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18 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/08207
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 18 JANVIER 2024
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/08207 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSDJ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Avril 2023 -Tribunal de Commerce de BOBIGNY – RG n° 2023R00030
APPELANTE
S.A.S. FLASH DIFFUSION, exerçant sous l’enseigne NANU CCHI, RCS de Bobigny sous le n°478 705 352, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Ayant pour avocat postulant Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Représentée à l’audience par Me Budes-Hilaire DE LA ROCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : R016
INTIMEE
S.A.S. FPPM INTERNATIONAL, RCS de Rouen sous le n°537 749 095, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Ayant pour avocat postulant Me Shameer RUHOMAUN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 197
Représentée à l’audience par Me Charles-André CAZES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 30 Novembre 2023 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et Laurent NAJEM, Conseiller, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Laurent NAJEM, Conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
La société FPPM International conçoit et commercialise sous la marque Paul Marius une gamme d’articles de bagagerie et d’accessoires de maroquinerie. Parmi les produits de la marque Paul Marius figurent trois modèles de sacs : les modèles ” Mademoiselle George “, ” L’indispensable ” et ” Suzon “.
La société Flash Diffusion a pour activité le commerce de gros de sacs au style classique et exerce sous l’enseigne Nanucci. Elle a déposé une marque Flora & Co le 27 janvier 2012.
La société FPPM International estime que la société Flash Diffusion copie les lignes des sacs de la marque Paul Marius. Ainsi, elle se prévaut d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme sur les sacs Suzon, Mademoiselle George et L’indispensable.
Par requête en date du 7 octobre 2022, la société FPPM International a saisi le président du tribunal de commerce de Bobigny, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, aux fins qu’il ordonne les mesures propres à conserver ou établir en urgence, avant tout procès et de manière non contradictoire, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du procès en concurrence déloyale et parasitaire que la société FPPM International veut intenter à la société Flash Diffusion.
Par ordonnance en date du 18 octobre 2022, le président du tribunal de commerce de Bobigny a fait droit à la requête et a notamment désigné tout huissier de son choix avec la mission de se rendre au siège social de la société Flash Diffusion et a autorisé l’huissier instrumentaire désigné par la requérante pour mener ses opérations et accomplir ses missions.
Le 7 décembre 2022, l’ordonnance a été signifiée à la société Flash Diffusion et les mesures d’instruction ordonnées ont été réalisées donnant lieu à deux procès-verbaux de constats.
Par acte du 6 janvier 2023, la société Flash Diffusion a assigné la société FPPM International devant le président du tribunal de commerce de Bobigny, au visa des articles 9, 16, 145, 493, 495 et 497 du code de procédure civile, aux fins de voir :
A titre principal, sur l’absence de caractère nécessaire des mesures sollicitées,
révoquer l’ordonnance rendue le 18 octobre 2022 au motif que les mesures requises peuvent être obtenues par un moyen de preuve alternatif excluant de considérer qu’une mesure in futurum sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile était nécessaire dès lors que :
– les mesures visaient à confirmer des faits relevant de l’offre au public de produits impliquant que pour établir une preuve, le requérant aurait pu et dû procéder à des procès-verbaux de constats,
– les mesures sollicitées relatives à la remise de documents comptables sont étrangères à la nature du potentiel différend évoqué dans la requête et pourraient le cas échéant être formulées dans le cadre du différend au fond après que le juge ait apprécié l’hypothétique bienfondé de cette demande au visa de l’article 142 du code de procédure civile,
A titre alternativement principal, sur le caractère infondé de l’action pour défaut de preuve soumis à l’appui de la requête,
