Savoir-faire : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21628

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Savoir-faire : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/21628
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24 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/21628

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 24 JANVIER 2024

(n°008/2024, 36 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/21628 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEZ3M

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Septembre 2021 – Tribunal Judiciaire de Paris – 3ème chambre – 3ème section – RG n° 17/14337

APPELANTE

S.A.S. ARKA OUEST

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 399 767 722

Agissant poursuites et diligence de ses représentants légaux domiciliès ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et assistée de Me Michel ABELLO de la SELARL LOYER & ABELLO, avocat au barreau de PARIS, toque : J049

INTIMEE

S.A.S. BIEN’ICI venant aux droits de la société HABITEO (anciennement IMMO DIGITAL SERVICES)

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 488 073 412

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée et assistée de Me Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 novembre 2023, en audience en chambre du conseil, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre et Mme Françoise BARUTEL, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire, rendu en chambre du conseil,

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Arka Ouest, créée en février 1995, est spécialisée dans la composition et le traitement de l’image assisté par ordinateur, la réalisation, la conception et la reproduction d’images et de plans. Elle a développé une approche numérique des images et des visites virtuelles en 3D, de bâtiments et édite le site internet arka.studio.fr.

Elle est titulaire du brevet FR 2971076 (FR 076), dont la demande a été déposée le 1er février 2011 et relatif à un « procédé d’interaction avec une image 3D pré-calculée représentant en perspective une vue d’une maquette numérique tridimensionnelle ». Ce brevet a été délivré le 22 février 2013 et est régulièrement maintenu en vigueur.

La société Arka Ouest exploite ce brevet, via une solution dénommée Evimmo 3D, pour proposer des prestations de mise au point de sites internet de présentation de programmes immobiliers qu’elle désigne ainsi : « L’instauration d’une communication immobilière passe par la mise à disposition d’outils de projection. En présentant l’ensemble de votre programme et en situant chaque lot, la maquette 3D avec découpe des étages lève les incertitudes des acquéreurs potentiels, répond à leurs interrogations et les rassure. La maquette virtuelle se télécharge rapidement sur tous les supports numériques comme les tablettes et les mobiles. Alternative à l’encombrante maquette traditionnelle, la maquette 3D permet de présenter instantanément votre programme où que vous soyez ».

La société Habitéo, créée en décembre 2013 sous la dénomination Immo Digital Services, est spécialisée dans l’immobilier neuf en 3D au service des promoteurs immobiliers, des constructeurs de maisons individuelles ou des agences dc communication. Ses prestations permettent aux internautes de visiter en 3D un projet immobilier, de connaître la disponibilité des lots ou encore de visiter le quartier par l’intermédiaire de cartes interactives. Elle édite le site internet habiteo.com.

Le 15 octobre 2014, la société Arka Ouest a adressé une lettre de mise en demeure à la société Habitéo de cesser de rendre accessible sur son site internet la présentation de programmes immobiliers en trois dimensions via un navigateur web et la réalisation de visites virtuelles du bien à acquérir. La société Habitéo a répondu le 20 octobre 2014 que la solution technique mise en ‘uvre sur son site internet diffère de celle brevetée en ce qu’elle utilise des images pré-calculées et n’utilise donc pas en temps réel un module 3D sur le navigateur web.

La société Arka Ouest a fait établir un procès-verbal de constat d’huissier de justice le 20 avril 2016 sur le site internet habitéo.com. Des échanges, qui n’ont pas abouti, ont eu lieu entre les parties.

C’est dans ce contexte que la société Arka Ouest a été autorisée, par ordonnance sur requête du 8 août 2017, à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Habitéo, laquelle a été exécutée le 7 septembre 2017, l’huissier ayant notamment procédé à des captures d’écran et saisi des fichiers et des scripts relatifs aux projets immobiliers [Localité 5] et [Localité 4] de la société Habitéo.

La société Habitéo a assigné en référé d’heure à heure la société Arka Ouest le 19 septembre 2017 aux fins de préserver la confidentialité de certains des éléments saisis.

La société Arka Ouest a finalement accepté que l’ensemble des éléments saisis demeure entre les mains de l’huissier, et la société Habitéo s’est désistée de ses demandes, ce qui a été acté par ordonnance du 4 décembre 2017.

Le 6 octobre 2017, la société Arka Ouest a assigné la société Habitéo devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris en contrefaçon des revendications 1,2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 12 et 13 du brevet FR 076.

Estimant que l’invention avait été divulguée par la société Arka Ouest près d’un an avant le dépôt du brevet FR 076, la société Habitéo a fait procéder a’ deux constats d’huissier en date du 5 mars 2018 et du 8 mars 2018 pour avérer cette divulgation.

La société Habitéo a également demande’ a’ un conseil en propriété industrielle d’identifier les différents projets utilisant la solution Evimmo3D accessibles avant le 1er février 2011. Le conseil en propriété industrielle a effectué un rapport de recherche sur internet en date du 30 mars 2018. Le 18 novembre 2020 M. [F] [P], salarie’ de Habitéo, a également atteste’ avoir procédé aux mêmes observations sur internet.

La société Arka Ouest a déposé le 21 décembre 2018 une requête en limitation du brevet FR 076, qui a fait l’objet d’une notification d’irrégularité en date du 14 janvier 2019 à laquelle il a été répondu le 28 janvier 2019 et le 7 février 2019. La limitation a été acceptée par l’INPI le 8 février 2019 sur la base du jeu de revendications modifiées du 7 février 2019, et inscrite au registre national des brevets le 14 février 2019.

Par un jugement du 28 septembre 2021, dont appel, le tribunal judicaire de Paris a :

– Débouté la SARL ARKA OUEST de sa demande en nullité du procès-verbal de constat d’huissier du 5 mars 2018, du rapport de recherche établi par [Y] [M], conseil en propriété industrielle, de l’attestation établie par [F] [P], développeur web.et de l’expertise informatique réalisée par [K] [G],

– Annulé partiellement le procès-verbal de constat d’huissier du 8 mars 2018 (pages 202 à 211) ainsi que ses annexes (pièces 6.1.6 et 6.1.7 produites par la SAS HABITEO) pour décompilation illicite,

– Déclaré valides les revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076 dont est titulaire la SARL ARKA OUEST,

– Débouté la SARL ARKA OUEST de ses demandes en contrefaçon par reproduction, et subsidiairement par équivalence, des revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076 dont elle est titulaire et de ses demandes en réparation y afférentes,

– Débouté la SAS HABITEO de ses demandes reconventionnelles en concurrence déloyale, procédure abusive et publication judiciaire,

– Condamné la SARL ARKA OUEST à payer à la SAS HABITEO la somme de 40 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné la SARL ARKA OUEST aux dépens, à l’exclusion des frais exposés par la SAS HABITEO pour l’établissement des constats d’huissier et de l’expertise réalisée par [K] [G], dont distraction au profit de Maître Grégoire DESROUSSEAUX, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– Ordonné l’exécution provisoire.

Le 8 décembre 2021, la société Arka Ouest a interjeté appel de ce jugement.

Considérant que les éléments saisis le 7 septembre 2017 et mis sous séquestre étaient nécessaires à la solution du litige en appel, la société Arka Ouest a sollicité leur accès dans des conditions respectant le secret des affaires.

Par ordonnance du 22 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a constaté l’accord des parties sur les modalités de communication des pièces [4] et [5] à savoir les fichiers informatiques au format BLEND de la modélisation tridimensionnelle des projets immobiliers [Localité 4] et [Localité 5], et notamment ordonné, dans la cadre d’un cercle de confidentialité, la remise par l’huissier des fichiers a’ la société Habitéo et leur communication a’ la société Arka Ouest.

Les pièces confidentielles ont été communiquées à la société Arka Ouest le 18 janvier 2023.

La société Bien’ici, qui publie le portail d’annonces immobilières bienici.com, a racheté en 2022 la société Habitéo, dont la dissolution intervenue en vertu de l’article 1844-5 du code civil à compter du 23 juin 2023, publiée au BODACC les 16 et 17 juillet 2023, a entraîné la transmission universelle du patrimoine à son associé unique, la société Bien’ici, laquelle vient aux droits de la société Habitéo dans la présente procédure.

Dans la suite de cet arrêt, et comme dans les écritures des parties, il sera, indifféremment indiqué Habitéo ou Bien’ici.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4, signifiées le 30 septembre 2023, la société Arka Ouest, appelante, demande à la cour de :

– Confirmer le jugement du 28 septembre 2021 en ce qu’il a :

– Annulé les pages 202 à 211 du procès-verbal de constat d’huissier du 8 mars 2018 ainsi que ses annexes (pièces 6.1.6 et 6.1.7 produites par la SAS HABITEO) pour décompilation illicite ;

– Déclaré valides les revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076 dont est titulaire la société ARKA OUEST ; et

– Débouté la société HABITEO de ses demandes reconventionnelles en concurrence déloyale, procédure abusive et publication judiciaire.

– Exclu des dépens les frais exposés par la société HABITEO pour l’établissement des constats d’huissier et de l’expertise réalisée par [K] [G].

– Infirmer le jugement en ce qu’il a :

– Débouté la société ARKA OUEST de ses demandes en contrefaçon par reproduction, et subsidiairement par équivalence, des revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076 dont elle est titulaire et de ses demandes en réparation y afférentes ;

– Condamné la société ARKA OUEST à payer à la SAS HABITEO la somme de 40 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la société ARKA OUEST aux dépens, à l’exclusion des frais exposés par la société HABITEO pour l’établissement des constats d’huissier et de l’expertise réalisée par [K] [G], dont distraction au profit de Maître Grégoire DESROUSSEAUX, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A titre très subsidiaire, si la Cour envisage de ne pas confirmer la validité des revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076,

– Infirmer le jugement en ce qu’il a :

– Débouté la société ARKA OUEST de sa demande en nullité du procès-verbal de constat d’huissier du 5 mars 2018, et de l’expertise informatique réalisée par [K]

[G] ;

– Débouté la société ARKA OUEST de sa demande de nullité du procès-verbal de constat d’huissier du 8 mars 2018, pour les pages autres que les pages 202 à 211 et pour ses

En conséquence, statuant à nouveau :

– Annuler le procès-verbal de constat d’huissier du 5 mars 2018, le reste du procès-verbal de constat d’huissier du 8 mars 2018, et l’expertise informatique réalisée par [K] [G] ;

– Juger le rapport de recherche établi par [Y] [M] dépourvu de défaut de force probante ;

Statuant à nouveau,

– Juger que la société BIEN’ICI a contrefait, à tout le moins par équivalence, les revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076 de la société ARKA OUEST ;

En conséquence :

– Faire interdiction à la société BIEN’ICI, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale, de mettre en ‘uvre, offrir, mettre dans le commerce, vendre, utiliser, ou détenir aux fins précitées, sur le territoire français, toute solution, notamment sur internet, reproduisant les revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2 971 076 et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;

– Condamner la société BIEN’ICI à payer à la société ARKA OUEST, à valoir sur la réparation du préjudice commercial causé par la contrefaçon, une provision de 1.030.000 euros, ou à tout le moins de 750.000 euros ;

– Ordonner, à la société BIEN’ICI, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard à l’issue d’un délai d’un mois après la signification de l’arrêt à intervenir, la production de tous documents et informations qu’elle détient et utiles pour déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants, et notamment :

‘ les nom et adresse des éventuels distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs des produits BIEN’ICI contrefaisants et de tous les produits de même forme,

‘ les quantités créées, commercialisées, livrées ou commandées, ainsi que le prix de ces produits, à compter du 6 octobre 2012.

‘ la marge brute réalisée sur ces produits.

Ces documents ou informations devant être certifiés par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes et détailler les éléments retenus dans le calcul de la marge brute.

– Ordonner le renvoi de l’affaire à telle audience qu’il plaira à la Cour, suivant la communication par la société BIEN’ICI des informations, afin de permettre à ARKA OUEST de conclure sur le montant total des dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon.

