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20 octobre 2023
Cour d’appel de Bourges
RG n°
22/01205
SD/CV
N° RG 22/01205
N° Portalis DBVD-V-B7G-DQGE
Décision attaquée :
du 07 novembre 2022
Origine :
conseil de prud’hommes – formation paritaire de BOURGES
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S.A.S. DISTRIBUTION AMÉNAGEMENT & ISOLATION
C/
M. [N] [H]
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Expéd. – Grosse
Me LIGIER 20.10.23
Me SECO 20.10.23
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2023
N° 118 – 7 Pages
APPELANTE :
S.A.S. DISTRIBUTION AMÉNAGEMENT & ISOLATION
[Adresse 1]
Ayant pour avocat postulant Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, du barreau de LYON
Représentée à l’audience par Me Norbert THOMAS, avocat plaidant, du barreau de PARIS
INTIMÉ :
Monsieur [N] [H]
[Adresse 2]
Représenté par Me Fabien SECO de la SCP ROUAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2023/000003 du 05/01/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BOURGES)
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre
en l’absence d’opposition des parties et conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON
Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre
Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CLÉMENT, présidente de chambre
Arrêt n° 118 – page 2
20 octobre 2023
DÉBATS : A l’audience publique du 15 septembre 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 20 octobre 2023 par mise à disposition au greffe.
ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 20 octobre 2023 par mise à disposition au greffe.
* * * * *
FAITS ET PROCÉDURE :
La SASU Distribution Aménagement et Isolation, ci-après dénommée la SASU DAI, est spécialisée dans la commercialisation de matériaux de construction à destination des professionnels et employait plus de 11 salariés au moment de la rupture.
Suivant contrat à durée indéterminée en date du 10 décembre 2007, M. [N] [H] a été engagé par cette société en qualité de magasinier, position II, coefficient 170, moyennant un salaire brut annuel de 18 337 € décomposé en 13,336 mensualités ainsi qu’une prime de Noël et une part variable, contre 35 heures de travail effectif par semaine. Il était rattaché à l’agence de Bourges, située au Subdray.
En dernier lieu, M. [H] percevait un salaire brut mensuel de base de 1 834,02 €, outre une prime d’ancienneté de 163,72 €.
La convention collective nationale Négoce des Matériaux de Construction s’est appliquée à la relation de travail.
Le 25 juillet 2018, M. [H] a déclaré avoir été victime d’un accident du travail survenu le 16 juillet précédent sur le chantier d’un client, en indiquant avoir ressenti des douleurs au dos après avoir déchargé du matériel stocké dans un camion.
Le 26 juillet 2018, l’employeur a émis des réserves au sujet de cette déclaration, mais le 3 janvier 2019, la CPAM a reconnu le caractère professionnel de l’affection et décidé de prendre en charge les lésions déclarées par le salarié.
Le 9 janvier 2020, à l’issue de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a déclaré M. [H] inapte à son poste, en indiquant que devaient être exclus le port de charges, les manutentions et la station debout prolongée, et en concluant en ces termes :
‘ – la postures de rotation/ flexion/ extension du tronc prolongée ou de façon répétée
– les vibrations transmises au corps entier (conduite d’engins)
Pourrait être reclassé sur un poste qui respecte ses restrictions sur un poste sédentaire/administratif ou peut bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté’.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 mars 2020, l’employeur a proposé au salarié deux postes de reclassement situés à [Localité 3] (Cher), l’un en qualité de conseiller de vente en showroom et l’autre de commercial itinérant, qu’il a refusés par lettre du 11 mars 2020.
Par lettre envoyée par email avec accusé de réception, M. [H] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 4 mai 2020.
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Il a été licencié le 7 mai 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, et a alors perçu les sommes de 3 995,48 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de 13 569,50 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement.
Le 6 mai 2021, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Bourges, section commerce, d’une action en contestation de son licenciement et en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La SASU DAI s’est opposée aux demandes, en soulevant à titre principal la prescription des manquements à l’obligation de sécurité invoqués par le salarié à l’appui de sa contestation et le caractère non fondé de celle-ci et à titre subsidiaire la limitation des dommages et intérêts susceptibles d’être alloués, et a réclamé une somme pour ses frais de procédure.
Par jugement du 7 novembre 2022, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud’hommes a :
– dit les demandes de M. [H] recevables comme non prescrites,
– requalifié le licenciement en rupture sans cause réelle et sérieuse,
– condamné en conséquence l’employeur à payer au salarié la somme de 11 700 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ débouté la SASU DAI de sa demande en paiement d’une indemnité de procédure,
– ordonné à celle-ci de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié et ce dans la limite de six mois,
– condamné la SASU DAI aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à la loi sur l’aide juridictionnelle.
Le 19 décembre 2022, la SASU DAI a régulièrement relevé appel de cette décision.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.
1 ) Ceux de la SASU Distribution Aménagement et Isolation :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 30 juin 2023, elle sollicite l’infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande en paiement d’une indemnité de procédure et l’a condamnée aux dépens, et demande à la cour, statuant à nouveau :
à titre principal :
– de dire que sont prescrits les griefs formulés par le salarié au soutien de la violation de l’obligation de sécurité alléguée pour contester son licenciement et que celui-ci est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– en conséquence, de débouter M. [H] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire :
– fixer le salaire de base moyen de M. [H] à la somme de 1 956,80 euros,
– limiter le montant des dommages et intérêts à la somme de 5 870,40 euros,
en tout état de cause :
– débouter M. [H] du surplus de ses demandes,
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– le condamner à lui payer la somme de 1 500 euros pour ses frais de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.
2 ) Ceux de M. [H] :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 7 août 2023, il demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la SASU DAI aux dépens.
* * * * * *
La clôture de la procédure est intervenue le 16 août 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
1) Sur le licenciement :
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
En l’espèce, M. [H] conteste le licenciement dont il a fait l’objet en invoquant le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, commis selon lui le 16 juillet 2018 sur le chantier sur lequel il a été victime d’un accident du travail en étant contraint de décharger d’un camion de lourdes charges à mains nues. Il en déduit que ce manquement étant à l’origine de son inaptitude, son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
La SASU DAI réplique que le salarié ne peut contester le bien-fondé de son licenciement en faisant état de faits prescrits dès lors qu’ils portent sur l’exécution du contrat de travail..
Aux termes de l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7 et L. 1237-14, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L. 1134-5.
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M. [H] n’agit pas en réparation du préjudice que lui aurait causé le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité puisqu’il invoque seulement ledit manquement à titre de moyen de contestation de son licenciement. Dès lors, l’employeur ne pouvant utilement soutenir que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée, l’ancienneté du manquement allégué importe peu, l’action portant sur la contestation de la rupture de son contrat de travail et non sur l’exécution de celui-ci.
L’employeur ne demandant pas à la cour de déclarer l’action du salarié irrecevable comme étant prescrite, il n’y a pas lieu de statuer sur ce point.
Il reproche aux premiers juges d’avoir dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse alors qu’il n’a commis aucun manquement à son obligation de sécurité.
Au soutien de la contestation de son licenciement, M. [H] fait en effet valoir que le 16 juillet 2018, la SASU DAI l’a envoyé, seul avec un collègue, sur un chantier où ils devaient déplacer et poser plusieurs charges pesant 60 kg chacune alors qu’elle ne pouvait ignorer que leur confier cette mission était susceptible de provoquer des dommages. Il ajoute qu’il disposait sur le camion d’une grue mais qu’il n’était pas formé pour l’utiliser, ce que la SASU DAI ne pouvait ignorer, et qu’aucun autre système n’était prévu par celle-ci pour procéder au déchargement. Il admet avoir reçu une formation lui permettant d’obtenir le CACES mais avance qu’il n’a pas bénéficié de formation pratique en dehors de celle dispensée par un collègue pendant une heure et qui a été de toute façon mise à néant lorsque l’employeur a acquis une nouvelle grue.
Il produit à l’appui de son allégation le témoignage de M. [Y] [R], salarié de la SASU DAI, qui est rédigé en ces termes :
‘ Je certifie que Monsieur [N] [H] n’avait pas l’expérience et la formation nécessaire pour décharger à la grue une charge de ferraille de 6,50 m. Le déchargement de celle-ci demande de nombreuses heures de pratique et surtout de bien connaître son camion. Monsieur [H] n’a pas eu le temps de recevoir la formation sur ce nouveau camion et a très peu pratiqué sur l’ancien. Il faut savoir qu’une longueur de ferraille de 6,50 m levée avec une fourche en ferraille de 90 cm demande une grande dextérité pour être levée sans danger pour les intervenants ou le matériel. Un appui trop prolongé sur la télécommande ou une rafale de vent suffit à faire basculer la charge’.
La SASU DAI réplique que son salarié a été formé dans le cadre de l’obtention du CACES à l’utilisation de grues, que c’est en septembre 2017 qu’elle a changé le camion sur lequel était installé la grue auxiliaire permettant de décharger le matériel et qu’en réalité, c’est M. [H] qui refusait de se servir de celle-ci.
C’est de manière inopérante qu’elle met en avant que M. [H] a attendu 9 jours après la livraison du 16 juillet 2018 pour déclarer un accident du travail et ne s’est pas immédiatement plaint de douleurs au dos puisque lors de la rupture du contrat de travail, même si elle a émis des réserves dès le 26 juillet au sujet de la déclaration d’accident du travail transmise par le salarié à la CPAM, elle lui a versé une indemnité égale à l’indemnité compensatrice de préavis et une indemnité spéciale de licenciement conformément à l’article L. 1226-14 du code du travail relatif au licenciement à la suite d’une inaptitude pour accident du travail ou maladies professionnelles.
Néanmoins, ainsi qu’elle le soutient, en cas de licenciement pour inaptitude à la suite d’un accident du travail, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité prive le licenciement de cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré qu’il est à l’origine de l’inaptitude du salarié, de sorte que c’est sur celui-ci que pèse la charge de la preuve.
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Par ailleurs, ainsi que le met pertinemment en avant la SASU DAI, M. [H] avait à la date de l’accident du travail obtenu en juin 2016, soit deux ans auparavant, le certificat d’Aptitude à la Conduite en Sécurité (CACES) des grues auxiliaires, intitulé CACES R.390, désormais CACES R.490, renouvelé en 2017 et 2018, dont le programme, qu’elle produit en pièce 11, visait à l’acquisition de connaissances théoriques et du savoir-faire pratique nécessaires à la conduite en sécurité des grues auxiliaires de chargement avec télécommande et sans télécommande. M. [H] ne conteste pas avoir reçu cette formation, l’obtention du CACES étant conditionnée par une évaluation durant plusieurs heures au cours de laquelle il a effectué des gestes et manoeuvres de chargement avec la grue. Selon sa pièce 22, le programme du CACES R390 comportait les pratiques suivantes : ‘vérifier l’adéquation de la grue, effectuer les vérifications et les opérations avant la prise et fin de poste, réaliser les manoeuvres de positionnement et de levage’, et il n’est pas discuté que le certificat a fait l’objet d’un renouvellement en 2017 et 2018.
Il résulte en outre de la pièce 31 de l’employeur que c’est près d’un an avant l’accident du travail subi par l’intimé que l’appelante a acquis un nouveau camion si bien que M. [H], qui occupait au sein de la société un poste de magasinier cariste, ne peut utilement prétendre qu’il n’avait jamais eu à utiliser la grue que ce nouveau camion comportait. Il n’explique d’ailleurs pas ni a fortiori ne démontre quelle différence présentait cette grue par rapport à la précédente.
Le témoignage de M. [R], qui n’était pas sur les lieux de l’accident du travail, est directement contredit par celui de M. [V], qui lui était présent avec M. [H] le 16 juillet 2018 et qui indique que c’est celui-ci qui n’a pas voulu décharger le camion à l’aide de la grue. L’intimé se contente d’alléguer que l’attestation de ce collègue, seul présent avec lui sur le chantier, est mensongère, et en tout état de cause, le seul élément produit est très insuffisant pour démontrer la réalité du manquement dont il se prévaut pour contester son licenciement.
Il s’ensuit que la rupture de son contrat de travail n’est pas dénuée de cause réelle et sérieuse et que le jugement déféré doit être infirmé en toutes ses dispositions.
2) Sur les autres demandes :
M. [H] qui succombe est condamné aux dépens de première instance et d’appel.
En équité, l’employeur gardera à sa charge les frais irrépétibles qu’il a engagés dans le litige.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS:
DÉBOUTE M. [N] [H] de sa contestation et de sa demande indemnitaire afférente ;
DÉBOUTE la SASU DAI de sa demande en paiement d’une somme au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [H] aux dépens de première instance et d’appel.
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Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE