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18 janvier 2024
Cour d’appel de Caen
RG n°
23/00661
AFFAIRE : N° RG 23/00661 –
N° Portalis DBVC-V-B7H-HFPV
ARRÊT N°
SP
ORIGINE : DECISION en date du 02 Mars 2023 du Président du TC de CAEN
RG n° 22/005335
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 18 JANVIER 2024
APPELANTE :
S.A.S. VIDANGES SERVICES
N° SIRET : 802 189 357
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Franck THILL, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Yann JULLIEN, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
S.A.R.L. V.A.S 3D
N° SIRET : 892 571 596
[Adresse 5]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Jean-Jacques SALMON, substitué par Me Phlilippe SALMON, avocats au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 23 novembre 2023
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 18 janvier 2024 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier.
La SAS Vidanges services, société immatriculée le 13 mai 2014 et dont le siège se trouve à [Localité 1], exerce une activité principale de prestations de vidange, débouchage de canalisations, nettoyage, inspection, diagnostic, réparations et désinfection de fosses septiques et bacs à graisse pour particuliers et collectivités, et une activité secondaire de prestations « 3D » de lutte contre les nuisibles.
Dans le cadre de son activité, la société Vidanges services a embauché en qualité de chauffeur opérateur vidange MM. [D] [E] et [G] [Y], respectivement les 30 août 2016 et 29 juillet 2019.
Les deux salariés ont démissionné de leur emploi, M. [D] [E] le 14 décembre 2020, M. [G] [Y] le 20 novembre 2020.
M.M [G] [Y] et [D] [E] ont créé leur propre société, SARL VAS 3D (Vidanges assainissement services), exerçant une activité sensiblement identique à celle de la SAS Vidanges services, société qu’ils ont immatriculée le 4 janvier 2021 avec un début d’activité fixé au 17 décembre 2020.
Se plaignant d’une importante perte de clientèle à compter de janvier 2021 et soupçonnant des agissements constitutifs d’un détournement de clientèle et des actes de concurrence déloyale de la part de ses anciens salariés, MM. [E] et [Y], la SAS Vidanges services, dans la perspective d’une action au fond, a, par acte d’huissier de justice du 31 octobre 2022, fait assigner la SARL VAS 3D en référé devant le président du tribunal de commerce de Caen, afin d’obtenir, au visa de l’articles 145 du code de procédure civile, la production, sous astreinte, des comptes sociaux détaillés et complets de la SARL VAS 3D au 31 décembre 2021, ainsi que de son journal des ventes au format Word et fichier Excel du 1er janvier 2021 jusqu’au jour de la décision à intervenir.
Par ordonnance du 2 mars 2023, le président du tribunal de commerce de Caen a :
– débouté la SAS Vidanges Services de sa demande ;
– condamné la SAS Vidanges services à payer à la société V.A.S. 3D la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SAS Vidanges services aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s’élevant à la somme de 40,65 euros dont 6,77 euros de TVA.
Par déclaration au greffe du 17 mars 2023, la SAS Vidanges services a relevé appel de cette ordonnance.
Par dernières conclusions déposées le 6 novembre 2023, la SAS Vidanges services demande notamment à la cour de :
– Annuler, infirmer ou à tout le moins réformer l’ordonnance entreprise ;
Statuer à nouveau comme il suit :
A titre principal,
– Condamner la société VAS 3D à communiquer à la société Vidanges services sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir :
*les comptes sociaux détaillés et complets de la société VAS 3D depuis sa création jusqu’à la date de l’arrêt à intervenir ;
*le grand livre clients de la société VAS 3D en format word et fichier excel du 17 décembre 2020 jusqu’à la date de l’arrêt à intervenir ;
*une attestation d’expert-comptable certifiant conforme le grand livre clients de la société VAS 3D aux comptes sociaux déposés par elle auprès du greffe du tribunal de commerce ;
– Se réserver la liquidation de l’astreinte.