– Condamner la société BIEN’ICI à payer à la société ARKA OUEST, en réparation du préjudice moral causé par la contrefaçon, le dénigrement, et les actes illicites de décompilation commandés auprès de l’huissier et de son conseil en propriété industrielle, une somme de 50.000 euros ;

– Ordonner à titre de peine complémentaire de la contrefaçon, la publication du dispositif de l’arrêt à intervenir sur la page d’accueil du site Internet de la société BIEN’ICI, ainsi que sur celle du site Internet dédié au produit BIEN’ICI, et ce dans une police de caractères lisible, en ces termes : « la société BIEN’ICI a été condamnée pour contrefaçon du brevet français n° FR 2971076 dont la société ARKA OUEST est la titulaire », et ce pendant une durée de 6 mois aux seuls frais de la société BIEN’ICI, sous astreinte de 2.500 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;

– Condamner la société BIEN’ICI, à prendre en charge les coûts de publication de l’arrêt à intervenir dans 3 journaux ou revues professionnel(le)s au choix de la société ARKA OUEST, le coût de chaque publication ne pouvant excéder la somme de 10.000 euros hors taxes ;

– Juger que la Cour se réservera la liquidation des astreintes ainsi prononcées par application de l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;

Pour le surplus,

– Débouter la société BIEN’ICI de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– Ordonner à la société BIEN’ICI de restituer la somme de 40.000 euros payée par la société

ARKA OUEST en exécution du jugement du 28 septembre 2021 ;

– Condamner la société BIEN’ICI à verser la somme de 60.000 euros à la société ARKA OUEST en application de l’article 700 du CPC, pour les causes d’appel et de première instance confondues, quitte à parfaire, outre le remboursement des frais d’expertise de M. [V] et à tous les dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Michel ABELLO, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, signifiées le 30 octobre 2023, la société Bien’ici, anciennement Habitéo, intimée, demande à la cour de :

– Infirmer le jugement du 28 septembre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre, 3ème section, sous le numéro de répertoire général 17/14337, en ce qu’il a :

– annulé partiellement le procès-verbal de constat d’huissier du 8 mars 2018 (pages 202 à 211) ainsi que ses annexes (pièces 6.1.6 et 6.1.7 produites par la société HABITEO) pour décompilation illicite ;

– déclaré valides les revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2 971 076 dont est titulaire la société ARKA OUEST ;

– débouté la société HABITEO de ses demandes reconventionnelles en concurrence déloyale et en procédure abusive ;

– Confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Et statuant à nouveau,

– Juger que la société BIEN’ICI vient aux droits et obligations de la société HABITEO, en suite de la transmission universelle du patrimoine de la société HABITEO à la société BIEN’ICI ;

– Débouter la société ARKA OUEST de l’ensemble de ses demandes ;

– Juger que l’envoi répété par la société ARKA OUEST de lettres de réclamation sans explication sur les éléments techniques prétendument constitutifs de l’atteinte alléguée est constitutif de concurrence déloyale ;

– Condamner la société ARKA OUEST à payer à la société BIEN’ICI la somme de six mille quatre cent onze euros et soixante-sept cents (6 411,67 €) en réparation du préjudice subi du fait de ces actes de concurrence déloyale ;

– Juger que l’action en justice engagée par la société ARKA OUEST est abusive, tout comme est abusif l’appel interjeté devant la cour ;

– Condamner la société ARKA OUEST à payer à la société BIEN’ICI la somme de quatre-vingt mille neuf cent deux euros (80 902 €) en réparation du préjudice subi du fait de cette action abusive et de cet appel abusif ;

Subsidiairement, au cas où la Cour ne débouterait pas la société ARKA OUEST de ses demandes en contrefaçon,

– Annuler les revendications 1, 3, 5, 6, 7 et 8 du brevet français FR 2 971 076 dont est titulaire la société ARKA OUEST ;

– Ordonner la transmission de l’arrêt à intervenir à l’INPI pour inscription sur le Registre National des Brevets ;

Encore plus subsidiairement, au cas où la Cour dirait le brevet FR 2 971 076 valable et contrefait,

– Débouter la société ARKA OUEST de sa demande de droit à l’information ;

– Juger que l’interdiction des actes de contrefaçon ne saurait concerner que les nouveaux programmes, à l’exclusion des programmes en cours de commercialisation, dans un délai d’au moins trois mois après la signification de l’arrêt à intervenir ;

En tout état de cause,

– Condamner la société ARKA OUEST à payer à la société BIEN’ICI la somme de soixante mille euros (60 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

– Condamner la société ARKA OUEST aux entiers dépens d’appel et autoriser Maître Grégoire Desrousseaux à recouvrer ces dépens dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Présentation du brevet

L’invention concerne un procédé d’interaction avec une image 3D précalculée représentant en perspective une vue d’une maquette numérique tridimensionnelle. La synthèse d’image tridimensionnelle est un ensemble de techniques permettant la représentation en perspective, d’objets physiques sur un plan d’observation.

Selon la description : « les applications de la synthèse d’image sont très nombreuses que ce soit dans le cinéma, les jeux vidéo ou encore, par exemple, dans le domaine de l’architecture ».

La synthèse d’images comporte essentiellement deux étapes :

-la modélisation de l’objet que l’on veut visualiser et qui consiste à créer dans un repère tridimensionnel une maquette numérique 3D d’un objet physique à partir d’un ensemble de données géométriques et de caractéristiques graphiques ; cette étape est réalisée à partir d’un logiciel de modélisation 3D dont il existe de multiples versions ;

-le rendu de la modélisation de l’objet qui consiste à transformer la maquette tridimensionnelle définie dans le repère tridimensionnel en une image définie dans un plan d’observation de la maquette selon la position d’un observateur virtuel dans le repère tridimensionnel. Cette image est appelée image 3D pour indiquer qu’elle représente une vue en perspective de la maquette tridimensionnelle.

La contrainte de temps, la qualité du rendu et l’interactivité de l’utilisateur avec l’image dépendent de l’application visée :

-pour le cinéma, chaque image 3D doit être d’un réalisme extrême mais aucune interactivité de l’utilisateur sur ses images 3D n’est possible. Aussi, les images sont pré-calculées individuellement puis montées les unes à la suite des autres ;

-pour les jeux vidéo, les images doivent être interactives et calculées en temps réel. Le temps de calcul et de l’affichage d’une image 3D doivent être suffisamment courts pour que la succession des images soit fluide. Pour diminuer le temps de calcul, les consoles ou ordinateurs de jeux sont équipés de cartes graphiques dédiées qui accélèrent le calcul du rendu.

Dans les applications visées par l’invention, telles qu’une visite virtuelle d’un bâtiment sur internet, les images sont transférées sur un réseau dc communication puis visualisées sur un terminal distant.

Il est connu, dans l’art antérieur des applications de ce type, dans lesquelles le terminal distant de l’utilisateur calcule en temps réel les images 3D qui doivent être visualisées. Ce type de solution permet une interactivité complète de l’utilisateur avec les images. Toutefois, cet affichage se fait au détriment de la qualité des détails qui est fortement dégradée car les moyens de calcul des terminaux ne sont pas suffisamment puissants. Pour éviter cet inconvénient, d’autres applications connues prévoient de pré-calculer des images 3D et de les diffuser successivement pour en former une suite d’images ou une vidéo qui représentent un scenario de navigation autour et/ou dans l’objet. Ce type d’interaction est très sommaire car elle se limite à la visualisation successive de vidéos et l’utilisateur n’a pas la sensation d’une interactivité directe avec l’image 3D mais plutôt l’impression de sélectionner une vidéo dans un catalogue de vidéos.

Le problème technique résolu par l’invention (défini aux lignes 22-25, page 3) est d’obtenir une séquence d’images 3D d’un objet détaillé, d’une qualité de rendu optimale, qui permet toutefois à un utilisateur d’interagir directement avec les images 3D de cette séquence via un terminal aux capacités de calcul limitées.

Sont opposées la revendication 1, principale, et les revendications 3 et 5 à 8, dépendantes, ainsi libellées après limitation :

La revendication 1 limitée est ainsi découpée et numérotée selon l’accord des parties :

– Revendication 1 :

1.1 Procédé d’interaction avec une image 3D pré-calculée (I1, I2, I3) représentant en perspective une vue d’une maquette numérique tridimensionnelle (M) d’un objet physique

1.2 ledit procédé comportant une étape de modélisation (1) au cours de laquelle la maquette numérique tridimensionnelle (M) est modélisée dans un repère tridimensionnel (r) et

1.3 une étape (2) de rendu au cours de laquelle l’image 3D (I1, I2, I3) est calculée par projection (PR(Pl), PR(P2), PR(P3)) de la maquette (M) sur un plan d’observation défini par des paramètres spécifiques (P1, P2, P3) relatifs à une position d’un observateur dans le repère tridimensionnel (r),

1.4 un terminal distant (T1) étant utilisé par un programmeur pour générer ladite maquette (M) et pour calculer ladite image 3D (I1, I2, I3),

– 1.5 caractérisé en ce qu’au cours de l’étape de modélisation (1) de la maquette sur ledit terminal distant (T1), au moins une zone (Z1, Z2, Z3) est définie dans le repère tridimensionnel (r) pour identifier au moins une partie d’un élément (A13, A14) de la maquette (M), ledit programmeur ayant sélectionné des points (PO2, PO5, PO6 et PO7 ; PO6, PO7, PO8 et PO9 ; PO1, PO2, PO3 et PO4) à partir de la maquette (M) pour former des ensembles de points, les points de chaque ensemble étant reliés entre eux, pour définir un polygone qui délimite ladite zone (Z1, Z2, Z3),

1.6 et au moins un événement (EV) et au moins une action (AC) sont associés à chaque zone ainsi définie que ce programmeur souhaite rendre interactive,

-1.7 lorsque l’image 3D doit être visualisée à brève échéance (PI, PII, PIII) sont obtenus les paramètres utilisés pour calculer l’image 3D et chaque zone ainsi définie qui est en relation avec chacun des éléments visibles sur cette image 3D, et une représentation bidimensionnelle (Z’2) de chaque zone (Z2) est calculée par projection géométrique (PR(P2)) de cette zone dans le plan d’observation de l’image 3D selon les paramètres ainsi obtenus, et

-1.8 lorsque l’image 3D est visualisée sur un terminal (T2) relié au terminal distant (T1) via un réseau de communication (NET), chaque représentation bidimensionnelle (Z’2) ainsi calculée est affichée en la superposant à l’image 3D (I2),

-1.9 le procédé récupère l’ensemble de points (PO6, PO7, PO8 et PO9) qui définit cette zone (Z2) et les paramètres mémorisés (P2), ledit procédé calcule alors la projection de cet ensemble de points en utilisant ces paramètres (P2), et les points ainsi projetés sont reliés entre eux pour former ladite représentation bidimensionnelle (Z’2) dans le plan d’observation de l’image 3D (I2).

– Revendication 3 : Procédé selon l’une des revendications précédentes, dans lequel un événement associé à une zone est un événement qui survient sur la représentation bidimensionnelle de cette zone superposée à l’image 3D en cours de visualisation.

– Revendication 5 : Procédé selon l’une des revendications précédentes, dans lequel un événement associé à une zone est un événement issu du résultat d’un programme exécuté soit localement au terminal (T2) sur lequel est visualisée une image 3D, soit par le terminal (T1) distant de ce terminal.

– Revendication 6 : Procédé selon l’une des revendications précédentes, dans lequel au moins un attribut est associé à une zone.

– Revendication 7 : Procédé selon la revendication 6, dans lequel une action associée à cette zone modifie/ajoute/supprime ou remplace au moins un attribut associé à cette zone.

– Revendication 8 :Procédé selon la revendication 7, dans lequel la représentation bidimensionnelle de cette zone qui est superposée sur une image 3D en cours de visualisation est mise à jour dès qu’un attribut associé à cette zone est modifié/ajouté/supprimé ou remplacé.

Le fascicule du brevet comporte sept figures dont les suivantes :

La figure 2 représente un exemple d’une maquette tridimensionnelle M d’un objet et sa représentation en mémoire.

La figure 3 illustre la sélection de zones dans un repère tridimensionnel.

La figure 5 représente une illustration de l’étape de rendu d’une maquette numérique tridimensionnelle.

La figure 7 représente un exemple de système adapté pour mettre en ‘uvre le procédé.

Sur l’interprétation de la portée du brevet

Revendication 1 : 1er tiret – caractéristiques 1.5 et 1.6

La société Arka Ouest fait valoir que la caractéristique 1.5 vise un mode de réalisation dans lequel les points sont sélectionnés manuellement par l’infographiste à partir de la maquette ; que la maquette représente un objet physique tridimensionnel (un immeuble) comportant plusieurs éléments représentés en volume (les lots ou appartements de l’immeuble) ; que les éléments sont des polyèdres comportant des faces (surfaces planes polygonales) se rencontrant selon des arêtes (segments de droite) dont les extrémités sont des sommets ; que l’infographiste qui sélectionne les points des zones à rendre interactives, le fait à partir de la représentation (ou visualisation) graphique de la maquette, comme cela ressort de la description à la page 11 ligne 30 à la page 12 ligne 2 ; que comme cela est visible sur la Figure 3, les points P01 à P09 des zones Z1 à Z3 sont sélectionnés sur la représentation graphique de la maquette, à savoir à partir de la maquette ; que l’attestation de l’ancienne salariée de la société Habitéo confirme que l’interface IHM du logiciel Blender permet de visualiser les sommets, arêtes et faces de la maquette, et que l’option de visualisation sans les surfaces visibles n’est pas la plus courante ; qu’ainsi lorsque l’infographiste sélectionne un point situé sur un sommet, une arête ou une surface de la représentation 3D de la maquette, il sélectionne un point à partir de la maquette.

Elle ajoute que la seconde branche de l’alternative (non revendiquée) vise le cas où de nouveaux points sont sélectionnés, toujours manuellement, par l’infographiste ; que ces nouveaux points ne sont pas définis dans le brevet ; que les nouveaux points n’étant pas sélectionnés à partir de la maquette, ils ne sont pas sélectionnés parmi les sommets, faces ou arêtes des lots ; que cela correspond au cas où la zone que l’infographiste souhaite rendre interactive ne correspond pas exactement au contour d’un élément de la maquette ; que nulle part le brevet ne cite, ni n’évoque des points préexistants ; qu’il y a une confusion entretenue par la société Habitéo entre les points préexistants, lors de la construction de la maquette, et les points sélectionnables sur la représentation graphique en 3D de la maquette en 3D à l’écran ; que les points préexistants créés pour la construction de la maquette sont effectivement les sommets des polyèdres de la maquette dans le logiciel Blender ; que les arêtes et les faces reliant ces points préexistants sont également définis lors de la construction de la maquette ; que lorsque la représentation 3D de cette maquette est visualisée sur l’écran de l’interface graphique, le logiciel Blender vient tracer tous les points reliant ces sommets, pour représenter les arêtes et les surfaces visibles à l’écran ; que ce sont tous ces points visibles sur l’interface graphique que l’infographiste peut sélectionner.

S’agissant de la caractéristique 1.6, la société Arka Ouest fait valoir que le procédé prévoit d’associer à la zone un évènement et une action ; qu’un évènement est par exemple un évènement qui survient sur la représentation bidimensionnelle de la zone, tel qu’un clic de souris, le survol de cette représentation par un curseur de souris ou encore un toucher sur un écran tactile ; qu’un exemple d’action associée à une zone, affiche, modifie, ajoute, supprime ou remplace au moins un attribut associé à un élément en relation avec cette zone ; qu’un attribut peut consister en une couleur, un état de la vente, une vidéo, etc. ; qu’ainsi, lors d’un survol d’une représentation bidimensionnelle d’une zone, des attributs de l’élément sont affichés sur l’écran de visualisation du terminal T2 ; que cette association est réalisée « au cours de l’étape de modélisation de la maquette sur le terminal distant », avec n’importe quel type d’outil ; que la caractéristique 1.6 exige seulement qu’un évènement et une action soient associés par le programmeur à une zone définie dans le repère tridimensionnel afin de la rendre interactive, et que cette association peut être directe ou indirecte.

La société Bien’ici fait valoir que lors de l’étape de modélisation, un ensemble de points, appelé zone, est défini dans le repère tridimensionnel en association avec un élément de la maquette ; que cet ensemble de points est sélectionné à partir des points de la maquette ; que les points sont ensuite reliés entre eux pour former un polygone délimitant une zone ; que les points de la maquette correspondent aux sommets, structure de base de toute maquette 3D ; que dans une maquette, les arêtes et les faces sont définies par leurs sommets ; qu’une maquette 3D n’enregistre pas l’infinité de points qui relie mathématiquement les sommets de la maquette le long de lignes et de surfaces ; qu’une maquette ne comprend donc pas de points sur les arêtes et les faces (hormis ses sommets) ; que seuls les sommets d’une maquette sont des points qui peuvent être sélectionnés par l’infographiste, dont les coordonnées sont enregistrées dans la maquette ; que si l’infographiste souhaite définir les zones à partir des faces ou des arêtes de la maquette, il doit créer de nouveaux points sur les faces ou les arêtes de la maquette ; que lors de la limitation du brevet FR’076, le premier tiret de la partie caractérisante a été limité afin de préciser notamment que les points d’une zone sont sélectionnés par le programmeur à partir des points de la maquette.

Elle ajoute qu’un événement (par exemple un clic de souris) et une action (par exemple un changement de couleur d’un élément) sont mémorisés en lien avec la zone tridimensionnelle que le programmeur souhaite rendre interactive.

Sur ce,

Il résulte de la revendication 1 telle que limitée, qui doit être interprétée à la lumière de la description, qu’au cours de l’étape de modélisation de la maquette, le programmeur sélectionne les points à partir de la maquette 3D, lesquels seront reliés entre eux pour délimiter une zone, sans créer de nouveaux points, ce second mode alternatif de réalisation explicité dans la description en page 7, ligne 7 à 13, ayant été écarté du champ de la revendication 1.

Le brevet ne définit pas expressément ce que recouvre les expressions « points à partir de la maquette » et « nouveaux points » de la maquette.

La société Arka Ouest prétend que les points à partir de la maquette doivent s’entendre de tous les points situés sur un sommet, sur une arête ou sur une surface de la représentation 3D de la maquette, et que les « nouveaux points » seraient les seuls points « ne correspondant pas exactement au contour de la maquette » ou « dans le vide ».

Il résulte cependant de la description (page 7 ligne 9) que « un programmeur sélectionne un ensemble de points directement à partir de la maquette ou définit de nouveaux points de manière à ce que ces points, lorsqu’ils sont reliés entre eux, délimitent une partie d’un élément de la maquette que ce programmeur souhaite rendre interactif » de sorte que les nouveaux points définis par le programmeur délimitent une partie de la maquette, et qu’en conséquence les nouveaux points, au sens du brevet, ne peuvent s’entendre, comme le prétend la société Arka Ouest, comme des points « ne correspondant pas exactement au contour de la maquette » ou « dans le vide ».

En outre, l’homme du métier, qui est un infographiste ayant des connaissances générales en matière d’images 3D et de développement de présentations interactives, ainsi que l’a pertinemment relevé le tribunal, cette définition n’étant pas contestée par les parties, sait que la sélection des points à partir de la maquette correspond à l’étape de modélisation de la maquette qui est réalisée sur un logiciel de modélisation, lequel mémorise les sommets, appelés points, qui se définissent par leurs coordonnées tridimensionnelles, et comprendra que les points sélectionnés « à partir de la maquette », au sens du brevet sont les points sélectionnés parmi les sommets de la maquette, ainsi que cela est représenté sur la figure 3 qui illustre la sélection de zones dans un univers tridimensionnel, et ce à l’exclusion de l’infinité de points situés sur les arêtes et sur les surfaces, lesquelles sont définies dans un logiciel de modélisation par leurs seuls sommets, ainsi que le confirme Mme [H] [T], infographiste, dans son attestation.

Revendication 1 : 2ème et 4ème tirets ‘ caractéristiques 1.7 et 1.9

La société Arka Ouest soutient en premier lieu que l’acquisition des données est nécessairement une étape qui précède le calcul ; que c’est ce que précise la caractéristique 1.9 : « le procédé récupère l’ensemble de points (PO6, PO7, PO8 et PO9) qui définit cette zone (Z2) et les paramètres mémorisés (P2), ledit procédé calcule alors [‘] pour former ladite représentation bidimensionnelle (Z’2) dans le plan d’observation de l’image 3D (I2) » ; que le calcul de la représentation bidimensionnelle ne débute qu’après la récupération des données ; que cela est confirmé par la description (Pièce 2.1, lignes 32, page 4 à ligne 1, page 5) qui précise que « Seules les représentations bidimensionnelles sont calculées et affichées en temps réel [‘] », ce qui signifie que la récupération des données qui précède le calcul n’est pas réalisée en temps réel ; que dès lors, l’obtention ou récupération des paramètres et des points des zones est indépendante de tout calcul en temps réel.

Elle soutient en deuxième lieu que la description du brevet exprime clairement que «la représentation bidimensionnelle Z’2 ainsi calculée » englobe l’étape de calcul par projection des points et l’étape de calcul par liaison des points projetés (page 9, lignes 16-22) ; que cette étape technique de reliage de points doit être considérée comme essentielle ; qu’à défaut de relier les points projetés, la représentation bidimensionnelle ne peut exister et les interactions de l’utilisateur avec cette représentation bidimensionnelle sont alors tout simplement impossibles.

Elle ajoute que l’enseignement du brevet FR’076 consiste à simplifier au maximum les calculs réalisés en temps réel par le terminal T2 de l’utilisateur afin de permettre l’interaction avec l’utilisateur quelles que soient les capacités de calcul du terminal T2 ; que ce qui importe est que l’étape de rendu de l’image 3D nécessitant des calculs complexes ne soit pas réalisée en temps réel par le terminal T2 mais par le terminal T1 et que l’étape finale essentielle du calcul de la représentation bidimensionnelle, i.e. l’étape de reliage des points, soit réalisée en temps réel par le terminal T2, pour permettre l’interaction avec l’utilisateur ; que peu importe qu’une première partie du calcul de la représentation bidimensionnelle, l’étape de projection des points, soit réalisée en avance ou en temps réel.

La société Bien’ici soutient que selon le deuxième tiret de la partie caractérisante de la revendication 1, le procédé obtient la représentation bidimensionnelle de la zone tridimensionnelle en temps réel, uniquement lorsque l’utilisateur souhaite visualiser l’image 3D pré-calculée correspondante ; que l’obtention de la représentation bidimensionnelle en temps réel requiert :

– l’identification des éléments de la maquette qui sont visibles sur l’image 3D pré-calculée que l’utilisateur souhaite visualiser (par consultation de la mémoire MEM3),

– l’identification des zones qui sont associées aux éléments de la maquette visibles sur cette image 3D (par consultation de la mémoire MEM1),

– l’obtention des coordonnées de ces zones (par consultation de la mémoire MEM2),

-l’obtention des paramètres de projections utilisés pour obtenir l’image 3D pré-calculée (par consultation de la mémoire MEM3), et

– le calcul de la projection des coordonnées de ces zones en utilisant les paramètres obtenus ; que toutes ces étapes doivent être réalisées en temps réel ; que ce sont les termes mêmes de la revendication, laquelle mentionne expressément que les paramètres utilisés pour calculer l’image 3D sont obtenus lorsque l’image 3D doit être visualisée à brève échéance ; que le procédé calcule en temps réel la projection des points des zones qui seront visibles sur l’image 3D qui va être visualisée ; que le procédé n’a pas connaissance de l’image 3D qui va être visualisée à l’avance puisque l’image 3D est visualisée en temps réel ; que les données récupérées pour effectuer le calcul de la projection sont nécessairement récupérées une fois que le procédé sait quelle image 3D va être visualisée, c’est-à-dire en temps réel.

La société Bien’ici fait valoir que le quatrième tiret concerne l’obtention de la représentation bidimensionnelle des zones ; qu’il complète les étapes du deuxième tiret de la revendication ; que selon le quatrième tiret, les points obtenus par projection géométrique sont reliés entre eux pour former la représentation bidimensionnelle d’une zone ; que cette étape fait suite à l’étape du calcul par projection géométrique en temps réel des points des zones ; que le brevet concerne un procédé de synthèse d’une image 3D à partir d’une maquette tridimensionnelle consistant à superposer sur une image 3D pré-calculée la représentation bidimensionnelle calculée en temps réel d’une zone tridimensionnelle de la maquette ; que cette représentation bidimensionnelle calculée en temps réel permet l’interaction avec l’utilisateur ; que selon la description, l’apport de l’invention concerne la façon dont cette représentation bidimensionnelle est calculée en temps réel par le terminal de l’utilisateur ; que la description indique que c’est ce calcul en temps réel qui permet à l’utilisateur d’obtenir une interactivité satisfaisante via un terminal T2 aux capacités de calcul limitées.

Sur ce,

Les parties s’entendent sur le fait que la visualisation de l’image 3D « à brève échéance » signifie, au sens du brevet, en temps réel, par opposition aux éléments précalculés.

Si le déroulement dans le temps des différentes étapes permettant le calcul d’une représentation bidimensionnelle n’est pas précisé dans le second tiret de la revendication 1 (caractéristique 1.7), le quatrième tiret de la revendication 1 (caractéristique 1.9) explicite ces étapes puisqu’il est revendiqué que le procédé récupère l’ensemble de points et les paramètres mémorisés, et « calcule alors la projection de cet ensemble de points en utilisant ces paramètres (P2), et les points ainsi projetés sont reliés entre eux pour former ladite représentation bidimensionnelle (Z’2) dans le plan d’observation de l’image 3D (I2) », ce qui signifie que l’étape de récupération des points et des paramètres mémorisés précède le calcul dont elle constitue une étape préliminaire qui n’est donc pas réalisée en temps réel, alors que la projection de l’ensemble des points et leur reliage entre eux pour former la représentation bidimensionnelle sont réalisés en temps réel, ainsi que cela résulte aussi de la description (Page 8 ligne 33 à 34 et page 9 ligne 1 à 4) « Lorsqu’une image 3D doit être visualisée à brève échéance, sont obtenus les paramètres utilisés pour calculer cette image 3D et chaque zone définie en relation avec chacun des éléments visibles sur cette image 3D. Une représentation bidimensionnelle de chaque zone est alors calculée par projection géométrique de chaque zone ainsi obtenue dans le plan d’observation de l’image 3D selon les paramètres ainsi obtenus », puis encore (page 9 lignes 15 à 19) « le procédé récupère alors l’ensemble de points (PO6, PO7, P08, P09) qui définit cette zone 2 et les paramètres P2 à partir de la mémoire MEM3. Le procédé calcule alors la projection de cet ensemble de points en utilisant ces paramètres P2 et les points ainsi projetés sont reliés entre eux pour former une représentation bidimensionnelle Z’2 dans le plan d’observation de l’image I2 ».

Revendication 1 : 3ème tiret – caractéristique 1.8

La société Habitéo fait valoir que cette caractéristique précise uniquement que la superposition de la représentation bidimensionnelle à l’image 3D est effectuée sur le terminal T2.

La société Bien’ici prétend que le troisième tiret, qui concerne le principe de superposition de l’image 3D et d’une zone d’interaction (appelée représentation bidimensionnelle dans la revendication), est largement connu dans l’état de la technique ; que lors de la limitation du brevet, la société Arka Ouest a précisé que l’étape de superposition était réalisée sur un terminal T2 relié au terminal distant T1 sans indiquer que l’étape de récupération des données et de calcul en temps réel devait être également réalisée sur le terminal T2 ; que le tribunal a jugé à tort qu’il n’y avait pas lieu de considérer que les étapes permettant la visualisation d’une image 3D sont réalisées uniquement sur le terminal T2 ; qu’il s’agit pourtant du seul mode de réalisation décrit et du seul mode de réalisation qui permette de résoudre le problème technique de l’invention.

Sur ce,

C’est par des motifs pertinents approuvés par la cour que le tribunal, après avoir relevé que le mode de réalisation selon lequel les étapes de récupération des données puis de calcul sont mises en ‘uvre sur le terminal T2 fait l’objet de la revendication 2,laquelle n’est pas opposée par la société Arka Ouest, a dit que si la description mentionne, à titre d’exemple, un scénario dans lequel ces étapes sont réalisées uniquement sur le terminal T2, elle précise également que les scénarii d’échange de données entre le terminal T1 et le (ou plusieurs) terminal T2 dépendent fortement de l’application visée (page 13, lignes 27 et 28) ; que d’autres scénarii d’échanges entre les terminaux T1 et T2 sont possibles (page 14, lignes 10 et 11) et que les procédés tels que décrits en relation avec les figures 1 à 5 s’appliquent indépendamment de la complexité de ces applications et des scénarii d’échanges entre terminaux utilisés (page 14, lignes 12 à 14). Le tribunal en a justement déduit qu’il n’y a donc pas lieu d’interpréter la revendication 1 en ce sens que les étapes permettant la visualisation à brève échéance d’une image 3D seraient réalisées uniquement sur le terminal T2.

