Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom
(*) Vos données sont traitées conformément à notre Déclaration de Protection des Données Vous disposez d’un droit de rectification, de limitation du traitement, d’opposition et de portabilité.

Savoir-faire : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19929

·

·

Savoir-faire : 24 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19929

24 octobre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/19929

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 24 OCTOBRE 2023

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/19929 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYDM

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Novembre 2022 rendue par le Président du TC de BOBIGNY – RG n° 2022R00214

APPELANTE

S.A.R.L. EUROPE ET COMMUNICATION agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090 et assistée par Me Stéphanie LEGRAND, avocat au Barreau de Paris

INTIMEES

S.A.R.L. FAVMESCO agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125 et assistée par Me Alexandre JACQUET, avocat au Barreau de Paris

S.A.S.U. PIC 92, PUBLICITE IMPRESSION CREATION agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 5]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119 et assistée par Me Françoise LALANNE, avocat au Barerau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 Septembre 2023, en audience publique devant Patricia LEFEVRE, conseillère chargée du rapport et Valérie GEORGET, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du Code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre

Patricia LEFEVRE, Conseillère

Valérie GEORGET, Conseillère

Greffier, lors des débats : Stefanie VERSTRAETEN

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre et par Jeanne BELCOUR, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

La société Europe et communication, créée en 1997, a pour objet social l’affichage et l’installation de bureau de vente. Elle précise qu’elle a élaboré à la fin des années 1990 un modèle technique de bureaux de vente évolutif et susceptible d’être réutilisé, qu’elle qualifie de novateur.

La société Pic 92 publicité impression création (ci-après Pic 92) se présente comme une société familiale, créée en 1973 et indique intervenir dans le secteur d’activité des bureaux de vente.

La société Favmesco a pour objet social, la fabrication, l’achat et la vente de tous matériels d’entreprise et de signalisation ainsi que l’exécution de tous travaux de chaudronnerie et tôlerie pour bâtiment et travaux publics.

La société Europe et communication a déposé, le 6 novembre 2019, devant le président du tribunal de commerce de Nanterre une requête aux fins de constat dans les locaux de la société Pic 92 afin d’établir la preuve d’actes de concurrence déloyale et parasitaire. Au soutien de sa requête, elle mettait en avant le caractère novateur de son modèle de bureau de vente, dont les volumes proportions et conditions d’utilisation sont identifiés par les professionnels de l’immobilier comme sa marque de fabrique et qu’afin de protéger son savoir-faire notamment en imposant à ses salariés une clause de confidentialité, la société Pic 92 a embauché deux de ses employés, M. [R] [G] et M. [O] [Y] respectivement commercial et infographiste et qu’elle propose désormais des bureaux de vente déplaçables et/ou de forme et/ou de dimension identiques à ceux qu’elle a conçus.

Par ordonnance en date du 13 novembre 2019, le président du tribunal de commerce de Nanterre a fait droit à cette demande désignant la SCP Venezia & associés, huissier de justice pour saisir divers documents et interroger diverses personnes.

Les investigations ont été menées, le 2 décembre 2019.

Saisi d’une demande de rétractation de son ordonnance par un acte extra-judiciaire du 20 décembre 2019 délivré à la demande de la société Pic 92, le président du tribunal de commerce de Nanterre a, par une ordonnance contradictoire du 12 février 2020, rejeté la demande de rétractation et a confirmé la décision ordonnant la mesure d’instruction in futurum.

Cette ordonnance a été infirmée par un arrêt de la cour d’appel de Versailles en date du 5 novembre 2020. Le 7 décembre 2020, l’arrêt a été frappé d’un pourvoi.

