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16 novembre 2023
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
21/01690
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/01690 – N° Portalis DBVH-V-B7F-IA4A
EM/DO
POLE SOCIAL DU TJ DE NIMES
28 janvier 2021
RG :21/00178
S.A.S. [12]
C/
[W]
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU GARD
Grosse délivrée le 16 novembre 2023 à :
– Me VEZIAN
– Me SCHNEIDER
– CPAM GARD
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5e chambre Pole social
ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de NIMES en date du 28 Janvier 2021, N°21/00178
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l’audience publique du 02 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 Septembre 2023 et prorogé ce jour.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
S.A.S. [12]
[Adresse 7]
[Localité 8]
Représentée par Me Aurore VEZIAN de la SELARL LEONARD VEZIAN CURAT AVOCATS, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉS :
Monsieur [S] [W]
né le 13 Juillet 1971 à [Localité 10] (79)
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représenté par Me Aurélie SCHNEIDER de la SELARL AURELIE SCHNEIDER, avocat au barreau de NIMES
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU GARD
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par M. [H] en vertu d’un pouvoir spécial
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 16 Novembre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [S] [W], embauché par la Sas [12] suivant contrat de travail à durée déterminée à temps complet du 16 janvier 2014 au 28 février 2014 en qualité d’employé de vente magasinier, a été victime d’un accident du travail le 28 février 2014 pour lequel l’employeur a établi, à cette date, une déclaration d’accident du travail qui mentionnait : ‘Le salarié était en train de décharger une palette du camion, il a voulu la retenir, mais ils sont tombés’.
Le certificat médical initial établi le 28 février 2014 par un médecin du Centre Hospitalier Universitaire [9] de [Localité 3] fait état d’une : ‘Fracture ouverte tibia péroné gauche’.
Le 24 octobre 2014, le Dr [E] [R] a établi un certificat médical faisant état d’une nouvelle lésion : ‘… sciatique poplité externe…’.
Par courrier du 1er février 2016, M. [S] [W] a saisi la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Gard d’une demande de conciliation dans le cadre de la reconnaissance d’une faute inexcusable de son employeur.
Le 10 septembre 2016, la CPAM du Gard a notifié à M. [S] [W] une date de consolidation au 11 septembre 2016 et la fixation d’un taux d’incapacité permanente partielle de 12 % qui a été porté à 18% par le tribunal du contentieux de l’incapacité de Montpellier par un jugement du 08 décembre 2017.
Le 09 novembre 2016, l’employeur contestant l’existence d’une faute inexcusable, la CPAM du Gard a dressé un procès-verbal de non-conciliation.
Par requête du 22 août 2017, M. [S] [W] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Gard aux mêmes fins.
Par jugement du 28 janvier 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes a :
– reçu la demande formée par M. [S] [W],
– dit que l’accident professionnel dont a été victime M. [S] [W] est la conséquence de la faute inexcusable de la SAS [12],
En conséquence,
– ordonné avant-dire droit une expertise médicale,
– commis pour y procéder : le Dr [N] [Y], [Adresse 6] [Localité 3], avec la mission suivante :
* entendre contradictoirement les parties, leurs conseils convoqués et entendus (ceci dans le respect des règles de déontologie médicale ou relatives au secret professionnel),
* se faire assister de tout sapiteur dont l’expert souhaiterait d’adjoindre le concours,
* recueillir toutes informations orales ou écrites des parties ; se faire communiquer puis examiner tous documents médicaux relatifs à l’état de santé de M. [W], ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie) ; répondre aux observations des parties,
* recueillir, en cas de besoin, les déclarations de toutes personnes informées, en précisant alors leurs nom, prénom et domicile, ainsi que leurs liens de parenté, d’alliance, de subordination, ou de communauté d’intérêts avec l’une ou l’autre des parties,
* après s’être fait communiquer tous documents relatifs aux examens, interventions pratiqués et rapports médicaux établis, préciser si ceux-ci sont bien en relation directe et certaine avec ledit accident,
* dégager, en les spécifiant, les éléments propres à justifier une indemnisation des préjudices économiques/patrimoniaux et des préjudices personnels incluant notamment les souffrances physiques et morales, le préjudice d’agrément, le préjudice d’établissement, ainsi que les troubles associés que la victime a dû endurer du moment de l’accident jusqu’à ce jour et qualifier l’importance de ce préjudice ainsi défini selon l’échelle à sept degrés ;
– fixé la rémunération de l’expert à 1000 euros,
– dit que l’expert tiendra informée la Présidente du Pôle social chargée du contrôle des expertises, de l’avancement de ses opérations et des difficultés rencontrées,
– dit que l’expert devra déposer son rapport dans un délai de six mois suivant la consignation de la provision et en adresser une copie à chacune des parties accompagnée de sa demande de rémunération,
– dit que les frais d’expertise seront avancés par la caisse étant rappelé qu’aux termes des dispositions de l’article R142-39 du code de la sécurité sociale, les frais d’expertise sont réglés, sans consignation préalable de provision, selon les modalités définies à l’article L141-5 du même code, ce dernier texte disposant que les frais d’expertise sont en charge des caisses qui pourront en obtenir le remboursement le cas échéant ;
– dit que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard devra communiquer à l’expert tous les documents médicaux en sa possession ;
– dit que la majoration de la rente servie à M. [S] [W] sera portée à son maximum, suivra l’évolution de son taux d’incapacité permanente ;
– condamné la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard à lui verser cette majoration
– fixé la provision concernant les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux subis par M. [S] [W] à un montant de 3 000 euros,
– condamné la Caisse primaire d’assurance maladie du Gard à lui verser cette somme indemnitaire,
– condamné la SAS [12] à rembourser à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard dans le délai de quinze jours à compter du caractère définitif de la décision, les sommes dont elle aura fait l’avance, assorties des intérêts légaux une fois passé ce délai ;
– condamné la SAS [12] à verser une somme d’un montant de 1 000 euros à M. [S] [W] ;
– sursis à statuer sur les autres demandes, moyens et prétentions plus amples ou contraires,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– réservé les dépens.
Par acte du 28 avril 2021, la Sas [12] a interjeté appel de cette décision dont il n’est pas justifié de la date de notification dans le dossier de première instance.
Le 04 janvier 2023, l’affaire a été fixée à l’audience du 02 mai 2023 à laquelle elle a été retenue.
Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l’audience, la Sas [12] dont il n’est pas contesté qu’elle vient aux droits de la Sarl [11] demande à la cour de:
– déclarer l’appel recevable et fondé,
– la recevoir dans ses conclusions d’appelante, les disant bien fondées,
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 28 Janvier 2021, en ce qu’il a :
* considéré que l’accident du travail subi par M. [W] le 28 février 2014 est la conséquence de sa faute inexcusable,
* fixé à son maximum la majoration de la rente servie à M. [W],
* ordonné une expertise médicale avant-dire droit,
* fixé la provision sur les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux de M. [W] à 3 000 euros,
Ainsi, Statuant à nouveau :
A titre principal,
Constatant qu’elle n’a commis aucun manquement à son obligation de sécurité,
Constatant que M. [W] ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle avait conscience du danger,
Constatant que M. [W] ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle aurait commis une faute inexcusable, comme étant à l’origine de son accident du travail,
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 28 janvier 2021,
– débouter M. [W] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur formulée à son encontre,
– débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
Constatant que M. [W] n’apporte aucun élément probant relatif aux prétendus préjudices subis et que la demande de provision n’est pas justifiée,
– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 28 janvier 2021,
– débouter M. [W] de sa demande d’expertise médicale,
– débouter M. [W] de sa demande de provision,
A titre très subsidiaire, si, par extraordinaire, la cour faisait droit à la demande de provision,
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 28 janvier 2021 en ce qu’il a dit que la Caisse primaire d’assurance maladie ferait l’avance de la provision,
En tout état de cause,
– condamner M. [W] à lui verser une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Elle soutient que :
– elle n’a commis aucune faute inexcusable et que M. [S] [W] n’en apporte pas la preuve ; elle a pris l’ensemble des mesures qui lui ont permis d’exécuter sa prestation de travail en toute sécurité ; le salarié était titulaire d’une formation Caces et avait obtenu un certificat d’aptitude à la conduite des chariots à conducteur des catégories 3 et 5 lorsqu’il a été embauché ; le gerbeur électrique non-autoporté qu’il a utilisé au moment de l’accident ne nécessite pas de certificat de formation mais une simple formation à l’utilisation de la machine dont le salarié avait bénéficié ; le responsable du magasin et son adjoint s’étaient assurés que M. [S] [W] savait et avait la possibilité d’utiliser le gerbeur électrique en toute sécurité ; le poste qu’il occupait n’était pas un poste à risque et ne nécessitait donc pas une formation particulière ou renforcée ; aucune recommandation afférente aux gerbeurs électriques n’était en vigueur avant le 1er janvier 2020 ; M. [S] [W] ne démontre à aucun moment qu’elle avait conscience d’un quelconque danger auquel il était exposé et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver,