Sur l’annulation partielle du procès-verbal du 8 mars 2018 pour décompilation illicite

La société Arka Ouest demande la confirmation du jugement qui a fait droit à sa demande d’annulation partielle pour décompilation illicite.

La société Bien’ici soutient que les décompilations effectuées par l’huissier de justice ne sont pas illégales au regard du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial dès lors qu’elles ont été réalisées dans le seul but d’apporter des preuves de l’auto-divulgation de la société Arka Ouest au tribunal ; que l’illicéité d’un moyen de preuve ne doit pas entraîner nécessairement son rejet des débats ; qu’il revient au juge de mettre en balance le droit à la preuve avec les autres droits en cause.

Sur ce,

Il est constant que lors des opérations du 8 mars 2018 l’huissier de justice a procédé à la décompilation du fichier « maquette.swf » à l’aide du logiciel JPEX Free Flash Decompiler (pages 202 à 211).

L’article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle, qui encadre la décompilation des logiciels, prévoit que « La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n’est pas soumise à l’autorisation de l’auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1° ou du 2° de l’article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un logiciel créé de façon indépendante avec d’autres logiciels, sous réserve que soient réunies les conditions suivantes :

1° Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d’utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;

2° Les informations nécessaires à l’interopérabilité n’ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1° ci-dessus ;

3° Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d’origine nécessaires à cette interopérabilité.

Les informations ainsi obtenues ne peuvent être :

1° Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

2° Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

3° Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d’un logiciel dont l’expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d’auteur ».

En l’espèce, la société Bien’ici ne conteste pas que les décompilations effectuées par l’huissier de justice et par le conseil en propriété industrielle ne remplissent pas les conditions posées par l’article susvisé en ce qu’elles ont été réalisées par une personne ne disposant pas du droit d’utiliser un exemplaire du logiciel, ni par une personne habilitée à cette fin, et qu’elles n’avaient pas pour objectif d’obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité du logiciel, ni n’ont été limitées aux parties du logiciel d’origine nécessaires à cette interopérabilité.

La société Bien’ici affirme cependant que cette décompilation n’est pas illégale dès lors qu’elle a été réalisée dans le seul but d’apporter au tribunal des preuves de l’auto-divulgation par la société Arka Ouest de son logiciel avant le dépôt du brevet FR 076.

Il est acquis que dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. (Cour de cassation – Assemblée plénière, 22 décembre 2023 – 202-20.648).

En l’espèce, ainsi que l’a pertinemment relevé le tribunal, la société Habitéo a procédé à la décompilation litigieuse en violation des dispositions du code de la propriété intellectuelle alors même qu’elle reconnaît qu’il était possible d’exécuter le fichier « maquette3.swf » ligne par ligne sans le décompiler en utilisant les logiciels swfdec ou gnash disponibles à l’époque et que cette décompilation n’était pas nécessaire pour démontrer la divulgation des caractéristiques revendiquées, outre qu’elle aurait pu solliciter une expertise judiciaire.

En conséquence, c’est à bon droit, que le tribunal, après avoir procédé à un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et le droit d’auteur en cause, a annulé partiellement les opérations ainsi réalisées par l’huissier instrumentaire, le droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne devant être concilié avec la protection de la propriété intellectuelle. Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu’il a partiellement annulé le procès-verbal de constat d’huissier du 8 mars 2018 (pages 202 à 211) ainsi que ses annexes.

Sur la contrefaçon du brevet FR 076

Il n’est pas contesté que le procédé incriminé de la société Bien’ici reproduit les caractéristiques du préambule de la revendication 1 (caractéristiques 1.1 à 1.4).

Sur la reproduction de la caractéristiques 1.5 du 1er tiret de la revendication 1

La société Arka Ouest fait valoir que si la cour suit sa position sur l’interprétation de la caractéristique 1.5 en ce qu’elle couvre la sélection des sommets, arêtes et faces de la représentation 3D de la maquette sur l’interface graphique à l’écran, alors tant ses expertises que celles de la société Habitéo permettent de vérifier si les points des zones ont été sélectionnés à partir de la maquette  ; que le lot n°1 du programme immobilier [Localité 5] et les lots n° 5 et 45 du programme immobilier [Localité 4] coïncident exactement avec les points de la représentation 3D de la maquette ; que les critiques de la société Habitéo sur le nombre de chiffres après la virgule pris en compte lors de la mesure des coordonnées de ces points, sous Blender, est inopérante, car l’expertise de la société Habitéo démontre que tous les points sont identiques même à 16 chiffres après la virgule.

A titre subsidiaire, la société Arka ouest fait valoir que si la cour considère que la caractéristique 1.5 est limitée à la sélection de points préexistants créés lors de la construction de la maquette, et que tout autre point constitue un nouveau point, il n’en demeure pas moins que le lot n°1 du programme immobilier [Localité 5] et les lots n°5 et 45 du programme immobilier [Localité 4] coïncident exactement avec les points de la représentation 3D de la maquette, les critiques sur le nombre de chiffres après la virgule étant inopérantes car l’expertise de la société Habitéo démontre que tous les points sont identiques même à 16 chiffres après la virgule.

Elle soutient qu’il ressort de l’expertise Habitéo que les points des lots n° 5, 6, 12, 13 du projet immobilier [Localité 4] sont espacés d’une distance « DistanceMaquette16 » inférieure à 0,01 mm (précision à 5 chiffres après la virgule) des sommets de la maquette Blend ; qu’une telle distance n’est pas significative dans le cas concret de l’interface Blender, l’ancienne salariée de la société Habitéo déclarant que « l’affichage des coordonnées dans Blender est généralement limité à 4 chiffres après la virgule pour des raisons de lisibilité et d’espace » ; que s’agissant d’une application dans le domaine des images numériques, le pixel est la plus petite unité constitutive d’une image 3D, et qu’il n’est pas possible de distinguer entre deux points au sein d’un même pixel ; qu’elle démontre que pour le projet immobilier [Localité 5] représenté sous Blender, le pixel a une dimension minimale de 5 cm et pour le projet immobilier [Localité 4] de 15 cm ; qu’il en résulte que la « DistanceMaquette16 » pour l’un des 4 points du Lot n° 1 du projet immobilier [Localité 5] est de 6 cm, soit à peine la taille d’un pixel, ce qui constitue une différence secondaire, la superposition de la zone sur l’image 3D étant (quasi) parfaite ; que sélectionner un point immédiatement voisin d’un sommet préexistant revient à sélectionner un point à partir de ce point préexistant de la maquette, conformément au libellé de la revendication 1 qui porte sur la « sélection de points à partir de la maquette » ; qu’il en va de même pour 66 lots parmi les 70 du projet [Localité 4] (à l’exception des lots n°s 20, 41, 47 et 53 qui sont les seuls à avoir été créés à partir de nouveaux points).

La société Bien’ici soutient que le procédé qu’elle met en ‘uvre ne reproduit pas le premier tiret de la partie caracte’risante de la revendication 1 en ce que ce procédé ne se’lectionne pas des points existants de la maquette pour de’finir les zones mais cre’e de nouveaux points, et que c’est la raison pour laquelle l’alignement n’est pas parfait entre les repre’sentations bidimensionnelles des zones et le contour des e’le’ments qu’elles sont cense’es identifier sur les images 3D lors de la visualisation sur le terminal de l’utilisateur ; que seuls les sommets de la maquette sont des points préexistants ; que l’experte Blender qu’elle a sollicitée confirme que les points mathématiquement situés sur les faces et les arêtes de la maquette, entre les sommets, ne sont pas des points de la maquette ; que lors d’une modélisation, seuls les sommets sont enregistrés ; que l’experte rappelle qu’il convient de faire la distinction entre la maquette 3D (qui enregistre uniquement les sommets des éléments de la maquette) et la représentation graphique de la maquette qui affiche les lignes et les surfaces ; qu’il n’y a pas de points sélectionnables sur une arête ou une face hormis les sommets de cette face ou de cette arête ; que le programme développé par la société Arka Ouest find-nearest ne permet pas de savoir si les points des lots sont des points préexistants de la maquette puisqu’il ne calcule pas la distance entre les coordonnées des points des lots et les coordonnées des points de la maquette, un résultat étant affiché comme nul ou très faible alors que ce point du lot se trouve à plusieurs mètres du sommet le plus proche de l’élément de la maquette ; qu’il résulte au contraire des résultats obtenus par M. [G], son expert privé, que pour aucun lot, la plus petite distance entre tous les points du lot et les points préexistants de la maquette est nulle ; qu’au surplus, me’me a’ suivre l’interpre’tation d’Arka Ouest selon laquelle les zones peuvent e’tre de’finies non seulement a’ partir des points pre’existants de la maquette mais e’galement a’ partir des are’tes et des faces de la maquette, seuls 3 lots sur 77 (3,8% des lots) seraient de’finis a’ partir des are’tes et des faces de la maquette ; qu’elle produit également des captures d’écran du terminal utilisateur illustrant la superposition des représentations bidimensionnelles des lots sur les images 3D mettant en évidence l’alignement imparfait entre les représentations bidimensionnelles des lots et le contour des éléments de la maquette qu’elle sont censées identifier.

Sur ce,

Il n’est plus contesté que le procédé de la société Bien’ici reproduit les éléments du préambule de la revendication 1 à savoir qu’il s’agit d’un procédé d’interaction avec une image 3D pré-calculée représentant en perspective une vue d’une maquette numérique tridimensionnelle d’un objet physique, ledit procédé comportant une étape de modélisation au cours de laquelle la maquette numérique tridimensionnelle est modélisée dans un repère tridimensionnel, et une étape de rendu, au cours de laquelle l’image 3D est calculée par projection de la maquette sur un plan d’observation défini par des paramètres spécifiques relatifs à une position d’un observateur dans le repère tridimensionnel, un terminal distant étant utilisé par un programmeur pour générer ladite maquette et pour calculer ladite image 3D.

La société Arka Ouest prétend que la caractéristique 1.5 de la revendication 1 est également reproduite.

Elle ne peut cependant pas être suivie dans la partie principale de son argumentation en ce qu’elle repose sur une interprétation extensive de cette caractéristique de la revendication, à savoir que les points sélectionnés « à partir de la maquette » au sens du brevet couvriraient à la fois les sommets de la maquette, mais aussi tout point sélectionné sur une arête ou une face de la maquette, cette interprétation ayant été jugée erronée, les points sélectionnés « à partir de la maquette » étant au sens du brevet les points sélectionnés parmi les sommets de la maquette. En conséquence, sa démonstration visant à prouver que dans les procédés incriminés la distance entre un point sélectionné et le point le plus proche situé sur les sommets, les arêtes ou les faces de la maquette est nulle, est inopérante.

La société Arka Ouest fait valoir ensuite que les points sélectionnés dans le procédé incriminé, qui se situent au voisinage immédiat d’un sommet de la maquette, sont des points sélectionnés à partir de la maquette au sens du brevet litigieux, et qu’il ressort de l’expertise de la société Bien’ici que les points notamment des lots n°5, 6, 12 et 13 du projet [Localité 4] sont espacés des sommets de la maquette d’une distance inférieure à 0,01 mm qui n’est pas significative pour l’homme du métier, cette distance n’étant pas visible à l’écran par l’infographiste lorsqu’il sélectionne les points sur la maquette.

La cour constate en effet qu’il résulte de la propre expertise diligentée par la société Bien’ici et réalisée par un expert en informatique agréé par la présente cour que dans le bâtiment B des lots 5, 6, 12 et 13 du projet [Localité 4], comme dans le bâtiment A du Lot 1 du projet [Localité 5] la distance entre les points litigieux et les sommets de la maquette, telle que mesurée par ledit expert, est nulle jusqu’à cinq chiffres après la virgule, étant précisé, ainsi que l’a indiqué Mme [N], experte et ancienne salariée d’Habitéo, dans son attestation du 29 août 2023, que « L’affichage des coordonnées dans Blender est généralement limité à 4 chiffres après la virgule pour des raisons de lisibilité et d’espace », de sorte qu’une précision de 4 chiffres après la virgule est la précision que prend en compte l’homme du métier infographiste chargé de sélectionner les points des zones sur la représentation graphique de la maquette en 3D. La société Bien’ici ne peut donc être suivie lorsqu’elle prétend que s’il existe une différence jusqu’au 16ème chiffre après la virgule cela suffirait à démontrer qu’il ne s’agit pas d’un point sélectionné à partir de la maquette au sens du brevet, alors que le brevet revendique une sélection des points à partir de la maquette sans exiger que lesdits points soient exactement les mêmes que ceux mémorisés par le logiciel de modélisation, jusqu’au 16ème chiffre après la virgule près de sorte que les points qui se situent à une distance nulle, jusqu’à cinq chiffres après la virgule, des sommets de la maquette sont des points sélectionnés à partir de la maquette au sens du brevet litigieux, la société Bien’ici échouant en outre à démontrer que cela ne permettrait pas d’obtenir le résultat technique que cherche à résoudre le brevet à savoir l’obtention d’une séquence d’images 3D d’un objet, d’une qualité de rendu optimale, ce qui est le cas des images produites pour les lots incriminés susvisés dont l’alignement entre la représentation bidimensionnelle des zones et les éléments correspondants de la maquette est quasi parfait quel que soit l’angle de vue.

Dès lors il y a lieu de considérer que la caractéristique « au cours de l’étape de modélisation de la maquette sur le terminal distant, au moins une zone (Z1, Z2, Z3) est définie dans le repère tridimensionnel (r) pour identifier au moins une partie d’un élément (A13, A14) de la maquette (M), ledit programmeur ayant sélectionné des points (PO2, PO5, PO6 et PO7 ; PO6, PO7, PO8 et PO9 ; PO1, PO2, PO3 et PO4) à partir de la maquette (M) pour former des ensembles de points, les points de chaque ensemble étant reliés entre eux, pour définir un polygone qui délimite ladite zone (Z1, Z2, Z3) » est reproduite.