C’est dans ce contexte que par une requête présentée le 14 mars 2022, la société Europe et communication a sollicité du président du tribunal de commerce de Bobigny qu’il désigne un huissier et l’autorise à mener des investigations (interrogation de tout sachant, communication d’informations et saisie de documents) dans les locaux de la société Fravmesco sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Aux termes de cette requête, la société Europe et communication reprend les éléments factuels qu’elle avait développés dans sa première requête de 2019 avant d’en préciser le sort, puis faisait valoir qu’elle a déploré récemment l’intrusion de la société Pic 92 dans une réunion à distance avec un client sur un projet où les deux sociétés étaient en concurrence ainsi que l’installation à [Localité 7] par la société Pic 92 d’un bureau de vente reproduisant les caractéristiques de son produit. Elle ajoute qu’elle a toute raison de penser que la société Favmesco concourt à l’atteinte portée à ses secrets d’affaires et aux actes de concurrence déloyale et parasitaire dont elle est victime résultant des agissements concertés de ses anciens salariés et de leur nouvel employeur, la société Pic 92 ; que l’intervention de la société Favmesco pour la fourniture des structures métalliques permettant la fabrication par la société Pic 92 des bureaux de ventes déplaçables d’un seul tenant est avérée avant de conclure qu’elle n’est pas à ce stade en possession de l’intégralité des éléments nécessaires à l’introduction d’une instance, s’agissant notamment des modalités précises et de l’étendue de l’intervention de la société Favmesco pour le compte de la société Pic 92.

Par ordonnance en date du 17 mars 2022, le président du tribunal de commerce de Bobigny a :

– désigné tout huissier de son choix (sic) avec la mission de se rendre au siège social de la société Favmesco ainsi que dans tous autres lieux dépendant de cette société, aux opérations suivantes :

– interroger tout sachant sur les relations commerciales entretenues par la société Pic 92 avec la société Favmesco pour la fabrication de bureaux de vente « monobloc» déplaçables d’un seul tenant, l’objet des prestations fournies et leur ancienneté ;

– se faire communiquer la date de début d’achat de profilés métalliques, cornières et

platines par la société Pic 92 pour la fabrication de bureaux de vente «monobloc» déplaçables d’un seul tenant et les dimensions desdits profilés ;

– se faire communiquer les dates de début de fabrication et de vente d’ossatures en métal

pour bureaux de vente « monobloc » déplaçables d’un seul tenant réalisées pour le

compte de la société Pic 92 et les dimensions desdites ossatures ;

– se faire préciser pour les entreprises listées ci-dessous (soit neuf entreprises) dans quel(s) lieu(x) est effectué le montage des éléments permettant à la société Pic 92 de réaliser des bureaux de vente « monobloc» déplaçables d’un seul tenant ;

– Se faire préciser – pour chacun d’eux – si la société Favmesco est intervenue pour les

clients finaux de la société Pic 92 listés ci-après (suit une liste de quinze chantiers) ;

– se faire préciser – pour chacun des clients de la société Pic 92 listés ci-dessus – le nombre et les dimensions des bureaux de vente «monobloc» déplaçables d’un seul tenant pour lesquels la société Favmesco est intervenue, quel que soit le chantier, depuis le 22 novembre 2017;

– se faire communiquer le montant total des commandes passées par la société Pic 92 se rapportant à des profilés métalliques, cornières, platines, ossatures en métal pour bureaux de vente « monobloc » déplaçables d’un seul tenant et/ou aux bureaux de vente «monobloc» déplaçables d’un seul tenant eux-mêmes, en volume et en valeur, année après année, depuis le 22 novembre 2017;

– se faire communiquer, afin d’en prendre une copie, les documents techniques, contractuels, commerciaux et comptables (cahiers des charges, plans de fabrication, cotations, contrats, propositions commerciales, devis, bons de commande, factures, échanges, courriels et courriers) se rapportant à des profilés métalliques, cornières, platines, ossatures en métal pour bureaux de vente « monobloc » déplaçables d’un seul tenant et/ou aux bureaux de vente « monobloc » déplaçables d’un seul tenant eux-mêmes, réalisés pour le compte de la société Pic 92 depuis le 22 novembre 2017 ;

– se faire communiquer en particulier les plans remis à la société Favmesco par la société Pic 92 lors du rendez-vous du 6 décembre 2017 en vue de la· fabrication pour la Société Care promotion du premier prototype de bureau de vente «monobloc» déplaçable d’un seul tenant selon devis Favmesco DE4183 du 22 novembre 2017, plans visés dans le bon de commande n° 10023146 de la société Pic 92 du 14 décembre 2017;

– dit notamment que l’huissier instrumentaire, au besoin avec l’assistance d’un expert informatique, pourra, pour les besoins de sa mission, faire interroger le système informatique et/ou les ordinateurs fixes ou portables de la société Favmesco, de ses associés, dirigeants et salariés par celle-ci, ses associés, dirigeants, employés ou prestataires, et qu’il pourra faire procéder à des interrogations à partir d’un ou plusieurs des mots clés :

«EUROPE ET COMMUNICATION», «EUROPE & COMMUNICATION», «EUROPE

COMMUNICATION»,« PIC»,« PIC92 » (avec ou sans espaces),« bureau de vente monobloc», « bungalow monobloc », « bureau de vente déplaçable », « bungalow déplaçable », « bureau de vente transportable», « bungalow transportable », « bureau de vente réutilisable » , « bungalow réutilisable», « 3×7 » (avec ou sans espaces),« 300×700 » (avec ou sans espaces»,« 7×3» (avec ou sans espaces),« 700×300 » (avec ou sans espaces),« 4×7 » (avec ou sans espaces),« 400×700 » (avec ou sans espaces),« 7×4 » (avec ou sans espaces), « 700×400 » (avec ou sans espaces),« 4×8 » (avec ou sans espaces), « 400×800 » (avec ou sans espaces) « 8×4 » (avec ou sans espaces), « 800×400 » (avec -ou sans espaces), « 4xl0 » (avec ou sans espaces), « 400xl000 » (avec ou sans espaces),« 10×4 » (avec ou sans espaces), et «1000×400» (avec ou sans espaces) ;

et faire éditer sur papier ou enregistrer sur un support électronique le résultat des recherches effectuées.

Les opérations de constat ont été menées, le 28 avril 2022, dans les locaux de la société Favmesco.

Par acte extra-judiciaire du 20 mai 2022, la société Favmesco a fait assigner la société Europe et communication devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny afin de voir rétracter l’ordonnance du 17 mars 2022 et obtenir la restitution des documents et pièces saisis. La société Pic 92 est intervenue volontairement à la procédure.

Par ordonnance contradictoire du 8 novembre 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny a

– rétracté l’ordonnance du 17 mars 2022 ;

– ordonné à l’huissier de justice instrumentaire de restituer à Mavesco (en réalité Favmesco) l’ensemble des données, documents, pièces ou supports appréhendés, par lui ou par tout expert informatique l’ayant assisté lors du constat du 28 avril 2022 effectué en exécution de l’ordonnance sur requête du 17 mars 2022 et d’en dresser procès-verbal qui sera remis à Mavesco ;

– condamné la société Europe et communication à payer à la société Mavesco la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Europe et communication à payer à la société Pic 92 la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté les parties de toutes leurs prétentions incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue ou le présent dispositif ;

– condamné la société Europe et communication aux entiers dépens.

Le 28 novembre 2022, la société Europe et communication a interjeté appel et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 août 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour, d’infirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance du 8 novembre 2022 et statuant à nouveau et la jugeant recevable et bien fondée dans sa requête du 14 mars 2022, de dire n’y avoir lieu à rétracter l’ordonnance du 17 mars 2022 ni à ordonner la restitution à la société Favmesco de l’ensemble des données, documents, pièces ou supports appréhendés et à entrer en voie de condamnation à son encontre et de confirmer l’ordonnance du 17 mars 2022, débouter les sociétés Favmesco et Pic 92 de leur demandes et les condamner in solidum au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés en application de l’article 699 du même code.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er septembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, la société Pic 92 soutient au visa des articles 145, 495 alinéa 3, 329 et 486, 122, 496 et 497 du code de procédure civile et R 153-1 du code de commerce, la confirmation de l’ordonnance entreprise, au besoin par substitution de motif, sur le fondement de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile.

Subsidiairement, si la cour décidait de ne pas faire application de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile, elle sollicite la confirmation de l’ordonnance pour défaut du droit d’agir de la société Europe et communication.

Très subsidiairement, si la cour décidait de ne pas faire application de l’article 122 du code de procédure civile, elle lui demande, jugeant que la requérante ne justifie pas de la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire, que sa requête est dépourvue de motif légitime, et que les mesures d’instruction qui ont été ordonnées sont disproportionnées au but poursuivi, de confirmer l’ordonnance du 8 novembre 2022 dans toutes ses dispositions et notamment en ce qu’elle a ordonné la rétractation de l’ordonnance du 17 mars 2022.

A titre infiniment subsidiaire, si la cour n’ordonnait pas la rétractation de l’ordonnance, elle lui demande de maintenir la mesure de séquestre des documents saisis en l’étude de l’huissier commis, jusqu’à l’obtention d’une décision judiciaire définitive statuant sur le sort de l’ordonnance rendue le 17 mars 2022 et d’ordonner que la levée de séquestre soit effectuée dans le respect de l’ordonnance du 17 mars 2022.

En tout état de cause, elle conclut au rejet des demandes de l’appelante et à sa condamnation au paiement d’une somme de 10 000 euros à titre d’amende civile pour procédure abusive, aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme de 5 000 euros allouée par le premier juge.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er septembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, la société Favmesco soutient la confirmation de l’ordonnance du 8 novembre 2022 dont elle reprend les dispositions et à titre subsidiaire, elle demande que soit ordonnée la conservation sous séquestre en l’étude de l’huissier instrumentaire des documents saisis lors des opérations de constat du 28 avril 2022, sans communication à la société Europe et communication, jusqu’à l’obtention d’une décision judiciaire définitive statuant sur le sort de l’ordonnance rendue le 17 mars 2022 et, une fois le sort de l’ordonnance du 17 mars 2022 jugé définitivement, qu’il soit statué sur la communication desdits documents conformément à l’ordonnance présidentielle du 17 mars 2022. En tout état de cause, elle soutient le rejet des prétentions de la société Europe et communication et sa condamnation au paiement de la somme de 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel et aux dépens d’appel, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

En premier lieu, la société Pic 92, intervenante volontaire en première instance, soutient qu’aucune pièce soumise au juge des requêtes ne permettant d’impliquer la société Favmesco, elle est la personne contre laquelle un procès est envisagé, ce qui obligeait la société requérante de s’acquitter à son encontre de l’obligation de remise de la requête et de l’ordonnance prévue à l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile.

L’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

Cette disposition étant de nature à permettre à la personne qui supporte la mesure, qu’elle soit ou non défendeur potentiel au procès envisagé, d’être informée de l’exécution d’une mesure in futurum à son encontre (et ce en vertu d’une jurisprudence constante depuis les arrêts 2e Civ., 4 juin 2015, n°14-16.647 et 14-14.233).

Au cas d’espèce, l’huissier de justice a exécuté sa mission exclusivement dans les locaux de la société Favmesco qui doit être considérée comme l’unique personne à laquelle la copie de la requête et de l’ordonnance devait être remise en application de l’article 495, alinéa 3, du code de procédure civile, aucun acte d’exécution n’ayant été réalisé dans les locaux de la société Pic 92.

Le premier moyen soutenu par la société Pic 92 est inopérant.

*

La société Pic 92 prétend au visa de l’article 122 du code de procédure civile, reprenant la motivation de l’ordonnance entreprise, que la société Europe et communication était, au 14 mars 2022, date de sa requête, dépourvue du droit d’agir. Elle fait valoir que la société Europe et communication disposait de l’ordonnance du 13 novembre 2019 autorisant la recherche des preuves nécessaires au succès d’une action en concurrence déloyale à l’encontre de la société Pic 92, que les décisions rendues à l’issue d’une procédure contradictoire – ordonnance de référés et arrêts de cour d’appels – ont une nature contentieuse et sont dotées de l’autorité de chose jugée et que la société Europe et communication ne pouvait pas requérir devant le juge des requêtes de Bobigny, des mesures dont la légitimité et le bien fondé étaient en cours d’examen devant la cour d’appel de Versailles.

En application de l’article 1355 du code civil, l’autorité de chose jugée n’est opposable à une deuxième demande qu’à la triple condition d’une identité des parties, d’objet et de cause.

L’action prévue à l’article 145 du code de procédure civile, qu’elle soit engagée par voie d’assignation ou de requête, a un objet propre qui tend, au moyen de mesures d’instruction ordonnées par le juge, à l’obtention de la preuve de faits que le demandeur n’est pas en mesure d’établir et dont peut dépendre la solution d’un litige.

Il n’y a pas d’identité de parties et d’objet dans deux instances engagées par la société Europe et communication, tendant à l’audition de sachants et à la recherche d’informations et de preuve, l’une au sein des locaux de la société Pic 92 et la deuxième au sein de locaux de la société Favmesco.

Le premier juge ne pouvait pas retenir, pour rétracter l’ordonnance qui lui était déférée, le fait que le juge des requêtes avait déjà statué, le 13 novembre 2019, sur les demandes de la société Europe et communication.

*

Selon l’article 145 du code civil, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Enfin, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Il doit à cet égard constater qu’il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé (sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond) et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

La société Europe et communication prétend justifier que toutes les conditions ainsi posées sont établies, ce que contestent les intimées. Elle fait valoir, reprenant la motivation de sa requête, qu’elle a toutes raisons de penser que la société Favmesco concourt à l’atteinte portée à ses secrets d’affaires et aux actes de concurrence déloyale et parasitaire dont elle victime. Elle prétend à l’existence d’un son savoir-faire protégé et reconnu par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 13 mars 2020, et elle ajoute qu’elle a été informée du rôle précis joué par la société Favmesco dans le cadre de la procédure de référé-rétractation. Elle dénie toute pertinence aux objections des intimées quant à l’embauche fautive de deux de ses anciens salariés par la société Pic 92, ceux-ci étant pour l’un débiteur d’une obligation de confidentialité et d’une obligation de non-concurrence et le second a été débauché par la société Pic 92 qui souhaitait profiter de la compétence qu’il avait acquise auprès d’elle en matière de réalisation de plans techniques de bureaux de vente, compétence que n’avait pas le directeur technique qu’elle venait d’embaucher.

La société Europe et communication insiste sur l’originalité et le caractère novateur de son bungalow auto-porté qu’elle décrit longuement et sur le fait que les informations techniques et commerciales relatives à sa fabrication et à son transport relèvent également du savoir-faire.

Le savoir-faire se définit comme la connaissance technique transmissible mais non immédiatement accessible au public et non-brevetée.

Au cas d’espèce, le bungalow de la société Europe et communication est protégé par un brevet d’invention déposé le 23 décembre 2008 et enregistré sous le n° 0807417 protégeant un certain nombre de spécificité du bungalow (mode de fixation des raidisseurs transversaux du châssis, celui du toit et de la charpente ainsi que l’emplacement du chéneau, ainsi que partie des caractéristiques du procédé de levage). Les revendications relatives aux autres caractérisques (notamment, les profilés du châssis, le système de levage et le moyen de levage et certaines caractéristiques du procédé de levage) ont été écartées par l’examinateur comme étant dépourvues de nouveauté.

En l’état du dossier, la société Europe et communication évoque pour l’essentiel, la reproduction des caractéristiques techniques de son bungalow et à son mode de levage et de transport, qui soit sont de libre parcours soit sont protégées par un brevet et l’atteinte à ce droit de propriété industrielle ne peut donner lieu à une action en concurrence déloyale.

Elle invoque une concurrence déloyale par détournement de clientèle par utilisation d’informations confidentielles qui ont permis à sa concurrente de faire l’économie de frais de recherche-développement et de prospections de clientèle, dès lors que la société Pic 92 a engagé deux de ses anciens salariés.

Ainsi qu’il ressort des pièces produites par la société Europe et communication (pièces 3A et 36) M. [G] a démissionné de l’entreprise le 14 septembre 2016 et n’a été recruté par la société Pic 92 qu’en mars 2017, sa candidature ayant été sélectionnée par l’agence de recrutement mandatée par la société Pic 92, le 30 janvier 2017.

M. [G] restait tenu après son départ de la société Europe et communication, uniquement à une obligation de confidentialité en raison des renseignements techniques, commerciaux, financiers et juridiques sur l’activité de l’entreprise qu’il aura été amené à connaître durant l’exécution de son contrat de travail, ayant été délié par une lettre de son employeur du 28 novembre 2016, de la clause de non-concurrence stipulée à son contrat de travail.

Force est de constater, qu’il n’est fourni aucun élément ou précision sur la nature et l’étendue des informations techniques auxquelles il avait accès et dont il n’est pas démontré qu’elles excédaient la documentation commerciale destinée à la clientèle et les spécificités du produit couvertes par le brevet ou de libre parcours. De surcroît, à supposer que ce salarié se soit affranchi de son obligation de confidentialité, la société Europe et communication ne développe aucune argumentation et n’apporte aux débats aucun élément étayant ses soupçons de la commission par la société Favmesco, sous-traitante de la société Pic 92,de faits susceptibles d’engager sa responsabilité délictuelle, la seule fourniture de matériaux ou la réalisation de châssis étant insuffisante pour constituer un indice de la complicité avancé par l’appelante.

M. [O] [Y] a démissionné de son poste d’infographiste, de modéliste 3D et de concepteur de plan, en novembre 2018 à effet du 15 février 2019 et il a été embauché par la société Pic 92 en qualité de directeur artistique, le 4 mars 2019. Aucun indice d’un lien entre cette embauche et la commercialisation par la société Pic 92 de son nouveau modèle de bureau de vente ne peut être retenu, eu égard à un début de celle-ci fin 2017.

La clause de confidentialité acceptée par M. [O] [Y], infographiste et modéliste 3D, lors de son embauche ne prévoit pas qu’elle s’appliquera après la rupture de son contrat de travail (la pièce Europe et communication n°4A), stipulation qui n’a pas été modifiée par l’avenant à son contrat de travail du 23 septembre 2015 et il n’est tenu, aux termes de son contrat de travail ou de son avenant, par aucune clause de non-concurrence.

Par conséquent, l’engagement d’une action en concurrence déloyale au motif que M. [Y] aurait été engagé par la société Pic 92 afin de profiter de la compétence acquise auprès de la société Europe et communication en matière de réalisation de plan technique, alors que celui-ci pouvait mettre, légitimement, ces compétences au service de son nouvel employeur serait manifestement vouée à l’échec. De surcroît, l’acquisition concomitamment à l’embauche de M. [Y] du logiciel sur lequel il travaillait jusqu’alors ne vient pas utilement étayer les soupçons de la société Europe et communication, qui ne dément pas qu’il s’agit d’un logiciel librement commercialisé et des plus utilisé dans le secteur d’activité des parties.

Il s’ensuit que la société Europe et communication échoue dans la démonstration d’un procès en germe possible et suffisamment caractérisé à l’encontre de la société Favmesco mais également de la société Pic 92.

Il convient d’ajouter que la mesure ordonnée – rappelée en exorde du présent arrêt – ne contient aucune limitation dans le temps des faits que l’huissier instrumentaire doit rechercher auprès des sachants et des informations qu’il doit se faire communiquer et que les mots clés ne permettent pas de circonscrite la recherche des documents stockés sur un système informatique. La mission confiée à l’huissier instrumentaire est particulièrement intrusive ; elle lui permet d’accéder au système informatique y compris des prestataires de la société Favmesco ainsi qu’à des documents autres que ceux qui sont strictement en rapport avec l’action envisagée par la société Europe et communication notamment, eu égard aux mots clés et notamment à l’ensemble des documents relatifs aux relations commerciales de la société Favmesco avec son donneur d’ordre, la société Pic 92 et à la commercialisation de bureau de vente présentant certaines dimensions, qu’il soit ou non déplaçable et/ou réutilisable. Les investigations autorisées s’apparentent à une perquisition civile et sont manifestement disproportionnées et susceptibles de porter une atteinte grave à la confidentialité des relations d’affaires de la société Favmesco avec la société Pic 92.

Par conséquent, et sans avoir à examiner les autres griefs développés, l’ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu’elle a rétracté l’ordonnance du 17 mars 2022.

*

L’article 32-1 du code de procédure civile ne pouvant être mis en oeuvre que de la propre initiative de la juridiction, la demande présentée sur ce fondement ne peut pas prospérer, la société Pic 92 n’ayant de surcroît aucun intérêt moral au prononcé d’une amende civile.

Enfin, la société Pic 92 n’allègue ni n’établit la réalité d’un préjudice occasionné par la présente procédure, autre que celui indemnisable au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Dès lors elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées. La société Europe et communication sera condamnée aux dépens d’appel et à payer une indemnité complémentaire au titre des frais exposés par  les intimées pour assurer leur défense devant la cour.

PAR CES MOTIFS,

Confirme l’ordonnance rendue le 8 novembre 2022 ;

Y ajoutant

Déboute la société Pic 92 de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et tendant au prononcé d’une amende civile ;

Condamne la société Europe et communication à payer à la société Favmesco et la société Pic 92 publicité impression création, la somme de 8 000 euros à chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x