– M. [S] [W] n’apporte pas non plus la preuve que la configuration de l’emplacement consacré au déchargement des marchandises ne serait pas conforme aux normes en vigueur ; la chaussée n’était pas déformée en 2014 et la mairie avait mis en place des barrières amovibles afin de stationner les camions ; le centre commercial l’avait autorisée à condamner l’accès au parking aérien le temps des déchargements ; la cour ne peut pas déduire, comme l’a fait le tribunal que des trous se seraient formés sur cette zone de déchargement à cette époque ; les circonstances de l’accident de M. [S] [W] ne présentent aucun lien direct avec l’emplacement du lieu de déchargement de la marchandise ; M. [S] [W] s’est blessé en voulant récupérer avec son gerbeur une palette qui basculait du hayon du camion et qu’il a tenu à récupérer de son propre chef, alors que cela ne relevait manifestement pas d’une consigne de sa hiérarchie ; il est impossible que le salarié se soit fait écraser par les colis en restant au poste de manoeuvre, celui-ci étant équipé d’un mât et de chaînes entre le poste de manoeuvre et la palette pour que la conduite se fasse en toute sécurité,
– elle avait bien évalué les risques liés aux fonctions de M. [S] [W] ; la machine avec laquelle M. [S] [W] était amené à réaliser les opérations de chargement et de déchargement se trouvait en parfait état de fonctionnement et comprenait des dispositifs de sécurité conformes ; M. [S] [W] avait également à sa disposition les équipements de protection individuelle adéquats, et aucun casque ou gilet jaune n’était nécessaire à la réalisation de ses missions,
– M. [S] [W] n’apporte pas les éléments permettant de faire droit à sa demande de provision à hauteur de 3 000 euros.
Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l’audience, M. [S] [W] demande à la cour de :
– confirmer le jugement du 28 janvier 2021 en ce qu’il a :
* reçu sa demande ;
* dit que l’accident professionnel dont il a été victime est la conséquence de la faute inexcusable de la SAS [12],
En conséquence a :
* ordonné avant dire droit une expertise médicale,
* commis pour y procéder le Dr [N] [Y]
* fixé la rémunération de l’ expert à mille euros (1 000 euros)
* dit que l’expert devra déposer son rapport dans un délai de six mois suivant la consignation de la provision et en adresser une copie à chacune des parties accompagnée de sa demande de rémunération
* dit que les frais d’expertise seront avancés par la caisse étant rappelé qu’aux termes des dispositions de l’Article R142-39 du code de la sécurité sociale, les frais d’expertise sont réglés, sans consignation préalable de provision, selon les modalités définies à l’article L141-5 du même code, ce dernier texte disposant que les frais d’expertise sont en charge des caisses qui pourront en obtenir le remboursement le cas échéant ;
* dit que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard devra communiquer à l’expert tous les documents médicaux en sa possession;
* dit que la majoration de la rente servie à M. [S] [W] sera portée à son maximum, suivra l’évolution de son taux d’incapacité permanente ;
* condamné la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard à lui verser cette majoration;
* condamné la SAS [12] à rembourser à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard dans le délai de quinze jours à compter du caractère définitif de la présente décision, les sommes dont elle aura fait l’avance, assorties des intérêts légaux une fois passé ce délai ;
* condamné la SAS [12] à verser une somme d’un montant de 1 000 euros à M. [S] [W] ;
* sursis à statuer sur les autres demandes, moyens et prétentions plus amples ou contraires,
* réservé les dépens
– le réformer pour le surplus,
Statuant de nouveau et y ajoutant, au besoin par substitution de motifs :
Avant dire droit,
– désigner tel expert qu’il plaira à la Cour, et le commettre avec la mission suivante :
* entendre contradictoirement les parties, leurs conseils convoqués et entendus (ceci dans le respect des règles de déontologie médicale ou relatives au secret professionnel) * se faire assister de tout sapiteur dont l’expert souhaiterait d’adjoindre le concours
* recueillir toutes informations orales ou écrites des parties ; se faire communiquer puis examiner tous documents utiles (dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs à son état de santé, ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie) ; répondre aux observations des parties
* recueillir, en cas de besoin, les déclarations de toutes personnes informées, en précisant alors leurs nom, prénom et domicile, ainsi que leurs liens de parenté, d’alliance, de subordination, ou de communauté d’intérêts avec l’une ou l’autre des parties
* après s’être fait communiquer tous documents relatifs aux examens, interventions pratiqués et rapports médicaux établis, préciser si ceux-ci sont bien en relation directe et certaine avec ledit accident ;
* dégager, en les spécifiant, les éléments propres à justifier une indemnisation des préjudices économiques/patrimoniaux et des préjudices personnels incluant notamment les souffrances physiques et morales, le préjudice d’agrément, le préjudice d’établissement, ainsi que les troubles associés que la victime a dû endurer du moment de l’accident jusqu’à ce jour et qualifier l’importance de ce préjudice ainsi défini selon l’échelle à sept degrés ;
– fixer la rente au taux maximum et enjoindre la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard à lui remplir de ses droits à ce titre
– condamner la Société au paiement d’une somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation définitive des préjudices subis par M. [W], dont la Caisse Primaire d’Assurance Maladie devra faire l’avance
– condamner la société au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel
– la condamner aux entiers dépens.
Il fait valoir que :
– la faute inexcusable de la Sas [12] est présumée : il a été embauché dans le cadre d’un contrat à durée déterminée et affecté à des travaux pour lesquels une formation particulière est prévue par la réglementation, alors qu’il n’a bénéficié d’aucune formation préalable à sa prise de fonction ; il avait remis à son employeur une copie de son Caces lors de son entretien d’embauche lequel n’était plus valide depuis le 09 octobre 2013 et ce certificat évoquait une réserve liée à l’existence d’un avis médical du médecin du travail lequel n’a jamais été requis par l’employeur ; cela ne dispensait pas l’employeur de lui délivrer une autorisation de conduite pour l’utilisation du gerbeur ; contrairement à ce que prétend l’employeur, il n’a bénéficié d’aucune prise en main de l’engin, il a seulement été accompagné par un autre employé pour le déchargement pendant sa première semaine d’emploi; le poste qu’il a occupé aurait dû figurer sur la liste des postes à risque,
– il rappelle les circonstances de l’accident : il a perdu l’équilibre en reculant, l’engin s’est bloqué dans un trou situé dans le sol, il a tenté de retenir une palette chargée de colis, il a trébuché sur un rebord en béton délimitant le trottoir de la route avant de tomber en arrière sur la route ; l’emplacement du camion en vue du déchargement n’est pas stable, le sol comportant de nombreux trous qui rendent difficile et dangereux le déchargement puisque les roues du gerbeur restent souvent bloquées ; le gerbeur qu’il a manipulé a bloqué ses roues dans un trou situé dans le sol de la zone de déchargement ; il existe un lien direct entre la configuration des lieux et son accident ; aucun périmètre de sécurité n’a été mis en place entre le lieu de déchargement des palettes et les voies de circulation ;
– il n’est pas démontré par la Sas [12] que le document unique d’évaluation qu’elle a produit a bien été mis en place ; il y est mentionné que la formation à l’utilisation du gerbeur était assortie d’une ‘priorité maximale’, de sorte que l’employeur ne peut soutenir ce jour que l’utilisation du gerbeur électrique n’aurait nécessité aucune formation particulière ;
– au moment de l’accident, il ne disposait pas de gant ni d’un gilet jaune, de sorte que l’employeur conscient des multiples dangers qu’il encourrait, n’a pris aucune mesure propre à le préserver des risques, ce qui caractérise une faute inexcusable,
– il est en droit de prétendre à une majoration de la rente au taux maximal et de solliciter la désignation d’un expert médical avec pour mission d’évaluer les différents préjudices dont il a soufferts .
Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l’audience, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Gard demande à la cour de :
– lui donner acte de ce qu’elle déclare s’en remettre à justice sur le point de savoir si l’accident du travail en cause est dû à une faute inexcusable de l’employeur,
Si la cour retient la faute inexcusable :
– fixer l’évaluation du montant de la majoration de la rente,
– limiter l’éventuelle mission de l’expert à celle habituellement confiée en matière de faute inexcusable et mettre les frais d’expertise à la charge de l’employeur,
– lui donner acte de ce qu’elle déclare s’en remettre à justice sur la demande de provision,
– condamner l’employeur à lui rembourser dans le délai de quinzaine les sommes dont elle aura fait l’avance, assorties des intérêts légaux en cas de retard.