Il s’ensuit, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le moyen subsidiaire de la contrefaçon par équivalence, qu’il y a lieu de dire que la caractéristique 1.5 du 1er tiret de la revendication 1 est reproduite. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la reproduction de la caractéristique 1.6 du 1er tiret de la revendication 1

La société Bien’ici fait valoir que son procédé n’associe pas au moins un événement et au moins une action à chaque zone tridimensionnelle définie dans le repère tridimensionnel, au cours de l’étape de modélisation de la maquette sur le terminal distant ; que les évènements et les actions sont associés aux représentations bidimensionnelles des zones tridimensionnelles par l’intermédiaire des images map ; que ces représentations bidimensionnelles sont obtenues après l’étape de modélisation ; que son procédé diffère de la revendication 1 en ce que l’affichage des mentions ainsi que le survol de la souris sont intégrés directement dans le code source de la page internet alors que selon le brevet, les évènements et actions sont associés aux zones au cours de l’étape de modélisation de la maquette tridimensionnelle, c’est-à-dire dans le modèle tridimensionnel de la maquette à l’aide du logiciel de modélisation, et en ce que l’évènement et l’action sont associés à une zone bidimensionnelle affichée à la vue de l’utilisateur, c’est-à-dire aux régions « shape » des images map, et ne sont donc pas associés aux zones définies dans le repère tridimensionnel.

La société Arka Ouest demande la confirmation du jugement qui a considéré cette caractéristique reproduite.

Sur ce,

L’association d’au moins un évènement ou une action à chaque zone que le programmeur souhaite rendre interactive, telle que revendiquée dans la caractéristique 1.6 de la revendication 1, peut être réalisée par tout outil et non nécessairement à l’aide du logiciel de modélisation, le brevet ne précisant pas, ainsi que l’a justement relevé le tribunal, de quelle manière, à quelle étape, ni avec quel outil l’évènement et l’action peuvent être associés à une zone, ni si cette association doit être faite de manière directe ou indirecte.

Il résulte du constat d’huissier du 16 avril 2016, comme pertinemment relevé par le tribunal, que dans le procédé Habitéo, un évènement (le survol d’un lot par le curseur d’une souris) et une action (affichage de différentes mentions relatives aux prix, surface et orientation) sont associés à un lot et par conséquent à une zone interactive, étant rajouté que cette association se fait via les images maps et plus particulièrement via l’attribut « alt » des images-map, ce qui est sans conséquence sur la reproduction de la caractéristique 1.6.

Par conséquent, la caractéristique 1.6 du premier tiret de la revendication 1 est également reproduite. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la reproduction de la caractéristique 1.7 du 2ème tiret de la revendication 1

La société Bien’ici prétend que son procédé ne reproduit pas le deuxième tiret de la revendication 1 ; qu’il ne calcule pas la projection des points des zones en temps réel et n’obtient pas les données nécessaires au calcul de la projection des points des zones en temps réel ; que les images map stockant les coordonnées des points projetés sont pré-calculées à l’avance ; qu’il n’y a aucun calcul en temps réel de la projection des points, à l’inverse de la solution revendiquée dans le brevet FR’076 ; que seul le tracé du contour reliant les points entre eux a lieu en temps réel.

Sur ce,

Il résulte du procès-verbal d’huissier de justice du 20 avril 2016 et du procès-verbal de saisie contrefaçon du 7 septembre 2017 que le procédé de la société Habitéo :

-récupère les paramètres utilisés pour calculer chaque image 3D, c’est-à-dire les coordonnées de la caméra virtuelle, au moyen du script « convert-camera », ainsi que les ensembles de points qui définissent les lots et les numéros des lots visibles sur ladite image 3D (via l’attribut « alt »), au moyen du script « import-lots » ;

-projette les coordonnées des ensembles de points qui définissent les lots dans le plan d’observation de chaque image 3D au moyen du script « generateHotspot.js » ; les coordonnées des points projetés sont intégrées dans les images-maps qui définissent pour chaque étage et chaque position de la caméra les sommets des représentations bidimensionnelles des lots visibles sur ladite image 3D ;

-relie les points projetés de l’image-map associée à l’image 3D à visualiser et trace la représentation dimensionnelle de chaque lot, dans le plan de l’image 3D, ces différentes étapes se retrouvant pareillement dans le projet [Localité 4].

Il résulte du procès-verbal de constat du 16 janvier 2018 relatif au code source du projet [Localité 5] que l’instruction « this.canvas3D.drawShapes » du code source prend en compte les coordonnées des points stockés dans l’image map, commence le tracé (beginPath) en se plaçant au premier point (moveTo), puis se déplace de point en point (lineTo), avant de fermer le tracé (closePath) à l’aide d’un contour (stroke) et un remplissage (fill).

Le tribunal en a justement déduit par des motifs que la cour approuve que le tracé d’un polygone fermé, avec un contour et un remplissage, résulte bien d’un calcul permettant de relier des points, réalisé au moment de l’affichage sur le terminal destiné à l’utilisateur, et que par conséquent, le procédé exploité par la société Habitéo procède à une récupération des paramètres utilisés pour calculer les images 3D et les lots (ou zones) selon un procédé qui n’a pas lieu en temps réel, puis effectue un tracé en temps réel, calculant pour ce faire la représentation bidimensionnelle de chaque zone de sorte que les caractéristiques figurant au second tiret de la revendication 1 sont reproduites. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la reproduction des caractéristiques 1.8 et 1.9 des tirets 3 et 4 de la revendication 1

La société Bien’ici soutient que sa solution HABITEO superpose une zone d’interaction pré-calculée et transmise à l’utilisateur dans le code source html sur l’image 3D qui est elle aussi pré-calculée et transmise à l’utilisateur ; que lors de l’affichage les points de la zone d’interaction pré-calculée sont ensuite reliés entre eux ; que le principe d’une telle superposition était connu de longue date ; que le procédé Habitéo ne reproduisant pas la représentation bidimensionnelle du deuxième tiret, elle ne peut pas reproduire la superposition revendiquée de la représentation bidimensionnelle ainsi calculée ; que le quatrième tiret a été ajouté par la société Arka Ouest au cours de la limitation dans le seul but de faire croire que le calcul de la représentation bidimensionnelle consiste essentiellement à relier les points projetés entre eux.

C’est par de justes motifs approuvés par la cour que le tribunal a considéré que le troisième tiret de la revendication 1 est également reproduit dès lors que le procédé de la société Habitéo ne se contente pas de superposer une représentation bidimensionnelle pré-calculée sur l’image 3D mais lui superpose une représentation bidimensionnelle calculée en temps réel.

La cour constate que devant la cour d’appel comme devant les premiers juges, la reproduction du 4ème tiret de la revendication 1 relatif à l’étape de reliage des points n’est pas contestée. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la contrefaçon des revendication 3, et 5 à 8

La société Bien’ici prétend, s’agissant des revendications 3 et 5 à 8, que la société Arka Ouest ne démontre pas qu’un événement est associé à une zone tridimensionnelle ; qu’elle se contente de montrer qu’un événement est associé à une représentation bidimensionnelle d’une zone ; que dans le procédé Habitéo aucun évènement n’est associé à une zone tridimensionnelle et que les attributs sont associés aux représentations bidimensionnelles des zones tridimensionnelles et jamais aux zones tridimensionnelles.

Sur ce,

La cour rappelle que la revendication 3 est la suivante : « Procédé selon l’une des revendications précédentes, dans lequel un événement associé à une zone est un événement qui survient sur la représentation bidimensionnelle de cette zone superposée à l’image 3D en cours de visualisation. »

Dans le procédé Habitéo, ainsi qu’il a été démontré, lorsqu’une région « shape » d’une représentation bidimensionnelle associée à un lot est survolée par le pointeur de la souris, une fenêtre secondaire comprenant des mentions relatives à ce lot dont la représentation bidimensionnelle est survolée, tels que son type, sa surface habitable, son exposition et son prix, sont affichées, de sorte que la revendication 3 est reproduite.

La revendication 5 est la suivante : « Procédé selon l’une des revendications précédentes, dans lequel un événement associé à une zone est un événement issu du résultat d’un programme exécuté soit localement au terminal (T2) sur lequel est visualisée une image 3D, soit par le terminal (T1) distant de ce terminal. »

La revendication couvrant les deux hypothèses T1 ou T2, le procédé Habitéo reproduit cette revendication sans qu’il y ait lieu de préciser si le programme est exécuté sur le terminal 1 ou sur le terminal 2.

Les revendications 6, 7 et 8 sont les suivantes :

Revendication 6 : « Procédé selon l’une des revendications précédentes, dans lequel au moins un attribut est associé à une zone. »

Revendication 7 : « Procédé selon la revendication 6, dans lequel une action associée à cette zone modifie/ajoute/supprime ou remplace au moins un attribut associé à cette zone. »

Revendication 8 : « Procédé selon la revendication 7, dans lequel la représentation bidimensionnelle de cette zone qui est superposée sur une image 3D en cours de visualisation est mise à jour dès qu’un attribut associé à cette zone est modifié/ajouté/supprimé ou remplacé ».

Il résulte du procès-verbal de constat du 16 janvier 2018 relatif au code source du projet [Localité 5] que dans le code source sont mentionnés des attributs tels que la surface, le prix ou l’exposition, et ce pour chaque lot, c’est-à-dire pour chaque zone tridimensionnelle au sens du brevet litigieux. La revendication 6 est donc reproduite.

Il résulte du procès-verbal de constat d’huissier du 20 avril 2016 en page 34 (image 1) et 35 (image 2) que certaines zones sont représentées en vert (lot N° D301) et d’autres en blanc (lot N° D304), qu’il est mentionné un bouton « Visitez » pour le lot 301 et « Ce lot n’est plus disponible » pour le lot 304, de sorte que l’attribut « disponible/non disponible » est associé à chaque lot et la représentation bi-dimensionnelle de chaque lot est colorée selon l’état de cet attribut, les lots disponibles étant représentés en vert, tandis que les lots indisponibles sont représentés en blanc. En conséquence l’attribut « disponible/non disponible » associé à chaque lot est donc modifié et constitue une action au sens de la revendication 7. La revendication 7 est dès lors reproduite.

Il ressort en outre du procès-verbal de constat du 16 janvier 2018 relatif au code source du projet [Localité 5] que les lignes 512 à 516 attribuent notamment à la représentation bidimensionnelle des lots une couleur selon la disponibilité « availability » du lot concerné, de sorte que la mise à jour lorsqu’un attribut est modifié est démontrée. La revendication 8 est donc reproduite.

Il résulte des développements qui précèdent que les faits de contrefaçon des revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076 sont caractérisés. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la validité du brevet FR 076

La contrefaçon ayant été caractérisée, il convient d’examiner l’argumentation subsidiaire de la société Bien’ici au titre de l’invalidité du brevet.

Sur le défaut de nouveauté

La société Bien’ici soutient en appel les mêmes moyens qu’en première instance à savoir que les revendications du brevet en cause ne sont pas nouvelles en raison de l’exploitation, avant la date de dépôt du brevet, par la société Arka Ouest, de la solution Evimmo3D, qui permet de présenter un programme immobilier en situant chaque lot au sein du programme grâce à des images 3D, la solution Evimmo3D ayant été vendue et toutes les caractéristiques techniques de la solution Evimmo3D ayant été divulguées par la société Arka Ouest, à ses propres clients, et même au public sur internet dans le cadre du projet Octant.

Elle fait valoir que la solution Evimmo3D a été exploitée par Arka Ouest avant la date de dépôt du brevet FR’076 afin de présenter au public sur internet au moins une dizaine de projets immobiliers ; que cela est avéré par le constat opéré sur le site Actualité Immobilière, qui fait état du lancement de la solution Evimmo3D plus de neuf mois avant le dépôt du brevet ; que ce site rend aussi accessible une vidéo d’origine, qui démontre que les caractéristiques du produit lancé sont les mêmes que celles du produit actuel ; que la divulgation est encore avérée par les nombreux projets immobiliers antérieurs à la date du brevet, qui exploitent la solution Evimmo3D ; que le brevet FR’076 est nul pour défaut de nouveauté, en toutes ses revendications invoquées, en raison de la vente par la société Arka Ouest de la solution brevetée avant la date de dépôt.

Elle ajoute que le contenu du code source était accessible librement, par exemple aux Etats-Unis, avant la date de dépôt de l’invention ; qu’en tout état de cause, la décompilation des fichiers n’était pas nécessaire pour justifier la divulgation des caractéristiques revendiquées ; qu’elle a sollicité un expert informatique près la cour d’appel de Paris, qui conclut, sans avoir procédé à aucune décompilation, que les caractéristiques de la revendication 1 sont divulguées ; qu’il était possible d’exécuter ligne par ligne le logiciel sans le décompiler ; que cela permettait à l’homme du métier d’obtenir la connaissance de chacune des opérations afin d’arriver à la méthode mise en ‘uvre par le logiciel ; qu’à tout le moins le programme immobilier Octant a été rendu accessible avant la date de dépôt du brevet FR’076 ; que toutes les caractéristiques des revendications invoquées sont rendues accessibles au public par ce programme immobilier ; qu’il suffit de lire les fichiers transmis librement à tout personne qui se connecte au site en cause pour avoir accès aux moyens du procédé revendiqué.

La société Arka Ouest fait valoir que la société Habitéo prétend, comme devant les premiers juges, que la solution Evimmo3D qu’elle développe sur internet aurait auto-antériorisé le brevet sans produire aucun élément nouveau à l’exception de deux pièces additionnelles qui confirment l’absence de divulgation. Elle demande que la cour fasse sienne la juste appréciation du tribunal.

Sur ce,

En application de l’article L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle, une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique, lequel est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet, par une description écrite ou orale, un dépôt ou tout autre moyen.

La divulgation doit être suffisamment complète et précise pour permettre à l’homme du métier de comprendre et de reproduire l’invention à la date de cette dernière. L’élément de l’art antérieur n’est destructeur de nouveauté que s’il renferme tous les moyens techniques essentiels de l’invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique : l’antériorité, qui est un fait juridique dont l’existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous moyens par celui qui l’invoque, doit être unique et être révélée dans un document unique dont la portée est appréciée globalement.

En l’espèce, la cour constate, comme le tribunal, que ni l’article publié le 20 avril 2010 sur le blog « Actualité immobilière », ni la vidéo de présentation en image de la solution Evimmo3D mise en ligne sur YouTube par Arkastudio le 21 avril 2010, qui se bornent à présenter le résultat visuel obtenu par un procédé de présentation de projet immobilier dans des termes vagues et génériques, n’exposent le contenu et les principes de fonctionnement technique dudit procédé, et n’en divulguent donc pas les caractéristiques. L’article du journal Le Télégramme relatif à la présentation de plus de cent projets immobiliers via la solution Evimmo3D, a été publié le 5 mars 2011, soit postérieurement à la date de dépôt du brevet, et ne contient aucune information technique quant à la date et au procédé utilisé pour la présentation de ces projets immobiliers, le fait que l’appellation commerciale de cette solution soit demeurée la même depuis 2009 ne suffisant à démontrer que ses caractéristiques techniques étaient dès cette époque identiques à celles du brevet litigieux.

Il en est de même du site dédié à la résidence [6] sur lequel figure une présentation en images 3D interactives de ce projet immobilier, qui a fait l’objet de cinq archivages en 2010 par le site Wayback Machine, lesdits archivages concernant la page d’accueil du site sans que les autres pages invoquées aient une date certaine autre que celle du procès-verbal de constat par l’huissier de justice soit le 8 mars 2018, outre en tout état de cause qu’elles ne permettent pas, ainsi que l’a pertinemment relevé le tribunal, d’exposer les modalités de fonctionnement de la solution Evimmo 3D mise en ‘uvre à ces dates, ni de les comparer avec les caractéristiques du procédé protégé par le brevet FR 076 et donc de conclure à leur divulgation avant le dépôt de la demande de brevet.

Il en est de même des fichiers espacil.ev3d.fr téléchargés par l’huissier de justice le 8 mars 2018, dont il n’est pas justifié de leur antériorité par rapport au brevet, seule la page d’accueil desdits fichiers ayant été archivée par Wayback machine, étant au surplus observé qu’il n’est pas démontré que sans accès au code source, lesdits fichiers soient compréhensibles pour l’homme du métier qui ne peut en déduire le fonctionnement du procédé et auquel ne sont pas divulguées toutes les informations nécessaires à la reproduction de l’invention sans difficulté excessive, et notamment les caractéristiques 1.5, 1.7 et 1.9, le fichier « lstPoints.txt » se bornant à associer une suite de valeurs numériques à des éléments des lots d’appartements, nommés par exemple « Groupe2 », «Hall » ou « LocalVelo » sans faire aucun lien avec une éventuelle zone interactive, ni spécifier que lesdites valeurs numériques seraient les coordonnées dans un espace tridimensionnel de chacun des sommets d’une telle zone interactive, ni indiquer que ces zones interactives auraient été définies lors de la modélisation de la maquette. L’homme du métier est dès lors dans l’impossibilité de déduire que les valeurs numériques présentées dans le fichier lstCamPos.txt correspondent à différentes positions de la caméra utilisées pour calculer une image 3D de la maquette selon des paramètres de projection et que les représentations bidimensionnelles des zones interactives dans le plan d’observation de chacune des images 3D sont calculées en utilisant ces valeurs numériques en tant que paramètres de projection.

Enfin, comme l’a retenu le tribunal par des motifs que la cour approuve, l’expertise privée réalisée par la société Bien’ici, qui porte sur le projet immobilier « Le Chénaie », a été réalisée sur la base de la présentation disponible sur internet en 2019 sans qu’il soit établi qu’elle corresponde à celle mise en ligne en 2010 faute de tout archivage des fichiers de données et d’images sur le site internet Archive Wayback Machine, outre que les explications de l’expert sur la possibilité pour l’homme du métier d’utiliser des outils existants avant la date du dépôt du brevet, alors qu’il a été contraint d’utiliser trois outils, dont un logiciel récent, n’emportent pas la conviction de la cour. Dès lors, le jugement doit être approuvé en ce qu’il a dit que faute de pouvoir dater précisément la réalisation de cette présentation et sa mise en ligne la rendant accessible au public, elle n’est pas susceptible de constituer une antériorité de toute pièce destructrice de nouveauté.

Le grief de nouveauté doit être écarté et le jugement confirmé sur ce point.

Sur le défaut d’activité inventive

La société Bien’ici prétend, comme devant les premiers juges, que l’invention découlait de manière évidente pour l’homme du métier de la solution Evimmo3D divulguée par la société Arka Ouest.

Elle soutient que la société Arka Ouest reconnaît à tout le moins la divulgation des caractéristiques 1.1, 1.2, 1.3, 1.6 et 1.8 de la revendication ; que l’auto-divulgation présentait également les résultats considérés comme essentiels, à savoir permettre à un utilisateur d’interagir en temps réel avec une maquette 3D sur un terminal à faible capacité de calcul, et assurer l’alignement parfait des zones lors de leur superposition aux images 3D au niveau du terminal utilisateur ; que le problème qui se pose à l’homme du métier est alors de reproduire les résultats divulgués ; qu’ayant connaissances des caractéristiques 1.1, 1.2, 1.3, 1.6 et 1.8, la solution est évidente pour l’homme du métier puisqu’elle met en ‘uvre uniquement des caractéristiques triviales, qui sont d’ailleurs expliquées très brièvement dans la description du brevet ; que les caractéristiques 1.4, 1.5, 1.7 et 1.9 sont divulguées par la solution Evimmo3D, et qu’en tout état de cause, ces caractéristiques n’impliquent aucune activité inventive.

Sur ce,

En application de l’article L. 611-14 du code de la propriété intellectuelle, « Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si pour un homme du métier, elle ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique ».

Pour apprécier le caractère inventif, il faut déterminer si eu égard à l’état de la technique, l’homme du métier, au vu du problème que l’invention prétend résoudre, aurait obtenu la solution technique revendiquée par le brevet en utilisant ses connaissances professionnelles et en effectuant de simples opérations. L’activité inventive se définit au regard du problème spécifique auquel est confronté l’homme du métier.

C’est par de justes motifs approuvés par la cour d’appel que le tribunal a constaté que le problème technique à résoudre est celui qui consiste à proposer un procédé permettant d’obtenir une séquence d’images 3D d’un objet détaillé, d’une qualité de rendu optimale, qui permette toutefois à un utilisateur d’interagir directement avec les images 3D de cette séquence via un terminal aux capacités de calcul limitées, et a défini l’homme du métier comme un infographiste ayant des connaissances générales en matière d’images 3D et de développement de présentations interactives.

La société Bien’ici échoue à démontrer que l’homme du métier qui observe le fonctionnement de la solution Evimmo3D et constate que dans la vue d’un étage, des zones interactives colorées correspondant aux différents appartements de l’étage sont visibles, et que lorsque l’utilisateur survole un appartement, une fenêtre affichant des indications de prix et de surface apparaissent, en déduirait de manière évidente la manière dont les zones interactives sont définies, puis calculées, en l’absence de toute antériorité divulguant, ni même suggérant que les zones interactives colorées visibles lors de l’observation du fonctionnement de la solution EvImmo3D ont été définies dans le repère tridimensionnel lors de la modélisation de la maquette, et alors que le résultat peut être obtenu par d’autres méthodes, les points pouvant notamment être définis manuellement et unitairement sur chacune des images 3D, tel qu’indiqué à la page 4, lignes 16 et 17 du brevet.

Le grief de défaut d’activité inventive n’est pas caractérisé. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l’extension au-delà de la demande

La société Bien’ici reprend les griefs opposés en première instance à savoir que, lors de la procédure de limitation, la société Arka Ouest a sélectionné, dans l’unique scénario de mise en ‘uvre de l’invention, divulgué dans la description, certaines caractéristiques, en omettant volontairement d’autres caractéristiques qui n’avaient pourtant jamais été envisagées isolément ; qu’ainsi, la description ne fait pas mention isolément des terminaux T1 et T2 ; que l’homme du métier ne peut pas déduire directement et sans ambiguïté que les étapes du 2ème tiret de la revendication 1 peuvent être aisément réalisées sur un terminal autre que le terminal T2 ; que les caractéristiques propres des terminaux n’ont pas été introduites dans la revendication 1 alors qu’elles sont essentielles pour résoudre le problème technique de l’invention ; que la revendication 1 telle que limitée doit donc être déclarée nulle pour extension de son objet au-delà de la demande initialement déposée, tout comme les revendications 3 et 5 à 8, dépendantes de la revendication 1; qu’en effet, en introduisant le terminal T1 dans la revendication 1 sans introduire la caractéristique relative aux moyens de calcul importants du terminal T1, en introduisant le terminal T2 dans la revendication 1 sans introduire la caractéristique relative aux moyens de calcul limités du terminal T2, en introduisant la sélection de points à partir de la maquette sans introduire la sélection directe de points, en introduisant le terminal T1 dans la revendication 1 sans introduire la caractéristique relative à la base de données BDD, en omettant d’introduire la présence d’une base de données BDD dans le terminal T1 lors de la limitation de la revendication, la société Arka ouest a étendu l’objet de la revendication au-delà du contenu de la demande telle que déposée.

Sur ce,

L’article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Le brevet est déclaré nul par décision de justice : [‘]

c) Si son objet s’étend au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d’une demande divisionnaire, si son objet s’étend au-delà du contenu de la demande initiale telle qu’elle a été déposée [‘] ».

En application de ces dispositions, pour être acceptées, les modifications doivent être déduites directement et sans ambiguïté de la demande telle que déposée. Il convient donc de comparer l’objet de la protection recherchée dans la demande modifiée avec les éléments divulgués expressément dans les pièces de la demande telle que déposée puis, une fois identifiés les éléments ajoutés, il faut examiner s’ils peuvent être déduits objectivement par l’homme du métier précisément identifié, de tous les éléments divulgués dans la demande déposée (description, revendications, dessins) sans introduction de tout élément technique qui n’y figure pas, sauf si celui-ci découle clairement et sans ambiguïté de ce qui est explicitement mentionné.

En tout état de cause, dans cet examen, le contenu de la demande ne doit pas être considéré comme un réservoir à partir duquel il sera possible de combiner des caractéristiques afin de créer artificiellement une combinaison particulière. La demande doit décrire dans leur ensemble et de manière objective l’intégralité des caractéristiques de la revendication déposée et non uniquement des caractéristiques isolées.

Enfin, lors d’une modification, une généralisation intermédiaire n’est admissible que si l’homme de métier peut déduire sans aucun doute de la demande telle que déposée que les caractéristiques revendiquées ne sont pas liées étroitement aux autres caractéristiques du mode de réalisation, mais qu’elles s’appliquent directement et sans ambiguïté au contexte plus général. La généralisation doit résulter des informations non ambiguës que l’homme du métier tirerait de la lecture de l’exemple et du contenu de la demande.

La société Bien’ici prétend que les caractéristiques ajoutées lors de la limitation seraient, dans la revendication 1, isolées d’autres caractéristiques avec lesquelles elles seraient présentées en combinaison dans la description, ce qui reviendrait à une généralisation intermédiaire inadmissible et à la divulgation d’un nouvel enseignement.

C’est par de justes motifs approuvés par la cour que le tribunal a constaté que l’utilisation du terminal T2 pour obtenir les paramètres utilisés sur le terminal Tl pour calculer l’image 3D et la représentation bidimensionnelle de chacune des zones qui doivent être superposées à l’image 3D et enfin visualiser la superposition de ces représentations bidimensionnelles sur l’image 3D, n’est, dans la description du brevet, qu’un des scenarii possibles d’échange de données entre le terminal Tl et un ou plusieurs terminal(ux) T2, et que dès lors, l’homme du métier, qui dispose de connaissances générales en matière de présentations interactives réalisées au moyen d’images en 3D, pouvait déduire de la demande telle que déposée, que la fonctionnalité de visualisation du terminal T2, telle que figurant dans l’exemple donné dans la description, n’était pas liée étroitement aux autres fonctionnalités du mode de réalisation cité comme l’un des scenarii possibles, mais qu’elle pouvait s’appliquer directement et sans ambiguïté dans un contexte plus général, de sorte que grief de généralisation intermédiaire n’est pas caractérisé de ce chef.

Il a également pertinemment relevé que la structure des différents éléments mémorisés n’est donnée qu’à titre d’exemple dans la description du brevet et qu’il n’y a pas lieu d’intégrer cette caractéristique dans le champ de protection de la revendication 1 de sorte que l’homme du métier est à même de comprendre que la maquette 3D et les images 3D peuvent être mémorisées dans tout type de mémoire et que l’absence de mention, dans la revendication 1, des différents types de mémoire dans lesquels sont stockés les points, les évènements et les actions ne constituent donc pas une généralisation intermédiaire ; qu’il en va de même en ce qui concerne le stockage des informations relatives aux zones, aux paramètres et aux images dans la mémoire particulière M3, qui n’est cité qu’à titre illustratif et non limitatif dans la description du brevet.

La société Bien’ici soutient pour la première fois en appel que la composition de chacun des terminaux T1 et T2 serait une caractéristique essentielle à la résolution du problème technique, et qu’il aurait été essentiel de préciser la caractéristique du T1 relative aux moyens de calcul importants et la caractéristique du T2 qui doit être un terminal aux capacités limitées.

Cependant, à la lecture de la revendication 1, l’homme du métier comprend que le terminal T1 est distant, qu’il sert à précalculer les images 3D, et qu’en conséquence il présente des capacités de calcul importantes pour calculer des images 3D, ce qui est mentionné dans la description notamment page 13 lignes 8 à 10 « Le terminal T1 comporte (‘) des moyens de calcul importants ».

Il comprend également que l’autre terminal T2, qui est celui sur lequel l’utilisateur visualise en temps réel les images 3D, a des capacités de calcul qui peuvent être limitées ou non, l’invention fonctionnant pour un terminal T2 même s’il a des capacités de calcul limitées (page 4, ligne 32 « même lorsque le terminal qu’il utilise a des capacités de calcul restreintes »). Ainsi la limitation des capacités du terminal T2 n’est pas une caractéristique propre essentielle à la résolution du problème technique, comme l’invoque à tort la société Bien’ici, mais fait partie du problème à résoudre, l’enseignement du brevet consistant à simplifier au maximum les calculs réalisés en temps réel par le terminal T2 de l’utilisateur afin de permettre une interaction optimisée de l’utilisateur avec les images 3D, même avec des capacités de calculs limitées, et donc quelles que soient les capacités.

Il n’est donc démontré aucune généralisation intermédiaire du fait d’avoir introduit les terminaux T1 et T2 dans la revendication sans avoir précisé la caractéristique relative aux moyens de calcul importants du premier et celle relative aux moyens de calcul limités du second.

La société Bien’ici soutient en outre que la caractéristique 1.5 introduirait une généralisation intermédiaire car la demande telle que déposée divulguerait la sélection par un programmeur d’un ensemble de points « directement » à partir de la maquette, alors que le terme « directement » n’a pas été repris lors de la limitation.

Cependant, la cour constate que la description du brevet litigieux contient deux passages sur les quatre dans lesquels la sélection des points est évoquée, indiquant que les points sont sélectionnés « à partir de la maquette » sans préciser « directement », et notamment page 7, lignes 17-24 « Selon cet exemple, le programmeur a sélectionné les points PO1, PO2, PO3, PO4, PO5, PO6, PO7, PO8 et PO9 à partir de la maquette M ». En outre, la revendication 1 telle que limitée ne peut être comprise, contrairement aux allégations de la société Bien’ici, comme couvrant la sélection de points « à partir d’un export des coordonnées des points de la maquette ou à l’aide d’un programme informatique », d’où résulterait une telle extension, de tels moyens n’étant nullement évoqués ni même implicitement suggérés par le brevet. Aucune extension n’est donc démontrée de ces chefs.

Sur l’extension de la protection après limitation

La société Bien’ici reprend les moyens qu’elle a invoqués en première instance en soutenant que le brevet ne prévoit pas la possibilité de réaliser le calcul de la représentation bidimensionnelle par projection géométrique sur un terminal autre que le terminal T2 ; qu’il ne prévoit pas non plus la possibilité de réaliser le calcul de la projection géométrique des points pour obtenir la représentation bidimensionnelle autrement qu’en temps réel ; que l’introduction des terminaux T1 et T2 et l’ajout de la caractéristique 1.9 (4e tiret) dans la revendication 1 ont étendu la protection conférée par le brevet.

Sur ce,

L’article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle dispose que le brevet est déclaré nul par décision de justice si, après limitation ou opposition, l’étendue de la protection conférée par le brevet a été accrue.

Le tribunal a justement rappelé que la revendication 2 qui vise, le mode de réalisation selon lequel les étapes de récupération des données, puis de calcul, sont toutes mises en oeuvre sur le terminal T2 n’est pas opposée, et que la description indique que d’autres scénarii d’échange de données entre le terminal T1 et le (ou plusieurs) terminal T2 sont possibles. Il en a pertinemment déduit par des motifs que la cour adopte, que l’étendue de la protection conférée par le brevet n’a donc pas été étendue par une prétendue omission de la part de la société Arka Ouest de mentionner que toutes les étapes du second tiret sont réalisées sur le terminal T2.

Il a ensuite constaté que la société Habitéo ne caractérise pas en quoi le fait que la récupération de données mémorisées au préalable ne soit pas réalisée en temps réel constituerait une extension du champ de la protection par le brevet après limitation dès lors que la description du brevet faisait déjà référence à une série d’étapes, dont celle, préliminaire, de récupération de données mémorisées.

Le grief d’extension de la protection conférée par le brevet sera rejeté, et le jugement confirmé de ce chef.

Sur l’insuffisance de description

La société Bien’ici soutient qu’à la lecture de la description, l’homme du métier est dans l’incapacité de mettre en ‘uvre l’objet de la revendication 1, l’exemple fourni étant inexact, et que s’il devait être considéré que la revendication 1 couvre la récupération des données à l’avance et non en temps réel, alors l’homme du métier n’est pas en mesure de mettre en ‘uvre la caractéristique de récupération des données à l’avance.

Elle ajoute qu’à la lecture de la description, l’homme du métier est dans l’incapacité de mettre en ‘uvre l’objet de la revendication 5 ; que la description ne fait que reproduire le texte de la revendication sans aucune explication additionnelle ; que la revendication 5, sans aucun support dans la description, doit être annulée pour insuffisance de description.

Sur ce,

L’article L. 612-5, alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle dispose que « L’invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter ».

L’article R. 612-12 du même code dispose que « La description comprend :

1° L’indication du domaine technique auquel se rapporte l’invention ;

2° L’indication de l’état de la technique antérieure, connu du demandeur, pouvant être considérée comme utile pour l’intelligence de l’invention et pour l’établissement du rapport de recherche ; les documents servant à refléter l’état de la technique antérieure sont, autant que possible, cités ;

3° Un exposé de l’invention, telle que caractérisée dans les revendications, permettant la compréhension du problème technique ainsi que la solution qui lui est apportée ; sont indiqués, le cas échéant, les avantages de l’invention par rapport à l’état de la technique antérieure ;

4° Une brève description des dessins, s’il en existe ;

5° Un exposé détaillé d’au moins un mode de réalisation de l’invention ; l’exposé est en principe assorti d’exemples et de références aux dessins, s’il en existe ;

6° L’indication de la manière dont l’invention est susceptible d’application industrielle, si cette application ne résulte pas à l’évidence de la description ou de la nature de l’invention ».

L’exigence de suffisance de description, qui a pour finalité de garantir la possibilité pour l’homme du métier d’exécuter l’invention sans effort excessif grâce aux informations fournies par l’ensemble du brevet et ses propres connaissances techniques, est satisfaite dès lors que la description indique les moyens qui donnent à l’homme du métier, doté des capacités et des connaissances que l’on est en droit d’attendre de lui, la possibilité d’exécuter ou de mettre en ‘uvre l’invention par de simples mesures d’exécution, comme des essais de routine, ou moyennant un effort raisonnable de réflexion. Il y a lieu d’indiquer en détail au moins un mode de réalisation de l’invention.

En l’espèce, l’homme du métier est, ainsi qu’il a été dit, un infographiste ayant des connaissances générales en matière d’images 3D et de développement de présentations interactives.

La cour constate comme le tribunal que la description du brevet expose de façon détaillée un mode de réalisation de l’invention objet du brevet. La société Bien’ici prétend que la description n’explique pas comment récupérer les zones tridimensionnelles qui sont associées à chacun des éléments visibles sur l’image 3D, et que s’il est nécessaire de calculer la projection de chaque zone avant de savoir quelles zones sont associées à des éléments visibles sur l’image 3D, comme le prétend la société Arka Ouest, cela est en contradiction avec la revendication 1 qui indique que le choix des zones doit être effectué avant le calcul de la projection.

Dans le mode de réalisation décrit et illustré, lors de l’étape de modélisation de la maquette numérique, « la maquette M est mémorisée sous une forme vectorielle arborescente dans une mémoire MEM1, telle qu’illustrée sur la droite de la Fig. 2. Cette maquette M comporte les éléments A0, Al et A2, etc., l’élément A0 comporte les éléments A01 et A02, etc » (page 6, lignes 6-7). Les éléments A0, A1 et A2 correspondent aux étages du bâtiment et les éléments A01, A02 aux appartements du rez-de-chaussée, A11 à A14 aux appartements du 1er étage, etc (page 5, lignes 25 et suivantes). Les différents éléments A01, A02, A03, etc. de la maquette M ainsi que leurs attributs ATT et média ME associés sont stockés dans la mémoire MEM1 (page 6, lignes 6-17) ainsi que cela est visible sur la figure 2. Par la suite, ainsi que cela est illustré sur les figures 3 et 4, « Ces ensembles de points qui définissent chacun une zone sont mémorisés dans une mémoire MEM2 en relation avec l’élément auquel il se réfère. » (page 7, lignes 25-27). « Les images I1, I2, I3 ainsi que les indications concernant les éléments de la maquette qui sont visibles sur chacune de ces mémoires sont alors mémorisés dans une mémoire MEM3 qui est une mémoire en relation avec MEM1 (Fig. 4). » (page 8, lignes 28-30). Ainsi le procédé lit dans la mémoire MEM3 que l’image I2 est associée aux éléments A01, A02 et A14 de la maquette numérique, puis il lit dans les mémoires MEM1 et MEM2 que l’élément A14 est associé aux zones Z1 et Z2. La description mentionne aux lignes 29 à 32 de la page 13 que « lorsqu’un utilisateur accède à l’application, une image 3D et les ensembles de points qui définissent les zones interactives dans cette image 3D sont transmis du terminal T1 au terminal T2 qui les mémorisent. ». En outre le procédé lit dans la mémoire MEM3 que l’image I2 est associé au paramètre P2. L’ensemble de points (P02, P05, P06, P07) correspondant à la zone Z1, lorsqu’il est projeté selon le paramètre P2 ne comporte plus que deux points, car le point projeté de P02 = P07 et le point projeté de P05 = P06, de sorte que la représentation bidimensionnelle de la zone Z1 selon P2, ne comportant plus que 2 points, elle devient un segment de droite P06-P07, confondu à l’un des côtés de la représentation bidimensionnelle Z’2 de la zone Z2 visible sur l’image I2, la représentation bidimensionnelle de la zone Z1 n’étant donc plus visible sur l’image I2, ce que comprend aisément l’homme du métier, animé de la volonté de comprendre et évitant de cultiver les malentendus. En effet pour qu’une zone soit associée à une image 3D au sens du brevet, elle doit être visible lors de sa superposition sur l’image 3D, ce principe découlant de la finalité du procédé du brevet litigieux.

Enfin, ainsi qu’il a été dit, l’étape de récupération des données est une étape qui précède le calcul de la représentation bidimensionnelle, et la société Bien’ici échoue à démontrer tout insuffisance de description résultant de ce chef alors que lorsqu’une nouvelle image doit être visualisée à brève échéance, le procédé lit dans la mémoire contenant les éléments relatifs aux étages et aux appartements afin de déterminer si une ou plusieurs zones ont été définies en relation avec chacun de ces éléments avant de récupérer les points qui définissent cette zone. Le revendication 1 est donc suffisamment décrite. Le jugement sera confirmé de ce chef.

S’agissant de la revendication 5, la description du brevet précise aux lignes 14 à 16 de la page 10 « Le résultat de ce programme peut par exemple être donné par une base de données distante et reçu par un terminal en réponse à une requête émise préalablement par ce terminal. », de sorte que1’homme du métier, qui sait comment créer une animation interactive au moyen d’un programme tel qu’une base de données, pourra exécuter l’invention sans effort excessif grâce aux informations fournies par l’ensemble du brevet. L’insuffisance de la description de la revendication 5 n’est pas caractérisée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes en réparation de la société Arka Ouest

Sur la demande d’interdiction

Il convient de faire droit à la demande d’interdiction sous astreinte dans les conditions du dispositif ci-après.

Sur les demandes au titre du préjudice commercial

La société Arka Ouest forme une demande de 460 000 euros, ou à tout le moins de 400 000 euros au titre des gains manqués. Elle fait valoir s’agissant de la masse contrefaisante, que la société Habitéo a publié sur son compte LinkedIn un post dressant le récapitulatif de son activité en 2020, faisant état de « 478 programmes livrés en France et en Espagne » pour cette seule année ; que depuis 2021 elle ne publie plus le nombre de programmes qu’elle a livrés ; que ses comptes sociaux 2021 publiés font état d’une progression de son CA de 27% ; que dans un article publié dans ImmoMatin le 8 juin 2022, la fondatrice d’Habitéo fait valoir une croissance de son activité de 100% au premier trimestre 2022  ; qu’en corrélant la progression du chiffre d’affaires au nombre de programmes livrés par Habitéo et en estimant que la croissance d’activité du premier trimestre 2022 s’est confirmée sur l’ensemble de l’année en cours, on aboutit à 478 programmes livrés en 2020, 607 en 2021 et 1 214 en 2022 ; qu’elle estime qu’au moins la moitié des programmes livrés depuis 2020 concernent la France et qu’en conséquence la masse contrefaisante peut être évaluée à 2 649 programmes à savoir les 1 500 cités par la société Habitéo sur ses sites Internet jusqu’en 2019 et les 1 149 estimés pour la période 2020-2022 ; que compte-tenu de la durée de vie des programmes immobiliers d’environ 2 ans, au moins un tiers de ces programmes, soit 883 unités ont été réalisés par la société Habitéo avec la solution contrefaisante ; que la société Habitéo juge cette estimation arbitraire tout en se gardant de préciser le nombre précis de ventes qu’elle a réalisées ; que l’option de visualisation de maquette 3D est le c’ur de l’offre du produit Habitéo puisqu’il s’agit du mode de visualisation le plus attractif et novateur pour ses clients ; que le « Pack Light » commercialisé au prix de 1.130€ HT ne comprend pas la vue par étage mais que deux autres Pack (le « Pack Essentiel », commercialisé au prix de 7.820€ HT et le « Pack Premium ») intègrent bien cette prestation de maquette 3D avec vue par étage d’office, et non pas sur option ; qu’en tout état de cause elle n’a pris en compte dans son estimation qu’un tiers des programmes livrés.

Elle prétend que 50 % des ventes se seraient reportées sur Arka Ouest, la société Arka Ouest étant le principal concurrent et acteur sur le marché, et qu’elles ont donc été perdues ; que les tableaux produits par la société Bien’ici ne donnent pas d’indication sur la concurrence dans ce domaine de la promotion immobilière en 3 D ; qu’en tout état de cause ces tableaux confirment que les sociétés Habitéo et Arka Ouest sont leaders.

Elle fait valoir que le prix moyen de 8 000 euros peut être retenu compte tenu de ce que le « pack résidence » est présenté à 7 820 euros sur une brochure ; que le procédé breveté offre une fonctionnalité qui constitue un argument essentiel pour la valorisation de l’offre d’Habitéo auprès de sa clientèle, et que la participation contributive de l’invention doit être au moins de 86 % ; que son propre taux de marge brute est de 13 %.

La société Arka Ouest demande en outre, au titre du préjudice commercial, une indemnisation provisionnelle de la perte de redevances sur les ventes manquées, et donc non reportées au titre du gain manqué, et qui auraient dû faire l’objet d’une exploitation sous licence. Elle sollicite un montant de 530 000 euros, ou à tout le moins de 300 0000 euros. Elle fait valoir que le taux de redevance indemnitaire doit être majoré d’au moins du double du taux habituel, soit 15 %, une étude publiée par Licensing Executives Society (LES) indiquant un taux de redevance moyen dans le secteur de l’internet de 7,5%.

Elle sollicite également à une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral en faisant valoir que cette invention, sur laquelle elle a construit sa communication commerciale, la distingue sur le marché depuis 2011 ; que le préjudice moral a été aggravé par les propos diffamatoires tenus dans les conclusions de première instance et d’appel, et par le fait que la société Habitéo a fait procéder à des actes de décompilation illégaux et a ainsi eu accès à son code source confidentiel.

La société Bien’ici conteste la masse contrefaisante retenue en faisant valoir que la preuve de la contrefaçon a été apportée sur deux programmes immobiliers, [Localité 5] et [Localité 4], sur lesquels a porté la saisie-contrefaçon ; que le brevet couvre un procédé d’interaction spécifique avec un image 3D pré-calculée qui n’est mis en ‘uvre que lors de la vue interactive des lots par étages, et tout au plus pour une faible proportion des lots modélisés ; que la société Bien’ici propose, selon la nature des projets de ses clients, la visualisation interactive des lots par étage sur des maquettes 3D sous forme d’une option ; qu’ainsi le pack « light » référencé dans la brochure 487 ne mentionne aucune maquette numérique mais seulement un plan 3D du lot et le pack «maison » n’exploite pas la vue par étage ; que le taux d’un tiers de maquettes contrefaisantes n’est tout simplement pas démontré ; que la société Habitéo a une activité importante de modélisation de projets tertiaire ou de projets individuels qui ne requièrent pas de vue par étage ; que seul deux programmes doivent être retenus au titre de la masse contrefaisante.

La société Bien’ici soutient que le taux de report proposé par Arka Ouest est surévalué  ; que le marché de la promotion immobilière en 3D sur internet est largement morcelé ; qu’au moins 17 concurrents directs, fournissant des prestations similaires, sont facilement identifiables ; que le taux de report ne peut être supérieur à 5,8% ce qui équivaut à 1/17ème ; que la part de marché de la société Arka Ouest ne dépasse pas 13,7% ; qu’une étude plus récente menée en octobre 2021 sur les acteurs produisant les images 3D sur le site selogerneuf.com et Bienici.com montre que la société Arka ouest se classe en 8ème position et produit 3,3% des widgets ; qu’il résulte de ces différents éléments que le taux de report ne dépasse pas 14% et se situe plus probablement autour de 7 % ; que la prétendue position de leader de la société Arka Ouest est contredite par les pièces qu’elle produit.

La société Bien’ici prétend qu’il est nécessaire d’appliquer un taux de pondération pour prendre en compte l’importance de l’invention brevetée dans l’objet commercialisé et la part de la contribution de l’invention dans le choix des acheteurs ; que ce taux de pondération est généralement compris entre 1,5% et 25 % lorsque l’invention n’est qu’une partie de produit commercialisé ; que l’option « vue par étage » n’est par exemple pas mise en ‘uvre dans les packs Maison et les packs Résidentiel « Light » ; que dans un pack Essentiel ou Premium, la contribution de l’option « vue par étage » est faible ; que selon le commissaire aux comptes, le coût de production de la vue par étage est inférieur à 7% du coût de production d’un pack résidentiel (7% dans le cas d’un Pack Résidentiel Essentiel et 4% dans le cas d’un Pack Résidentiel Premium) ; que le procédé breveté contribue pour moins de 10% à l’option « vue par étage » ;que la société Arka Ouest fournit pour son taux de marge brute des données comptables qui ne sont pas certifiées. Elle en conclut que les gains manqués sont au plus de 4 945 euros selon le calcul suivant : 883 x 7% x 8 000 x 1%.

La société Bien’ici conteste le fait que la société Arka Ouest combine deux postes de préjudices à savoir les gains manqués et la perte de redevance indemnitaires. Elle fait valoir que la société Arka Ouest, qui indique avoir octroyé une licence à la société Virtual Building, ne fournit pas ce taux ; que le taux de redevances est généralement compris entre 25% et 33% de la marge brute que le licencié est en mesure d’obtenir, soit en l’espèce un taux inférieur à 4% et donc de 8% s’il est multiplié par deux ; que ce taux de redevance doit être appliqué à la part contributive réelle de l’invention.

Sur ce,

L’article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon ;

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, dont l’article L. 615-7 assure la transposition en droit français, vise à atteindre un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle, qui tient compte des spécificités de chaque cas et est basé sur un mode de calcul des dommages-intérêts tendant à rencontrer ces spécificités (CJUE, 17 mars 2016, Liffers, C-99/15, point 24), dont le choix relève de la partie lésée.

Il est en outre acquis que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties (Cass. Com. 8 juin 2017 15-21.357).

La juridiction doit prendre en considération la demande d’indemnisation fondée sur l’un des critères d’évaluation prévu par l’article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle, dont le choix relève de la partie lésée (Cass. Com. 23 janvier 2019 17-14.673 et 16-28.322).

Le manque à gagner n’est cité qu’à titre d’exemple des conséquences économiques négatives prises en considération pour l’appréciation du préjudice réellement subi par la partie lésée. La perte de redevances peut être prise en compte sans basculer sur l’alternative reposant sur la réparation forfaitaire (Cass. Com. 6 décembre 2016 15-16.304).

En l’espèce, le procédé contrefaisant est mis en ‘uvre dans les programmes de la société Bien’ici comprenant l’option de visualisation interactive des lots par étage de sorte que cette dernière ne peut être suivie quand elle demande à ce que seuls les deux programmes ayant fait l’objet de la saisie contrefaçon soient pris en compte au titre de la masse contrefaisante, et ce d’autant que la société Bien’ici conteste les estimations de masse contrefaisante sans fournir ses chiffres de vente. A partir des déclarations de la société Habitéo sur son site internet relatives aux programmes vendus et à la progression de son chiffre d’affaires, il convient d’estimer à 2 000 le nombre de programmes vendus de 2012 à 2022. Compte tenu de la mise en avant de la prestation de la vue par étage dans les Pack Essentiel et le Pack Premium, mais en prenant également en compte le fait que cette solution n’est pas proposée dans le « pack light » et que la société Habitéo a aussi une activité de modélisation de projets tertiaire ou de projets individuels qui ne requièrent pas de vue par étage, l’estimation de 30% des programmes vendus comprenant le procédé contrefaisant sera retenue, soit une masse contrefaisante de 600 programmes.

La cour constate qu’il résulte des captures d’écran du site selogerneuf produites pour les années 2019 et 2021 par la société Bien’ici et non contredites par une autre pièce de la société Arka Ouest, que le marché de la promotion immobilière en 3 D est morcelé, comprenant plus d’une quinzaine d’acteurs, et que la société Habitéo dispose d’une part de marché selon les années de 25 à 12%, et la société Arka Ouest de 7 à 3.3 %. En prenant en compte ainsi le nombre élevé de concurrents sur le marché et le fait que la société Arka Ouest détient une part de marché représentant moins de 30% de celle de la société Bien’ici, il convient de retenir un taux de report de 25%. Le prix moyen de 8 000 euros, qui n’est pas contesté, sera retenu, pondéré à hauteur de 50 % au titre de la part contributive de l’invention, laquelle se déduit à la fois de la différence de prix entre le « Pack essentiel » qui comprend l’option « vue par étage », et le « Pack Light » qui ne la comprend pas, et de ce que d’autres prestations telles que la modélisation 3D sont également mises en avant auprès des acheteurs. Le taux de marge de 13% justifié et non utilement contredit par la société Bien’ici sera retenu.

Il s’ensuit que la perte de gain peut être évaluée à 78 000 euros selon le calcul suivant 600 x 25% x 8 000 x 50% x 13%.

La société Arka Ouest est fondée à solliciter, au titre du préjudice commercial résultant de la contrefaçon, les pertes de redevances sur les ventes, qui n’ont pas été reportées et qui n’ont donc pas été prises en compte au titre du gain manqué, et qui auraient dû faire l’objet d’une licence. Elle ne peut en revanche pas être suivie lorsqu’elle propose un taux de 7,5 % basé sur une étude de l’association LES, ce taux moyen entre un taux minimum affiché de 0,3% et un taux maximum de 40% étant peu significatif, outre qu’il concerne le secteur internet sans autre précision, et ce sur une période déjà ancienne de la fin des années 80 à l’année 2000, le secteur de l’internet s’étant beaucoup transformé depuis. L’usage d’un taux de 25% du profit attendu par le licencié, qui est invoqué par la société Bien’ici et qui est au demeurant rappelé dans l’article relatant l’étude susvisée de l’association LES « Use Of The 25 Per Cent Rule In Valuing IP », sera appliqué à partir d’une pondération de 50% de la part contributive de l’invention ainsi que du taux de marge affiché connu de 13 % et, sera doublé compte tenu du caractère indemnitaire de ce taux, de sorte qu’un taux de 8% sera retenu.

Il s’ensuit que la perte de redevance peut être évaluée à 144 000 euros selon le calcul suivant 600 x 75% x 50% x 8 000 x 8%.

La cour dispose ainsi des éléments lui permettant de fixer à 220 000 euros les dommages intérêts définitifs dus en réparation du préjudice commercial résultant de la contrefaçon, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande d’information complémentaire, et à la demande de renvoi, sollicitée par la société Arka Ouest.

Ces faits de contrefaçon, ayant donné lieu à une longue procédure, parsemée d’incidents et de propos très conflictuels dans les écritures, ont nécessairement causé un préjudice moral à la société Arka Ouest, qui sera réparé par l’allocation d’une somme de 10 000 euros.

Le préjudice étant ainsi totalement réparé, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande complémentaire d’une mesure de publication.

Sur les demandes reconventionnelles de la société HABITEO

Sur les man’uvres déloyales

La société Habitéo fait valoir que la société Arka Ouest lui a adressé des lettres de mise en demeure sans analyse technique et sans fournir les explications sur les éléments constitutifs de la contrefaçon alléguée ; qu’elles contiennent des affirmations dans le but de l’intimider avant des évènements importants dans le domaine de la promotion immobilière ; que cela est constitutif de concurrence déloyale et doit être réparé au moins à hauteur des frais d’avocat pour réponse à ces lettres soit 6 411,67 euros.

Ainsi que l’a jugé le tribunal par des motifs que la cour approuve, l’envoi, par le titulaire d’un brevet valide, de lettres de mise en demeure à une société exploitant une solution de présentation en 3D de programmes immobiliers, sans que le public soit informé des actes de contrefaçon dont il était demandé la cessation, ne peut s’analyser en une pratique commerciale déloyale et ne constitue qu’un moyen de défense légitime du monopole détenu grâce au brevet par le titulaire de ce dernier.

Sur la procédure abusive

La société Habitéo fait valoir que la société Arka Ouest a intenté cette action sur la base d’un brevet encourant la nullité ; qu’elle aurait dû prendre connaissance du code source du site Habitéo ou utiliser des outils d’inspection du web afin d’identifier l’absence de reproduction de son brevet

Sur ce,

La cour ayant reconnu la validité du brevet FR 076 et fait partiellement droit aux demandes en contrefaçon, la procédure ne peut être déclarée abusive.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la société Arka Ouest de ses demandes en contrefaçon, et l’a condamnée aux dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Juge que la société Bien’ici a contrefait les revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2971076 de la société Arka Ouest ;

En conséquence :

Fait interdiction à la société Bien’ici de mettre en ‘uvre, offrir, mettre dans le commerce, vendre, utiliser sur le territoire français, toute solution reproduisant les revendications 1, 3 et 5 à 8 du brevet FR 2 971 076, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Condamne la société Bien’ici à payer à la société Arka Ouest, en réparation du préjudice commercial et moral causé par la contrefaçon, une somme de 230 000 euros ;

Rejette les demandes de communication de documents et de publication ;

Condamne la société Bien’ici aux dépens de première instance et d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile la condamne à verser à ce titre, à la société Arka Ouest, la somme de 60 000 euros, qui comprendra les frais d’expertise amiable.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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