révoquer l’ordonnance rendue le 18 octobre 2022 au motif que les mesures étaient injustifiées faute pour la société FPPM International de fournir le moindre commencement de preuve d’un hypothétique préjudice nécessaire à la mise en ‘uvre d’une action en concurrence déloyale ni la preuve d’une hypothétique notoriété de la marque Paul Marius en général et des trois sacs L’indispensable, Mademoiselle George et Suzon en particulier,
A titre alternativement principal, sur l’absence de circonstance sérieuse justifiant de déroger au principe du contradictoire,
juger qu’en l’état des pièces et l’absence de circonstances précises et concrètes, la société FPPM International ne justifie pas de circonstances pouvant déroger au principe du contradictoire,
juger que le caractère non exhaustif de la présentation des références sur un site vitrine destiné uniquement à des professionnels ne caractérise pas une volonté de dissimuler les articles qui n’y sont pas référencés,
rétracter l’ordonnance rendue le 18 octobre 2022,
En conséquence de l’un ou l’autre des arguments soulevés à titre principal,
déclarer nul et nul effet les mesures d’instruction diligentées le 7 décembre 2022 au siège social de la société Flash Diffusion, dans un show-room sis à la même adresse et dans son entrepôt situé à [Localité 5],
annuler les opérations diligentées le 7 décembre 2022 et les procès-verbaux dressés par la SELARL Lamandin-Roche-Thuet pour l’exécution de la mesure probatoire prévue par ladite ordonnance,
ordonner la destruction de tous les fichiers saisis,
A titre subsidiaire sur le détournement de procédure,
juger qu’en sollicitant les mesures de saisie description et de pièces comptables, la société FFPM international a procédé à un détournement de l’article 145 du code de procédure civile en diligentant une saisie contrefaçon déguisée,
annuler l’ordonnance du 18 octobre 2022 en ce que le président du tribunal judiciaire de Paris dispose d’une compétence d’attribution pour ordonner des saisies contrefaçon dans les juridictions de sa compétence,
déclarer nul et de nul effet les mesures d’instruction diligentées le 7 décembre 2022 au siège social de la société Flash Diffusion, dans son show-room sis à la même adresse et dans son entrepôt situé à [Localité 5],
annuler les opérations diligentées le 7 décembre 2022 et les procès-verbaux dressés par la SELARL Lamandin-Roche-Thuet pour l’exécution de la mesure probatoire prévue par ladite ordonnance,
ordonner la destruction de tous les fichiers saisis,
A titre infiniment subsidiaire sur le caractère disproportionné des mesures sollicitées,
juger le caractère disproportionné et imprécis des mesures ordonnées,
rétracter l’ordonnance du 18 octobre 2022 en raison du caractère imprécis de son objet (absence de référence à des mots clés ou des références numériques), de l’absence de limitation dans le temps raisonnable (faisant remonter les mesures à 2016 soit antérieurement au délai de prescription pour une action en concurrence déloyale) et de son caractère disproportionné (en autorisant la communication du fichier client à un concurrent),
déclarer nul et de nul effet les mesures d’instruction diligentées le 7 décembre 2022 au siège social de la société Flash Diffusion, dans son show-room sis à la même adresse et dans son entrepôt situé à [Localité 5],
annuler les opérations diligentées le 7 décembre 2022 et les procès-verbaux dressés par la Selarl Lamandin-Roche-Thuet pour l’exécution de la mesure probatoire prévue par ladite ordonnance,
ordonner la destruction de tous les fichiers saisis,
En tout état de cause,
condamner la société FFPM international à verser la somme de 4.000 euros à la société Flash Diffusion au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la société FFPM international aux entiers dépens.
Par ordonnance contradictoire du 14 avril 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny, a :
– débouté la société Flash Diffusion de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– ordonné à la société Flash Diffusion de payer à la société FPPM International la somme provisionnelle de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté la société FPPM International du surplus de sa demande ;
– débouté les parties de toutes leurs prétentions incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue ou le présent dispositif ;
– rappelé que l’exécution provisoire est de droit ;
– ordonné les dépens à la charge de la société Flash Diffusion ;
– liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 41,98 euros TTC (dont TVA 6,78 euros).
Par déclaration du 28 avril 2023, la société Flash Diffusion a interjeté appel de la décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 03 novembre 2023, la société Flash Diffusion demande à la cour, au visa des articles 9, 16, 145, 146 alinéa 2, 493, 495 et 497 du code de procédure civile, de :
– infirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Bobigny du 14 avril 2023 ;
En conséquence,
– révoquer l’ordonnance rendue le 18 octobre 2022 aux motifs pris individuellement :
d’un défaut de motif légitime faute pour le requérant d’apporter les éléments de preuve à l’appui des faits figurant dans sa requête, d’une part, et de l’existence d’un préjudice certain, personnel et direct, d’autre part,
d’une absence de nécessité à recourir à une mesure d’instruction in futurum à raison de la possibilité d’user de moyens alternatifs et contradictoires pour obtenir les éléments requis,
du défaut de circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire à raison d’un fondement erroné dans la requête de la société FPPM International, d’une part et de l’irrecevabilité à opposer un incident survenu au cours des opérations de saisie d’autre part,
d’une instrumentalisation d’une mesure d’instruction in futurum pour obtenir des pièces et des informations en diligentant une saisie contrefaçon déguisée,
du caractère disproportionné et imprécis des mesures ordonnées,
– déclarer nul et de nul effet les mesures d’instruction diligentées le 7 décembre 2022 au siège social de la société Flash Diffusion, dans son show-room sis à la même adresse et dans son entrepôt situé à [Localité 5] ;
– annuler les opérations diligentées le 7 décembre 2022 et les procès-verbaux dressés par la SELARL Lamandin-Roche-Thuet pour l’exécution de la mesure probatoire prévue par ladite ordonnance ;
– condamner la société FPPM International à verser la somme de 5.000 euros à la société Flash Diffusion au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société FPPM International aux entiers dépens.
Elle fait valoir que la démonstration d’un préjudice, qui est une des conditions pour initier une procédure en concurrence déloyale, n’est pas faite en l’espèce ; que la commercialisation de produits identiques en s’inscrivant dans l’air du temps ne constitue pas en soi un acte de concurrence ; que le demandeur à une action en concurrence déloyale doit démontrer et établir des faits complémentaires justifiant que la commercialisation licite d’un produit identique libre de droit dégénère en concurrence déloyale.
Elle fait valoir qu’il appartient à l’intimée de prouver les faits complémentaires qui transforment la commercialisation licite d’un produit libre de droit en un acte de concurrence déloyale, compte tenu du principe de la liberté de commerce et d’industrie.
Elle rappelle que les faits survenus lors d’une opération de constat sont indifférents pour apprécier la pertinence de la mesure au jour où la requête a été soumise, de sorte que le raisonnement du premier juge est erroné sur ce point. Elle relève que les missions ordonnées sont identiques à celle d’une saisie contrefaçon.
Elle allègue que l’intimée est défaillante dans l’administration des faits qu’elle allègue s’agissant du préjudice, de la notoriété et du succès des références en cause ; que le préjudice s’apprécie par le gain perdu et non par le gain obtenu par le concurrent.
Elle estime qu’il existait des mesures alternatives pour obtenir les pièces requises. Elle soutient qu’en demandant à connaître les produits offerts à la vente par un concurrent, l’intimée instrumentalise une mesure d’instruction in futurum pour découvrir des faits qui sont par nature publics ; que son dirigeant a spontanément fourni les informations requises ; que l’obtention de données comptables est indifférente pour évaluer le préjudice ; que l’intimée peut solliciter une expertise ou demander que des documents comptables soient produits dans le cadre d’un différend au fond.
Elle précise qu’elle ne vend pas ses produits aux consommateurs et qu’elle n’a donc pas l’utilité d’un site marchand et elle considère que le motif argué à ce titre de l’absence de commercialisation en ligne est dépourvu de fondement.
Elle considère qu’il y a détournement de procédure en ce que la mesure est une saisie-contrefaçon déguisée, d’autant plus préjudiciable qu’elle autorise une copie de fichiers clients.
Elle fait valoir que les mesures sont disproportionnées s’agissant de l’appréhension des marchandises et de la liste des clients et elle souligne que l’ordonnance est imprécise en ce qu’elle ne vise pas de mots clés ou de référence.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 21 juillet 2023, la société FPPM International demande à cour, au visa des articles 145, 872 et 873 du code de procédure civile et de l’article 1240 du code civil, de :
– confirmer purement et simplement, dans toutes ses dispositions, l’ordonnance dont appel, rendue le 14 avril 2023 par le président du tribunal de commerce de Bobigny ;
Par voie de conséquence,
– débouter la société Flash Diffusion de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en les déclarant infondées ;
Statuant à nouveau,
– condamner la société Flash Diffusion à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et à assumer la charge des entiers frais et dépens de la présente instance.
Elle fait valoir qu’il résulte de la jurisprudence que celui qui ne peut se prévaloir d’un droit privatif de propriété intellectuelle sur un objet peut agir à l’encontre des tiers qui en reproduisent les caractéristiques sur le terrain de la concurrence déloyale ou parasitaire.
Elle soutient que la simple lecture des articles versés permet de se convaincre qu’il s’agit de véritables articles de presse rédigés par des journalistes indépendants ; que les produits de la marque Paul Marius sont vendus désormais dans 300 magasins ainsi que 35 boutiques à cette enseigne. Elle expose justifier de la date de commercialisation des modèles en cause et donc de leur antériorité et fait état d’une ressemblance flagrante avec les modèles de l’appelante, de sorte que les griefs sont ” plausibles et vraisemblables “.
Elle fait valoir que l’absence de preuve d’une diminution des ventes est indifférente ; qu’elle est un acteur important du marché, ainsi que l’a reconnu le premier juge ; que les volumes d’affaire respectifs des parties constituent un élément essentiel pour déterminer l’évaluation du préjudice.
Elle fait état de difficultés rencontrées par le commissaire de justice instrumentaire lors de la réalisation du constat, avec une volonté manifeste de dissimulation.
Elle allègue qu’elle a justifié de manière précise et circonstanciée à ce qu’il soit dérogé au contradictoire ; qu’il est permis de s’interroger sur le fait que l’appelante a choisi de ne pas faire figurer les trois modèles sur son site.
Elle souligne que l’ensemble des pièces comptables dont la recherche était sollicitée étaient expressément circonscrites aux références de sacs argués d’imitation ; qu’il n’y avait pas d’accès généralisé au fichier client ; qu’il n’y a aucun détournement de procédure.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2023.
SUR CE,
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L’article 493 du même code dispose que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
Les mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peuvent donc être ordonnées sur requête qu’à la condition, pour le requérant de justifier, d’une part, d’un motif légitime, d’autre part, de la nécessité de déroger au principe de la contradiction.
Sur le motif légitime
Il incombe au requérant à la mesure de justifier d’un ” procès en germe ” entre les parties, possible et non manifestement voué à l’échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée.
Le recours à une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne requiert pas de commencement de preuve, la mesure ayant précisément pour objet de rechercher et établir les preuves en vue d’un procès futur.
Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Flash diffusion, la société FPPM international n’a pas à rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve des actes de concurrence déloyale suspectés et du préjudice en résultant, puisque la mesure a précisément pour objet d’améliorer sa situation probatoire.
Le simple fait de copier un produit concurrent qui n’est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale et la recherche d’une économie au détriment d’un concurrent n’est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.330 : JurisData n°2010-001565 ; Propr. intell. avr. 2010, p. 774, note J. Passa). Néanmoins, l’action en concurrence déloyale est ouverte à celui qui ne dispose pas d’un droit de propriété privatif et a pour objet de voir sanctionner l’imitation d’un produit de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.
En l’espèce, la société FPPM International produit des articles de presse (pièces 2 et 3) qui témoignent du succès de la marque de maroquinerie Paul Marius présente en 2017 dans presque 300 points de vente en France et à l’étranger et qui comptaient 9 magasins sous ce nom. Il est fait état d’un chiffre d’affaires de 9 millions d’euros pour une marque dont le succès rapide depuis 2014 est mis en exergue.
La société intimée justifie par ailleurs d’un site internet paulmarius.fr (pièce 5) sur lequel sont commercialisés ses modèles.
L’antériorité des trois modèles litigieux est suffisamment attestée par trois factures, soit des pièces comptables : 2016 pour Mademoiselle George, 2017 pour L’indispensable et 2021 pour Suzon.
