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22 novembre 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/03862
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 NOVEMBRE 2023
N° RG 21/03862
N° Portalis DBV3-V-B7F-U5M2
AFFAIRE :
[R] [K]
C/
S.A.S. COMPAGNIE IBM FRANCE
Fédération FEDERATION DE LA METALLURGIE CFE-CGC représentée par Monsieur [O] [M], Délégué Syndical Central
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 novembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation de départage de NANTERRE
N° Section : I
N° RG : 17/03150
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Juliette GOLDMANN de la SELARL GOLDMANN
Me Joël GRANGÉ de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS
Me Valérie YON de la SCP GAZAGNE & YON
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [R] [K]
née le 02 juin 1959 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 10]
Représentant : Me Juliette GOLDMANN de la SELARL GOLDMANN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de MARSEILLE
APPELANTE
****************
S.A.S. COMPAGNIE IBM FRANCE
N° SIRET : 552 118 465
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentant : Me Joël GRANGÉ de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0461 substitué à l’audience par Me Romain GRANGÉ, avocat au barreau de PARIS
S.A.S.U. MANPOWERGROUP SOLUTIONS ENTERPRISE
N° SIRET : 821 560 133
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentant : Me Valérie YON de la SCP GAZAGNE & YON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C511
Représentant : Me Nuno de Alaya Boaventura du cabinet Steering Legal AARPI,Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
****************
FEDERATION DE LA METALLURGIE CFE-CGC représentée par Monsieur [O] [M], Délégué Syndical Central
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentant : Me Juliette GOLDMANN de la SELARL GOLDMANN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de MARSEILLE
SYNDICAT CFTC METALLURGIE DES HAUTS-DE-SEINE
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représentant : Me Juliette GOLDMANN de la SELARL GOLDMANN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIES INTERVENANTES
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 septembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,
Greffier lors du prononcé : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
****************
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [K] a été engagée par la société Compagnie IBM France, en qualité de secrétaire 3ème échelon, niveau 5, échelon 2, coefficient 335, par contrat de travail à durée déterminée, du 13 mars 1995 au 12 mars 1996.
Son contrat s’est poursuivi dans le cadre d’une relation de travail à durée indéterminée.
L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée exerçait les fonctions de secrétaire principale, coefficient 365, niveau 5 échelon 3, et était affectée, au sein d’IBM France, à l’activité « Global Administration ».
L’activité « Global administration » (ci-après GA), a été créée en 1986 pour fournir à des personnels d’IBM des services de secrétariat.
Le 24 avril 2015, la société IBM a signé avec quatre organisations syndicales un accord d’entreprise sur la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), de l’anticipation, des flux d’emplois et de l’employabilité des salariés.
Le 7 avril 2016, la direction de la société IBM France a présenté un « Plan Prévisionnel Triennal 2015/2018 » annonçant un plan d’optimisation de la qualité et des coûts de gestion « en standardisant et optimisant des processus de supports au niveau mondial, capitalisant ainsi sur les meilleurs pratiques IBM, en regroupant des ressources administratives dans des centres d’excellence, opérant à un niveau européen ou mondial. ».
Le 13 avril 2016, la société IBM France et la société Manpower Group Solutions Enterprise (ci-après la société MGSE), une filiale de la société Manpower, ont signé une lettre d’intention résumant les grands principes de l’accord envisagé entre elles pour la mise en place d’un projet Gallium, consistant en la reprise, par la société MGSE, de l’activité support de service de secrétariat de la société IBM France au titre d’un contrat de prestation de service, cette activité GA comptant alors 102 personnes dont neuf cadres.
Puis, au cours d’une réunion du CCE, le 20 avril 2016, et devant le comité d’établissement, le 13 mai 2016, la direction a présenté le projet Gallium visant à céder l’intégralité de l’activité « Global Administration » de la société IBM France et à transférer les contrats de travail de 102 assistantes dédiées à cette activité, à effet au 1er octobre 2016, à la société MGSE.
Contestant la mise en ‘uvre des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail et soutenant que le transfert était une façon de contourner la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi, les élus du comité central d’entreprise, l’instance de coordination des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (l’IC-CHSCT) et quatre syndicats ont saisi, le 2 septembre 2016, le juge des référés aux fins d’obtenir la suspension du projet de cession, puis le juge du fond le 3 octobre 2016.
Par ordonnance de référé du 28 septembre 2016, le Président du tribunal de grande instance de Nanterre a fait droit à la demande de suspension du projet Gallium dans l’attente de la décision du juge du fond.
Par jugement du 3 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré le CCE de la société IBM France et le syndicat UNSA IBM irrecevables à agir pour faire défense à la société IBM France de transférer ou rompre les contrats de travail de l’ensemble des salariées concernées par le projet Gallium.
Le jugement ayant mis fin à la suspension, ordonnée en référé, du projet de transfert à la société MGSE, par convention du 25 janvier 2017, la société IBM France a engagé la mise en ‘uvre du transfert à effet au 1er mars 2017, en signant avec la société MGSE un contrat de service organisant l’externalisation de son activité de secrétariat pour une période minimale de quatre ans.
La société IBM a ensuite informé la salariée du transfert de son contrat de travail à compter du 1er mars 2017 vers la société MGSE dans le cadre d’un contrat de service d’externalisation des missions d’assistance et de secrétariat entre les deux sociétés, en application de l’article L.1224-1 du code du travail, et lui a indiqué qu’elle serait désormais soumise à la convention collective dite Syntec.
La société IBM a adressé les documents de fin de contrat à la requérante.
Le 22 septembre 2017, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre à l’encontre de la société IBM France aux fins de faire constater l’inapplicabilité de son transfert sur le fondement de l’article L.1224-1 du code du travail rendant la rupture abusive et entraînant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la nullité de son licenciement pour avoir été privée d’un PSE, l’inexécution fautive du contrat de travail pour absence de formation, d’adaptation.
Par conclusions reçues au greffe le 16 octobre 2019, la société MGSE s’est constituée intervenante volontaire à la procédure.
La fédération de la métallurgie CFE-CGC et le syndicat CFTC métallurgie des Hauts-de-Seine se sont également constitués intervenants volontaires à la procédure.
Le 19 décembre 2019, les sociétés IBM France et MGSE ont conclu un avenant au contrat de prestation, afin de prolonger de treize mois supplémentaires, du 1er juin 2021 au 30 juin 2022, le recours par la société IBM France aux prestations d’assistance de la société MGSE.
Par jugement du 25 novembre 2021, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section industrie), en sa formation de départage, a :
– ordonné le rabat de l’ordonnance de clôture du 16 octobre 2019 au jour de l’audience,
– ordonné la clôture des débats,
– dit que l’intervention volontaire de la société Manpower Group Solutions Enterprises est recevable,
– dit que l’intervention volontaire de la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC et du syndicat CFTC Métallurgie des Hauts-de-Seine est recevable,
– dit que le transfert du contrat de travail de Mme [K], le 1er mars 2017, au sein de la société Manpower Group Solutions Enterprises est régulier,
– débouté Mme [K] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC et le syndicat CFTC Métallurgie des Hauts-de-Seine de l’ensemble de leurs demandes,
– rejeté les demandes de la société IBM France et de la société Manpower Group Solutions Enterprise au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– laissé les dépens à la charge de Mme [K].
Par déclaration adressée au greffe le 27 décembre 2021, Mme [K] a interjeté appel de ce jugement.
Mme [K] est toujours salariée de la société MGSE.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 12 septembre 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [K] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions
statuer à nouveau,
– condamner la société IBM France au paiement des sommes suivantes :
à titre principal : sur la base du salaire moyen du K 365 : 3 552 euros,
. 21 312 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 2 131,20 euros à titre d’incidence congés payés sur indemnité précitée,
. 63 936 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
. 85 248 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse (24 mois),
. 21 312 euros à titre d’indemnités pour prêts de main d”uvre illicite,
. 2 131,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur indemnité pour travail dissimulé,
à titre subsidiaire : sur la base du salaire moyen de 3 071 euros,
. 18 426 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 1 842,60 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
. 55 278 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
. 73 704 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse (24 mois),
. 18 426 euros à titre d’indemnités pour prêts de main d”uvre illicite,
. 1 842,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur indemnité pour travail dissimulé,
– condamner conjointement et solidairement les sociétés IBM France et MGSE au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour collusion frauduleuse et fraude à l’article L 1224-1 du code du travail,
en tout état de cause,
– condamner la société IBM France au paiement des sommes suivantes :
. 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement et perte de chance de bénéficier des mesures du PSE,
. 6 000 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et d’adaptation,
. 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect des accords GPEC,
. 19 151,17 euros à titre de rappels de salaires sur 36 mois,
. 1 915,12 euros à titre de rappels de congés payés sur rappels de salaire,
. 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du principe travail égal/salaire égal,
. 5 000 euros au titre des dommages-intérêts pour préjudice moral,
. 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
– condamner la société IBM aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Compagnie IBM France demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 25 novembre 2021,
en conséquence,
– débouter la salariée de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la salariée, la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC et le Syndicat CFTC Métallurgie des Hauts-de-Seine aux entiers dépens,
– condamner la salariée à verser à IBM France la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC et le Syndicat CFTC Métallurgie des Hauts-de-Seine à verser chacun à IBM France la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Manpower Group Solutions Enterprise demande à la cour de :
à titre principal,
– recevoir ManpowerGroup Solutions Enterprise en son intervention volontaire,
– débouter Mme [K] de l’ensemble de ses prétentions, moyens et demandes,
– débouter la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC et le Syndicat SFTC Métallurgie des Hauts-de-Seine de l’ensemble de leurs prétentions, moyens et demandes,
– confirmer le jugement du Juge départiteur du conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que le transfert du contrat de travail de Mme [K], le 1er mars 2017, au sein de la société ManpowerGroup Solutions Enterprise est régulier,
– subsidiairement, et dans l’hypothèse où la cour viendrait à considérer que les dispositions de l’article L1224-1 du code du travail n’étaient pas réunies pour permettre le transfert automatique du contrat de travail de Mme [K], il est demandé à la cour d’appel de Versailles de se prononcer sur le sort du contrat de travail de Mme [K] chez MGSE,
si la cour venait à considérer que Mme [K] est, nonobstant la non-application de L.1224-1 du code du travail, salariée de MGSE,
– se prononcer sur la perte de l’ancienneté et de tous les avantages et droits liés au transfert automatique de son contrat de travail chez MGSE qui ne pouvaient résulter que de l’application de l’article L.1224-1 du code du travail,
– ordonner le remboursement à MGSE de la prime de transfert d’un montant de 8 262 euros, laquelle résultait uniquement du transfert automatique du contrat de travail de Mme [K] en application des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail,
en tout état de cause,
– condamner Mme [K] au paiement de la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC et le Syndicat SFTC Métallurgie des Hauts-de-Seine chacun au paiement de la somme de 1 500 euros à MGSE au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner Mme [K], la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC et le Syndicat SFTC Métallurgie des Hauts-de-Seine aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la fédération de la métallurgie CFE-CGC représentée par M. [O] [M], délégué syndical, et le syndicat CFTC métallurgie des Hauts-de-Seine demandent à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions
– confirmer la recevabilité de leur intervention volontaire,
statuer à nouveau,
– condamner la société IBM France à leur payer la somme de 15 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession,
– condamner la société IBM France à payer à chaque syndicat intervenant la somme de 2 500 euros chacun à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société IBM aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur l’intervention volontaire de la MGSE,
Dans le corps de ses écritures, la salariée sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a dit l’intervention volontaire de la MGSE recevable.
Cependant, la salariée opère une contradiction en sollicitant dans la discussion et le dispositif de ses conclusions, la condamnation de la MGSE au paiement de dommages-intérêts au titre d’une collusion frauduleuse et d’une fraude avec la société IBM France.
En tout état de cause, sa demande d’irrecevabilité de l’intervention volontaire ne figurant pas expressément dans le dispositif de ses conclusions, en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour n’en est pas saisie.
Sur le fond,
I ‘ SUR LA RUPTURE
La salariée fait valoir que la rupture du contrat de travail avec la société IBM France s’analyse en un licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse en raison de l’irrégularité du transfert de son contrat et de la fraude aux règles sur le licenciement économique, ce que contestent la société IBM France et la société MGSE.
1.1 Sur le transfert du contrat de travail
La salariée soutient que les conditions prévues à l’article L.1224-1 du code du travail emportant transfert du contrat de travail n’étaient pas réunies lors de la cession de l’activité GA de la société IBM France à la société MGSE.
Elle invoque l’absence d’entité économique autonome, avec un maintien d’identité et une absence de poursuite d’activité après la cession. Elle précise que l’activité d’assistante n’était pas ‘détachable’ des métiers d’IBM. Elle ajoute que cette entité ne dispose pas d’une réelle spécificité, n’a pas d’organisation propre, n’a pas d’autonomie budgétaire et financière en dehors d’IBM et ne réalise pas des « travaux spécifiques » indépendants de l’activité principale.
La société IBM France réplique que le transfert de l’activité GA a indiscutablement entraîné l’application de l’article L.1224-1 du code du travail dès lors qu’elle constituait une activité autonome au sein de l’entreprise, qu’elle disposait de moyens humains et matériels dédiés, d’un budget spécifique et poursuivait un objectif économique propre.
