Savoir-faire : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/05156

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Savoir-faire : 22 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/05156
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22 novembre 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
20/05156

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 22 NOVEMBRE 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 20/05156 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-L3AU

Monsieur [V] [C]

c/

Société STANLEY SECURITY FRANCE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 novembre 2020 (R.G. n°F 18/01164) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 21 décembre 2020,

APPELANT :

Monsieur [V] [C]

né le 25 Juin 1961 à [Localité 3] de nationalité Française Profession : Ingénieur commercial, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Pierre SANTI de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocat au barreau de PAU

INTIMÉE :

Société Stanley Security France devenue SAS Securitas Technology Services, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 789 36 7 1 74

représentée par Me MOURGUES de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 octobre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente, et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d’instruire l’affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [V] [C], né en 1961, a été engagé en qualité de voyageur représentant placier par la société CET devenue SAS Stanley Security France, aujourd’hui dénommée Securitas Technology Services par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 novembre 1996.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.

À compter du 1er février 2013, le salarié a été promu au poste d’ingénieur commercial.

La durée du travail de M. [C] était soumise à une convention de forfait annuelle de 216 jours de travail.

Par lettre datée du 23 octobre 2017, M. [C] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 novembre suivant, en vue d’un éventuel licenciement .

Il a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse en raison de l’insuffisance de ses résultats par lettre datée du 4 décembre 2017.

A la date du licenciement, le salarié avait une ancienneté de 21 ans, et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

M. [C] a été dispensé de l’exécution de son préavis avant de contester son licenciement le 30 mai 2018.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, dont une pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de protection de la santé, de la durée maximale du travail et pour non-respect des règles relatives au repos, ainsi que des rappels de salaires pour heures supplémentaires et contrepartie en repos obligatoire, M. [C] a saisi le 20 juillet 2018 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 20 novembre 2020, a :

– jugé que le licenciement de M. [C] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

– condamné en conséquence la société Stanley Security France à lui verser la somme de 58.000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamné la société à rembourser à Pôle Emploi dans la limite de trois mois des allocations versées à M. [C],

– condamné la société à lui verser la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus der leurs demandes,

– condamné la société aux dépens et éventuels frais d’exécution.

Par déclaration du 21 décembre 2020, M. [C] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er septembre 2023, M. [C] demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf pour le quantum de dommages-intérêts, prononcé la nullité de la convention de forfait-jours et alloué au salarié une indemnité au titre des frais irrépétibles de première instance,

– l’infirmer pour le surplus,

– débouter l’intimée de son appel incident et de toutes ses demandes,

– prononcer l’irrecevabilité et la prescription ou, subsidiairement, rejeter les demandes nouvelles suivantes formées par l’intimée par conclusions numéro 3 notifiées le 30 août 2023 ‘ quelques jours avant la clôture demandant de :

* condamner M. [C] au paiement de la somme de 7.345,13 euros au

titre des jours de repos afférents à la convention de forfait annuel en jours qui

serait déclarée inopposable,

* le condamner au paiement de la somme de 734,51 euros au titre des congés

payés afférents aux jours de repos liés à la convention de forfait annuel en

jours qui serait déclarée inopposable,

– fixer la rémunération annuelle brute moyenne à 73.381,84 euros, soit 6.115,15 euros mensuels bruts (pièce 32),

– requalifier le licenciement pour une prétendue insuffisance de résultat en licenciement disciplinaire,

– prononcer la nullité des stipulations de l’accord collectif du 24 juillet 2014 relatif au forfait,

– prononcer également la nullité de la convention individuelle de forfait-jours prise sur la base d’un accord collectif lui-même nul, ou, subsidiairement, son inopposabilité, l’intimée ne prouvant pas avoir assuré le suivi effectif et régulier de la charge de travail (absence de documents de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées, pas d’entretiens concernant l’organisation et la charge de travail et de dispositif d’alerte de la hiérarchie en cas de difficulté relative à la durée du travail),

– faire droit à la demande relative aux heures supplémentaires, le salarié, qui ne supporte pas la charge de la preuve et n’a pas à étayer sa demande présentant des éléments factuels et des pièces, revêtant un minimum de précision, alors que l’employeur est défaillant dans l’administration du mécanisme probatoire propre aux heures supplémentaires en l’absence de contrôle du temps de travail, en violation des articles 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail,

– faire également droit à la demande relative travail dissimulé, l’employeur occultant intentionnellement la durée réelle de travail, en méconnaissance du droit à la déconnexion et au repos,

– rejeter la demande d’irrecevabilité concernant la demande au titre du manquement aux obligations de protection de la santé, des durées maximales du travail et minimales de repos,

– condamner en conséquence l’intimée à payer :

* 175.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et

sérieuse en écartant le barème sur le fondement des articles 30 de la Charte

des droit fondamentaux de l’Union européenne et 24 de la charte sociale

européenne, ou subsidiairement 97.842,40 euros sur le fondement de l’article

L.1235-3 du code du travail,

* 49.137,76 euros de rappel d’heures supplémentaires, outre 4.913,77 euros

de congés payés afférents sur le fondement des articles 31 de la Charte des

droits fondamentaux de l’Union européenne, L. 3171-2, L. 3171-3, et L. 3171-4

du code du travail, interprétés à la lumière la jurisprudence de la Cour de justice

de l’Union européenne,

* 5.103 euros de rappel de contrepartie en repos obligatoire, outre 510,30 euros de congés payés afférents sur le fondement des articles L. 3121-30 et L. 3121-

38 du code du travail, de la convention collective nationale des entreprises de

prévention et de sécurité et de l’article 6 de l’accord du 18 mai 1993 relatif à la

durée et à l’aménagement du temps de travail,

* 40.482,84 euros au titre de l’indemnité forfaitaire spéciale pour travail

dissimulé de six mois de salaire, sur le fondement des articles L. 8223-1, L.

3171-2 et L. 3171-3 du code du travail et de l’article 31 de la Charte des droits

fondamentaux de l’Union européenne, interprétés à la lumière de la

jurisprudence de la CJUE,

* 15.000 euros de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de protection

de la santé, des durées maximales de travail et pour non-respect des durées

minimales de repos posée par les articles L. 3121-18 et L. 3131-1 du code du

travail, l’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au

travail, sur le fondement du principe constitutionnel du droit au repos et à la

santé et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne, interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE,

* 4.500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article

700 du code de procédure civile, 

– condamner également l’intimée à rembourser les indemnités chômage à Pôle Emploi dans la limite légale, 

– frapper les condamnations des intérêts au taux légal depuis la saisine du conseil de prud’hommes et faire application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil autorisant la capitalisation des intérêts,

– condamner l’intimée aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 5 septembre 2023, la société Securitas Technology Services demande à la cour de :

A titre principal,

– réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux en ce qu’il a :

* jugé que le licenciement de M. [C] ne repose pas sur une cause réelle

et sérieuse,

* condamné la société à lui verser la somme de 58.000 euros à titre de

dommages et intérêts,

* condamné la société à rembourser à Pôle Emploi dans la limite de trois les

allocations versées à M. [C],

* condamné la société à lui verser la somme de 1.000 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile,

* débouté les parties du surplus de leurs demandes,

* condamné la société aux dépens et aux frais éventuels d’exécution,

En conséquence, statuer à nouveau :

– déclarer que le licenciement intervenu repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [C] de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– constater qu’il a bénéficié d’un suivi de sa charge de travail,

– déclarer que la convention de forfait annuel est parfaitement régulière,

– débouter M. [C] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires de 49.137,76 euros,

– le débouter de sa demande de rappel de congés pays afférents aux heures supplémentaires de 4.913,77 euros,

– juger qu’elle n’a pas eu l’intention de dissimuler son emploi,

– le débouter de sa demande indemnitaire au titre du travail dissimulé,

– déclarer irrecevable sa demande nouvelle au titre du manquement aux obligations de protection de la santé, de durée maximale du travail et de repos,

– à défaut, juger que la société n’a pas manqué à ses obligations de protection de la santé, de durée maximale du travail et de repos,

– débouter M. [C] de sa demande indemnitaire au titre du manquement aux obligations de protection de la santé, de durée maximale du travail et de repos,

– le débouter de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le débouter de l’ensemble de ses demandes,

– le condamner au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux dépens,

A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux,

– juger que la demande de remboursement des jours de repos afférents à la convention de forfait annuel en jours n’est ni irrecevable car elle ne constitue pas une demande nouvelle ni prescrite,

– condamner M. [C] au paiement de la somme de 7.345,13 euros au titre des jours de repos afférents à la convention de forfait annuel en jours qui serait déclarée inopposable,

– le condamner au paiement de la somme de 734,51 euros au titre des congés payés afférents aux jours de repos liés à la convention de forfait annuel en jours qui serait déclarée inopposable,

– le condamner au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux dépens,

A titre infiniment subsidiaire et dans l’hypothèse où la cour jugerait que la convention de forfait ne trouve pas à s’appliquer et que M. [C] a réalisé des heures supplémentaires :

– fixer le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et les congés payés afférents à :

* 3.546,57 euros bruts au titre du rappel de salaire des années 2015, 2016, 2017 (829,71 + 2.016,04 + 700,82),

* 354,65 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– juger que la demande de remboursement des jours de repos afférents à la convention de forfait annuel en jours n’est ni irrecevable car elle ne constitue pas une demande nouvelle ni prescrite,

– condamner M. [C] au paiement de la somme de 7.345,13 euros au titre des jours de repos afférents à la convention de forfait annuel en jours qui serait déclarée inopposable,

– le condamner au paiement de la somme de 734,51 euros au titre des congés payés afférents aux jours de repos liés à la convention de forfait annuel en jours qui serait déclarée inopposable,

– le débouter du surplus de ses demandes,

– juger que la société n’a pas eu l’intention de dissimuler son emploi,

– le débouter de sa demande indemnitaire au titre de l’indemnité de travail dissimulé.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 3 octobre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’exécution du contrat de travail

M. [C] sollicite le paiement d’un rappel de salaire à hauteur de la somme de 49.137,76 euros, outre celle de 4.913,77 euros représentant les congés payés afférents, au titre des heures supplémentaires réalisées pour la période du 1er janvier 2015 au 3 décembre 2017 en soutenant que la convention de forfait conclue entre les parties est nulle ou lui est inpopposable.

– Sur la convention de forfait

M. [C] invoque la nullité ou l’inopposabilité de l’accord collectif du 24 juillet 2014 repris dans l’avenant au contrat de travail du 24 octobre 2014 en ce que ses stipulations ne garantiraient pas notamment le respect des durées maximales de travail, de repos journaliers et hebdomadaires. Il soutient que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de l’article 3 de l’avenant relatif aux modalités de contrôle et de suivi des jours travaillés. En réplique, l’employeur affirme d’une part, que la convention de forfait critiquée ne souffre d’aucune irrégularité dans la mesure où un suivi de la charge de travail du salarié a été mis en place et d’autre part, que l’absence de contrôle et de suivi des jours travaillés n’est pas sanctionné par la nullité de la convention.

Pour justifier du respect de ses obligations, l’employeur invoque la tenue d’entretiens intitulés «revue de performance et de développement » au cours desquels il a été débattu de la charge de travail du salarié et produit l’attestation de M. [H], directeur national réseau SME, celle de M. [U], cadre commercial, qui indiquent que M. [C], lors de ces entretiens, n’a pas fait valoir de difficultés quant à l’organisation et à la charge de travail. Il ajoute que les bulletins de salaire font apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que les jours de repos, les congés payés, les congés conventionnels et jours de repos au titre de la réduction du temps de travail.

* * *

La convention de forfait liant les parties a été conclue le 24 octobre 2014 aux termes d’un avenant au contrat de travail de M. [C] et ses demandes en paiement d’heures supplémentaires repose pour partie sur une période antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 8 août 2016.

La validité de la convention en cause doit dès lors s’apprécier au regard des dispositions antérieures applicables, soit celles résultant de l’article L. 3121-39 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, stipulant que la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours, sur l’année doit être prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche et que cet accord collectif préalable doit déterminer les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et fixer les caractéristiques principales de ces conventions.

Par ailleurs, ce texte, interprété à la lumière des articles 17 § 1 et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que cet accord collectif contienne des dispositions de nature à assurer la garantie du respect de durées raisonnables de travail, des repos journaliers et hebdomadaires ainsi que les impératifs de protection de la santé du salarié.

Cet accord n’est pas versé à la procédure par l’une ou l’autre des parties.

Cependant, le salarié soutient que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de l’article 3 de l’avenant relatif aux modalités de contrôle et de suivi des jours travaillés pris en application de l’accord collectif du 24 juillet 2014 dont il résulte que : « …le collaborateur devra suivre le système auto-déclaratif mis en place au sein de la société en remplissant mensuellement le document de suivi du forfait mis à sa disposition. Le temps de travail journalier du collaborateur est limité aux dispositions légales relatives au temps de repos quotidien (‘) en outre, conformément aux dispositions de l’article L3121-46 du code du travail, un entretien individuel aura lieu une fois par an avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées la charge de travail du collaborateur, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, l’amplitude de ses journées d’activité ainsi que sa rémunération. De plus, un entretien individuel supplémentaire ponctuel portant sur la charge de travail pourra être organisé à la demande du collaborateur … ».

Les documents produits par l’employeur au titre de la tenue d’un entretien annuel relatif à la mise en oeuvre de la convention de forfait, sont intitulés « revue de performance et de développement » pour les années 2014, 2015, 2016 et 2017 et s’ils contiennent des indications quant aux résultats et objectifs assignés au salarié, en revanche aucune rubrique n’est consacrée au suivi de sa charge de travail, à la compatibilité de sa vie professionnelle avec sa vie personnelle, les attestations versées étant insuffisantes à palier cette carence.

De la même façon, en se contentant de se référer aux bulletins de salaire de M. [C] pour considérer avoir mis en place un document de contrôle du nombre des journées travaillées ainsi que de la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail, l’employeur, auquel incombe la charge de la preuve du respect des repos obligatoires, échoue dans sa démonstration.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments et ainsi que l’ont retenu à bon droit les premiers juges, la convention de forfait conclue entre les parties sera déclarée inopposable à M. [C] qui est dès lors en droit de solliciter le paiement des heures supplémentaires qu’il prétend avoir réalisé selon le régime du droit commun.

– Sur la demande en paiement au titre des heures supplémentaires réalisées

En vertu des dispositions des articles L. 3171-2 alinéa 1er et L. 3171-4 du code du travail selon lesquelles en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié, qui ne relève pas d’un horaire collectif de travail, de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Au soutien de sa demande en paiement d’un rappel de salaire dû au titre des heures supplémentaires réalisées, M. [C] verse notamment aux débats les pièces suivantes :

– un tableau hebdomadaire des heures de travail et des heures supplémentaires en découlant pour la période du 1er janvier 2015 au 3 décembre 2017 comportant également le calcul des heures supplémentaires majorées à 25 et 50% (pièce 22),

– une clé USB comportant plus de 200 mails en dehors des heures normalement travaillées,

– un document intitulé « Semaine type ICO/BU SMB3 » qui est un planning hebdomadaire précisant l’heure de début de journée sans en préciser l’heure de fin.

Le décompte produit par le salarié au soutien de sa demande est suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.

La société conclut au rejet des prétentions de M. [C], soutenant que le décompte produit est ‘invérifiable’ et qu’aucune pièce ne vient prouver la réalité des horaires y figurant, considérant que l’envoi de courriels en dehors des heures de travail ne prouve pas l’existence d’heures supplémentaires. Elle souligne n’avoir jamais demandé au salarié d’effectuer des heures de travail supplémentaires qu’il a évaluées à 1000 heures ce qui correspond à une moyenne de 7 à 8 heures supplémentaires par semaine alors qu’il a été licencié pour insuffisance professionnelle. Selon elle, la communication de courriels passés à des heures tardives témoigne du retard qu’il avait pris dans la gestion de ses dossiers en raison de son incapacité à les gérer. L’employeur soutient en dernier lieu que les calculs du salarié sont erronés en ce qu’il n’a pas tenu compte des jours fériés, des jours de réduction de temps de travail et des congés payés.

***

L’employeur, auquel incombe le contrôle des heures de travail effectuées, ne justifie pas des horaires réalisés par M. [C].

Si, au vu des pièces versés à la procédure, il peut être fixé une heure d’embauche se situant à 8h30, l’heure de débauche est incertaine au regard du planning remis par la société au salarié et aux mails adressés par ce derniers après 18 heures.

Cependant, le décompte des heures effectuées par M. [C] ne fait pas apparaître de pauses méridiennes.

Enfin, le décompte produit par M. [C] est certes critiquable en ce que les jours fériés et les jours de RTT n’y figurent pas mais contrairement à ce que soutient l’employeur, les congés du salarié y sont mentionnés.

En considération des explications et pièces produites, la cour a la conviction que M. [C] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées mais pas à la hauteur de celles qu’il revendique et sa créance à ce titre sera fixée à la somme de 37 353,75 euros bruts que la Securitas Technology Services sera condamnée à lui payer outre la somme de 3.735,38 euros bruts pour les congés payés afférents.

La décision entreprise sera infirmée de ce chef.

– Sur la demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos

Se référant à un contingent annuel de 288 heures, M. [C] sollicite le paiement de la somme de 5 103 euros bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos outre les congés payés afférents.

La société ne conclut pas sur ce point

***

Les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire en repos équivalente à 100% lorsque l’entreprise emploie plus de 20 salariés.

Au vu des heures supplémentaires précédemment retenues qui ne dépassent pas le contingent annuel, le salarié sera débouté de sa demande à ce titre.

– Sur la violation des obligation de protection de la santé du salarié, de la durée maximale du travail et des règles relatives au repos

M. [C] sollicite à ce titre l’allocation d’une somme de 15 000 euros.

La société intimée conclut à l’irrecevabilité de cette demande exposant qu’il s’agit d’une demande nouvelle et qu’elle n’a été formulée que dans le troisième jeu de conclusions devant le conseil des prud’hommes. Elle ajoute que le principe d’unicité de l’instance ayant disparu, cette demande nouvelle est donc irrecevable.

* * *

Si la suppression du principe de l’unicité de l’instance emporte pour première conséquence la possibilité pour les parties, et en particulier pour le salarié, d’engager, à tout moment, de nouvelles actions en justice, cet assouplissement a pour corollaire un encadrement des demandes nouvelles introduites au cours d’une même instance que sont les demandes incidentes et dont le juge devra apprécier la recevabilité par rapport à la demande initiale contenue dans la requête introductive d’instance.

En l’espèce, dans la mesure où la demande relative à la violation de l’obligation de protection de la santé, des durées maximales du travail et minimales de repos est la

conséquence directe de l’accomplissement éventuel d’heures supplémentaires, cette demande sera déclarée recevable.

Ainsi, compte tenu des heures supplémentaires précédemment retenues, M. [C] n’a pas bénéficié du repos hebdomadaire de 35 heures consécutives.

En considération des manquements relevés et des éléments d’appréciation du préjudice dont dispose la cour, la société sera condamnée à payer à M. [C] la somme de 2.000 euros à ce titre.

La décision déférée sera infirmée sur ce point.

-Sur la demande de l’employeur tendant au remboursement du paiement des jours de réduction du temps de travail

L’employeur demande, dans l’hypothèse de l’inopposabilité de la convention de forfait, la condamnation du salarié à lui rembourser les jours de réduction de temps de travail accordés en contrepartie de cette convention, soit la somme totale de 7 345,13 euros bruts outre les congés payés afférents. Il considère que cette demande -non prescrite- se rattache par un lien suffisant aux prétentions originaires en ce qu’elle est la conséquence et l’accessoire de l’inopposabilité de la convention de forfait.

De son côté, le salarié invoque à titre principal, l’irrecevabilité de cette demande nouvelle présentée en cause d’appel par conclusions notifiées le 30 août 2023, à titre subsidiaire, sa prescription et à titre des plus subsidiaires, il conteste avoir bénéficié des jours de repos dont le remboursement est réclamé ajoutant que son calcul n’est pas erroné.

***

L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Les articles 565 et 566 précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Dans la mesure où la demande de remboursement des jours de réduction du temps de travail est la conséquence directe de l’absence d’effet de la convention de forfait, cette demande sera déclarée recevable.

S’agissant de sa prescription, aux termes des dispositions de l’article L.3245-1 du code du travail, l’action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit à l’expiration d’un délai de trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Cet article opère une distinction entre le délai pour agir et la période couverte par la demande. Ainsi doivent être distinguées :

– la prescription de l’action en paiement qui court à compter du jour où celui qui exerce cette action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;

– la prescription de la créance salariale, c’est-à-dire la période sur laquelle peut porter la demande, qui diffère selon que le contrat est rompu ou pas au moment où l’action est engagée.

En l’espèce, ce n’est qu’à partir du 20 novembre 2020 que l’employeur a eu connaissance de l’inopposabilité de la convention de forfait prononcée par le conseil des Prud’hommes de sorte que sa demande à ce titre, en date du 30 août 2023, n’est pas prescrite.

Dès lors, le contrat ayant été rompu le 4 décembre 2017, l’employeur peut prétendre à la restitution des sommes versées au titre des réductions du temps de travail à compter du 4 décembre 2014.

En outre, contrairement à ce que soutient le salarié, la convention de forfait à laquelle il était soumis étant privée d’effet, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention est devenu indu et est justifié par l’employeur.

Par voie de conséquence, le salarié sera condamné à rembourser à la société la somme de 7 345,13 euros bruts outre celle de 734,51 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Sur la rupture du contrat de travail

– Sur le bien fondé du licenciement

En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

L’insuffisance professionnelle, qui se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié d’exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, constitue une cause légitime de licenciement.

Si l’appréciation des aptitudes professionnelles et de l’adaptation à l’emploi relève du pouvoir de la direction, l’insuffisance alléguée doit toutefois reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l’employeur.

Pour justifier le licenciement, les griefs formulés doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l’entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.

* * *

La lettre de licenciement adressée à M. [C] est ainsi rédigée :

« (‘) Vous occupez actuellement un poste d’ingénieur commercial niveau 2 au sein de l’agence de [Localité 4]. A ce titre, et compte tenu de votre ancienneté et de votre statut, nous vous rappelons qu’il vous appartient notamment d’atteindre, a minima, le niveau d’activité et de résultats commerciaux suivants : 500€ / mois d’abonnement net avalisé sur le New Business, 500€ / mois d’abonnement net facturé sur le New Business, Taux de transformation à 25% New (1 contrat signe/4 rendez-vous positionnés), Taux de marge supérieur à 55% sur le New Business Taux de traitement parc (book reconduction + résiliation) > 100% Taux de reconduction hors TR1 > 65% 24 rendez-vous New par mois, soit une activité régulière générant 6 rendez-vous New par semaine, 24 rendez-vous Parc par mois, soit une activité régulière générant 6 rendez-vous Parc par semaine.

Or, nous déplorons une dégradation persistante de votre niveau d’activité et de résultats, que ce soit en « New » ou en « Parc ». En effet, vous n’avez pas atteint vos objectifs, et ce déjà les deux années précédentes, où nous vous en avions alerté. Depuis le début de l’année 2017, la situation, très préoccupante, est la suivante, (exprimée en moyenne mensuelle) : 149€ / mois d’abonnement net avalisé sur le New Business, 137€ / mois d’abonnement net facturé sur le New Business, Taux de transformation à 14%, ce qui traduit des rendez-vous insuffisamment préparés et/ou qualifiés, Taux de marge à 44% sur le New Business, Taux de traitement parc (book reconduction + résiliation) avec de fortes variations, de 17,6% à 150%, ce qui témoigne d’une activité irrégulière qui est incompatible avec la satisfaction clients. Taux de traitement book reco cumulé à fin Septembre de 77,7% pour un objectif de 100%, Taux de reconduction hors TR1 à 41.7%.

Sur la période plus récente courant depuis le mois de mai dernier (et en neutralisant pourtant le mois d’août), les données sont encore plus catastrophiques puisque nous enregistrons la signature d’un seul contrat signé sur le mois de mai (et il en a été de même pour le mois de juillet) et seulement deux contrats signés en septembre, dont un a été annulé (Agence de l’Aiguillon), et ce pour de faibles tickets En juillet, votre taux de transformation est de seulement 6,7%.. soit un contrat signé pour 15 rendez-vous new, ce qui est totalement inacceptable pour un collaborateur de votre statut de et votre ancienneté. Ces éléments illustrent une activité qui perdure à un niveau de qualité très insuffisant; en effet, malgré le nombre de rendez-vous qui vous positionnez dans votre agenda, ceux-ci ne sont pas qualifiés et nous notons une nombreux très important de rendez-vous récurrents chez les mêmes clients ou prospects. Ainsi, par exemple, les carences dans la préparation de vos rendez-vous et le fait que vous ne les « qualifiez » pas comme le demande l’entreprise et la méthode, aboutit à ce que vous vous rendiez non pas une ou deux fois chez le clients mais régulièrement trois fois (comme par exemple encore pour la société Alliance/Azura en septembre 2017) , voire quatre ou cinq fois (client Première ligne du Bassin vu cinq fois dont la dernière fois en septembre 2017), et cela peut aller jusqu’à six ou sept visites auprès d’un même prospect (comme cela a été le cas auprès de la « SARL Sauboua » ou le prospect « le duplex »). Le défaut de qualité de vos rendez-vous s’illustre également par le nombre de contrats que les clients annulent après que vous ayez « conclu » le dossier. Tel est le cas, dernièrement, par exemple du client Mr [N] (Agence de l’Aiguillon) qui, le 19 septembre dernier, a contacté le service client car il souhaitait résilier le contrat signé avec vous le 12 Septembre. Depuis janvier 2017, sur les 28 dossiers commandes New/avenants qui ont été signés, 9 contrats ont fait l’objet d’une annulation client, soit 32% de votre activité. Concernant l’activité Parc, elle ne compense pas les manquements persistants de votre activité New; en effet, au cumul depuis le mois de janvier 2017 (à fin septembre), votre taux de reconduction hors TR1 est de seulement 41,7%. Cette insuffisance est aggravée par un taux de rattrapage des résiliations très faibles : seulement 10,8% (étant précisé cette problématique sur cette activité avait déjà été relevée en 2016 (avec un taux à11%) et en 2015 (avec un taux à 14%).

Dans ce contexte, nous déplorons que vous n’ayez pas réagi aux nombreuses sensibilisations orales et écrites notifiées depuis 2015 (où votre activité new générait des résultats qu’à 51% de l’objectif) et réitérées en 2016 (où votre activité new générait des résultats en chute, qu’à 31% de l’objectif) ainsi que dans les observatoires des ventes (quatre ont été tenus avec des plans d’action pour tenter de vous aider à inverser la tendance, sans résultat probant sur la durée) ou les entretiens OPR. …bien que vous ayez indiqué avoir conscience de l’impossibilité de poursuivre avec ce niveau d’activité et de résultats. Lors de notre entretien du 06 novembre dernier, vous avez reconnu cet état de fait et avez indiqué que votre secteur d’intervention contribuerait à vos résultats. Or, le secteur et le parc confiés sont un des plus fournis de l’agence de [Localité 4] 1 ; nous ne pouvons donc pas entendre que vos manquements et que l’irrégularité de votre activité soient imputables au secteur confié. Nous tenons à ce titre à souligner, comme exposé en entretien, que vous ne traitez pas de nombreuses de fiches clients qui vous sont confiées alors que cela est une nécessité sur l’activité parc (non seulement pour l’entreprise mais aussi pour la satisfaction des clients) et est une source de développement de votre activité New. A fin septembre 2017, vous n’aviez pas traité 23 fiches confiées.

Aussi nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse (‘) ».

* * *

Le salarié demande à titre principal, la requalification de son licenciement en soutenant que derrière le motif apparent de l’insuffisance de résultats se cache un licenciement disciplinaire et que les faits reprochés ont déjà fait l’objet de sanctions disciplinaires aux termes de l’avertissement notifié le 15 décembre 2016. Il sollicite à titre subsidiaire, la confirmation du jugement entrepris qui a considéré son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En réplique, l’employeur conteste l’appréciation du salarié quant à la qualification disciplinaire de son licenciement et avance que la poursuite par un salarié d’un fait fautif ou sa réitération l’autorise à se prévaloir de faits similaires, y compris ceux ayant fait l’objet de sanctions antérieures, pour motiver le licenciement.

* * *

Ainsi que le souligne l’employeur, la lecture de la lettre de licenciement ne permet pas de retrouver des éléments en faveur d’un licenciement disciplinaire, aucune faute n’étant reprochée au salarié et la circonstance que l’employeur ait fait état de précédents pour tenter d’établir la persistance des griefs reprochés, ne saurait caractériser un cumul de sanctions disciplinaires.

– Sur les griefs reprochés au salarié

L’employeur reproche à M. [C] la non-atteinte des objectifs malgré un secteur géographique adapté, plusieurs alertes et plans d’action mis en oeuvre pour l’accompagner. Il explique la dégradations des résultats du salarié par une insuffisante préparation des rendes-vous et du suivi des dossiers ayant engendré l’annulation de nombreux contrats ainsi qu’un nombre insuffisant de contrats signés au regard de l’objectif fixé, ce que conteste M. [C] en expliquant qu’à partir de 2014, son employeur a réduit unilatéralement son secteur d’intervention en lui enlevant les départements des Pyrénées Atlantiques et des Landes. Il prétend que son secteur était devenu moins attractif que celui de ses collègues et en avoir alerté en vain son employeur qui ne lui a dispensé aucune formation et ne l’a fait bénéficier d’aucune aide. Il indique n’avoir obtenu que très peu de rendez-vous par le « call center » contrairement à ses collègues. Selon lui, sur la période concernée, seuls quelques commerciaux ont atteints les objectifs et l’insuffisance alléguée de ses résultats est contredite par les termes du courriel de félicitations qu’il a reçu de son supérieur hiérarchique six mois avant son licenciement.

Sur la non atteinte des objectifs et l’insuffisance dans l’organisation et le suivi des dossiers:

Au soutien de ces griefs, l’employeur explique que M. [C] devait atteindre les résultats commerciaux suivants:

– 500 € par mois d’abonnement net avalisé sur l’activité New Business,

– 500 € par mois d’abonnement net facturé sur le New Business,

– un taux de transformation de 25%New,

un taux de marge supérieur de 55 %,

un taux de reconduction hors TR1 supérieur à 65 %,

24 rendez vous new par mois,

24 rendez-vous parc par mois.

Il considére insuffisants les résultats du salarié en ce que sur 9 mois d’exercice en 2017, il n’a signé que 22 contrats sur 36, n’a obtenu que 96 rendez-vous sur 216, a affiché un taux de transformation inférieur à 20 % et un taux de reconduction hors TR1 de 41,7% et 9 contrats ont été annulés sur 28 dossiers commandes New. Il produit à cet effet des tableaux de résultats.

Il verse en outre les mails de Mme [S], cliente, de M. [W], responsable installation, de M. [P], responsable de l’équipe technique, ainsi que des échanges de mails entre le salarié et M. [U], supérieur hiérarchique, ainsi que l’attestation de ce dernier démontrant le mécontentement de clients quant aux prestations vendues par M. [C] et les difficultés de ce dernier à gérer ses dossiers et la prise de rendez-vous.

L’employeur produit un document intitulé « dossiers Commande enregistrés et annulés » pour les contrats des clients Le Scoop, Première Ligne du Bassin, Pharmacie Campan, Solanilla contruction, Bar de l’Oubli, Paris By Night, Sud-ouest Travaux, Coulon, Fluid Service cliente, témoignant des annulations constatées.

Sans contester les éléments produits par l’employeur, M. [C] excipe du faible potentiel de son secteur d’activité ce dont il avait avisé son employeur tel que cela résulte des trois suivis trimestriels de son activité versés par la société reprenant les propos du salarié :  « je m’efforce d’accroitre plus que jamais mon volume d’activité en nombre de RDV (‘) sur un secteur géographique qui me paraît de plus en plus moribond au fil des RDV sur un plan économique dû à la ruralité des lieux » , « des résultats qui ne décollent pas malgré une remise en question dans beaucoup de domaines, une prospection intensifiée qui ne porte pas ses fruits de par une situation moribonde dû à la ruralité de mon secteur (‘) il est à regretter que je ne puisse pas bénéficier de plus de RDV issus du centre d’appel » .

L’employeur affirme cependant que son successeur réalise de meilleurs résultats mais le contrat de travail produit ne fait pas figurer son secteur d’activité détaillé et il n’est pas démontré à ce stade que l’employeur a pris en considération ces alertes.

Par ailleurs, le salarié justifie du nombre très réduit de rendez-vous qui lui ont été attribués par le centre d’appels soit 15 en 9 mois tandis que ses collègues en comptaient entre 27 et 79 sur la même période.

S’agissant de la mauvaise organisation et de son insuffisance dans le suivi des dossiers, M. [C] ne conteste pas 6 annulations sur 9 mais ainsi qu’il le souligne, il n’est pas démontré qu’elles sont la conséquence de sa prétendue incurie.

S’agissant des trois courriels échangés avec M. [W] aux termes desquels ce dernier lui demande des précisions et des ajustements quant aux prestations vendues, ils sont insuffisants à établir les griefs retenus à l’encontre du salarié alors qu’il est établi par le classement des vendeurs produit par l’employeur que M. [C] est classé 146ème sur 213 pour l’année 2016 et que 4 commerciaux sur 5 ne remplissent pas leurs objectifs.

Enfin l’employeur se prévaut de plans d’actions mis en place en avril, septembre et novembre 2015 ainsi que de courriers de sensibilisation adressés à M. [C] en d’avril et août 2016 afin d’attirer son attention sur les insuffisances de résultats. Toutefois le salarié produit un courriel de félicitation reçu le 8 juin 2017 de M. [U] pour ses excellents résultats ainsi libellé : « mention spéciale à Olive qui réalise un perfect, avec 6 RDV et 6 RECO de signés pour un total de 687€, le savoir-faire est toujours présent (‘) bref, je suis heureux de votre travail accompli ce jour… ».

Il résulte dès lors de l’ensemble de ces éléments et ainsi que l’ont retenu les premiers juges que si le salarié présente des difficultés quant à son organisation et son suivi clients, il ne peut lui être reproché de mauvais résultats tandis que quatre commerciaux sur cinq ne remplissent pas leurs objectifs. L’ancienneté de M. [C] et l’insuffisance des motifs retenus à son encontre rendent disproportionné le licenciement prononcé à son encontre.

La décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a considéré que le licenciement de M. [C] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.

– Sur le salaire de référence

M. [C] sollicité la fixation de sa rémunération annuelle brute moyenne à la somme de 73 381,84 euros soit 6 115,15 euros mensuels bruts au regard de son bulletin de salaire de décembre 2017.

Pour s’y opposer, l’employeur relève que la moyenne des trois derniers mois est de 5 324,63 euros tandis que la moyenne des 12 derniers mois est de 5 717,32 euros. Cette dernière, plus favorable sera retenue comme salaire de référence.

