Savoir-faire : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Colmar RG n° 23/00272

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Savoir-faire : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Colmar RG n° 23/00272
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24 janvier 2024
Cour d’appel de Colmar
RG n°
23/00272

MINUTE N° 42/24

Copie exécutoire à

– Me Joëlle LITOU-WOLFF

– Me Valérie SPIESER

Le 24.01.2024

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 24 Janvier 2024

Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 23/00272 – N° Portalis DBVW-V-B7H-H7UZ

Décision déférée à la Cour : 06 Janvier 2023 par le Président du Tribunal judiciaire de COLMAR – Greffe des référés civils

APPELANTS :

Monsieur [J] [D]

[Adresse 4]

Madame [W] [G] épouse [D]

[Adresse 4]

Madame [I] [V]

[Adresse 3]

Monsieur [A] [U]

[Adresse 5]

Monsieur [K] [X]

[Adresse 2]

Madame [C] [N]

[Adresse 7]

Représentés par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me HARANT, avocat au barreau de REIMS

INTIMEE :

S.A.R.L.U. AEB FRANCE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

Représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me MANDEL, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 27 Novembre 2023, en audience publique, un rapport de l’affaire ayant été présenté à l’audience, devant la Cour composée de :

M. WALGENWITZ, Président de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme RHODE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

– signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS DE LA PROCEDURE :

La SARL AEB FRANCE est une société au capital social de 3 millions d’euros, dont le siège est à Sigolsheim, qui a une activité de recherches, mise au point et vente des intrants pour l’industrie agroalimentaire et des boissons, ainsi que la fourniture d’analyse et de conseils en vinification. Elle était cogérée par Monsieur [F] [S] et Monsieur [J] [D], ce dernier étant également salarié en qualité de directeur administratif et financier.

Par courrier du 27 avril 2021, la société a notifié à Monsieur [J] [D] son licenciement. Son employeur lui reprochait notamment des indélicatesses au niveau de la tenue des comptes et plus particulièrement de la valorisation des stocks et des résultats. Le 6 mai 2021, Monsieur [J] [D] démissionnait de ses fonctions de cogérant. Le 30 juillet 2021, son épouse [W] [D], qui était aussi salariée de cette société, la quittait par le biais d’une rupture conventionnelle.

Durant les deux premiers mois de l’année 2022, 4 salariés de la société, des oenologues, soit démissionnaient (Monsieur [K] [X] et Madame [C] [N] par courriers respectifs des 17 février 2022 et 25 février 2022), soit quittaient la société avec un CSP signé le 18 janvier 2022 par Monsieur [A] [U], et le 27 janvier 2022 par Madame [I] [Y].

Le 4 avril 2022, a été fondée la société SAS LABOE & CO, dont le capital social de 120 000 € est détenu par Madame [D], Monsieur [X], Monsieur [U], Madame [Y] et Madame [N]. Son objet social est la prise de participation dans des sociétés tierces. Elle est domiciliée à [Localité 10], au [Adresse 6].

Le 19 avril 2022, était immatriculée la SAS IOC ALSACE au capital social de 400 000 €, détenue à hauteur de 30 % (soit 120 000 euros de parts sociales) par la société LABOE & CO, le reste (280 000 € de parts sociales) l’étant par la société IOC. La société IOC Alsace dispose de son siège social à la même adresse que celle de la société LABOE & CO à [Localité 10].

La SAS IOC ALSACE a pour activité le conseil oenologique, les analyses oenologiques de toutes sortes, toutes opérations relatives à l’élaboration et à la mise en bouteille de vins et spiritueux et généralement de toutes boissons alcooliques ; le développement, la production et le négoce de tous produits oenologiques, ainsi que la fabrication et le négoce de tous produits et matériels de laboratoire et vinicoles.

La société AEB FRANCE estimant subir des actes de concurrence déloyale de la part de la société IOC ALSACE – qui compte comme second actionnaire la société INSTITUT OENOLOGIQUE DE CHAMPAGNE, filiale du groupe canadien LALLEMAND, qui est concurrente d’AEB FRANCE – a présenté le 14 juin 2022 une requête au président du tribunal judiciaire de Colmar, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, aux fins de voir désigner un huissier de justice, assisté éventuellement d’un expert, pour effectuer des saisies de document au sein des locaux de la société IOC Alsace, ainsi qu’aux domiciles de ses anciens salariés.

C’est dans ce contexte, que Madame la présidente du tribunal judiciaire de Colmar a rendu une ordonnance sur requête le 28 juin 2022, autorisant plusieurs huissiers de justice à se rendre aux domiciles respectifs des époux [D], de Mme [V], de M. [U], de M. [X] et de Mme [N], afin de permettre la remise de tout document, notamment courriers, contrats, bases de données, fichiers informatiques et autres notes mentionnant les termes ‘AEB, AEB FRANCE, LABO & Co, IOC Champagne, IOC Alsace, IOC, Lallemand, Domaine Schlumberger, Burghart-Spettel, Domaine [Localité 8], Monsieur [M] [B], EURL vins d’Alsace Mader, projets, contrat, contrats, propositions, CRM, Crm, crm, Business plan, Prévisions, Tarifs, Ruptures, Résiliation’.

Les associés de la SAS LABOE & CO se sont vus signifier ladite ordonnance le 26 juillet 2022, date à laquelle les opérations de saisie ont eu lieu.

Le 17 août 2022, Madame [V], Madame [D], Monsieur [U], Monsieur [X] et Madame [N] faisaient délivrer assignation à la société AEB FRANCE, d’avoir à comparaître devant Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de Colmar, pour notamment et principalement, obtenir rétractation de l’ordonnance rendue en raison de l’absence de preuve, par la société AEB FRANCE, du bien fondé de ses allégations.

Par une ordonnance de référé rendue le 6 janvier 2023, Mme la Présidente du Tribunal Judiciaire de Colmar a :

– Confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 28 juin 2022 (RG n° 22/0103).

– Rappelé que la présente décision est de droit exécutoire par provision.

– Condamné solidairement M. [J] [D], Mme [W] [D] née [G], Mme [I] [V], M. [A] [U], M. [K] [X] et Mme [C] [N] à payer à la société AEB FRANCE la somme de 750 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi que leur condamnation solidaire aux entiers frais et dépens de l’instance.

La Présidente a retenu que les anciens salariés d’AEB FRANCE ont créé la société IOC ALSACE, de manière concomitante, avec de nombreuses résiliations de contrats de prestations de services entre la société AEB FRANCE et ses clients, qui ont par la suite contracté avec la société IOC ALSACE, ce qui, selon la Présidente, suggère un acte de concurrence déloyale.

Le premier juge a considéré que la mesure destinée à examiner le contenu des ordinateurs, de leurs supports et matériels informatiques, a été circonscrite à la fois en son objet et dans le temps.

Enfin, en ce qui concerne M. [J] [D], lequel a fait l’objet d’un licenciement contesté qui fait l’objet d’une procédure aux prud’hommes, le premier juge a considéré qu’il ne saurait y avoir atteinte au secret de la correspondance entre lui et son avocat, puisque ces échanges sont couverts par le secret professionnel et ne pouvaient pas être appréhendés.

Par une déclaration faite au greffe en date du 12 janvier 2023, M. [J] [D], Mme [W] [G], épouse [D], Mme [I] [V], M. [A] [U], M. [K] [X], et Mme [C] [N], ont interjeté appel de cette ordonnance.

Par une déclaration faite au greffe en date du 20 mars 2023, l’EURL AEB FRANCE s’est constituée partie intimée dans la présente procédure.

L’affaire a été retenue à l’audience de plaidoirie du 27 novembre 2023.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Par leurs dernières conclusions en date du 17 novembre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, les associées de la société LABOE & CO demandent à la Cour de :

– DIRE l’appel bien fondé,

Y faisant droit,

– INFIRMER l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

– confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance du 28 juin 2022 RG 22/0103.

– condamné solidairement M. [D], Mme [D], Mme [V], M. [U], M. [X], Mme [N] aux dépens et à payer 750 euros au titre de l’article 700 du CPC.

Et statuant à nouveau :

Vu les articles 6, 9 et 16 du Code de Procédure Civile,

– ECARTER des débats la pièce adverse 13 dans la mesure où il s’agit de pièces obtenues dans des conditions ignorées des concluants, qui apparaissent l’avoir été dans des conditions déloyales.

Vu les articles 145, 496 et 497 du Code de Procédure Civile,

– RETRACTER l’ordonnance RG n° 22/0103 rendue par Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de Colmar le 28/06/2022 et disant que la société AEB FRANCE échoue à rapporter la preuve, dont la charge lui incombe, de l’existence d’un motif légitime et d’une raison de déroger au principe de la contradiction et dans la mesure où la mesure ordonnée porte une atteinte intolérable aux droits des concluants.

En conséquence :

– ENJOINDRE à la SCP Laurence RANOUX-ORSAT et Franck CHRISTOPHE, commissaires de justice associés, représentée par l’un de ses membres, de procéder dès la signification de l’arrêt à la destruction de tous les éléments saisis sur le fondement des ordonnances rendues par Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de Colmar, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification, cette destruction devant se faire en présence d’un huissier ou d’un clerc habilité de la SELARL STENGER DE NEUVILLE, commissaires de justice, lequel établira un procès-verbal venant constater la parfaite exécution de cette mesure,

– ENJOINDRE à la SELARL FIX-GROB, commissaires de justice associés, représentée par l’un quelconque de ses membres, de procéder dès la signification de l’arrêt à la destruction de tous les éléments saisis sur le fondement des ordonnances rendues par Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de Colmar, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification, cette destruction devant se faire en présence d’un huissier ou d’un clerc habilité de la SELARL STENGER DE NEUVILLE, commissaires de justice, lequel établira un procès-verbal venant constater la parfaite exécution de cette mesure.

– ENJOINDRE à Me [E] [R], commissaire de justice, de procéder dès la signification de l’arrêt à la destruction de tous les éléments saisis sur le fondement des ordonnances rendues par Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de Colmar, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, cette destruction devant se faire en présence d’un huissier ou d’un clerc habilité de la SELARL STENGER DE NEUVILLE, commissaires de justice, lequel établira un procès-verbal venant constater la parfaite exécution de cette mesure.

– ENJOINDRE à la SCP WEIBEL, commissaires de justice associés, représentée par l’un de ses membres, de procéder dès la signification de l’arrêt à la destruction de tous les éléments saisis sur le fondement des ordonnances rendues par Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de Colmar, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification, cette destruction devant se faire en présence d’un huissier d’un huissier ou d’un clerc habilité de la SELARL STENGER DE NEUVILLE, commissaires de justice, lequel établira un procès-verbal venant constater la parfaite exécution de cette mesure.

– INTERDIRE à la SARL AEB FRANCE et à toute personne d’utiliser l’un quelconque des éléments saisis par les huissiers de justice mentionnés pour exécuter les ordonnances rendues le 28/06/202, et ce sous peine de devoir régler une somme de 100.000 euros par infraction constatée à cette interdiction, et ce indépendamment de la possibilité pour les concluants de pouvoir poursuivre l’indemnisation de tout préjudice subi

En tout état de cause,

– ORDONNER que les huissiers ayant instrumenté les saisies devront convoquer les parties et leurs conseils aux fins d’assister aux opérations de vérification des éléments saisis, et que toute restitution des éléments saisis ne pourra intervenir que sous réserve de la formation d’un recours en cas de contestation sur le bien fondé des éléments saisis.

– REJETER les fins de non-recevoir alléguées par la société AEB FRANCE liées à de prétendues demandes nouvelles qui auraient été formées par les concluants à hauteur de Cour dans la mesure où la demande formée à titre subsidiaire vise au même but que les demandes présentées en première instance et n’en est que l’accessoire et le complément.

Au titre de l’article 700 du Code de procédure civile :

– CONDAMNER la SARL AEB FRANCE à régler à M. [J] [D] la somme de 5.000 euros.

– CONDAMNER la SARL AEB FRANCE à régler à Mme [W] [D] la somme de 5.000 euros.

– CONDAMNER la SARL AEB FRANCE à régler à Mme [I] [V] la somme de 5.000 euros.

– CONDAMNER la SARL AEB FRANCE à régler à M. [A] [U] la somme de 5.000 euros.

– CONDAMNER la SARL AEB FRANCE à régler à M. [K] [X] la somme de 5.000 euros.

– CONDAMNER la SARL AEB FRANCE à régler à Mme [C] [N] la somme de 5.000 euros.

– CONDAMNER la SARL AEB FRANCE aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel.

– DEBOUTER la SARL AEB FRANCE de toutes conclusions contraires et de l’intégralité de ses fins, moyens, demandes et prétentions.

Les parties appelantes soutiennent :

– l’absence de démonstration par la société AEB FRANCE du bien fondé de ses allégations et demandent la rétractation de l’ordonnance portant le numéro RG 22/0103 rendue le 28 juin 2022, en ce que de simples soupçons d’actes de concurrence ne suffiraient pas à justifier une telle ordonnance,

– qu’il ne peut y avoir d’actes de concurrence déloyale en l’espèce, en raison de l’absence de clauses de non-concurrence opposables aux anciens salariés de la société AEB FRANCE,

– qu’attirer la clientèle d’un concurrent ne serait pas fautif en soi, il s’agit de la liberté de la concurrence,

– qu’il n’est pas démontré la preuve de dénigrement, de prix abusivement bas pour attirer la clientèle, de pratiques destinées à capter de manière déloyale la clientèle,

– en ce qui concerne les résiliations effectuées par les clients de la société AEB FRANCE, qu’elles auraient déjà eu lieu avant la création de la société IOC ALSACE, et qu’en tout état de cause, rien ne démontrerait qu’il y ait un lien entre des manoeuvres déloyales alléguées et les résiliations desdits clients et la signature de nouveaux contrats auprès de la société IOC ALSACE,

– concernant la prétendue tentative de débauchage qui aurait été effectuée par M. [K] [X] à l’égard de Mme [Z], salariée de la société AEB FRANCE, que le mail en question, comportant le bulletin d’adhésion à la mutuelle choisie par la société IOC, ne constituerait pas une tentative de débauchage. Ce mail ayant été envoyé sur la boîte mail personnelle de Mme [Z], il aurait été obtenu illégalement et en fraude des considérations de loyauté de la preuve et devrait être écarté des débats,

– que la mesure d’instruction qui a été sollicitée serait contraire au respect de la vie privée et attentatoire au secret des affaires, et ferait entrer la société AEB FRANCE en possession de tous les échanges entre M. [J] [D] et son conseil, violant ainsi la nécessaire confidentialité des échanges entre un client et son avocat

– que la mission confiée aux experts par l’ordonnance rendue le 28 juin 2022 aurait un périmètre d’investigation trop large quant aux termes retenus pour la recherche, qui ont été repris d’après la requête déposée par la société AEB FRANCE : la généralité des termes de la requête, contenant notamment le terme ‘contrat’, permettrait à la société AEB FRANCE d’avoir accès à tous les contrats liant les concluants à leurs banques, à leurs assurances, à leurs organismes de placement de fonds et à leurs crédits,

– que si leurs demandes n’étaient pas accueillies, il conviendrait d’ordonner les modalités de restitution des éléments saisis. L’ordonnance rendue ne prévoit rien concernant les conditions de restitution de toutes les informations saisies, indiquant simplement qu’en cas de défaut de saisine de la juridiction dans le délai d’un mois suivant la signification, toutes les informations seront transmises par l’huissier à la société AEB FRANCE,

– qu’enfin, même si l’ordonnance ayant autorisé la saisie n’était pas rétractée, il conviendrait de prévoir que les huissiers ayant instrumenté les saisies devraient convoquer les parties et leurs conseils aux fins d’assister aux opérations de vérification des éléments saisis, et que toute restitution des éléments saisis ne pourrait intervenir que sous réserve de la formation d’un recours en cas de contestation sur le bien fondé des éléments saisis.

Par ses dernières conclusions en date du 23 novembre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles a été joint le bordereau de communication de pièces récapitulatif qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, en précisant que sa pièce 13 a fait l’objet d’une contestation, l’EURL AEB FRANCE demande à la Cour de :

– DECLARER Madame [I] [V], Madame [W] [D], Monsieur [A] [U], Monsieur [K] [X], Madame [C] [N], Monsieur [J] [D] mal fondés en leur appel.

– Le rejeter.

– CONFIRMER l’ordonnance entreprise

– DECLARER irrecevable comme demande nouvelle la demande visant à ordonner que l’huissier ayant instrumenté la saisie devra convoquer les parties et leurs conseils aux fins d’assister aux opérations de vérification des éléments saisis et que toute restitution des éléments saisis ne pourra intervenir que sous réserve de la formation d’un recours de contestation sur le bien-fondé des éléments saisis.

– DEBOUTER Madame [I] [V], Madame [W] [D], Monsieur [A] [U], Monsieur [K] [X], Madame [C] [N], Monsieur [J] [D] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

– Les condamner solidairement aux entiers dépens des deux instances et à payer à AEB FRANCE la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du CPC.

Sur la preuve des actes de concurrence déloyale, la société AEB FRANCE met en avant plusieurs faits :

– la constitution d’une société concurrente par d’anciens salariés à la suite de leurs départs (licenciement ou démission) de la société AEB FRANCE,

– une tentative de débauchage du personnel de la société AEB FRANCE par ses anciens salariés, plus précisément par M. [K] [X]. A cet égard, la société AEB FRANCE explique avoir eu accès au mail concerné car il a été envoyé via la boîte AEB FRANCE de M. [K] [X],

– un démarchage systématique de la clientèle de la société AEB FRANCE par ses anciens salariés ; l’argument selon lequel il n’est pas prouvé que lesdits clients soient partis pour rejoindre la société IOC ALSACE n’est pas opérant, car selon une jurisprudence établie, la société AEB FRANCE n’aurait pas à apporter cette preuve au soutien de sa demande au titre de l’article 145 du CPC,

– M. [K] [X] serait parvenu à vendre des levures au nom d’IOC ALSACE à MATHIS PROST qui, jusqu’à présent, s’approvisionnait auprès de la société AEB FRANCE. M. [K] [X] aurait profité de sa connaissance des prix de la société AEB FRANCE sur ce secteur pour proposer un prix avantageux au nom de la société IOC ALSACE alors qu’il travaillait encore pour la société AEB FRANCE,

– M. [J] [D], qui ne peut argumenter du fait qu’il ne participerait pas au capital de LABOE & CO, ni à celui de la société IOC Alsace ou à celui de la société IOC Champagne pour être exonéré de toute responsabilité, alors qu’il est présenté comme membre actif de la société IOC ALSACE.

Sur l’issue d’une éventuelle procédure au fond, la société AEB FRANCE indique que l’argument de l’absence de clause de non-concurrence dans les contrats des anciens salariés n’aurait aucune importance et que ces derniers reconnaîtraient explicitement, dans leurs conclusions, avoir démarché des clients d’AEB FRANCE. A cet égard, la société AEB FRANCE fait valoir que les anciens salariés auraient usé de fichiers clients et d’informations confidentielles sur la nature des contrats d’approvisionnement desdits clients, pour les démarcher, ce qui relèverait de l’utilisation d’informations protégées et serait constitutif d’agissements déloyaux.

A cela, la société AEB FRANCE ajoute que la démission des anciens salariés et notamment du co-gérant de la société AEB FRANCE, M. [J] [D], aurait été directement suivie de résiliations en nombre de clients d’AEB FRANCE, ce qui suffirait à démontrer les faits de concurrence déloyale selon elle et donc de solliciter des mesures d’instruction au titre de l’article 145 du Code de procédure civile.

Sur l’atteinte portée à la vie privée et au secret des affaires, la société AEB FRANCE fait valoir que la mesure serait circonscrite dans son objet puisque la liste des mots clés ayant servi à opérer un tri parmi l’ensemble des documents présents sous forme numérique ou papier aurait exclusivement trait à l’activité de concurrence déloyale dénoncée. La mesure serait également circonscrite dans le temps, entre le 18 décembre 2021 et le 26 juillet 2022, date de son exécution.

La société AEB FRANCE vient également ajouter que les appelants seraient mal fondés à se prévaloir d’une atteinte au secret des affaires, alors qu’ils n’exercent aucune activité commerciale à titre individuel et que seul M. [J] [D] invoque une atteinte à sa vie privée. A l’égard de ce dernier, à supposer que de tels échanges aient été appréhendés, la société AEB FRANCE fait valoir qu’elle n’aurait nullement le souhait de se voir communiquer des échanges couverts par le secret professionnel et sans lien avec la concurrence déloyale dénoncée.

Sur l’absence de justification de la nécessité de déroger au principe du contradictoire, la société AEB FRANCE fait valoir que la requête précise aussi bien l’objet de la mesure d’instruction, à savoir récupérer des pièces probantes susceptibles de disparaître (documents papiers et fichiers informatiques) et le contexte de concurrence déloyale qui ferait légitimement ‘craindre la dissimulation ou la destruction de preuves’. Ainsi, la société considère que, contrairement aux affirmations des appelants, la dérogation au principe du contradictoire serait parfaitement justifiée.

Quant au fait que les huissiers n’ont pas laissé de copies des informations et documents saisis lors de la mesure, la société AEB FRANCE fait valoir que rien n’obligerait légalement à laisser de telles copies et que cela relèverait de la nature même de la mesure de l’article 145 du Code de procédure civile.

Sur l’absence de mention dans l’ordonnance des conditions de restitution des informations saisies, la société AEB FRANCE considère cette demande comme étant inintelligible et s’interroge sur le fait qu’il ne saurait y avoir de restitution des éléments saisis, sauf à avoir préalablement contesté le bien fondé des éléments saisis. Si telle serait l’interprétation à donner à cette demande, il s’agirait à l’évidence d’une manoeuvre dilatoire visant à retarder encore la remise des pièces.

La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, de la procédure et de leurs prétentions, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE :

Par ordonnance sur requête en date du 28 juin 2022, Madame la Présidente du Tribunal judiciaire de Colmar a autorisé la SARL AEB FRANCE à désigner cinq commissaires de justice, pour se rendre aux domiciles de M. [J] [D], Mme [W] [G] [D], Mme [I] [T] [V], M. [A] [U], M. [K] [X] et Mme [C] [N] née [H] et prendre copie de divers documents.

Elle a également dit que la copie placée sous scellés devait être conservée par le commissaire de justice instrumentaire, qui en était désigné gardien et que si le juge n’était pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance, en application de l’article 497 du code de procédure civile, dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire serait levée et les pièces seraient transmises au requérant.

Saisi en rétractation par M. [J] [D], Mme [W] [G] [D], Mme [I] [T] [V], M. [A] [U], M. [K] [X] et Mme [C] [N] née [H], la Présidente du tribunal judiciaire de Colmar a, dans sa décision du 6 janvier 2023, confirmé l’ordonnance du 28 juin 2022 en toutes ses dispositions.

M. [J] [D], Mme [W] [G] [D], Mme [I] [V], M. [A] [U], M. [K] [X] et Mme [C] [N] ont interjeté appel de cette décision.

La Présidente du tribunal judiciaire de Colmar a refusé de rétracter l’ordonnance du 28 juin 2022 sur requête, au motif que la création de la société IOC Alsace le 19 avril 2022 – ayant pour actionnaire, d’une part l’Institut Oenologique de Champagne et d’autre part la société LABOE & Co, constituée elle-même le 25 mars 2022 par Madame [I] [V], Madame [D], Monsieur [A] [U], Monsieur [K] [X] et Madame [C] [N], tous cinq anciens salariés de la société AEB FRANCE l’ayant quitté courant 2021 et 2022 – était concomitante avec de multiples résiliations de contrats par des clients de l’EURL AEB FRANCE. Elle a considéré que la succession de ces événements, suivie du fait que ces clients allaient contracter avec la nouvelle société IOC Alsace, milite en faveur de la thèse de possibles actes de concurrence déloyale.

Le constat du premier juge portant sur ces faits (concomitance des dates ; départ des anciens salariés de l’EURL AEB FRANCE pour créer une structure sociale partie prenante dans une entreprise concurrente à l’EURL AEB FRANCE ; nombre important de départs de clients de l’EURL AEB FRANCE) ne souffre pas la contestation.

Il ressort en effet des pièces fournies, la chronologie suivante :

– Monsieur [D], gérant et directeur administratif et financier de la société AEB l’a quittée en mauvais termes en juin et juillet 2021 suite à son licenciement et sa démission des fonctions statutaires, suivi par son épouse qui a démissionné durant l’été 2021,

– au cours des mois de janvier et février 2022 les quatre oenologues salariés mis en cause dans la présente procédure ont quitté volontairement la société,

– dès le mois de février 2022, les anciens salariés ont nourri le projet de créer une société concurrente à AEB. En effet il ressort de l’annexe 25 produite par les appelants, à savoir un article paru dans le supplément ‘foire aux vins d’Alsace’ retraçant la genèse de la création de la société IOC Alsace, que son équipe constituée de Monsieur [U], Monsieur [X], Madame [Y], Monsieur [N] et les époux [D], ‘ont installé le laboratoire en deux mois, de février à avril, sur le site d’un show-room de fabricant de fenêtre’ à savoir au [Adresse 6] à [Localité 10],

– que les cinq anciens salariés (mais pas Monsieur [D]) sont titulaires des 120 000 € de capital social de la société, elle-même titulaire de 30 % des parts sociales de la société IOC Alsace, qui est directement concurrente d’AEB,

– que très rapidement après l’arrivée de la société IOC Alsace sur le marché de l’oenologie, plusieurs maisons viticoles alsaciennes ont adressé à la société AEB des lettres mettant fin aux relations contractuelles existantes. Les annexes produites démontrent que les résiliations ont été notifiées par courriers des 5 avril, 12 mai, 18 mai, 19 mai (trois courriers de trois sociétés différentes), 25 mai, 29 mai, 29 juin 2022.

Le raisonnement retenant que cette concomitance de ces événements pouvait effectivement démontrer l’existence d’agissements de concurrence déloyale, sera fait sien par la cour, et ce sans qu’il ne soit nécessaire de s’attarder sur l’épisode de ‘tentative de débauchage de personnel’ mis en avant par l’EURL AEB FRANCE.

Pour les mêmes motifs que ceux retenus par le premier juge, il n’y aura pas lieu d’écarter l’annexe 13 des débats, et ce d’autant plus que le mail dont il est fait état provient bel et bien d’une boîte mail professionnelle appartenant à la partie intimée.

Le fait que les cinq salariés en cause n’aient pas été soumis à des clauses de non-concurrence, n’est en soi pas de nature à rendre impossible tout acte de concurrence déloyale, l’ancien employeur pouvant et devant démontrer la réunion des conditions posées par l’article 1240 du code civil afférent à la responsabilité délictuelle.

Dans ces conditions, le premier juge a, à juste titre, estimé qu’il ressort de ces très nombreuses pièces, qu’il existe un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile.

Le juge saisi d’une demande sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne pouvait statuer favorablement sur requête que s’il est justifié d’une nécessité de déroger au principe de la contradiction. Le respect du principe du contradictoire peut être écarté lorsque l’objet de la mesure est susceptible de disparaître, ou encore si le contexte laisse craindre une dissimulation ou une destruction de preuves.

Au cas d’espèce, les faits et le contexte rappelés plus haut démontrent que la société intimée et la société IOC Alsace (dans laquelle les appelants sont actionnaires par le biais de leur société LABOE &CIE) sont clairement en concurrence.

La connaissance, par les cinq appelants, de l’existence d’une éventuelle procédure à leur encontre par leur ancien employeur, sur un fondement de concurrence déloyale, était clairement de nature à pouvoir générer des réactions de leur part, pour faire disparaître les preuves susceptibles de démontrer un comportement déloyal des ex-salariés au détriment de leur ancien employeur, par l’appropriation d’informations confidentielles concernant son savoir-faire et surtout ses relations privilégiées avec ses clients et l’exploitation de ces données dans le cadre de la nouvelle société concurrente.

Le risque de destruction de ces preuves de démarchage, d’appropriation d’informations, était donc bien réel.

Les appelants ne peuvent se targuer davantage d’une atteinte disproportionnée à leur vie privée et au secret des affaires, alors que la mesure ordonnée était circonscrite dans son objet, avec une liste des mots-clés ayant servi à opérer un tri parmi l’ensemble des documents présents sous forme numérique ou papier, mots qui devront être exploités en lien avec une activité éventuelle de concurrence déloyale. La mesure est en outre également circonscrite dans le temps, entre le 18 décembre 2021 et le 26 juillet 2022, date de son exécution.

Contrairement à ce qui allégué, il n’est pas davantage avéré que les mots clefs étaient trop généraux. Le premier juge a limité leur périmètre en reprenant les dénominations des sociétés mises en cause (‘IOC champagne, IOC Alsace, IOC, Lallemand’), les noms des sociétés qui ont résilié les contrats (‘domaine Schlumberger, domaine [Localité 9]’), et des termes de nature à permettre de préciser les recherches et sélectionner les documents utiles (‘business plan, prévisions, tarifs, ruptures, résiliations, projets, contrats, propositions, CRM’).

La mesure ordonnée par la Présidente du tribunal judiciaire de Colmar étant circonscrite dans son objet – avec l’imposition d’une liste de mots-clés pour réaliser un tri parmi l’ensemble des documents numériques ou papier – et dans le temps (entre le 18 décembre 2021 et le 26 juillet 2022) il n’est pas démontré l’existence d’une atteinte disproportionnée à la vie privée des appelants.

Il est à noter enfin que les mots-clés retenus ne sont pas de nature à mettre en exergue d’éventuels documents échangés par Monsieur [D] avec son avocat, au sujet de la procédure prud’homale l’opposant à la partie intimée.

Enfin, les appelants ne peuvent se plaindre du non-respect du principe du contradictoire, alors que celui-ci est absent de l’économie de la procédure sur requête, tout du moins avant que la Présidente du Tribunal judiciaire de Colmar ne soit appelée à connaître du litige pour confirmer ou non l’ordonnance initiale.

Le reproche fait aux huissiers instrumentaires – de ne pas avoir laissé des copies des pièces produites à l’appui de la requête – est aussi infondé, en ce sens que ni l’article 495 du code de procédure civile ni la jurisprudence ne lui en font l’obligation.

La même remarque doit être réservée aux développements des parties appelantes, portant sur l’absence de mention dans les ordonnances des conditions de restitution des informations saisies.

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer dans toutes ses dispositions la décision de la Présidente du tribunal judiciaire de Colmar qui a refusé de rétracter l’ordonnance du 28 juin 2022.

La décision déférée étant confirmée en ses dispositions principales, elle le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens engagés par les parties à l’occasion de la première instance.

Pour les mêmes motifs, les demandes de M. [J] [D], Mme [W] [G], épouse [D], Mme [I] [V], M. [A] [U], M. [K] [X], et Mme [C] [N] étant rejetées en totalité, les appelants assumeront la totalité des dépens de l’appel, ainsi que les frais exclus des dépens qu’ils ont engagés en appel.

Leur demande présentée à ce titre, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sera donc rejetée. En revanche, ils devront verser, solidairement, à la SARL AEB FRANCE la somme de 2 500 euros au même titre et sur le même fondement.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue le 6 janvier 2023 par la Présidente du tribunal judiciaire de Colmar,

Et y ajoutant,

Condamne M. [J] [D], Mme [W] [G], épouse [D], Mme [I] [V], M. [A] [U], M. [K] [X] et Mme [C] [N] aux dépens de la procédure d’appel,

Condamne solidairement M. [J] [D], Mme [W] [G], épouse [D], Mme [I] [V], M. [A] [U], M. [K] [X] et Mme [C] [N] à payer à la SARL AEB FRANCE une somme de 2 500 € (deux mille cinq cents euros) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de M. [J] [D], Mme [W] [G], épouse [D], Mme [I] [V], M. [A] [U], M. [K] [X] et Mme [C] [N], en vue d’obtenir une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière : le Président :

 


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