A titre subsidiaire,
– Désigner tel technicien qu’il plaira à la Cour de désigner avec la mission de :
*se faire communiquer non contradictoirement par l’ensemble des parties tous documents, notamment les Grands livres clients de chacune des parties ainsi qu’une attestation d’expert-comptable les certifiant conformes aux comptes sociaux déposés par elles auprès du greffe du tribunal de commerce afin de constater, en nombre et en valeur, les clients qui sont passés d’une relation d’affaires avec la société Vidanges services à une relation d’affaires avec la société VAS 3D sur la période postérieure au 17 décembre 2020, date à laquelle cette dernière a débuté son activité ;
*établir contradictoirement dans les 3 mois de sa désignation un rapport de constatations détaillé récapitulant :
– l’identité des clients de la société Vidanges services auprès desquels la société VAS 3D a commercialisé des prestations à compter du 17 décembre 2020, date à laquelle cette dernière a débuté son activité ;
– la nature, les dates et les montants des prestations commercialisées par la société VAS 3D auprès des clients de la société Vidanges services à compter du 17 décembre 2020, date à laquelle la société VAS 3D a débuté son activité ;
A titre infiniment subsidiaire,
– Désigner tel expert qu’il plaira à la cour de désigner avec la mission de :
*se faire communiquer contradictoirement par l’ensemble des parties tous documents, notamment les grands livres clients de chacune des parties ainsi qu’une attestation d’expert-comptable les certifiant conformes aux comptes sociaux déposés par elles auprès du greffe du tribunal de commerce afin de constater, en nombre et en valeur, les clients qui sont passés d’une relation d’affaires avec la société Vidanges services à une relation d’affaires avec la société VAS 3D sur la période postérieure au 17 décembre 2020, date à laquelle cette dernière a débuté son activité ;
*établir contradictoirement dans les 3 mois de sa désignation un rapport d’expertise détaillé récapitulant :
– l’identité des clients de la société Vidanges services auprès desquels la société VAS 3D a commercialisé des prestations à compter du 17 décembre 2020, date à laquelle cette dernière a débuté son activité ;
– La nature, les dates et les montants des prestations commercialisées par la société VAS 3D auprès des clients de la société Vidanges services à compter du 17 décembre 2020, date à laquelle la société VAS 3D a débuté son activité;
En tout état de cause,
– Rejeter l’ensemble des demandes reconventionnelles de la société VAS 3D,
– Condamner la société VAS 3D à verser à la société Vidanges services la somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par elle en première instance et en cause d’appel,
– Condamner la société VAS 3D à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
Par dernières conclusions déposées le 7 novembre 2023, la société VAS 3D demande à la cour de :
– Confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise,
Y additant,
– Condamner la société Vidanges services à payer à la société VAS 3D la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Vidanges services aux entiers dépens,
À titre subsidiaire,
– Ordonner à la société Vidanges services de communiquer sur la procédure :
*son bilan et compte de résultat pour les années 2018, 2019, 2020, 2021 et 2022,
*les justificatifs de son activité 3D sur les exercices 2018, 2019, 2020, 2021, 2022,
*son listing clients faisant ressortir les noms de ses clients et chiffres d’affaires client par client pour les exercices 2018, 2019, 2020, 2021, 2022,
– Ordonner la réouverture des débats, fixer un calendrier de procédure permettant à chacune des parties de déposer des écritures.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2023.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
L’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Ce texte n’exige pas que le demandeur établisse le bien-fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée puisque celle-ci doit justement permettre de fournir la preuve nécessaire.
La SAS Vidanges services soutient qu’il existe de nombreux indices graves et concordants tendant à rendre vraisemblable l’existence d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme de la part de la SARL VAS 3D et qu’elle justifie ainsi d’un motif légitime à solliciter une mesure d’instruction in futurum avant tout procès au fond afin d’obtenir des documents permettant d’établir la concurrence déloyale et la preuve de son préjudice.
Il convient de rappeler que seuls des agissements fautifs peuvent constituer une concurrence déloyale, aucune société commerciale ne pouvant se prévaloir d’un droit privatif sur ses clients et tous les concurrents étant libres de démarcher ceux-ci sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce.
Le démarchage de la clientèle d’un concurrent, y compris par un ancien salarié, n’est donc pas par principe constitutif de concurrence déloyale. Il n’en est autrement que s’il est accompagné de procédés déloyaux.
Le premier juge a procédé à une analyse complète des pièces produites par la SAS Vidanges services à l’appui de sa prétention et a estimé à juste titre que les éléments produits étaient insuffisants à rendre vraisemblables les agissements abusifs allégués et à caractériser ainsi le motif légitime exigé par l’article 145 du code de procédure civile.
Les pièces communiquées en cause d’appel ne sont pas de nature à remettre en cause cette analyse.
Il convient de rappeler que les anciens salariés de la SAS Vidanges services, MM. [G] [Y] et [D] [E], ne sont pas liés à celle-ci par une clause de non-concurrence et avaient donc la possibilité, après leur départ, de créer une société ayant une activité concurrente.
Ils ont constitué et démarré l’activité de leur entreprise postérieurement à leur démission de la SAS Vidanges services
Les investigations menées sur les anciens ordinateur et téléphones portables utilisés par les deux anciens salariés, relatées dans le constat d’huissier du 20 janvier 2022, n’ont pas fourni d’élément exploitable. Elles n’ont révélé aucun élément permettant de soupçonner un éventuel pillage des fichiers clients et autres données commerciales et administratives de la SAS Vidanges services. Le seul fait que l’ordinateur a été totalement réinitialisé le 1er décembre 2020, soit avant le départ de M. [E], n’est pas probant.
La similitude des documents d’intervention et conditions générales utilisés par les deux sociétés litigieuses n’apparaît pas anormale au regard du fait qu’elles exercent une activité quasi identique. L’intimée communique d’ailleurs en pièce n°25 le bon d’intervention d’une société concurrente, dénommée Techn Immo, qui est également similaire aux documents utilisés par les parties.
Il ne peut donc être déduit de cette circonstance que la SARL VAS 3D a volé les trames et fichiers administratifs de l’appelante.
Les démarches accomplies antérieurement à la rupture de leur contrat de travail par MM. [Y] et [E] pour préparer la création de leur future société, en particulier l’obtention d’informations tarifaires auprès d’un fournisseur référencé par la SAS Vidange services, ne constituent pas des actes illicites.
Par ailleurs, les tarifs pratiqués par la SARL VAS 3D ne sont pas anormalement bas. Le fait qu’ils soient de manière générale légèrement inférieurs à ceux de la SAS Vidanges service n’est pas significatif.
Le tribunal a également considéré à juste titre que la mention ‘Vidange Assainissement Services’ sous la dénomination sociale ‘VAS 3D’ figurant sur les documents commerciaux de cette dernière n’était pas de nature à créer une confusion entre les deux sociétés concurrentes. Aucun fait de parasitisme n’est susceptible d’être reproché à ce titre.
Il n’existe pas non plus d’indice susceptible d’accréditer la thèse d’un débauchage abusif de salariés de la SAS Vidanges services.
À l’inverse, la SARL VAS 3D démontre que le recrutement de M. [N] [W] résulte d’une candidature de celui-ci en date du 8 mars 2023 à la suite de l’annonce diffusée par l’intimée le 2 janvier 2023, ce qui constitue une procédure d’embauche tout à fait normale.
En outre, rien dans les pièces fournies ne laisse penser qu’il y aurait eu un démarchage systématique et déloyal des clients de l’appelante.
La première attestation de M. [S] [W], responsable du CROUS, mettant en cause le comportement de M. [E], ne peut être prise en compte puisque trois ans plus tard, il est revenu sur son témoignage initial.
L’appelante soutient qu’il aurait subi des menaces pour rétracter son témoignage. Cependant, l’attestation qu’elle produit en ce sens, émanant du fils, [N] [W], est dénuée de toute crédibilité au regard de ses ‘allers-retours’ en tant que salarié entre la SAS Vidanges services et la SARL VAS 3D et des inexactitudes dans sa déclaration, indiquant qu’il aurait été recruté par l’intimée 2 jours après l’obtention d’un nouvel écrit de son père alors qu’en réalité, il n’a été embauché qu’en mars 2023, soit 2 mois après la seconde attestation de ce dernier en date du 23 janvier 2023.
Seul le gérant du restaurant [4] fait état d’une tentative de démarchage anormal par M. [E] en 2020, mais ce fait isolé ne saurait fonder une action en responsabilité car il n’a entraîné aucun préjudice pour la SAS Vidanges services, la société VAS 3D n’ayant jamais contracté avec ce commerçant.
Enfin, la diminution du chiffre d’affaire et la perte de clients historiques subies par l’appelante dès le démarrage de l’activité de la SARL VAS 3D, associées aux très bons résultats de celle-ci, ne suffisent pas à rendre vraisemblables les agissements fautifs imputés aux deux anciens salariés, la baisse d’activité reprochée s’expliquant notamment par la perte des habilitations 3D.
En conclusion, en l’état des éléments fournis par la SAS Vidanges services, la cour estime qu’il n’existe pas d’indices suffisants d’une concurrence déloyale et que la procédure au fond qui pourrait éventuellement être diligentée contre l’intimée n’a manifestement pas de chance d’aboutir.
Au surplus, les comptes sociaux et le grand livre clients sont sans utilité pour caractériser les manoeuvres et procédés déloyaux allégués.
Il s’ensuit que la SAS Vidanges services ne caractérise pas un intérêt légitime justifiant de porter atteinte au secret des affaires et d’ordonner les mesures d’instruction sollicitées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile tant à titre principal qu’à titre subsidiaire ou infiniment subsidiaire.
Il convient donc de débouter l’appelante de ses demandes et de confirmer l’ordonnance entreprise.
Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.
La SAS Vidanges services succombant, est condamnée aux dépens de l’appel, à payer à la SARL VAS 3D la somme complémentaire de 7000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et est déboutée de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
CONFIRME l’ordonnance entreprise;
Y ajoutant,
DEBOUTE la SAS Vidanges services de toutes ses demandes ;
CONDAMNE la SAS Vidanges services à payer à la SARL VAS 3D la somme complémentaire de 7000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS Vidanges services aux dépens de l’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY