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2 novembre 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
22/00125
S.A. SNCF VOYAGEURS SA représentée par son Président en exercice
C/
[D] [C]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 02 NOVEMBRE 2023
MINUTE N°
N° RG 22/00125 – N° Portalis DBVF-V-B7G-F4KD
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 04 Février 2022, enregistrée sous le n° 20/00077
APPELANTE :
S.A. SNCF VOYAGEURS SA représentée par son Président en exercice
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Loïc DUCHANOY de la SCP LDH AVOCATS, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉ :
[D] [C]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL – VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Claire DE VOGÜE, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Septembre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Olivier MANSION, Président de chambre et Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller, chargés d’instruire l’affaire et qui a fait le rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, président,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Jennifer VAL,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Jennifer VAL, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [D] [C] a été embauché par la société SNCF Voyageurs le 3 août 2011 par un contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er septembre suivant en qualité de cadre commercial, contractuel relevant de l’annexe C de la directive RH-054.
Par requête du 20 février 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de faire condamner son employeur pour harcèlement moral.
Par jugement du 4 février 2022, le conseil de prud’hommes de Dijon a condamné la société SNCF Voyageurs à, notamment, lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail.
Par déclaration formée le 14 février 2022, la société SNCF Voyageurs a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures du 13 mai 2022, l’appelante demande de :
– réformer le jugement déféré en ce qu’il a jugé que les agissements de la société SNCF Voyageurs ont moralement et matériellement préjudicié à M. [C] et sur les conséquences financières qu’il en a tiré,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [C] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,
– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée au paiement de la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
– juger M. [C] mal fondé en ses demandes et le débouter de l’ensemble de ses prétentions :
* 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 28 juillet 2022, M. [C] demande de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé que les agissements de la société SNCF Voyageurs sont constitutifs de harcèlement moral et qu’elle a exécuté de façon déloyale le contrat de travail,
– l’infirmer sur le quantum,
– condamner la société SNCF Voyageurs à lui verser les sommes suivantes :
* 40 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,
* 1 200 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre la somme de 1 200 euros accordée en première instance par le conseil de prud’hommes,
– condamner la société SNCF Voyageurs aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur l’exécution du contrat de travail :
a – Sur le harcèlement moral :
Il résulte des dispositions de l’article L.1152-1 du code du travail qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1154-1 précise à sa suite qu’en cas de litige relatif à l’application notamment de l’article L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement.
Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, rappelant qu’il est devenu manager pôle “back office” au service clients du centre de logistique industrielle à compter du 1er janvier 2018 et que lors de l’entretien individuel d’appréciation effectué en début d’année 2018 son précédent supérieur a indiqué qu’il avait “toutes les qualités managériales pour accompagner efficacement son équipe”, M. [C] soutient que peu de temps après son arrivée au sein du service, ses conditions de travail se sont dégradées du fait du remplacement de son supérieur par M. [R].
Il indique à cet égard que :
– le service client a été officieusement réorganisé en rapprochant le “back office” et le “front office” et il est, toujours officieusement, devenu à compter de mai 2018 responsable du service client ainsi reconfiguré en charge d’une vingtaine d’agents, ce sans aucun entretien individuel ni objectif fixé et sans modification de son contrat de travail alors que sa charge de travail était augmentée,
– il n’a pas eu son mot à dire dans le cadre de cette réorganisation qui l’affectait pourtant directement et son poste de travail n’a jamais été clairement défini,
– la réorganisation du service clients a bouleversé les habitudes de travail des équipes et ainsi généré une charge considérable de travail durant l’été 2018 pesant sur une équipe réduite du fait des congés estivaux,
– cette réorganisation est l’élément déclencheur des faits de harcèlement moral dont il a été victime :
* il s’est retrouvé sur un poste non officiel sans en connaître les contours ni les objectifs,
* l’employeur n’a jamais mis en place les moyens nécessaires pour qu’il exerce ses fonctions,
* la situation a engendré des pressions par ses supérieurs hiérarchiques (expression d’un agacement à la suite des préoccupations qu’il a formulées, menace d’éviction, «mise sous surveillance », remise en cause de ses capacités) puis un déclassement par une mise à l’écart puisqu’il s’est vu évincer de son poste de travail à compter du 17 septembre 2018, remplacé par M. [X], sans aucune fonction alors qu’il n’avait émis aucun souhait de mobilité ni volonté d’être déchargé de ses fonctions managériales (suppression de l’accès au « fichier clients immob » et de la liste de diffusion « DIJ Encadrement », retrait du listing établi pour le déménagement du CLI, changement de bureau ) et sans percevoir la part variable sur l’année 2018, pour finalement être affecté à une mission temporaire (“pelliculage et signalétique”), * le CHSCT a été saisi de la situation et le 21 septembre 2018, certains de ses membres ont exercé leur droit d’alerte en exposant les risques psycho-sociaux induits par le comportement de certains managers,
* malgré ses alertes et celles du CHSCT, la situation est restée inchangée.
La société SNCF Voyageurs conteste tout fait de harcèlement moral et soutient que M. [C] était informé lors de sa prise de fonction de responsable du pôle “back office” de la réorganisation prochaine du service et de l’évolution de ses fonctions au poste de responsable du service clients mais que celui-ci n’a en réalité pas satisfait aux missions qui lui ont été confiées et que c’est lui qui a demandé un changement d’affectation pour ne plus exercer de fonctions managériales.
Au titre des éléments qu’il lui incombe d’apporter, M. [C] produit :
– un avenant de modification du contrat de travail du 20 décembre 2017 (pièce n° 2),
– une fiche de poste « Manager Pôle Back Office » (pièce n° 3),
– un entretien individuel d’appréciation de 2018 (pièce n°4),
– un organigramme “Supply Chain” (pièce n° 5),
– de multiples échanges de courriers électroniques avec son employeur (pièces n° 6 à 12, 14 à 16, 18, 19, 22 à 26, 28 à 36 et 38 à 40),
– deux courriers du CHSCT des 21 septembre et 11 octobre 2018 (pièces n° 13 et 27),
– un listing pour déménagement du CLI (pièce n° 17),
– deux courriers des 28 septembre et 1er octobre 2018 (pièces n° 20 et 21),
– ses bulletins de paye (pièce n° 37).
Il résulte de ces éléments que si M. [C] admet effectivement avoir accepté de reprendre le poste de responsable “back office”, la fiche de poste ne fait pour autant pas mention d’une quelconque réorganisation à venir du service clients ni d’une évolution prochaine de ses fonctions (pièce n° 3). De fait, elle ne permet pas de contredire l’affirmation selon laquelle il n’avait pas connaissance de la réorganisation prochaine du service, laquelle a abouti à une augmentation importante de sa charge de travail induite notamment par la fusion de deux services en un seul et le nombre plus important d’agents placés sous sa responsabilité.
En outre, au-delà de souligner ses qualités managériales, ce qui est de nature à contredire l’argumentation de l’employeur sur les lacunes prétendument constatées par la suite, si le compte-rendu d’entretien individuel d’évaluation (non daté mais effectué de toute évidence en 2018 après la prise de fonctions de M. [C]) évoque comme objectif de ” réussir l’intégration de la partie restante du front office et l’évolution du plateau relation clients”, cet entretien intervenu a posteriori ne permet pas de déterminer la réalité et la teneur de l’information donnée au salarié préalablement à sa prise de poste. De plus, cet objectif reste vague et il n’est pas fait mention des moyens alloués pour y parvenir (pièce n° 4).
Enfin, les relevés de temps de travail produits par le salarié démontrent qu’en juin et juillet 2018 confirment un surcroît très important de travail dont l’employeur était nécessairement informé puisque le salarié les a transmis dès le 6 juillet 2018 à son supérieur (M. [V]) en suite d’un entretien, la réponse de l’employeur se limitant à remettre en cause ses compétences professionnelles (pièces n° 7 et 8).
S’agissant des pressions alléguées et de son éviction de son poste, il ressort des éléments produits que l’employeur, alerté à la fois par le salarié et par les membres du CHSCT de la dégradation de ses conditions de travail (pièces n° 12 et 13, 22 et 24 et 27), n’a pas donné d’autre suite que la mise en cause de ses compétences professionnelles et a d’emblée considéré que le salarié sollicitait son reclassement, sans tenir compte du fait que ce dernier a immédiatement démenti le courrier de son employeur du 28 septembre 2018 (pièces n° 20 et 21) et que le CHSCT a lui-même évoqué l’irrégularité de la procédure suivie pour son changement de poste (pièces n° 11 à 13).
De plus, le retrait du salarié des listes de discussion dédiées aux managers du CLI et de l’organigramme “Supply Chain”, retrait que l’employeur admet au seul motif qu’il se justifiait par le fait qu’il n’occupait plus à ce moment-là le poste de manager du service client, tend à confirmer l’éviction alléguée.
En conséquence, ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral, de sorte qu’il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Sur ce point, la société SNCF Voyageurs rappelle en premier lieu qu’en tant que personnel contractuel statut cadre, M. [C] était soumis au règlement du personnel RH 0254/annexe C et qu’il n’a travaillé pour son compte que du 1er janvier 2018 au 1er avril 2019.
Elle conteste tout harcèlement moral et oppose que :
– la plupart des pièces produites par le salarié sont des lettres et des courriers électroniques qu’il a lui-même rédigés dans le but de couvrir son insuffisance professionnelle.
Ce moyen est toutefois inopérant dès lors qu’en l’absence de réelle critique sur leur contenu, le fait que tout ou partie des éléments produits émane d’une des parties n’est pas suffisant pour remettre en cause leur pertinence, la cour conservant un pouvoir d’appréciation sur ceux-ci.
– il était parfaitement informé dès sa prise de poste du contexte d’évolution du CLI comme en témoigne sa fiche de poste et sa classification “G”, laquelle correspond à un cadre approvisionnement matériel principal ayant pour tâche essentielle la direction d’un secteur professionnel important, ce qui implique qu’en prenant le poste de responsable du pôle “back office”, il avait parfaitement conscience que ce poste de cadre d’un niveau de responsabilité élevé impliquait des missions de management importantes, nécessitant une capacité d’adaptation et d’initiatives.
Sur ce point, rien dans la fiche de poste ne fait référence à une réorganisation du service dont le salarié prenait la responsabilité de sorte que le déduire de ses seules attributions et des compétences attendues d’un manager en matière d’initiatives et d’anticipation relève de l’extrapolation.
De même, le fait qu’il ait participé à différents groupes de travail en lien avec la réorganisation du service immédiatement après sa prise de poste (pièce n° 26) ne détermine en rien qu’il en avait connaissance avant sa prise de fonction.
Par ailleurs, comme indiqué précédemment, si le compte-rendu d’entretien individuel d’évaluation évoque comme objectif de ” réussir l’intégration de la partie restante du front office et l’évolution du plateau relation clients “, il est postérieur à sa prise de fonction (l’employeur admettant qu’il s’est “forcément déroulé en début d’année”) et ne détermine donc aucunement la réalité et la teneur de l’information donnée préalablement, pas plus que les attestations produites (pièces n° 10 et 11).
Enfin, l’argument de l’employeur selon lequel il n’a pas jugé utile d’interrompre sa période probatoire qui se terminait à la fin du mois de février 2018 est inopérant.
– du fait de la qualification de son poste (“G”), M. [C] ne pouvait qu’évoluer au sein du service en devenant responsable du nouveau service clients résultant de la fusion du “back” et du “front office”. Les postes au sein de l’entreprise ne sont jamais définis en fonction du nombre de salariés à manager et dans la nouvelle organisation, il n’était plus seul à diriger puisque M. [X] devenait son adjoint.
Ce moyen n’est pas plus de nature à démontrer une quelconque information du salarié sur l’évolution de son poste avant qu’il le prenne en compte.
– compte-tenu des difficultés rencontrées pour tenir son poste, et dans la mesure où il ne répondait pas aux attentes de sa hiérarchie sur le poste pour un cadre de son niveau, il lui a été proposé un autre poste de cadre, moins exposé, correspondant à sa qualification, changement qu’il a accepté à son retour de congés le 17 septembre 2018 à l’issue d’un entretien avec M. [R] le 21 août 2018, M. [C] partageant le constat de son désengagement empêchant la mise en ‘uvre effective de la transformation du service dont il était en charge, émettant un souhait de mobilité.
Ainsi que l’a relevé à juste titre le premier juge, il ne résulte pas des pièces produites le moindre élément confirmant la volonté, du salarié, qui le conteste, d’être déchargé de toutes fonctions managériales.
– M. [C] est exigeant sur ce qu’il attend de ses postes mais sa hiérarchie est nettement plus mitigée sur ses compétences à tenir un poste d’encadrement, et particulièrement pour prendre des initiatives et sortir de ses missions strictes, de sorte que la décision de lui proposer un autre poste que chef du service clients au sein du CLI est uniquement fondée sur ses compétences et savoir-faire professionnels.
La cour relève toutefois qu’il ne ressort pas des éléments d’évaluation produits, tous antérieurs à sa prise de fonction de janvier 2018, une réelle remise en cause de ses compétences mais seulement le souhait de le voir s’améliorer (pièces n° 17 à 19, 29). De même, les prétendus défaillances du salarié au poste de responsable service clients ne sont aucunement démontrées, pas plus que les éventuels conseils et/ou avertissements dont il aurait bénéficié pour y remédier.
– M. [C] a été accompagné afin de lui trouver un poste correspondant à sa qualification et à ses desiderata (responsable performance sur MRT et Fret au sein du CLI), poste qu’il a refusé (pièce n° 3), et dans l’attente d’une nouvelle proposition une mission « signalétique/pelliculage » lui a été proposée et il l’a acceptée, même s’il ne s’y est pas investi, refusant de se remettre en cause et n’hésitant pas à dénigrer son contenu, ce qui ne traduit pas un comportement attendu d’un cadre de niveau G. (pièce n° 4).
Néanmoins, au-delà du fait que l’accompagnement allégué par l’employeur date seulement de septembre-octobre 2018 (pièce n° 15) alors que M. [C] a été retiré de son poste antérieur dès le 17 septembre précédent, il n’est pas justifié que sa réaffectation résulte d’une volonté du salarié d’être déchargé de toute fonction managériale, l’employeur procédant à cet égard par voie d’affirmation, pas plus qu’il n’est démontré que le poste refusé ou la mission acceptée ne constituent pas un déclassement.
– le lien entre des alertes CHSCT pour des risques psycho-sociaux au sein d’une équipe et le harcèlement moral vis-à-vis d’un agent déterminé, qui plus est cadre de ce service n’est pas présumé et le droit d’alerte du CHSCT, daté du 21 septembre 2018, ne concernait pas sa situation en particulier, laquelle n’a pas non plus été abordée lors de la réunion extraordinaire du CHSCT qui s’est tenue le 10 octobre suivant. En tout état de cause, à la suite de cette alerte, la direction a pris l’initiative de mener une étude risques psychosociaux et de mettre en ‘uvre un plan d’améliorations sur la base d’un questionnaire anonyme adressé aux agents du CLI fin 2018, et le contexte de l’existence de risques psychosociaux au sein du CLI ne suffit pas à démontrer un harcèlement.
L’argument de l’employeur relève à cet égard d’une lecture restrictive voire orientée du courrier d’alerte dans la mesure où si la situation particulière de M. [C] n’est pas évoquée, aucun nom n’étant cité, il est en revanche indiqué “D’autre part, il nous a été remonté des propos managériaux brutaux, humiliants et inacceptables envers des agents du CLI, provenant de hiérarchique de N+2 ou de niveau supérieur, qui engendre également des RPS”. Une telle formulation implique que M. [C] ne peut être considéré comme faisant partie de la hiérarchie mise en cause (il n’est ni N+2 ou de niveau supérieur par rapport au CLI) mais au contraire devait être considéré comme faisant partie des agents potentiellement victime des agissements dénoncés. Or il n’est pas justifié que des mesures ont été mises en place à son endroit pour préserver la santé et la sécurité du salarié, la réaction de la société SNCF Voyageurs se révélant à cet égard tardive et succincte,
– le changement de bureau se justifie par le fait que le CLI était présent au moment des faits aux 8ème, 9ème et 11ème étage de l’immeuble situé au [Adresse 2] à [Localité 3] et s’explique par le fait d’intégrer son nouveau collectif de travail dans le cadre de la mission qu’il avait accepté sans réserve.
Néanmoins, il ne saurait être ignoré que ce changement de bureau participe d’un changement de fonctions dont il n’est par ailleurs pas démontré qu’il résulte d’une volonté du salarié, et revêt donc lui aussi un caractère imposé.
– concernant l’absence de part variable sur l’année 2018, il résulte de l’annexe C du référentiel RH0254 que “les agents bénéficient des augmentations générales de salaire. En outre, ils peuvent bénéficier de révisions salariales individuelles. Le niveau de révision salariale est déterminé au regard des compétences acquises au vu d’un entretien individuel annuel et en fonction d’une enveloppe attribuée au responsable de l’entité”.
Le versement d’une part variable en 2019 au titre de l’année 2018, comme l’octroi d’une éventuelle augmentation, dépendait de ses performances et de ses qualités professionnelles. Or, en 2018 M. [C] n’a pas rempli les objectifs professionnels qui lui avait été fixés sur son poste de manager du service “back office” du CLI. La hiérarchie du CLI a donc préféré se servir de l’enveloppe financière qui lui était attribuée pour reconnaître les performances d’autres salariés du service.
Néanmoins, l’argument d’une insuffisance professionnelle du salarié pour justifier l’absence de versement de la part variable ou d’augmentation en 2018 ne repose pas sur une quelconque démonstration de ladite insuffisance, de sorte que l’employeur procède là-encore par voie d’affirmation.
Dans ces conditions, peu important que la mise en place dans l’avenant du 17 mars 2017 d’une clause de forfait en jours implique que le salarié n’était pas soumis à des horaires fixés à l’avance et restait maître de l’organisation de son travail et de son emploi du temps (pièce n° 14), de sorte que M. [C] ne saurait effectivement arguer d’une surcharge de travail sur le seul fondement du nombre d’heures effectuées sur la période considérée, il résulte des développements qui précèdent que la société SNCF Voyageurs échoue à renverser la présomption de harcèlement résultant du fait qu’après l’avoir affecté sur un poste dont la teneur a été sensiblement modifiée sans qu’il en soit préalablement informé puis en le privant de ses fonctions managériales aux motifs combinés qu’il ne répondait pas aux attentes de son employeur et qu’il en a fait la demande, affirmations non démontrées alors même que les fonctions managériales en question n’étaient pas précisément définies en amont de la prise de fonctions, en lui imposant un changement de bureau et en le privant de façon discrétionnaire d’une rémunération complémentaire, ces agissements ayant eu pour conséquence, par le déclassement du salarié, de dégrader ses conditions de travail et de compromettre son avenir professionnel.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a jugé que le harcèlement moral allégué est caractérisé.
b – Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Considérant qu’en le destituant de ses fonctions de responsable du service “back office” sans son accord et sans formaliser d’avenant à son contrat de travail, de fiche de poste ni de nouveaux objectifs pour ses nouvelles fonctions, en arguant d’une insuffisance professionnelle par ailleurs non démontrée, en le privant d’une augmentation individuelle et de sa part variable, M. [C] soutient que la société SNCF Voyageurs a manqué à son obligation contractuelle d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, outre un manquement à son obligation de sécurité pour s’être abstenu de vérifier que la charge de travail était compatible avec son forfait en jour.
La société SNCF Voyageurs soutient au contraire qu’il est clairement établi que M. [C] n’a pas donné satisfaction sur son poste, ce qui a justifié le non-versement de la part variable et la proposition, conformément au souhait de l’agent, de l’affecter à un autre poste avec moins de management, ajoutant avoir fait preuve de bienveillance à son égard alors qu’il était en difficulté.
Néanmoins, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les conditions de mise en oeuvre de la clause de forfait en jours, il résulte des développements qui précèdent que le grief fondé sur le fait de l’avoir affecté sur un poste dont la teneur a été sensiblement modifiée sans qu’il en soit préalablement informé puis de l’avoir privé de ses fonctions managériales est caractérisé, de sorte qu’il y a lieu de considérer que la société SNCF Voyageurs a manqué à ses obligations contractuelles.
c – Sur la demande indemnitaire :
Au titre du harcèlement dont il a été victime et de l’exécution déloyale du contrat de travail, M. [C] sollicite la somme unique de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts.
La société SNCF Voyageurs oppose que M. [C] n’apporte aucun élément susceptible de justifier du préjudice allégué.
Il est constant qu’il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.
En l’espèce, il résulte des développements qui précèdent :
– d’une part que M. [C] a été victime de harcèlement moral, ce qui implique nécessairement un préjudice moral consécutif à la dégradation de ses conditions de travail. En outre, le non versement non justifié de la part variable implique une perte financière,
– d’autre part que l’employeur a manqué à son obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail.
Il y a donc lieu d’accueillir sa demande et de lui allouer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
II – Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
La société SNCF Voyageurs sera condamnée à payer à M. [C] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
La demande de la société SNCF Voyageurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée,
La société SNCF Voyageurs succombant, elle supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 4 février 2022 par le conseil de prud’hommes de Dijon sauf en ce qu’il a alloué à M. [D] [C] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,
Statuant à nouveau du chef infirmé, et y ajoutant,
CONDAMNE la société SNCF Voyageurs à payer à M. [D] [C] les sommes suivantes :
– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,
– 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la société SNCF Voyageurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société SNCF Voyageurs aux dépens d’appel.
Le greffier Le président
Jennifer VAL Olivier MANSION