’a relevé le premier juge, que la société Rhodia Opérations échoue à démontrer qu’elle est détentrice d’un secret d’affaires dont elle puisse demander la protection, faute d’établir l’antériorité ou le monopole sur un procédé de pointe pour l’extraction et le traitement des terres rares.
Aussi, il n’existe pas de faits caractérisant les circonstances susceptibles de justifier un motif probatoire légitime et proportionné portant sur des documents précis et déterminé.
Il ne saurait donc être dérogé au principe du contradictoire et la décision attaqué a par conséquent appliqué les règles existantes en rétractant l’ordonnance rendue le 26 octobre 2022.
Cette décision sera dès lors confirmée de ce chef.
III Sur les demandes connexes.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, l’équité commande que la société Rodhia Opérations soit condamnée à verser à M. [Y] et aux sociétés Carehub, Caremag, Caremag partner, Carester, ensemble, la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel.
Aux termes de l’article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, la société Rodhia Opérations, qui succombe au principal, supportera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
ORDONNE, en application des dispositions des articles L.153-1 et R.153-10 du code de commerce, l’occultation du point II de la motivation de la présente décision lors de sa publication ;
CONFIRME l’ordonnance rendue par la présidente du tribunal judiciaire de Bordeaux le 24 avril 2023 ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Rodhia Opérations à verser à M. [Y] et aux sociétés Carehub, Caremag, Caremag partner, Carester, ensemble, la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d’appel ;
CONDAMNE la société Rodhia Opérations aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,