– Sur les conséquences indemnitaires de la rupture abusive du contrat

M. [C] sollicite le paiement de la somme de 175 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en demandant à la cour d’écarter le barème de l’article L.1235-3 du code du travail. L’appelant soutient pour ce faire, que le conseil européen des droits sociaux dans deux décisions des 26 mars 2022 et 5 juillet 2022 a condamné le barème Macron en ce qu’il ne serait pas conforme à l’article 24 de la charte sociale européenne prévoyant le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. Il ajoute qu’il appartient aux juges du fond de statuer sur cette question à la lumière des principes énoncés par le CEDS, les justiciables étant légitimes à invoquer le respect du texte et des solutions dégagées par le comité dans le cadre d’un litige tranché par le juge national, nonobstant la position dégagée par la cour de Cassation le 11 mai 2022 ayant conclu à la non invocabilité de l’article 24 de la charte sociale européenne devant les juges nationaux. Il considère que ce barème est contraire à l’article 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

L’employeur estime que ce débat n’est plus d’actualité à l’aune des deux arrêts rendus par la cour de Cassation le 11 mai 2022, validant le barème critiqué ainsi qu’ensuite d’un arrêt du 1er février 2023 ayant précisé que les juges du fond ne peuvent s’affranchir du barème Macron.

* * *

S’agissant de l’article 24 de la Charte sociale européenne, celle-ci n’a pas d’effet direct dans un litige entre particuliers en ce qu’elle met au coeur du dispositif, non les juridictions nationales mais les seuls Etats membres, en ce qu’elle définit seulement des engagements des Etats contractants permettant de constituer un socle minimal commun de droits sociaux et le caractère général et programmatique des stipulations de la charte dans lesquelles s’intègrent celles de l’article 24, fait qu’elles nécessitent l’adoption de mesures nationales pour leur mise en oeuvre. De plus, le mécanisme de contrôle prévu par la Charte et confié au Comité européen des droits sociaux et au comité des ministres du Conseil de l’Europe écarte toute possibilité d’effet direct de la Charte dans un litige entre particuliers.

Il convient en conséquence d’appliquer le barème dit Macron dans la mesure où il permet l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assure le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur qui sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail et sont ainsi compatibles avec les stipulations de cet article.

Pour les mêmes motifs, Monsieur [C] n’est pas fondé à se prévaloir de l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.

Il appartient en conséquence au juge d’indemniser le préjudice conformément au barème de l’article 1235-3 qui prévoit une indemnité comprise entre 3 et 16 mois de salaire.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [C] , de son âge, de son ancienneté, des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour confirme la décision des premiers juges qui lui ont alloué la somme de 58.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans les cas prévus aux articles L.1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L.1152-3, L.1153-4, L.1235-3 et L.1235-11 du code du travail, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement sera ordonné dans la limite de 3 mois.

La décision de première instance sera confirmée.

Sur l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé

M. [C] sollicite la condamnation de la société à lui verser une indemnité pour travail dissimulé, invoquant les heures supplémentaires effectuées non déclarées mais également l’absence de validité de la convention de forfait, alors même que l’employeur ne pouvait ignorer sa surcharge de travail.

La société conteste l’infraction reprochée en l’absence de tout élément intentionnel, rappelant que le salarié ne s’est jamais plaint durant la durée d’exécution de son contrat de travail d’une surcharge de travail.

***

En vertu des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement soit à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche, soit à la délivrance d’un bulletin de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie, soit aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Ce n’est qu’au terme d’un long débat judiciaire portant notamment sur l’opposabilité de la convention de forfait signée par les parties que M. [C] obtient partiellement gain de cause.

L’élément intention requis n’est donc pas suffisamment établi et le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [C] de sa demande au titre de l’indemnité de travail dissimulé.

Sur les autres demandes

Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Les intérêts dus seront capitalisés année par année, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

La société partie intimée à l’instance sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à M.[C] la somme de 2 500 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :

dit le licenciement de M. [C] sans cause réelle et sérieuse,

condamné la société Securitas Technology Services à lui verser la somme de 58 000 euros à titre d’indemnité pour rupture abusive du contrat,

condamné la société Securitas Technology Services à lui verser la somme de 1 000 euros au titre des frais irépétibles,

condamné la société Securitas Technology Services à rembourser à Pôle Emploi dans la limite de trois mois des allocations versées à M. [C],

condamné la société Securitas Technology Services aux dépens,

L’infirme pour le surplus,

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare inopposable à M. [C] la convention de forfait conclue entre les parties,

Dit que le salaire de référence est de 5 717,32 euros bruts mensuels.

Condamne la société Securitas Technology Services à payer à M. [C] les sommes suivantes :

– 37 353,75 euros bruts au titre des heures supplémentaires effectuées outre la somme de 3.735,38 euros bruts pour les congés payés afférents,

2 000 euros au titre de la violation des obligations de protection de la santé du salarié, de la durée maximale du travail et des règles relatives au repos,

2 500 euros au titre des frais irrépétibles,

Déboute M. [C] de sa demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

Condamne M. [C] à rembourser à la société Securitas Technology Services la somme de 7 345,13 euros bruts représentant le paiement indu des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la  convention déclarée inopossable, outre celle de 734,51 euros bruts au titre des congés payés afférents,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article l’article 1343-2 code civil,

Condamne la société Securitas Technology Services aux dépens.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard

 


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