Savoir-faire : 30 janvier 2024 Cour d’appel d’Angers RG n° 23/00259

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Savoir-faire : 30 janvier 2024 Cour d’appel d’Angers RG n° 23/00259
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30 janvier 2024
Cour d’appel d’Angers
RG n°
23/00259

COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – COMMERCIALE

CC/ILAF

ARRET N°:

AFFAIRE N° RG 23/00259 – N° Portalis DBVP-V-B7H-FDZ3

ordonnance du 23 Janvier 2023

Tribunal de Commerce du MANS

n° d’inscription au RG de première instance 2022/3069

ARRET DU 30 JANVIER 2024

APPELANTE :

S.A.S. MSM MODULAR SOLUTIONS LE MANS

représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Thierry BOISNARD de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 22A01535

INTIMEE :

S.A.S GT AZUR

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Inès RUBINEL de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 235716 et par Me Jérôme NOVEL, avocat plaidant au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 05 Décembre 2023 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CORBEL, présidente de chambre

M. CHAPPERT, conseiller

Mme GANDAIS, conseillère

Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 30 janvier 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

L’activité de la société GT Azur la conduit notamment à concevoir et fabriquer des bâtiments modulaires dénommés ‘shelters’, principalement utilisés pour des constructions provisoires ou la protection d’équipements techniques, et des bâtiments industriels techniques pour les marchés nationaux et internationaux.

MM. [RP] [X] et [P] [R], qui étaient salariés de la SAS GT Azur en qualité de responsables d’affaires, ont quitté cette entreprise, le premier, le 7 mai 2020, après avoir démissionné et le second à la suite d’une rupture conventionnelle à effet au 20 avril 2020, avant d’être engagés par la SAS’MSM Modular Solutions Le Mans, laquelle avait été créée en février 2020 par M. [NU] [X], père de M. [RP] [X], et a pour activité unique, la fabrication de ‘shelters’ qu’elle commercialise, outre l’électricité, la plomberie, tous corps de métiers et la mise en place sur site.

Par la suite, deux autres salariés de la société GT Azur ont quitté cette entreprise, le 3 et le 24 juillet 2020, pour rejoindre la société MSM Modular Solutions Le Mans.

La SAS GT Azur, faisant état de cette situation et d’un certain nombre d’autres faits lui laissant supposer que la SAS MSM Modular Solutions Le Mans pouvait être la bénéficiaire ou l’instigatrice de débauchage de ses salariés, de démarchage de ses clients et de ses fournisseurs ainsi que d’actes de parasitisme, a déposé une requête datée du 3 mars 2022 par devant le juge des requêtes du tribunal de commerce du Mans, reçue en son greffe le 21 mars 2022, aux fins d’être autorisée, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, à pratiquer au sein de la SAS MSM Modular Solutions Le Mans plusieurs mesures de constat par huissier de justice. Il était sollicité que l’huissier de justice désigné soit autorisé à se rendre chez la société MSM Modular Solutions Le Mans en son établissement principal, situé [Adresse 1] à [Localité 6] (72) et à se déporter en tout lieu nécessaire pour la réalisation de sa mission et a :

1) à prendre connaissance et à se faire communiquer par tous moyens et le cas échéant prendre copie en deux exemplaires sur tout support et notamment :

– des plans, notes de calcul, classeurs, études, dessins et modèles, documents techniques etc concernant les shelters proposés à la vente,

– des documents commerciaux (tels que flyers, prospectus, carte de visite, offre commercial etc) ;

2) à prendre des photographies détaillées des shelters présents sur le site, en cours de fabrication ou prêts à être livrés ;

3) à prendre connaissance et se faire communiquer par tous moyens et le cas échéant prendre copie en deux exemplaires sur tout support et notamment, de tous documents, pièces et fichiers, quel qu’en soit le format, notamment papier ou informatique, à l’exclusion des documents couverts par les secrets professionnels et médical depuis le 1er septembre 2019 et jusqu’au jour du constat :

a) contenant l’un ou plusieurs noms et/ou dénomination sociale ou commerciale et/ou noms ou prénoms de clients, de fournisseurs ou bureaux d’études de la requérante tels que listés ci dessous :

clients : Céleste, CBT, Actia, Airbus, Alstom Transport, Infrabel, Bouygues Telecom, Circet, CMT, Elo Energie, Hitachi, Istamed, Proximus, Tower Cast, Viasat, Vossloh, Engie, ITAS Méditterannée, Skeyes, [S] [TN], [T] [WJ], [Z] [LW], [K] [W], [JA] [SN], [V] [SN], [L] [D],

fournisseurs : Sarthe Pliage, S39 Composites, PIVA Groupe, Chaudro Technic, Galva Anjou, [G] [H], [B] [FG], ATM, AMP Composite, AXI Clim, HLC, [PS] [KY], [S] [C], [SP] [Y]

b) contenant l’un ou plusieurs noms ou prénoms des salariés de la requérante depuis le 1er septembre 2019 jusqu’au jour de la saisie tels que listés ci dessous : [RP] [X], [P] [R], [U] [DI], [O] [M], [A] [E], [GE] [J] [ZF],

c) contenant les mots clés suivants : Shelter AZ, Shelter Eco, Shelter BR, GT Azur, Vinci, Garczynski Traploir, [I] [N], [IC] [F], [X], concurrence,

4) à prendre connaissance et se faire communiquer par tous moyens et le cas échant prendre copie en deux exemplaires sur support informatique, les devis réalisés par la société MSM Modular Solutions Le Mans portant sur les marchés suivants :

o) Actia : Egypte – SAT20176

o) Bouygues : PA9 [Localité 7], MO CO, DN Reagir, Logitrade, [Localité 8],

o) Céleste : Astrid,

o) CBT : Autoroutes CLST 17,

o) Hitachi : Argos – BAL Digital.

Il était sollicité encore, notamment, que pour exécuter la mesure d’instruction, l’huissier de justice soit autorisé à se faire assister d’un ou plusieurs collaborateurs de son étude, ainsi que d’un ou plusieurs experts informatiques indépendants de la requérante ; et à se faire remettre tous moyens informatiques, électroniques et supports de stockage numériques locaux et distants de quelque nature qu’ils soient, à l’exclusion des appareils électroniques appartenant aux salariés de la société MSM Modular Solutions Le Mans et utilisés à des fins exclusivement personnelles ; à accéder à l’ensemble des données contenues sur les supports numériques locaux ou distants, se faire communiquer tous identifiants et codes d’accès aux locaux nécessaires à l’exécution de leur mission, se faire communiquer tous identifiants et mot de passe nécessaires à l’accès aux données qu’elles soient locales ou distantes ; de manière générale, à réaliser toutes opérations techniques jugées nécessaires pour les besoins de la mission.Par ordonnance du 30 mars 2022, signifiée le 16 juin 2022 à la SAS MSM Modular Solutions Le Mans, le juge des requêtes du tribunal de commerce du Mans a fait droit à sa demande, confiant à l’huissier désigné, autorisé à se faire assister par un ou plusieurs experts informatiques indépendants de la requérante, la mission telle que sollicitée par la SAS GT Azur. Il y est notamment dit que :

– l’huissier désigné pourra procéder au tri des documents, fichiers, données, informations et correspondances appréhendés en exécution de l’ordonnance en écartant ceux relevant du secret des correspondances à caractère privé ou des correspondances des personnes soumises au secret professionnel et, dans l’hypothèse de correspondances présentant un caractère mixte professionnel et personnel, d’occulter desdites correspondances les éléments relevant du domaine personnel ;

– en cas d’une éventuelle instance en rétractation, l’huissier de justice tiendra à disposition de la partie auprès de laquelle il les aura obtenues, sur support informatique adapté, une copie des pièces séquestrées, afin que cette dernière puisse, pour les besoins de leur examen par le juge ou les avocats, sélectionner celles des seules pièces à la communication desquelles elle s’oppose.

Les opérations de constat ont été réalisées le 16 juin 2022 dans l’établissement principal de la SAS MSM Modular Solutions Le Mans. L’huissier de justice qui a été assisté d’un expert informatique et de la force publique, a séquestré en son étude les éléments saisis au cours de ces opérations.

Le 13 juillet 2022, la SAS MSM Modular Solutions Le Mans a assigné la SAS GT Azur en référé devant le président du tribunal de commerce du Mans en annulation, subsidiairement, rétractation de l’ordonnance sur requête en application des articles 496 et suivants du code de procédure civile.

En défense, la SAS GT Azur a sollicité du juge des référés qu’il déboute la demanderesse de l’ensemble de ses demandes, qu’il l’autorise à se faire remettre l’intégralité des pièces et autres documents ayant fait l’objet du constat réalisé le 16 juin 2022.

Par ordonnance du 23 janvier 2023, le juge des référés du tribunal de commerce du Mans a :

– confirmé l’ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce du Mans en date du 30 mars 2022,

– autorisé l’huissier de justice à remettre à la SAS GT Azur uniquement les documents à caractère professionnel comme indiqués dans l’ordonnance du 30 mars 2022,

– enjoint l’huissier de justice à remettre à la SAS MSM Modular Solutions Le Mans les documents saisis non conformes à l’ordonnance du 30’mars 2022 dans les plus brefs délais,

– condamné la SAS MSM Modular Solutions Le Mans à payer à la SAS GT Azur la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé les entiers dépens de la procédure à la charge de la SAS’MSM Modular Solutions Le Mans,

– débouté les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions.

Par déclaration du 15 février 2023, la SAS MSM Modular Solutions Le Mans a formé appel de cette ordonnance de référé ; intimant la SAS GT Azur.

Par ordonnance de référé du 13 juin 2023, le premier président de la cour d’appel d’Angers a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire de l’ordonnance du président du tribunal de commerce du Mans du 23 janvier 2023.

La SAS MSM Modular Solutions Le Mans et la SAS GT Azur ont conclu.

Une ordonnance du 27 novembre 2023 a clôturé l’instruction de l’affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La SAS MSM Modular Solutions Le Mans prie la cour de:

– infirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce du Mans du 23 janvier 2023 ;

statuant de nouveau,

– rétracter l’ordonnance sur requête du 30 mars 2022 rendue par le président du tribunal de commerce du Mans, avec toutes conséquences de droit et de fait,

– enjoindre en conséquence à l’huissier instrumentaire de lui restituer l’ensemble des documents et éléments recueillis le 16 juin 2022,

– condamner la SAS GT Azur à lui verser la somme de 7 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La SAS GT Azur sollicite de la cour qu’elle :

– confirme l’ordonnance du 23 janvier 2023 en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

– autorise l’huissier de justice à lui remettre l’intégralité des pièces et autres documents ayant fait l’objet du constat réalisé le 16 juin 2022,

– condamne la SAS MSM Modular Solutions Le Mans à lui verser la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

à titre infiniment subsidiaire, si la cour décidait de rétracter l’ordonnance du 30 mars 2022,

– ordonne à l’huissier instrumentaire de séquestrer les pièces remises par elle et l’ensemble des éléments recueillis lors de ses opérations réalisées en exécution de l’ordonnance du 30 mars 2022 jusqu’à ce qu’une décision judiciaire irrévocable intervienne sur cette question et le cas échéant, les détruire à l’issue,

et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,

– condamne la SAS MSM Modular Solutions Le Mans aux entiers dépens avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe’:

– le 24 novembre 2023 pour la SAS MSM Modular Solutions Le Mans,

– le 27 novembre 2023 pour la SAS GT Azur.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur l’existence d’un motif légitime à voir ordonner les mesures d’instructions sollicitées par la société GT Azur de façon non contradictoire

Selon l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Aux termes de l’article 493 du même code, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

L’appelante considère que l’ordonnance dont appel doit être infirmée et que l’ordonnance sur requête doit être rétractée en l’absence de désignation dans la requête de l’action envisagée dans le cadre de laquelle la requérante serait fondée à solliciter la réalisation de mesures d’instruction afin de conserver ou établir des éléments de preuve, en l’absence de motif légitime de la part de la société GT Azur à voir ordonner les mesures d’instruction in futurum, en l’absence de justification de la part de celle-ci à devoir les obtenir non contradictoirement et en l’absence de caractère légalement admissibles des mesures sollicitées.

L’intimée répond que sa requête repose sur un faisceau d’indices concordants et convergents laissant supposer une concurrence déloyale et un parasitisme à son égard de la part de la société MSM Modular Solutions Le Mans, que la dérogation au respect du contradictoire était nécessaire et que l’ordonnance comporte des dispositions suffisantes pour assurer la proportionnalité et la légalité des mesures autorisées.

Sur l’existence de motifs légitime sérieux justifiant le recours aux mesures sollicitées

La SAS GT Azur expose que ses suspicions de concurrence déloyale reposent sur la création d’une société concurrente par un prête-nom, le débauchage de ses salariés, le démarchage de ses clients et de ses fournisseurs par ses anciens salariés alors qu’ils étaient encore à son service, l’exécution d’actes de parasitisme. Elle prétend que la société MSM Modular Solutions Le Mans a été, en réalité, créée par MM. [RP] [X] et [R] en février 2020 alors qu’ils étaient encore sous contrat de travail avec elle et que, pour masquer ce fait, ils ont demandé au père de M. [RP] [X] qu’il en soit le prête-nom. Elle met en doute la pertinence de l’explication donnée à la création de la SAS MSM Modular Solutions Le Mans par M. [NU] [X], lequel n’a fait qu’en porter les parts jusqu’au 1er juillet 2020, date à laquelle MM. [RP] [X] et [R] n’étaient plus liés à la société GT Azur, faisant, en outre, observer que ces deux derniers se présentent sur leurs profils Linkedin comme codirigeants de la société MSM respectivement depuis mai et avril 2020.

Elle expose que le départ de la société de M. [R] a été immédiatement suivi par la démission de M. [X] qui a demandé à être dispensé de préavis, puis de la démission de deux autres salariés, tous embauchés par la société MSM Modular Solutions Le Mans alors qu’aucune offre d’emploi n’avait été publiée par cette société. Elle indique avoir découvert sur la messagerie de la société que MM. [X] et [R] alors qu’ils étaient encore à son service, ont voulu faire croire à des partenaires de la société GT Azur que la société MSM Modular Solutions Le Mans était le nouveau nom commercial de celle-ci, ont essayé de détourner certains clients en les dirigeant vers leurs boîtes mails personnels et que M. [DI], avant de quitter l’entreprise, avait transféré depuis sa boîte mail de la société GT Azur vers sa boîte personnelle une demande de prix de shelters d’un client de la société GT Azur. Elle ajoute le démarchage de ses fournisseurs et le fait que la société MSM Modular Solutions Le Mans a utilisé des plans de la société GT Azur dont elle a maquillé l’origine.

L’appelante prétend que l’ordonnance sur requête repose sur une fausse accusation de concurrence illicite et d’actes de parasitisme. Elle expose que MM’ [X] et [R] ont décidé de quitter leurs emplois et de rejoindre la société MSM spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente de shelters créée au mois de février 2020 par M. [NU] [X] (père de M.[RP] [X]), dans la mesure où seul celui-ci disposait des compétences professionnelles requises (CAP menuisier du bâtiment et d’agencement) pour créer une telle entreprise, ce dont étaient dépourvus M. [RP] [X] (ingénieur) et M.'[R] (titulaire d’un BTS électricien) ; que M. [NU] [X], qui n’était pas un prête-nom, a porté les parts et la présidence de la société MSM jusqu’au 1er juillet 2020. Elle rappelle que les contrats de travail qui liaient MM. [X] et [R] à la SAS GT Azur ne contenaient pas de clause de non-concurrence et fait valoir que le fait pour un salarié d’immatriculer une société concurrente de son employeur alors qu’il était encore salarié ne caractérise pas à un manquement à son obligation de loyauté si l’exploitation de cette société commence postérieurement à la rupture du contrat de travail, ce qui aurait été le cas ici ; que les deux autres salariés de la société GT Azur l’ont rejointe après candidatures spontanées de leur part.

Elle conteste avoir démarché des clients de la société GT Azur à travers les salariés de cette société pendant l’exécution de leur contrat de travail, et rappelle qu’au nom de la liberté d’entreprendre et de la liberté du commerce et de l’industrie, les salariés sont libres de démarcher les clients de leur ancien employeur et que, pour leur part, les clients demeurent eux-mêmes libres de choisir leur co-contractant et, ainsi, de choisir de poursuivre leurs affaires avec une nouvelle société

Elle réfute le grief qui lui est fait d’avoir démarché les fournisseurs de la société GT Azurn en expliquant que certains sont incontournables pour tout fabricant de shelters et que deux autres l’ont eux-mêmes démarchée.

Elle conteste également l’utilisation de plans de la société GT Azur. Elle indique travailler avec des plans 3D réalisés par son bureau d’études. Elle fait valoir que les plans revendiqués par Gt Azur ne présentent aucune originalité et que le plan dont fait état la partie adverse représente, ni plus ni moins, un simple morceau de tôle pliée.

Elle ajoute que l’activité de la société MSM Modular n’a aucunement freiné l’activité de la société GT Azur, bien au contraire.

Sur ce,

Contrairement à ce que soutient l’appelante, la requête n’a pas à désigner l’action envisagée dans le cadre de laquelle la requérante serait fondée à solliciter la réalisation de mesures d’instruction. Il suffit que la requérante justifie d’un motif légitime de conserver ou établir des éléments de preuve en vue d’une éventuelle action dont elle ne pourra déterminer la nature et l’opportunité qu’au vu du résultat de la mesure d’instruction dont c’est l’objet. Il suffit que la société requérante établisse la réalité d’éléments lui permettant de suspecter une activité illicite de la partie contre laquelle la mesure est sollicitée. En outre, dans sa requête, la société GT Azur invoquait clairement des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Les mesures demandées n’ayant que pour objet d’obtenir des preuves complémentaires en vue d’un procès futur, il ne revient pas au juge de la rétractation de se prononcer sur le point de savoir si les griefs invoqués par la GT Azur sont fondés ni de savoir s’ils sont constitutifs d’une concurrence déloyale ou de parasitisme, et encore moins de savoir si un préjudice en résulte, ce qui relève d’un débat au fond.

Pour pouvoir justifier d’un intérêt légitime à requérir aux mesures in futurum prévues à l’article 145 du code de procédure civile, il suffit que la requérante établisse des circonstances fondant légitimement des soupçons sérieux de pratiques déloyales ou de parasitisme.

En l’espèce, la société GT Azur a produit à l’appui de sa requête un certain nombre d’éléments tenant à la constitution d’une société concurrente par le père d’un de ses salariés à un moment où celui-ci était encore à son service et dont il est devenu par la suite co- dirigeant avec un autre ancien salarié, le départ de plusieurs de ses salariés ayant directement rejoint la société concurrente, des courriels de MM. [RP] [X], [R] et [DI] pouvant être vus comme des tentatives de diriger des clients de la société GT Azur vers la société MSM Modular Solutions Le Mans pendant qu’ils étaient encore à son service, l’utilisation par la société MSM Modular Solutions Le Mans d’un plan semblant identique à celui établi par la société GT Azur.

Par ces éléments pouvant laisser craindre que la société MSM Modular Solutions Le Mans ait, par les agissements d’anciens salariés de la société GT Azur qu’elle a embauchés par la suite, pu capter certains clients de la société GT Azur et/ou son savoir faire, la société GT Azur justifie d’un motif légitime pour requérir une mesure d’instruction in futurum en vue d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige pour concurrence déloyale et parasitisme.

Sur la dérogation au principe de la contradiction

La société MSM Modular Solutions Le Mans reproche au président de tribunal de n’avoir motivé l’ordonnance rendue sur requête par aucune circonstances justifiant de déroger au principe fondamental du contradictoire. Elle expose que la jurisprudence n’admet pas n’importe quelle motivation et notamment elle ne doit pas s’en tenir à la « nature de la motivation de la requête » élaborée par le requérant lui-même et dont la généralité n’est pas une justification.

Le président du tribunal retient dans son ordonnance sur requête que la société GT Azur expose que si la société adverse avait connaissance de la mesure envisagée, elle aurait tout loisir de s’organiser afin de faire disparaître les ordinateurs ou les données qu’iIs contiennent ; qu’en outre, la mesure vise notamment la communication de documents informatiques dont la suppression est extrêmement facile ; qu’en effet, la grande majorité des documents recherchés est stockée de façon immatérielle et donc facilement destructible ; qu’il ressort des éléments produits que la société MSM Modular Solutions Le Mans a agi de façon cachée afin que la société GT AZUR ignore Ies agissements réalisés ; qu’en conséquence, l’efficacité de cette mesure est conditionnée à l’effet de surprise et qu’il convient dès Iors de déroger au principe du contradictoire.

Ce faisant, le président du tribunal a caractérisé un risque important de destruction ou déperdition des éléments de preuve tenant tant à ce que les preuves recherchées consistent notamment en des documents au format numérique et enregistrés sur support informatique, qui peuvent être facilement détruites, effacées ou déplacées, en cas de procédure contradictoirement menée, qu’aux circonstances particulières tenant à l’attitude de la partie requise pouvant être rattachée à la nature des faits qui auraient été commis par dissimulation.

Il a ainsi démontré les circonstances particulières permettant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction par la nécessité de procéder par effet de surprise pour éviter la dissimulation des preuves.

Sur le caractère légalement admissible des mesures et leur proportionnalité

La société MSM Modular Solutions Le Mans prétend que la mission confiée à l’huissier consistait à se saisir de tout document, sans aucune restriction, concernant l’ensemble de son activité ; qu’elle constitue une mission d’enquête générale et non de constat ciblé en ce qu’elle autorise l’huissier de justice à :

– prendre en photo tous les shelters produits par la concluante sans aucun discernement ou critère de sélection,

– prélever l’intégralité des documents de travail de la société MSM Modular (plans, notes de calcul, études, dessins, documents commerciaux, devis,’) sans avoir à écarter ce qui pourrait ne pas relever d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme,

– procéder à des recherches par mot clés par des noms de clients (dont il n’était même pas démontré qu’ils étaient clients de la société GT Azur), de fournisseurs ou de salariés, ce qui a pour effet de permettre à l’huissier d’accéder à l’intégralité des fichiers de la société MSM.

Elle fait valoir que les mots clés utilisés sont tellement nombreux et larges qu’ils n’ont pas pour effet de limiter le champ de la recherche, bien au contraire et que le simple fait de permettre à l’huissier de prélever les courriers électroniques contenant le nom ou le prénom des salariés entre le 1er septembre 2019 et le jour de la saisie permet d’accéder à l’intégralité des mails puisque chaque mail comporte la signature d’un salarié. Et encore plus grave, l’huissier étant autorisé

à accéder à tous les fichiers informatiques contenant les mots clés «[X]» et «[R]» cela lui a permis d’accéder à l’intégralité des courriers électroniques des dirigeants de la société MSM. Or, ces courriers électroniques contiennent des échanges avec des partenaires commerciaux non liés avec la société GT Azur et qui n’ont pas vocation à être communiqués au nom du principe du secret des affaires.

Elle conclut que cela a permis à l’huissier d’extraire des informations dont la société GT Azur n’a pas à avoir connaissance telles que les plans de la société MSM Modular, les notes de calcul de la société MSM Modular, les développements de produit de la société MSM Modular, la liste de l’intégralité des clients de la société MSM Modular, les devis de la société MSM Modular.

Elle déclare que les courriers électroniques contiennent également des informations d’ordre privé ; que même si l’ordonnance précise que les documents couverts par les secrets professionnel et médical pourront être exclus du constat, de très nombreuses informations d’ordre privé restent dans le champ du constat.

Elle ajoute que le commissaire de justice est matériellement incapable de faire le tri des éléments saisis qui représentent 60 000 pièces et 95,4 GO de données tant les mots clés étaient peu restrictifs.

La société GT Azur répond que l’ordonnance prend le soin d’exclure à tout moment la copie «des documents couverts par les secrets professionnels et médical » et qu’elle prévoit très clairement une procédure spécifique par laquelle la société MSM pourrait contester la communication de telle ou telle pièce, motif pris d’une violation du secret des affaires. Elle souligne que la société MSM n’a pas usé de cette faculté et que son argument est de pur principe.

Elle prétend que la mesure n’est pas générale puisqu’elle est réalisée grâce à des mots-clefs qui viennent restreindre les éléments saisis et que chacun de ces mots-clefs correspond à un élément justifié dans le cadre de la requête.

Sur ce,

Le secret des affaires n’interdit pas la recherche de preuve si celle-ci est proportionnée à la protection des droits de la partie en demande.

Dans le cas présent, d’une part, il est constaté que l’appelante n’a pas usé de la faculté qui lui était réservée par l’ordonnance de sélectionner les pièces à la communication desquelles elle s’oppose. Il n’y a donc pas lieu de restreindre l’autorisation donnée au 1) de l’ordonnance portant sur la communication des plans, notes de calcul, classeurs, études, dessins et modèles, documents techniques etc concernant les ‘shelters’ proposés à la vente, ainsi que des documents commerciaux ni au 2) portant sur la prise de photographie, dès lors que la finalité des mesures est d’obtenir des preuves complémentaires sur une activité concurrence déloyale portant sur la fabrication et la commercialisation de ‘shelters’, ni au 4) portant sur les devis portant sur les marchés déterminés.

D’autre part, l’huissier est chargé de ne pas séquestrer les documents de nature personnelle et d’occulter des correspondances à caractère mixte les éléments relevant du domaine personnel.

Le grief tenant à l’illicéité des mesures est écarté.

Il n’en reste pas moins que la mesure doit cibler des recherches pertinentes afin de ne pas conduire à faire communiquer à la partie requérante des documents de la société concurrente au delà de ce qui est nécessaire.

Ainsi, s’agissant des recherches informatiques à travers tous les ordinateurs, supports numériques et messageries informatiques prévues au 3) de l’ordonnance, il est nécessaire d’en restreindre le champ en excluant celles faites uniquement à travers les noms ou prénoms des salariés et dirigeants de la société, qui aboutirait à obtenir des informations pouvant aller au-delà de ce qui est légitimement recherché, notamment en captant tous les messages envoyés ou reçus par la société concurrente.

Seront donc exclues les recherches faites uniquement par les noms ou prénoms des salariés ou dirigeants de la MSM Modular Solutions Le Mans.

Ainsi limitées, les mesures ordonnées ne sont pas des mesures générales d’investigation, leur objet étant circonscrit et limité territorialement et dans le temps, et sont proportionnées au but recherché.

Enfin, la SAS MSM Modular Solutions Le Mans dénonce à tort le fait que l’informaticien requis par l’huissier l’a été sur suggestion du conseil de la SAS GT Azur, ce qui est normal.

Les mesures seront donc confirmées sauf à y apporter les restrictions indiquées ci-dessus.

Sur les demandes accessoires :

La société MSM Modular Solutions Le Mans, partie perdante sur la majeure partie du litige, est condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société GT Azur la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

la cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme l’ordonnance entreprise sauf à exclure de la mission confiée à l’huissier de justice les recherches faites à travers les seuls noms ou prénoms des salariés listés comme suit : [RP] [X], [P] [R], [U] [DI], [O] [M], [A] [E], [GE] [J] [ZF].

Y ajoutant,

Condamne la société MSM Modular Solutions Le Mans aux dépens d’appel.

Condamne la société MSM Modular Solutions Le Mans à payer à la société GT Azur la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

S. TAILLEBOIS C. CORBEL

 


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