Elle indique également que l’activité GA a été reprise et poursuivie par la société MGSE en conservant son identité, les sociétés IBM France et MGSE étant engagées par une prestation de service d’une durée d’au moins quatre ans, ensuite prolongée, et qui a repris le modèle de fonctionnement de l’entité GA au sein d’IBM France.
La société MGSE explique qu’elle est une filiale de la société Manpower Group Solutions créée en 2016 pour les besoins de l’opération ‘ Gallium’ et dédiée au développement de l’activité « secrétariat et services supports administratifs » tout en ayant été auparavant sensibilisée par d’autres clients sur l’évolution de leurs besoins en matière de secrétariat.
Elle expose qu’anticipant les inquiétudes et interrogations que le projet pouvait entraîner, les société IBM France et MGSE se sont efforcées de construire une offre comportant toutes les garanties et incitations nécessaires pour obtenir l’adhésion des assistantes.
Elle soutient que les conditions d’application de l’article L.1224-1 étaient parfaitement réunies à l’occasion du projet Gallium, tant en ce qui concerne la nature de l’opération entre les deux sociétés ayant donné lieu au transfert, qu’en ce qui concerne l’existence d’une entité économique autonome, ou encore le maintien et la poursuite de l’activité.
***
L’article L. 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
Les dispositions de l’article L.1224-1, interprétées à la lumière de la directive n°2001/23/CE du 12 mars 2001, s’appliquent à tout transfert d’une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie.
Une entité économique est un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre. (Soc., 28 juin 2000, pourvoi n° 98-43.692).
Le transfert d’une entité économique autonome ne s’opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant.
Ainsi en est-il d’un service informatique de l’employeur, dont l’exploitation est confiée à une autre entreprise, et qui possède des moyens particuliers en personnel et en matériel, tend à des résultats spécifiques et a une finalité propre (cf. Soc., 23 janvier 2002, pourvoi n° 99-46.245).
Le paiement, par le cessionnaire, d’un prix d’acquisition de l’entité économique autonome cédée ne constitue pas une condition d’application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail.
Il est constant que la convention entre deux sociétés portant sur la cession d’un secteur de l’entreprise exploité par le cédant et excluant du transfert un salarié employé en partie au secteur cédé, ne peut faire échec aux dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail et reste sans effet. En conséquence, le salarié doit passer au service du cessionnaire pour la partie de l’activité qu’il consacrait au secteur cédé. (Soc., 22 juin 1993, pourvoi n°90-44.705, Bulletin 1993 V N° 171; puis Soc., 2 mai 2001, pourvoi n° 99-41.960, Bull. 2001, V, n°145).
Enfin, il résulte de l’article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que, lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d’activité non repris, le contrat de travail de ce salarié est transféré pour la partie de l’activité qu’il consacre au secteur cédé. (Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 18-24.881, publié).
Au cas présent, la salariée conteste l’existence d’une entité économique autonome avec un maintien de son identité et la poursuite de son activité.
. Sur l’absence d’entité économique autonome avec maintien de son identité
La salariée fait valoir que :
‘ l’expert-comptable du CCE a tout d’abord confirmé, que « Global Administration » ne constituait pas une entité économique autonome et que l’activité d’assistante n’était pas « détachable » des métiers d’IBM » (pièce n°2 de la salariée).
S’il ressort effectivement du rapport du cabinet Sacafi mandaté par le CCE que l’expert considère que l’activité de GA n’est pas à son sens détachable de l’activité globale d’IBM, la position de cet expert n’est pas argumentée et ne lie en tout état de cause pas la Cour.
En effet, les pièces du dossier démontrent que l’activité Global administration consiste exclusivement en la gestion des tâches de secrétariat et d’assistance pour les personnels d’encadrement de la société dont l’activité principale est la fourniture de services informatiques, l’activité Global administration étant totalement, dans sa gestion et son organisation, distincte, détachable et indépendante de l’ensemble des autres départements.
L’information complémentaire sur l’activité Global administration communiquée au CCE le 20 avril 2016 présente le projet Gallium et rappelle que l’activité Global administration a pour mission de fournir aux personnels d’IBM des services de secrétariat selon des modalités définies au niveau international et formalisées dans un contrat de prestation de service appelé Service Delivery Model (SDM), ce qui n’est pas contesté par la salariée.
Les activités de l’entité GA « sont essentiellement la gestion de l’agenda, l’organisation des déplacements, le traitement des notes de frais et dans certains cas le traitement partiel des mails » outre l’organisation de réunions internes et externes, l’émission des commandes d’achat, et plus généralement a pour objectif de « satisfaire au besoin de support administratif exprimé par le client » du SDM. (pièce n°2 IBM)
Il est également indiqué dans le document d’information complémentaire du 6 juin 2016 (pièce n° 8 IBM) sur l’activité Global administration que :
. l’objectif GA est d’assurer à ses clients internes, essentiellement des managers, un support de secrétariat de qualité conforme au Service Delivery Model,
. les objectifs notamment en qualité et niveau de service sont définis au niveau européen puis proposés au leader local pour les équipes françaises, les primes et les augmentations de salaire obéissent au même circuits de décision (prise de décision au niveau des GA),
. les objectifs sont sanctionnés par une évaluation annuelle faite par les managers GA,
. l’affectation des assistantes se décide entre managers GA et leur « remplacement est assuré par les assistantes de l’équipe GA, il n’est pas fait appel à du personnel extérieur ».
Tous ces processus ont été mis en place au sein de l’activité Global administration avant le transfert de la salariée.
Enfin, la société MGSE a réalisé une étude sur le marché des assistances en 2016, document interne de travail, qui justifie que l’activité de secrétariat et d’assistance existe sur le marché du recrutement en contrat à durée indéterminée et du travail temporaire, confirmant donc l’existence propre de cette activité. (pièce n° 27 de la société IBM France)
‘ ‘les activités d’une assistante sont indissociables de celles du manager de l’entreprise pour qui elles travaillent. Cette entité ne dispose pas d’une réelle spécificité, n’a pas d’organisation propre, n’a pas d’autonomie budgétaire et financière en dehors d’IBM, ne réalise pas des « travaux spécifiques » indépendants de l’activité principale. Peu importe qu’IBM dans une organisation interne ait attribué un « budget » à cette activité. IBM ne produit d’ailleurs aucune pièce justificative de l’autonomie de cette activité. Aucun moyen corporel ou incorporel n’a été transféré.»
Ceci est contredit par le fait que l’entité Global administration est gérée au niveau d’IBM Corporation et non de manière transversale par chaque entité fonctionnelle d’IBM France ou à laquelle l’assistante est rattachée. Il a été précédemment indiqué que les objectifs sont suivis par managers GA qui décident également de l’affectation des assistantes.
En effet, l’organigramme GA-IBM France prévoit que l’activité est pilotée par un manager général auquel rapportent trois managers distincts « First Line » dépendant de l’organisation GA, entité à laquelle l’ensemble du personnel est rattaché.
Selon, le document du 6 juin 2016, il existe un GA leader qui gère de façon autonome l’organisation en se coordonnant à un premier niveau avec l’organisation GA Europe, qui elle-même coordonne son activité avec l’entité GA Corporation comme suivant : « un call mensuel du Manager GA avec le contrôleur de gestion France, le Financial Analyst de GA Europe et la responsable Finance et Planning de GA Europe dont l’objectif est d’analyser pour la période considérée le budget, les réalisations, la ventilation des dépenses en grandes rubriques (masse salariale, coût de l’IT, autres coûts refacturés en fonction du nombre de heures complémentaires de l’entité GA) ».
L’activité GA possède sa propre hiérarchie et le « back up », en cas d’absence, est décidé par le management GA et réalisé par des salariés appartenant tous à l’entité GA. Les assistantes sont affectées à un manager client de la société IBM France sur décision du management GA.
C’est donc le management de l’entité GA qui gère l’affectation des assistantes et celles-ci sont sous son autorité hiérarchique directe.
Tout ce processus est confirmé par les courriels produits par la société IBM France dont il ressort qu’il existe un « manager Global Administration » qui communique avec le manager Global Administration Europe lequel adresse ensuite ses préconisations à des managers européens, dont la France, et ce en matière de définitions d’objectifs, d’organisation de rencontres avec toutes les assistantes Europe, de recensements de formation, d’évolutions salariales. Il en est de même pour les évaluations et les promotions des assistantes, les bilans professionnels avec les managers « client ». (pièces n° 30-31-38- 40 à 47-77-83 de la société IBM France)
Ainsi, il en résulte que si l’activité GA agissait selon des modalités définies au niveau international et se trouvait soumise à une hiérarchie propre dirigée par un cadre mondial, sous l’autorité duquel se trouvaient des responsables dans chaque zone géographique, le chef de service de l’activité GA France fixait les directives, veillait à la formation, assurait les évaluations avec les managers de l’entité qui lui étaient subordonnés, les affectations des secrétaires aux clients internes au sein de la SA IBM France étaient faites au sein de l’entité analysée.
Par ailleurs, contrairement aux allégations de la salariée, l’ensemble des salariés de l’entité GA y compris les managers ont été transférés au sein de la société MGSE.
S’agissant des moyens, l’entité GA Corporation, dispose d’un budget propre en équivalent « temps plein » et en dollars, ventilé par trimestre vers GA Europe, laquelle répartit ensuite ce budget entre les différents pays dont la France.
L’activité GA dispose également d’une comptabilité analytique propre (cf pièces n° 80-81 société IBM France) dédiée à l’activité « Global administration » avec un code « division » et un code par exemple pour la France, l’ensemble étant regroupé dans « un centralisateur comptable » dont la société IBM France fournit un extrait, une facturation étant ensuite effectuée pour les unités clientes de la société IBM France, bénéficiaires des services de Global administration. (pièce n°82 IBM)
Ainsi, l’exécution budgétaire de l’entité GA en 2016 a engendré des frais de fonctionnement à hauteur de 8,4 millions d’euros. (pièce n° 27 de la société IBM France)
A cet égard, la comptabilité de l’entité GA étant réalisée par des salariés de la société IBM France ne relevant pas de l’ activité GA, leurs contrats de travail ne devaient pas être transférés.
Aussi, l’absence de comptables ou responsables de budgets au sein de l’entité GA n’est pas de nature à remettre en cause l’existence d’une activité économique propre dès lors que l’entité GA gérait son budget en toute autonomie tel que cela ressort du document du 6 juin 2016.
Il existe enfin une base de données et une application de reporting spécialisée propre à l’activité « Global administration ».
Par ailleurs, les moyens corporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité GA ont bien été repris par la société MGSE.
La convention d’externalisation prévoit que les « équipements de la Global administration seront transférés par la société IBM France à la société MGSE » et les personnels « dotés des logiciels et données nécessaires aux prestations dans la mesure où lesdits équipements seront utilisés par les salariés transférés aux seules fins des prestations dont bénéficiera IBM seule. »
Ainsi, chaque assistante a été équipée d’un micro-ordinateur comprenant l’ensemble des applications et fonctions nécessaires à l’exercice de l’activité. (pièces n°8 – 68- 76 de la société IBM).
S’agissant de l’adresse mail, si les assistantes continuent de bénéficier d’une adresse mail ibm.fr, la société IBM France fait valoir à juste titre que ces adresses mail concernent uniquement les salariées qui travaillent pour le compte d’IBM tout comme les autres prestataires de cette dernière et qu’elles sont spécifiquement identifiées comme « contractor » dans l’outil IBM (pièce n°103 IBM), ce qui les distingue des salariés d’IBM.
Par ailleurs, la société IBM France relève à juste titre que ces salariées ont conservé une adresse ibm.fr pour pouvoir accéder de façon sécurisée au réseau intranet IBM et ainsi assurer leur prestation de travail pour leur client.
Enfin, en réplique aux conclusions d’IBM, la salariée ajoute que « Si l’activité Global Administration dispose comme le prétend IBM d’une organisation pyramidale au niveau mondial, le transfert de la seule activité française constitue donc un démembrement de cette activité. »
Toutefois, l’existence d’une organisation globale de GA au niveau mondial n’empêche pas qu’elle constitue une entité économique autonome au sein de la société IBM France ainsi qu’il a été précédemment retenu.
‘ ‘le métier d’assistante est totalement dépendant des activités d’IBM, celle-ci ne travaillant pour aucun autre client qu’IBM. (‘) La « clientèle » n’est pas transférable puisque IBM est le seul client (‘) C’est donc notamment la disparition et l’absence de transfert de clientèle qui fait échouer les critères d’applicabilité de l’article L. 1224-1 du Code du travail, dès lors que contrairement à ce qu’elle affirme, l’activité Global Administration n’est pas appelée à se poursuivre au sein de MANPOWER GROUP SOLUTIONS ENTREPRISE, puisque le contrat de prestation de services n’a qu’une durée de quatre ans avec une dégressivité dès la fin de la première année. »
Ceci ne ressort pas de la convention signée le 25 janvier 2017 qui prévoit notamment que la société MGSE « fournira à IBM des prestations de secrétariat non-exclusive», la société MGSE disposant de « l’agrément d’exploiter une activité d’assistance, conseil, étude, conception, formation et tout type de service administratif de secrétariat, commercial, comptable, de gestion du personnel, RH, et de secrétariat pour toutes organisations et entreprises ».
En outre, la société IBM France a renouvelé à plusieurs reprises le contrat de prestation de service avec la société MGSE qui en dernier lieu se poursuit jusqu’au 30 juin 2024 (pièces n°105 et 108 IBM).
Dès lors, les assistantes étaient réparties par la société IBM France sur plusieurs sites en France de manière pérenne et à temps complet pour répondre à un seul objectif, celui fixé par la GA et ce conformément au Service Delivery Model, avec un modèle économique propre et autonome.
L’activité a été poursuivie à l’identique par la société MGSE qui a conservé l’identité de l’activité GA en conservant les moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation, tous repris par la société MGSE.
Il est donc établi que le contrat de prestation de service conclu entre la société IBM France et la société MGSE ne consistait pas en une simple mission d’assistance technique par cette dernière mais en un transfert de l’entité économique autonome GA vers la société MGSE, à laquelle elle est a été cédée.
. Sur l’absence de poursuite de l’activité
La salariée invoque la décroissance constante de l’activité qui s’accompagne d’une diminution des effectifs.
Il n’est pas contesté que le projet d’externalisation de l’activité « Global administration » avait pour objectif une « dégressivité des prestations d’IBM » sur une période de quatre années et ce en raison de « l’automatisation des tâches administratives ».
Toutefois, il convient de relever que la salariée a conservé son emploi et que les départs des salariées transférées, soit 44 sur trois années, proviennent principalement de licenciements, de ruptures conventionnelles et de départs à la retraite, la moyenne d’âge des salariées transférées étant de 55 ans en 2020.
En outre, le développement du chiffre d’affaires représenté par les contrats conclus avec d’autres sociétés que la société IBM France n’est pas imputable à la société IBM France ou à la société MGSE et ces dernières ne se sont pas engagées à remplacer les départs des salariées transférées mais à maintenir leur emploi.
La société MGSE établit que ses prestations fin 2018 étaient réalisées à 30% pour le compte d’autres clients qu’IBM (pièce n°19 de MGSE).
A cet égard, les questionnaires relatifs aux compétences et qualités des salariées proposés le lendemain du transfert par la société MGSE avaient pour objet d’adapter les capacités des salariées aux futurs autres clients, tout comme les formations rémunérées dans le cadre de la cession, éléments qui n’avaient pas à faire l’objet d’une information-consultation des représentants du personnel de la société IBM France.
Par ailleurs, l’ouverture d’un centre de secrétariat à Budapest par la société IBM ne concerne pas la situation des salariées transférées, aucune assistante du centre hongrois ne travaillant pour IBM France.
En tout état de cause, le recrutement de salariés à Budapest ne saurait remettre en cause le savoir-faire spécifique des salariées françaises.
Enfin, si la salariée se prévaut de ce que de ce que « de nombreuses assistantes se sont retrouvées dès le lendemain du transfert avec une activité progressivement réduite et des journées entières sans aucun travail (Madame [L] ou Madame [X] restées sans activité »), elle ne démontre pas que cette situation était différente lorsqu’elles travaillaient chez IBM France, le transfert de leur contrat n’ayant donc pas d’incidence à ce titre.
Elle n’apporte enfin aucun élément démontrant que les ruptures conventionnelles étaient liées à une sous-activité de ces salariées.
En définitive, il n’est pas établi que la société IBM France a méconnu les dispositions de l’article L.1224-1 en procédant au transfert de ces salariées vers la société MGSE. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit régulier le transfert du contrat de travail de la salariée.
1.2 Sur la fraude aux règles du licenciement économique
La salariée soutient que la société IBM France avait annoncé dès 2016, pour la période « fin 2015 et fin 2018 », 13 réductions de postes d’assistantes / secrétaires et que l’opération de transfert irrégulier caractérise un détournement de droit du licenciement économique et de la procédure de licenciements collectifs. Elle ajoute que dès octobre 2017, plus de 15 assistantes avaient déjà quitté MGSE sans être remplacées et que la société IBM annonçait sa volonté « d’arrêter la totalité du support à la demande pour tous les managers band 9 ou 10 », qu’en janvier 2018, une nouvelle baisse de 16 salariés avait eu lieu, qu’en mars 2018, la direction a confirmé une diminution du volume de support secrétariat sur les équipes des secrétaires et qu’en 2022, les effectifs de MGSE sont tombés à 47 salariés.
La société IBM France objecte que la charge de la preuve pèse sur celui qui invoque la fraude et que la salariée tente de manière inopérante de faire valoir que le projet ‘ Gallium’ s’est inscrit dans un contexte de réduction des coûts et de suppression d’emplois. Elle ajoute que la simple circonstance qu’une procédure d’information et de consultation au titre d’un plan de sauvegarde de l’emploi visant à accompagner uniquement la réorganisation de la division GTS-IS menée parallèlement à la procédure de consultation sur le projet ‘ Gallium’ ne saurait présumer que le transfert s’inscrit dans un contexte de suppression d’emplois.
***
Aux termes de l’article L.1233-3 du contrat de travail dans sa version applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
L’appréciation de la fraude aux dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui, pour retenir l’existence d’une fraude doivent caractériser l’élément intentionnel.
Au cas présent, le transfert a eu pour objectif de permettre à l’activité « Global administration » de continuer à évoluer dans une autre structure alors que la société IBM France annonçait une diminution des besoins en postes d’assistantes de Global administration dans les années à venir.
Pour caractériser l’artifice adopté par la société IBM France, la salariée invoque une réduction des coûts et des emplois, ce qui est l’objectif affiché de la société IBM France en 2016, mais non celui de la société MGSE, la finalité du transfert étant précisément, et au contraire, la pérennisation de la structure «Global administration », ce qui a été le cas et qui est toujours d’actualité puisque la salariée indique d’ailleurs qu’en 2022, 47 postes sur 99 sont maintenus actuellement au sein de la société MGSE, dont le sien.
Le transfert a donc permis aux salariées de la société IBM France de conserver leur emploi pendant plusieurs années, quand bien même il n’est pas contesté, et comme indiqué précédemment, que des départs sont intervenus, sans que la salariée n’établisse qu’ils se sont inscrits dans un contexte de réduction des emplois par la société MGSE.
Le transfert a surtout évité le licenciement économique, éventuel, à court terme de 99 salariées qui ont finalement continué à bénéficier d’un emploi dans les mêmes conditions qu’auparavant.
C’est également à juste titre que les premiers juges ont considéré que l’entité économique autonome GA, transférée en mars 2017 au sein de la société MGSE, était une organisation viable qui a permis la poursuite de l’activité, ainsi que son extension, le contrat d’externalisation ayant prévu que les salariées transférées travaillent également pour le compte d’autres clients que la société IBM France.
En outre, l’activité transférée correspond aux activités exercées par la société MGSE, qui propose des activités d’accompagnement en matière de ressources humaines ou d’accompagnement des entreprises et d’externalisation des ressources, et dont la situation financière ne s’annonçait pas compromise et ne l’a d’ailleurs pas été.
La règle du maintien des emplois a ainsi été respectée, puis reconduite lors du renouvellement du contrat de prestation de service.
La salariée n’établit donc pas que l’externalisation de l’activité GA a eu pour objet la suppression d’emplois en contournant les règles du licenciement économique d’autant plus que, d’une part, l’activité GA ne rencontrait pas de difficultés économiques lors du transfert mais envisageait une réorganisation en prévision des évolutions professionnelles à venir et, d’autre part, que la société MGSE disposait de moyens suffisants pour maintenir l’activité transférée sur un marché de l’emploi porteur dans le domaine du recrutement de secrétaires.
Enfin, si la salariée se prévaut de l’absence de bénéfice à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en soutenant que la société IBM France a engagé de grands licenciements en même temps que l’opération d’externalisation de l’activité GA, elle ne produit aux débats qu’un projet de PSE présenté au CCE le 23 mars 2016, sans communiquer au dossier les éléments d’information sur l’issue donnée à ce projet.
En conséquence, la salariée n’établit aucune fraude au licenciement économique du fait du transfert, initiée par la société IBM France pour se défaire des emplois des salariées de l’entité GA.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté le moyen tiré de la fraude à la loi, invoquée par la salariée.
En synthèse, la salariée n’établit pas que le transfert de son contrat de travail est irrégulier et qu’il a contrevenu aux règles du licenciement économique de sorte qu’elle sera déboutée de sa demande de requalification de la rupture de son contrat de travail avec IBM France en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.
Par voie de confirmation, il convient de débouter la salariée de toutes ses demandes au titre de la rupture pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ainsi que de sa demande d’indemnité subséquente.
II ‘ SUR LE PRET DE MAIN D”UVRE ILLICITE ET LE TRAVAIL DISSIMULE
2.1 Sur le prêt de main d”uvre illicite
La salariée soutient que le travail des salariées de la société MGSE pour le compte d’IBM France est en réalité un prêt de main d”uvre illicite dès lors que le contrat de prestation de service est irrégulier, ne portant que sur la prestation de travail des assistantes et ne comportant aucune stipulation relative au coût de ladite prestation, au nombre d’heures et au nombre de salariés concernés.
Elle ajoute que le prêt de main d”uvre illicite est d’autant plus caractérisé que la société MGSE n’a pas d’autre activité que celle destinée à IBM France et que l’organisation du travail des salariées est contrôlée par IBM France : temps de travail, congés, encadrement, intégration au programme de travail d’IBM France sans distinction avec son personnel, adresse email professionnelle ibm.fr et absence de « savoir-faire spécifique ».
Les sociétés IBM France et MGSE répliquent que le contrat de prestation de service est licite et conteste l’encadrement de la prestation de travail des salariées par IBM France.
Les articles L.8241-1 et L. 8241-2 du code du travail, dans leurs différentes versions applicables au litige, disposent que « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d”uvre est interdite. » et « Les opérations de prêt de main-d”uvre à but non lucratif sont autorisées (‘) ».
L’existence du but lucratif est caractérisée par l’avantage que le donneur d’ordre retire de la mise à disposition du salarié par l’entreprise prestataire en évitant d’employer lui-même les salariés, cela au détriment du salarié mis à disposition du donneur d’ordre, ce salarié subissant un préjudice notamment en terme de salaires et d’avantages sociaux.
Il ne peut y avoir opération de sous-traitance ou de prestation de service que lorsqu’est confié à une entreprise un travail précisément identifié et objectivement défini, faisant appel à une compétence spécifique qu’elle va réaliser en toute autonomie, avec son savoir-faire propre, son personnel, son encadrement et son matériel moyennant le versement d’un prix fixé forfaitairement.
Inversement, il y a prêt illicite de main d”uvre lorsque la convention a pour objet la fourniture de main d”uvre moyennant rémunération pour faire exécuter une tâche permanente de l’entreprise utilisatrice, sans transmission d’un savoir-faire ou mise en ‘uvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse.
Au cas présent, l’article 5.1 du contrat de prestation de service (pièce n°68 IBM) prévoit que :
« Les parties conviennent des conditions financières suivantes (les « Conditions financières ») pour l’Externalisation de l’Activité :
Prix des prestations (la « Redevance de Prestations ») : IBM s’engage à payer à MGSE une Redevance de Prestations calculée selon les modalités figurant à l’annexe 5.1 avec des Revenus garantis de 31 659 277 euros (trente et un million six cent cinquante-neuf mille deux cent soixante-dix-sept Euro) (les « Revenus garantis »), tout au long du contrat ; les versements desdits Revenus garantis auront lieu aux échéances suivantes :
Période 1 ‘ Du 1er mars 2017 au 30 novembre 2017 : 7 804 890 euros
Période 2 ‘ Du 1er décembre 2017 au 30 novembre 2018 : 9 019 405 euros
Période 3 ‘ Du 1er décembre 2018 au 30 novembre 2019 : 6 847 968 euros
Période 4 ‘ Du 1er décembre 2019 au 30 mai 2021 : 7 977 014 euros
(‘)
Les parties déclarent que les Conditions financières ont été calculées sur le fondement de la liste de 99 Salariés transférés à l’Annexe 1.1.4 correspondant à 92PTE (salariés à plein-temps).
Ainsi, contrairement aux affirmations de la salariée, le contrat de prestation de service comporte le coût de la prestation établi forfaitairement et le nombre de salariés concernés.
Par ailleurs, la prestation est identifiée comme ‘prestations de secrétariat’ à l’article 3.1 du contrat et définie précisément au sein de l’annexe 3.1 non discutée par la salariée (pièce n°24 MGSE).
Il n’est pas discuté que la prestation de travail était réalisée par les salariées transférées et intégrées au personnel de la société MGSE avec le matériel de la société MGSE.
Il a été précédemment expliqué que les salariées disposaient d’une adresse mail ibm.fr lorsqu’elles travaillaient pour le client IBM à des fins techniques.
En outre, la salariée n’apporte aucun élément démontrant un encadrement de leurs conditions de travail par la société IBM France et en tout état de cause, établissant l’existence d’une relation de travail avec le client excédant celle entre un prestataire de service et son client.
Enfin, il a été préalablement démontré que les salariées transférées au sein de la société MGSE disposaient d’un savoir-faire spécifique.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le contrat de prestation de service est licite et aucun prêt de main d’oeuvre illicite n’est établi.
Ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la salariée.
2.2 Sur le travail dissimulé
Aucun prêt de main d’oeuvre illicite n’étant démontré et la salariée n’invoquant aucun autre moyen de fait et de droit au soutien de sa prétention, par voie de confirmation du jugement, sa demande sera rejetée.
III ‘ SUR LA COLLUSION FRAUDULEUSE
La salariée soutient que les deux sociétés ont participé à une collusion frauduleuse en contournant sciemment et utilisant frauduleusement les dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail.
Au regard des développements qui précédent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
IV ‘ SUR L’OBLIGATION DE FORMATION ET D’ADAPTATION
La salariée indique que l’employeur ne lui a dispensé que très peu de formations et non adaptées de sorte qu’il a manqué à son obligation d’assurer sa formation et son adaptation à son poste de travail.
La société IBM France objecte qu’elle a parfaitement respecté son obligation d’assurer l’adaptation des salariées à leur poste de travail, en mettant en place des programmes de formation dédiés aux métiers du secrétariat.
Aux termes de l’article L.6321-1 du code du travail, l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Pendant des années, la salariée est demeurée chez IBM France qui justifie que le manager de la Global administration France a été sollicité pour effectuer en 2009 et 2010 le recensement des besoins en formations pour l’activité. Elle indique qu’il en était ainsi chaque année.
Il ressort également du listing individuel édité par la société IBM France que la salariée a bénéficié de 210,16 heures de formations diversifiées de 1995 à 2016, soit en moyenne 10 heures de formation par an, dont des formations en anglais et en développement personnel. (pièce n° 95 de la société IBM)
La salariée n’explique pas en quoi ces formations ne sont pas des formations adaptées.
Par ailleurs, la société IBM France a versé à la société MGSE lors du transfert de la salariée la somme de 3 000 500 euros pour la mise en ‘uvre d’un plan de formation (pièce n°68 IBM).
Cette circonstance a pour effet que la société IBM France a favorisé l’employabilité de la salariée en lui offrant la possibilité de se former sur de nouveaux outils.
Ces éléments établissent que la salariée a toujours bénéficié régulièrement d’une formation professionnelle pendant toute la durée de la relation contractuelle.
Si cette formation n’a pas été adaptée aux besoins de la salariée, cette dernière n’établit pas davantage qu’elle en a subi un préjudice.
En effet, en organisant la cession, la société MGSE a reconnu la compétence professionnelle des salariées de la Global administration et, comme déjà relevé à plusieurs reprises, la salariée a conservé son emploi au même poste après son transfert de sorte que son employabilité n’est plus à démontrer, étant également rappelé que les anciennes salariées d’IBM ont été amenées à travailler pour d’autres nouveaux clients, disposant ainsi des compétences pour ce faire.
En outre, l’inquiétude partagée sur l’utilisation de logiciels et outils de bureautique ‘plus communs’ et relevée par le cabinet Secafi lors de son diagnostic réalisé en avril 2016 au moment de l’annonce de la cession de l’activité GA, n’est pas concrétisée par des éléments précis et individualisés justifiant de cette situation d’inemployabilité invoquée, inquiétude en réalité non justifiée par la chronologie des faits, à savoir le maintien de l’emploi de la salariée et l’absence de toute difficulté relevée au titre des pratiques professionnelles de la salariée chez son nouvel l’employeur. (pièces n° 3 et 7 de la salariée).
La société IBM France a donc assuré l’adaptation de la salariée à son poste de travail et a veillé au maintien de sa capacité à occuper un emploi et le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de formation et d’adaptation de la salariée.
V ‘ SUR LA VIOLATION DE L’ACCORD GPEC
La salariée fait valoir que le tribunal de grande instance de Nanterre a reconnu le manquement de la société IBM France à ses obligations prévues dans l’accord GPEC et que le manquement de l’employeur a conduit au transfert du contrat de travail au sein de la société MGSE.
La société IBM France réplique qu’elle a parfaitement respecté l’accord GPEC.
Il ressort des pièces versées au débat que le tribunal de grande instance de Nanterre (jugement du 03 janvier 2017 – pièce 15 des salariées) puis la cour d’appel de Versailles (arrêt du 15 novembre 2018 – rejet du pourvoi formé contre cet arrêt par Soc., 04 novembre 2020 n° 19-10.626 ) ont retenu que la société IBM a manqué à son devoir de loyauté dans le cadre de la négociation collective en signant un accord de GPEC le 24 avril 2015 puis de présenter aux syndicats le projet ‘ Gallium’ portant transfert de l’activité ‘Global administration’.
Toutefois, la salariée a conservé son emploi et quand bien même la déloyauté de la société IBM France a été reconnue vis à vis des organisations syndicales, elle n’établit pas qu’elle a perdu une chance de voir sa situation améliorée en application de mesures de GPEC, de plus fort alors que la salariée a conservé les mêmes outils de travail, le même lieu et travaille principalement pour le même client, la société IBM France, et surtout, que son emploi au sein de la société cessionnaire n’a pas été supprimé.
Par ailleurs, l’accord de GEPC prévoit que les éléments chiffrés présentés constituent des prévisions de sorte que l’annonce de départ de 13 salariées de l’activité Global administration ne peut consister en un engagement unilatéral de l’employeur à maintenir exactement l’enveloppe d’emplois envisagée, même si le plan était révisé semestriellement.
Dès lors, la salariée ne démontre pas son préjudice résultant de la perte de son emploi au sein d’IBM.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de condamnation de la société IBM France à ce titre.
VI ‘ SUR LES RAPPELS DE SALAIRE ET DOMMAGES-INTERETS AU TITRE DU PRINCIPE « À TRAVAIL ÉGAL, SALAIRE ÉGAL »
La salariée fait valoir que les salariées d’IBM France transférées sont toutes des secrétaires qui exercent les mêmes fonctions mais disposent d’un coefficient et d’un salaire différent, ce qui n’est justifié par aucun élément objectif.
Elle précise en particulier qu’occupant le poste de secrétaire principale, coefficient 365, niveau 5 échelon 3, elle percevait un salaire inférieur à celui d’autres salariées occupant le même poste avec la même qualification d’emploi et le même coefficient.
L’employeur indique que les différences de rémunération constatées sont en réalité révélatrices des différences de fonctions, d’ancienneté, d’expérience, de qualités professionnelles des salariées. Il ajoute qu’il ne faut pas confondre égalité et égalitarisme.
***
La salariée invoque le principe « à travail égal, salaire égal ». Le fondement juridique de sa demande est par conséquent le principe d’égalité de traitement, qui impose à l’employeur de rémunérer de façon identique des salariés effectuant un même travail ou, à défaut, de devoir justifier toute différence de rémunération par des critères objectifs et pertinents.
S’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal salaire égal » de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence. (Soc. 28 septembre 2004, n° 03-41.825 et 03-41.829).
Au cas présent, la salariée verse au débat des bulletins de salaire de février 2017 anonymisés (pièces n°A8-1 à A8-2 de la salariée) dont les numéros de matricule permettent d’établir qu’il s’agit de deux salariées.
Ces bulletins de salaire comportent tous la qualification « secret prin 5.3 », le coefficient 365, le niveau 5 et l’échelon 3, éléments identiques à ceux présents sur le bulletin de salaire de la salariée.
Ces bulletins de salaire démontrent qu’en février 2017, ces salariées percevaient respectivement un salaire mensuel contractuel brut de 3 531 euros et 3 552 euros alors que la salariée percevait un salaire mensuel contractuel brut de 3 071 euros.
En revanche, elles percevaient toutes la même prime d’ancienneté de 273,25 euros.
Il ressort de ces bulletins de paie qu’à fonction et classification identiques, la salariée percevait donc un salaire mensuel contractuel brut inférieur à celui de deux de ses collègues de travail.
Ainsi, la salariée présente des éléments de fait laissant présumer l’existence d’une inégalité de traitement.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence.
Or, l’employeur se contente d’affirmer, en page 72 de ses écritures, que la situation de Mme [E], qui percevait le salaire mensuel contractuel brut de 3 552 euros sur lequel la salariée fonde ses demandes, était différente de celle de la salariée et justifiait que lui soit versée une rémunération supérieure à la sienne.
Ainsi, il fait état des qualités professionnelles de Mme [E], constatées dans son évaluation de 2003, de son investissement professionnel dans la formation d’une secrétaire débutante et de sa participation à deux évènements majeurs en 2004, de sa gestion de clients très exigeants en France et à l’international, de sa maîtrise de l’anglais et de l’espagnol et de ses très bonnes notes au sein de l’entreprise.
Toutefois, l’employeur n’apporte, dans le dossier de Mme [K], aucun élément justifiant des différences relatives aux qualités professionnelles respectives de Mme [E] et de la salariée, à leurs missions et à leurs compétences linguistiques.
Enfin, il ne produit également aucune pièce démontrant le bien-fondé de la différence de rémunération entre la salariée et les autres salariées dont l’intéressée produit les bulletins de salaire.
Il résulte de ces développements que la société IBM France ne rapporte pas la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence de rémunération.
Dès lors, l’inégalité de traitement entre la salariée et ses collègues de travail aux fonctions identiques est caractérisée.
La salariée justifie du calcul de sa demande de rappel de salaire à hauteur de 19 151,17 euros bruts, sur la période de mars 2014 à février 2017 (pièce A 7) et des congés payés afférents.
Dès lors, par voie d’infirmation du jugement, la société Compagnie IBM France sera condamnée à payer à la salariée la somme non discutée en son quantum de 19 151,17 euros bruts au titre du rappel de salaire pour la période de mars 2014 à février 2017 et la somme de 1 915,12 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le préjudice causé à la salariée par le non-respect du principe ‘travail égal-salaire égal’ est déjà réparé par le rappel de salaire précité, de sorte que la salariée, par voie de confirmation, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
VII – SUR L’EXECUTION DELOYALE DU CONTRAT DE TRAVAIL ET LES CONDITIONS VEXATOIRES DE LA RUPTURE
Au soutien de sa demande, la salariée se contente d’indiquer que « la déloyauté de la société s’évince suffisamment des éléments produits au dossier ».
Faute de précision sur les manquements de l’employeur et les préjudices en découlant et la salariée ne justifiant pas d’un préjudice distinct au titre du principe travail égal/ salaire égal, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
VIII ‘ SUR L’ATTEINTE A L’INTERET COLLECTIF DE LA PROFESSION
La fédération de la métallurgie CFE-CGC et le syndicat CFTC métallurgie des Hauts-de-Seine soutiennent que si la cour fait droit aux demandes des salariées, les syndicats défendant l’intérêt collectif de la profession sont en droit de considérer qu’un préjudice indirect leur a été causé par les agissements fautifs et les détournements commis par les sociétés IBM France et MGSE.
L’article L.2132-3 du Code du travail prévoit que « Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent».
L’action du syndicat, qui ne tend pas au paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées, mais à l’application du principe d’égalité de traitement, relève de la défense de l’intérêt collectif de la profession (Soc., 12 février 2013, pourvoi n° 11-27.689, Bull. 2013, V, n° 36).
En l’espèce, la cour a précédemment retenu l’existence d’un manquement de l’employeur au principe ‘travail égal/salaire égal’ à l’égard de la salariée, dont il résulte, au-delà de la situation individuelle de cette salariée, une atteinte à l’intérêt collectif de la profession, impactée par le non-respect, par l’employeur, des règles légales pourtant régulièrement rappelées par la jurisprudence nationale et européenne, et dont le caractère effectif implique que les organes représentatifs d’une profession puissent obtenir réparation de l’employeur qui y porte atteinte.
Il convient d’évaluer les dommages-intérêts en réparation de ce préjudice de chaque syndicat, dont la crédibilité et la capacité à défendre l’intérêt de ses adhérents sont atteintes par un tel manquement, à la somme de 3 000 euros chacun, au paiement de laquelle la société Compagnie IBM France sera condamnée.
Ainsi, le jugement sera infirmé de ce chef.
IX – SUR LA CAPITALISATION DES INTERETS
Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu’ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.
X ‘ SUR LES AUTRES DEMANDES
La salariée qui sollicite la condamnation conjointe et solidaire des sociétés IBM France et MGSE dans la partie ‘Discussion’ de ses conclusions n’a pas formé de demande de condamnation conjointe et solidaire dans le dispositif de sorte que la cour n’est pas saisie de cette demande.
Succombant, la société IBM France doit supporter la charge des dépens de première instance et d’appel et ne saurait bénéficier de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle sera condamnée à payer à la salariée la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel.
Elle sera également condamnée à payer à la fédération et au syndicat la somme de 500 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel.
La société MGSE sera déboutée de ses demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement entrepris seulement en ce qu’il déboute Mme [K] de sa demande de rappel de salaire sur 36 mois et des congés payés afférents, déboute la fédération de la métallurgie CFE-CGC et le syndicat CFTC métallurgie des Hauts-de-Seine de l’ensemble de leurs demandes et laisse les dépens à la charge de Mme [K],
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des seuls chefs de jugement infirmés, et y ajoutant,
CONDAMNE la société Compagnie IBM France à payer à Mme [K] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
. 19 151,17 euros bruts au titre du rappel de salaire pour la période de mars 2014 à février 2017,
. 1 915,12 euros bruts au titre des congés payés afférents,
DIT que les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu’ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,
CONDAMNE la société Compagnie IBM France à payer à la fédération de la métallurgie CFE-CGC et au syndicat CFTC métallurgie des Hauts-de-Seine la somme de 3 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts pour l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession,
DEBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société Compagnie IBM France à payer à Mme [K] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel,
CONDAMNE la société Compagnie IBM France à payer à la fédération de la métallurgie CFE-CGC et au syndicat CFTC métallurgie des Hauts-de-Seine la somme de 500 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel,
CONDAMNE la société Compagnie IBM France aux dépens de première instance et d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Angeline Szewczikowski, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président