A ce stade, avant tout procès, la comparaison visuelle dans les conclusions de l’intimé, comme dans sa requête, entre les sacs commercialisés par l’intimée et des modèles de la marque Flora&co et commercialisés par la société Flash diffusion est suffisante en ce qu’elle révèle des ressemblances certaines s’agissant de la forme du sac, des matériaux et coloris et l’organisation intérieure des modèles ; les modèles litigieux ayant été remis à la cour par ailleurs corroborent ces ressemblances. Il en résulte que l’existence d’un procès ” en germe “, crédible est suffisamment établie, quand bien même, dans un débat de fond, cette comparaison ferait aussi apparaître quelques dissemblances.
Il a été relevé que la société FFPM international n’a pas à rapporter la preuve d’un préjudice déterminé notamment dans son quantum puisque la mesure vise précisément à améliorer sa situation probatoire. En matière de responsabilité pour concurrence déloyale, en outre, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient qu’il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale (Cass., Com., 12 Février 2020 – n° 17-31.614 citant Cass., Com., 22 octobre 1985, pourvoi n° 83-15.096, Bull. 1985, IV, n° 245 ; Cass., Com., 27 mai 2008, pourvoi n° 07-14.442, Bull. IV, n° 105 ; Cass., 1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-14.582 ; Cass., Com., 28 septembre 2010, pourvoi n° 09-69.272 ; Cass., Com., 11 janvier 2017, pourvoi n° 15-18.669).
La présomption qui en découle ne dispense cependant pas le demandeur de démontrer l’étendue de son préjudice. La réparation du dommage peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectées par ces actes.
Par ailleurs, au-delà du volume des ventes, les agissements parasitaires sont de nature à créer un risque de banalisation de la marque et une dilution de ces éléments identifiants. Dès lors, les seuls actes publics de commercialisation, ne suffiraient pas à établir toute l’étendue du préjudice subi.
Il en résulte que les mesures d’instruction à cette fin, visant à établir la réalité et l’ampleur de la commercialisation aux fins de démontrer l’étendue du préjudice, sont légitimes et pertinentes pour permettre d’apporter une telle preuve.
Il a été relevé que les articles de presse témoignaient du succès de la marque Paul Marius depuis plusieurs années et de son implantation dans près d’une dizaine de commerces à son nom et dans des centaines d’autres points de vente en France et à l’étranger.
C’est dès lors à bon droit que le premier juge a retenu que des éléments attestaient de la notoriété de cette marque et de son antériorité et partant, d’un préjudice possible, sans qu’il soit besoin d’entrer dans le débat de fond sur l’étendue dudit préjudice.
Il en résulte suffisamment en l’espèce, qu’un procès est possible, crédible et qu’il n’est pas manifestement voué à l’échec.
Par conséquent, la société FFPM international justifie d’un motif légitime au soutien de sa demande, ainsi que l’a retenu le premier juge.
Sur la dérogation au principe de la contradiction
Le juge, saisi sur requête, doit rechercher si la mesure sollicitée exige une dérogation au principe de la contradiction. L’éviction de ce principe directeur du procès nécessite que la requérante justifie de manière concrète les motifs pour lesquels, dans le cas d’espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.
Dans sa requête, la société FPPM International faisait valoir qu’il convenait de ” constater que les modèles litigieux argués de copie servile ne sont pas commercialisés sur le site internet marchand de la société Flash diffusion (Pièce n°25), qui semble préférer les diffuser de manière plus discrète, via des commerçants indépendants ” et que ” ces circonstances laissent donc craindre, dans le cadre d’une procédure contradictoire, que la société Flash Diffusion tente préalablement à toute intervention d’un huissier de justice dans ses locaux, de dissimuler ou de faire disparaitre les modèles de sac litigieux ainsi que l’ensemble des pièces susceptibles de permettre d’établir et d’évaluer l’ampleur des actes de concurrence déloyale et parasitaire allégués par la requérante. ”
La société Flash diffusion soutient qu’elle est spécialisée dans le commerce de gros à destination de clients professionnels et qu’elle n’a pas l’utilité d’un site marchand, mais uniquement d’une ” vitrine “, ce qui explique que les modèles litigieux n’y soient pas exposés et que son site ne soit pas exhaustif. Elle relève que notamment le site floraandco-paris.com ne comprend pas de prix des produits.
Cette distinction apparaît artificielle et ne procède d’aucune mention explicite du site à l’adresse des internautes et le fait que les modèles litigieux n’y figurent pas rend au contraire plausible un risque de dissimulation de preuves quant à la commercialisation des sacs litigieux.
C’est à bon droit que le premier juge a retenu que la dérogation au principe du contradictoire était suffisamment justifiée pour ces raisons. En revanche, l’attitude alléguée de la société requise lors des opérations de constat mises en ‘uvre en exécution de l’ordonnance ne peut pas être prise en compte : elle est postérieure à l’ordonnance querellée et ne peut la fonder a posteriori.
La société Flash diffusion considère par ailleurs que la requête relève d’un détournement de procédure et qu’il s’agit d’une saisie-contrefaçon déguisée.
Cependant, il sera observé que l’action en concurrence déloyale pourrait se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif (Cour de cassation, 1re Civ., 7 Octobre 2020 – n° 19-11.258). En outre, ce faisant, la société Flash diffusion dénie de nouveau le principe même d’une action en concurrence déloyale, pourtant possible justement dans l’hypothèse d’une absence de droit privatif, ainsi qu’il a été relevé ci-avant.
La requête détaille les modèles en cause de la société FPPM International et les modèles Flora&co correspondant, avec leurs références précises (H6712 pour le sac Mademoiselle Georges, H2549 en regard du sac Suzon de la requérante) ; l’ordonnance peut viser la requête pour en adopter les motifs sans avoir besoin de les reprendre. Les photographies dans la requête participent également à circonscrire la mesure, s’agissant d’un constat.
La mesure était proportionnée en ce qu’elle visait les sacs argués d’imitation, décrits et comparés dans le corps de la requête, références comprises, s’agissant de l’inventaire des stocks et des factures. Seules les pièces comptables afférentes auxdits sacs étaient requises et non, par exemple, l’accès à l’ensemble des clients au-delà des sacs en question.
Enfin, l’atteinte au secret des affaires ne constitue pas un obstacle à l’application de l’article 145 du code de procédure civile et, donc, à la saisie de documents pouvant s’avérer utiles pour préserver le droit à la preuve de la société FFPM international.
La cour observe d’ailleurs que l’ordonnance contenait des dispositions suffisamment protectrices sur ce point :
” Disons que l’Huissier instrumentaire désigné devra conserver l’ensemble des éléments recueillis en séquestre en son étude, sans qu’il puisse en donner connaissance à la requérante, dans l’hypothèse où les éléments en question seraient de nature à porter atteinte à un secret d’affaires,
Disons que les parties viendront devant nous, en référé, aux fins d’examen, en présence de l’Huissier instrumentaire, des pièces séquestrées, et qu’il soit statué sur la communication desdites pièces.
Disons qu’en vue de cet examen, l’Huissier instrumentaire désigné tiendra à disposition de la société incriminée, sur un support informatique adapté, une copie des pièces séquestrées, afin que cette dernière puisse, pour les besoins de leur examen par le juge, sélectionner celles des seules pièces à la communication desquelles elle s’oppose (‘) “.
Le grief tenant à la disproportion de la mesure n’apparait pas davantage fondé.
C’est donc à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance du 18 octobre 2022.
La décision déférée sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile. En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d’un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.
En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et, dès lors, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une d’elles.
La décision sera infirmée sur ce point, chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Au regard de l’issue du litige en appel, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et la société Flash diffusion sera condamnée à payer à la société FFPM international, contrainte d’exposer des frais irrépétibles en appel, pour assurer sa défense, la somme de 3.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision entreprise, sauf en ce qui concerne les dépens ;
Statuant de nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens de première instance et d’appel par elle exposés ;
Condamne la société Flash diffusion à payer à la société FFPM international la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE