Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom
(*) Vos données sont traitées conformément à notre Déclaration de Protection des Données Vous disposez d’un droit de rectification, de limitation du traitement, d’opposition et de portabilité.

Savoir-faire : 28 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/06408

·

·

Savoir-faire : 28 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/06408

28 novembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/06408

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 28 NOVEMBRE 2023

(n° 414, 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/06408 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFRRE

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Mars 2022 -Président du TC de BOBIGNY – RG n° 2022R00029

APPELANTE

S.A. EUROTITRISATION, RCS de Bobigny n°B352458368, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

Assistée par Me Nathalie MOREL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0009

INTIMÉE

CAISSE REGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL CENTRE LOIRE, RCS de Bourges n°398824714, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

Assistée par Me Floriane AUFAURE, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant M. Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président

Patricia LEFEVRE, conseillère

Greffier, lors des débats : Olivier POIX

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre et parJeanne PAMBO, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

********

La société Eurotitrisation a pour objet social la constitution et la gestion de tout fonds d’investissement alternatif tel que défini par l’article L. 214-14 du code monétaire et financier ainsi que la gestion par délégation ou prestation de service de toute opération de titrisation ou de fonds d’investissement alternatif ou d’organisme de placement collectif français ou étranger sous la responsabilité du déléguant ou du mandant. Elle est agréée par l’Autorité des marchés financiers en qualité de société de gestion de portefeuilles.

Aux termes du règlement du fonds de titrisation en date du 12 septembre 2016 modifié pour la dernière fois, le 28 décembre 2018, la société Eurotitrisation et la société RBC invest service bank France ont, en leur qualité respective de société de gestion et de dépositaire, créé le fonds de titrisation FCT smart treso (qu’elles n’avaient pas structuré), le règlement rappelant que selon les dispositions du code monétaire et financier, cet organisme est constitué sous la forme d’une copropriété, dépourvue de personnalité morale, et à laquelle ne s’appliquent pas les dispositions du code civil relatives à l’indivision ni celles des sociétés en participation.

Ce fonds a pour objet, d’une part, d’être exposé à des risques par l’acquisition de créances commerciales détenues par des personnes morales de droit privé situées dans une juridiction autorisée sur d’autres personnes morales de droit privé ou de droit public payables en moyenne à soixante jours et d’autre part d’assurer en totalité le financement de ces risques par l’émission de deux parts (…) d’autre part, l’émission d’obligations (…) la souscription d’emprunts, les droits des porteurs d’obligations ou des prêteurs étant pari passu entre eux en cas de survenance d’un cas d’amortissement accéléré (soit un taux des créances en retard excédant 10% ou le non-paiement à bonne date de toutes sommes dues par le fonds ou la décision des porteurs ou préteurs de le dissoudre).

Le 12 septembre 2016, conformément à ce règlement, la société Eurotitrisation représentant légal du fonds a signé avec la société Smart treso conseil, un contrat de conseil en investissement, afin que cette dernière procède à la sélection et (à l’)analyse des créances émettant pour ce faire une recommandation d’investissement initiale lors de la sélection d’un candidat cédant ses créances puis une recommandation d’investissement ultérieure à chaque nouveau portefeuille de créances susceptible d’être acquis par le fonds auprès d’un cédant qui a déjà fait l’objet d’une recommandation initiale.

En application de l’article 11 du règlement, un contrat de commercialisation a été conclu, le commercialisateur devant placer les obligations et emprunts auprès d’investisseurs éligibles et assurer le suivi de la relation commerciale avec les porteurs et prêteurs pendant la durée de vie du fonds. Selon la société Eurotitrisation, cette convention a été signée avec la société Entrepreneur invest, qui par ailleurs, avec sa société soeur (la société Smart treso conseil), est à l’origine de la constitution du fonds dont elles ont rédigé le règlement et défini sa stratégie.

Un contrat de cession et de gestion des créances a été conclu avec la société L2V Ascenseurs, PME ayant pour activité la réparation, la rénovation, la maintenance et l’implantation d’ascenseurs auprès notamment d’opérateurs publics afin de lui proposer une solution de financement par l’acquisition de ses créances.

La société Eurotitrisation précise qu’en exécution de cette convention, selon ses dires en date du 16 janvier 2018, la société L 2V ascenseurs s’est également engagée à ouvrir un un compte à affectation spéciale et à déléguer la conservation des supports contractuels.

Aux termes d’un contrat de crédit en date du 31 juillet 2018 signé entre le fonds FCT smart treso représenté par la société Eurotitrisation et la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire (ci-après la Caisse de crédit agricole), celle-ci a consenti à mettre à disposition du fonds un crédit pour un montant maximum de 10.000.000 euros utilisables en plusieurs tirages. Deux avis de tirage (d’avances renouvelées) ont été émis, à hauteur de 2 000 000 euros chacun, les 31 octobre 2019 et 28 janvier 2020 remboursables respectivement les 31 juillet et 31 octobre 2020.

Le 24 février 2021, la société Eurotitrisation a informé les investisseurs que des anomalies dans l’encaissement des créances de la société L2V ascenseurs avaient été constatées dans le courant de l’année 2020 puis de la découverte, dans le cadre de la procédure de conciliation ouverte devant le tribunal de commerce, d’un système de fraude organisée avec notamment l’émission de fausses factures, émanant de faux clients pour des prestations fictives ; détournement des sommes mobilisées ; flux d’argent sortant non dédiés au financement de l’activité, ce qui l’a conduit à suspendre, la commercialisation du fonds ainsi qu’à titre provisoire, tout remboursement aux investisseurs.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 avril 2021, la Caisse de crédit agricole a marqué son opposition aux décisions prises à l’issue d’une première consultation des investisseurs en mars 2021(poursuite de l’acquisition de créances auprès des sociétés cédantes non défaillantes dans le strict respect de leur contrat de cession et du règlement du fonds et suspension du remboursement des obligations et prêts) dont elle estimait qu’elles lui étaient inopposables. Elle réclamait le remboursement de la somme de 4 00 000 euros et sollicitait la transmission d’éléments ou de documents de nature à justifier que les créances faisant l’objet de la fraude révélée respectaient bien lors de leur acquisition les critères d’exigibilité prévus au règlement du fonds (notamment qu’il s’agissait bien de créances nées et non de créances à naître) ainsi que le contrat de cession conclu avec la société cédante, le contrat de conseil en investissement, les recommandations initiales et ultérieures transmises ainsi que la police d’assurance crédit conclue en exécution du règlement du fonds.

Le 2 août 2021, la société Eurotitrisation a informé les investisseurs de la conversion du redressement judiciaire de la société L2V ascenseurs en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Créteil en date du 21 juillet 2021 et d’une créance déclarée au passif chirographaire de 37 235 989 euros.

C’est dans ce contexte que faisant droit à une requête déposée le 8 octobre 2021, le président du tribunal de commerce de Bobigny a, par une ordonnance du 11 octobre 2021, autorisé une mesure d’instruction in futurum, commettant la SCP [L] [M] & [K] et lui confiant la mission de se rendre dans les locaux de la société Eurotitrisation et se faire remettre les documents qu’il énonce (relatifs aux conditions dans lesquelles le fonds a acquis les créances de la société L2V ascenseurs, au suivi des créances et aux conditions dans lesquelles le conseil en investissement est intervenu), ainsi que toutes correspondances et comptes-rendus internes relatives à la société L2V ascenseurs et à ses créances, autorisant l’huissier instrumentaire à accéder à l’ensemble des supports et serveurs informatiques afin de rechercher ces documents en utilisant des mots clés.

Les opérations de constat se sont déroulées le 29 novembre 2021.

Par acte extra-judiciaire en date du 27 décembre 2021, la société Eurotitrisation a fait assigner la Caisse de crédit agricole devant le président du tribunal de commerce de Bobigny afin principalement de voir rétracter l’ordonnance du 11 octobre 2021.

Par ordonnance contradictoire en date du 15 mars 2022, le président du tribunal de commerce de Bobigny a débouté la société Eurotitrisation de sa demande de rétractation, a rejeté les demandes d’indemnité de toutes les parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens à la charge du demandeur, rappelant que l’exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 28 mars 2022, la société Eurotitrisation a relevé appel de cette décision et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 mai 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour, au visa des articles 145, 493 et 561 du code de procédure civile, des articles L.151-1 et suivants et R.153-1 et suivants du code de commerce, les articles L.214-166-1 à L.214-175-8, L.214-180 à L.214-186 et R.214-217 à R.214-235 et L. 531-12, L.532-9 et L. 533-10 du code monétaire et financier, de la recevoir en son appel et y faisant droit à titre principal :

– constater l’absence de motif de la mesure entreprise ;

– constater l’absence du caractère admissible et donc le caractère disproportionné de la mesure entreprise au regard de l’objectif poursuivi par la Caisse de crédit agricole ;

– constater qu’aucune circonstance particulière ne justifiait la dérogation au principe du contradictoire ;

et en conséquence, infirmer l’ordonnance entreprise et statuant à nouveau :

– rétracter l’ordonnance sur requête du 11 octobre 2021 en toutes ses dispositions ;

– déclarer nulles toutes les mesures d’instruction exécutées sur le fondement de cette ordonnance du 11 octobre 2021, en ce compris le procès-verbal de constat dressé par l’huissier instrumentaire, la société [L] [M] et [K] le 29 novembre 2021 ;

– condamner la Caisse de crédit agricole à restituer tous les éléments établis et obtenus à l’occasion de l’exécution de cette ordonnance et du constat du 29 novembre 2021 et plus généralement de l’ensemble des documents et des données appréhendées par l’étude d’huissiers [L] [M] et [K] en exécution de ladite ordonnance ;

– faire interdiction à la Caisse de crédit agricole de faire usage du procès-verbal en date du 29 novembre 2021 et de toutes les pièces visées et annexées ;

A titre subsidiaire, la société Eurotitrisation demande à la cour de :

– constater que la mesure d’instruction ordonnée non contradictoirement confère à l’huissier instrumentaire des pouvoirs d’investigation disproportionnés dans le temps ;

– constater que la mesure d’instruction ordonnée non contradictoirement est également disproportionnée dans son objet dès lors que la recherche par mots-clés utilisés ne peut qu’aboutir à l’apparition d’un grand nombre d’occurrences sans lien avec le litige et l’objectif poursuivi par la Caisse de crédit agricole et en conséquence, la rétracter dans ses chefs de mission ayant conféré à l’huissier instrumentaire des pouvoirs d’investigation extrêmement larges, disproportionnés et sans lien avec l’objectif poursuivi par la Caisse de crédit agricole ;

et statuant à nouveau :

– modifier la mission de l’huissier instrumentaire de sorte qu’elle ne porte que sur :

– les éléments (sous format papier ou électronique) comportant le nom «L2V Ascenseurs» ou «L2V» couplés aux mots «fraude», «factures irrégulières», «fausses factures» ou encore «comptabilisations irrégulières» et,

– antérieures à la date du 16 octobre 2020 ;

– exclure du périmètre de la mesure d’instruction les éléments couverts par le secret professionnel des correspondances entre un avocat et un client et en ordonner la restitution à la société Eurotitrisation ;

– exclure du périmètre de la mesure d’instruction les éléments protégés par le secret des affaires et en ordonner la restitution à la société Eurotitrisation ;

– exclure du périmètre de la mesure d’instruction les éléments couverts par le secret professionnel et en ordonner la restitution à la société Eurotitrisation.

En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la Caisse de crédit agricole au paiement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 juin 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, la Caisse de crédit agricole soutient la confirmation de l’ordonnance entreprise, le rejet des prétentions de la société Eurotitrisation et sa condamnation à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Sur ce,

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Il doit à cet égard constater qu’il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé (sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond) et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit. Enfin, la mesure prononcée ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui.

En l’espèce, la société Eurotitrisation soutient qu’aucune des conditions ainsi posées n’est établie, ce que conteste la Caisse de crédit agricole.

En premier lieu, la société Eurotitrisation prétend qu’aucun motif légitime n’est caractérisé dès lors que les mesures d’instruction sollicitées ne sont d’aucune utilité, puisque la Caisse de crédit agricole est en possession de nombreux documents communiqués lors de la souscription de l’emprunt, qui lui permettent d’apprécier l’opportunité d’une action en justice en parfaite connaissance de la stratégie d’investissement du fonds, des modalités de sélection des cédants et des créances ainsi que du rôle de chacun des intervenants. Elle ajoute qu’ainsi qu’il ressort de la requête et des conclusions de la Caisse de crédit agricole devant le juge de la rétractation, que sa religion était faite sur les fautes qu’aurait commises la société de gestion, l’engagement d’une action au fond ne nécessitant pas qu’elle dispose de l’ensemble des documents et informations relatifs à la société L2V ascenseurs.

Ainsi que le rappelle la Caisse de crédit agricole, sa demande de mesure d’instruction in futurum doit reposer sur la preuve de faits précis, objectifs et vérifiables laissant apparaître la perspective d’un litige plausible et crédible, ce qu’elle fait dans la mesure où elle produit le règlement du fonds, l’acte de prêt qui s’y réfère et contient un certain nombre d’engagements du fonds à son égard ainsi que les communiqués de la société Eurotitrisation et notamment celui du 15 mars 2021.

Dans ce communiqué, la société Eurotitrisation écrit : une dette impayée naît à fin 2019 suite à diverses anomalies… mais à cette date, le fonds n’avait aucune raison particulière de s’inquiéter plus que de rigueur, puis, qu’entre mars et septembre 2020, malgré la remise en cause du calendrier d’apurement envisagé et de la succession de deux directeurs financiers le fonds ne perçoit aucun nouveau signal d’alerte de la difficulté de la société à conduire ses affaires. La formalisation définitive d’un protocole de résolution envisagé se trouve décalé. Elle précise ensuite que la prise des mesures conservatoires intervient en octobre 2020 à réception des comptes 2019, qui est suivie de la notification à l’ensemble des débiteurs cédés le 19 novembre 2020 qu’ils doivent désormais régler leurs factures sur le compte d’affectation spéciale, débiteurs dont il a alors été constaté qu’ils n’avaient pas conclu de contrat avec la société L2V ascenseurs.

La société Eurotitrisation ne peut pas nier la légitimité des interrogations de la Caisse de crédit agricole portant sur les mesures et contrôles qu’elle a opérés ainsi que leur date et sur le contenu des recommandations et éléments apportés par la société de conseil en investissement, elle se borne d’ailleurs d’indiquer que ces questions ressortent de l’appréciation du juge du fond, par ailleurs déjà saisi par d’autres investisseurs.

Cette défense est inopérante, le juge devant en application de l’article 145 du code de procédure civile, apprécier si le procès potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec (ce qui n’est pas allégué), et ainsi vérifier la possibilité d’une action en justice dont la solution pourrait dépendre de la mesure sollicitée.

Il ressort de ce qui précède, que la Caisse de crédit agricole démontre suffisamment l’existence d’un litige plausible, crédible, bien qu’éventuel et futur susceptible de l’opposer à la société Eurotitrisation au titre de l’exécution de ses obligations en tant que société de gestion du fonds de titrisation et sur lequel pourrait influer la mesure d’instruction critiquée.

La société Eurotitrisation conteste la nécessité de recourir à une procédure non-contradictoire, en l’absence de risque manifeste de dissimulation, destruction ou dénaturation d’éléments de preuve, la Caisse de crédit agricole objectant qu’elle était fondée à agir ainsi, compte tenu du risque de dépérissement de preuve s’agissant de fichiers informatiques.

Alors que la Caisse de crédit agricole justifiait comme suit, le recours à une procédure non-contradictoire :

Tous les documents pertinents devront être transmis dans le cadre de la mesure d’instruction, qu’ils soient favorables ou non à Eurotitrisation.

A titre d’exemple si un rapport d’incident interne d’Eurotitrisation signale une alerte relative à L2V ascenseurs, la banque doit pouvoir en avoir connaissance.

Il ne saurait être question pour Eurotitrisation de procéder à une sélection ou à un tri préalable des documents qu’elle pourrait transmettre.

Pour cette raison, un effet de surprise est indispensable, ce qui justifie le recours à la présente procédure non-contradictoire.

L’ordonnance sur requête du 11 octobre 2021, visant la requête présentée par la caisse et les pièces à l’appui, est ainsi motivée :

Attendu que l’absence de contradictoire est motivée par le risque manifeste de dissimulation,

destruction ou dénaturation d’éléments de preuve justifiant la mise en demeure des articles 493 et 875 du code de procédure civile ;

Attendu que la présente ordonnance justifie le moyen légitime d’ordonner des mesures de constatations et d’instructions dans le but de corroborer les soupçons de parasitisme ;

Attendu que la nécessité de préserver un effet de surprise, afin d’éviter l’éventuelle disparition de ces preuves nécessitent qu’une telle mesure ne soit pas prise contradictoirement.

Nonobstant, le fait que le juge retienne l’éventualité d’une destruction ou d’une disparition des preuves qui n’est pas évoquée par la requérante qui, aux termes de sa requête évoque uniquement un risque de sélection des éléments communiqués, son ordonnance renvoie à un contexte litigieux (le parasitisme) qui n’est pas celui dénoncé, ce qui prive de toute pertinence le motif retenu.

L’appropriation par le juge de la motivation de la requête est tout aussi inopérante. En effet, le risque de sélection des pièces seul évoqué est inexistant dès lors que la mesure sollicitée ne se limite pas à une remise spontanée des pièces au commissaire de justice instrumentaire mais qu’elle lui confie également le soin d’accéder aux serveurs et postes informatiques de la société Eurotitrisation et à tous autres supports pour les rechercher.

Enfin, les circonstances justifiant une dérogation au principe du contradictoire devant être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit, la Caisse de crédit agricole ne peut pas ajouter au motif de sa requête en se prévalant désormais d’un risque de dépérissement des preuves lié à la recherche de fichiers informatiques ni se prévaloir de la réticence de la société Eurotitrisation lors de l’exécution de la mesure d’instruction.

Au constat d’une absence de justification de la dérogation au principe du contradictoire et sans avoir à examiner les autres griefs soutenus par la société Eurotitrisation, il convient d’infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions. L’ordonnance sur requête du 11 octobre 2021 sera rétractée, avec toutes les conséquences de droit détaillées au dispositif du présent arrêt, en ce compris l’annulation des opérations de constat et saisies.

Les dispositions de l’ordonnance entreprise relatives à la charge des dépens et à l’indemnisation fondée sur l’article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

La Caisse de crédit agricole sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel et condamnée à payer une indemnité au titre des frais exposés par la société Eurotitrisation.

PAR CES MOTIFS

Infirme l’ordonnance du 15 mars 2022 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rétracte l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Bobigny du 11 octobre 2021 ;

Dit que l’ordonnance du 11 octobre 2021 doit être considérée comme n’ayant produit aucun effet, entraînant la nullité des opérations de constat et saisies réalisées dans les locaux de la société Eurotitrisation ;

Ordonne la restitution à la société Eurotitrisation des pièces et documents saisis ou copiés ainsi que des copies des disques durs et fichiers appréhendés par la SCP [L] [M] et [K] en exécution de ladite ordonnance et dont la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire ne pourra faire usage ;

Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Loire à payer à la société Eurotitrisation une somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x