Elle fait valoir que :
– elle intervient dans la présente instance en tant que partie liée puisqu’il lui appartiendra lorsque la cour se sera prononcée sur la reconnaissance de la faute inexcusable de récupérer le cas échéant auprès de l’employeur, les sommes qu’elle sera amenée à verser à M. [S] [W] ;
– les préjudices déjà couverts totalement ou partiellement, forfaitairement ou avec limitation par le livre IV du code de la sécurité sociale ne peuvent pas donner lieu à une indemnisation complémentaire ; dans l’hypothèse où une expertise serait ordonnée, la mission de l’expert sera limitée à celle habituellement confiée en matière de faute inexcusable,
– elle s’en remet à justice quant à la demande de provision de 10 000 euros sollicitée par M. [S] [W].
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l’audience.
MOTIFS
L’article L452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.
Conformément à l’article L4154-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable issu de la loi N°2009-526 du 12 mai 2009, les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés dans l’entreprise dans laquelle ils sont employés. La liste de ces postes de travail est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe. Elle est tenue à la disposition de l’inspecteur du travail.
Selon l’article L4154-3 du code du travail la faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d’un accident du travail (…) alors qu’affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n’auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l’article L4154-2.
Si aucun texte ne prévoit que la présomption de faute inexcusable de l’article L 4154-3 du code du travail soit mise en oeuvre en cas de carence de l’employeur dans l’établissement de la liste des postes présentant des risques particuliers, la juridiction doit rechercher si le poste auquel le salarié intérimaire était affecté présentait des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité. Dès lors, seule une appréciation in concreto des tâches attribuées au salarié permet de déterminer si le poste occupé doit être considéré comme l’exposant à un risque particulier au sens des dispositions de l’article L.4154-2 du code du travail.
L’article R4323-55 du code du travail dispose que la conduite des équipements de travail mobiles automoteurs et des équipements de travail servant au levage est réservée aux travailleurs qui ont reçu une formation adéquate. Cette formation est complétée et réactualisée chaque fois que nécessaire.
L’article R4323-56 du même code, dans sa version en vigueur, dispose que des arrêtés des ministres chargés du travail ou de l’agriculture déterminent :
1° Les conditions de la formation exigée à l’article R. 4323-55 ;
2° Les catégories d’équipements de travail dont la conduite nécessite d’être titulaire d’une autorisation de conduite;
3° Les conditions dans lesquelles l’employeur s’assure que le travailleur dispose de la compétence et de l’aptitude nécessaires pour assumer, en toute sécurité, la fonction de conducteur d’un équipement de travail ;
4° La date à compter de laquelle, selon les catégories d’équipements, entre en vigueur l’obligation d’être titulaire d’une autorisation de conduite.
L’article R4323-57 du même code précise que des arrêtés des ministres chargés du travail ou de l’agriculture déterminent :
1° Les conditions de la formation exigée à l’article R. 4323-55,
2° Les catégories d’équipements de travail dont la conduite nécessite d’être titulaire d’une autorisation de conduite,
3° Les conditions dans lesquelles l’employeur s’assure que le travailleur dispose de la compétence et de l’aptitude nécessaires pour assumer, en toute sécurité, la fonction de conducteur d’un équipement de travail,
4° La date à compter de laquelle, selon les catégories d’équipements, entre en vigueur l’obligation d’être titulaire d’une autorisation de conduite.
Par applications combinées des articles 2 et 3 de l’arrêté du 2 décembre 1998, relatif à la formation à la conduite des équipements de travail mobiles automoteurs et des équipements de levage de charges ou de personnes, pour la conduite des chariots automoteurs de manutention à conducteur porté, les salariés doivent être titulaires d’une autorisation de conduite, délivrée par le chef d’établissement, sur la base d’une évaluation qu’il a effectuée et qui est destinée à établir que le travailleur dispose de l’aptitude et de la capacité à conduire l’équipement pour lequel l’autorisation est envisagée ; il prend en compte trois éléments : un examen d’aptitude réalisé par le médecin du travail, un contrôle des connaissances et savoir-faire de l’opérateur pour la conduite en sécurité de l’équipement de travail et une connaissance des lieux et des instructions à respecter sur le ou les sites d’utilisation.
En l’espèce, il est constant que M. [S] [W] a été embauché par la Sarl [11] suivant contrat à durée déterminée signé le 16 janvier 2014 avec un terme fixé au 28 février 2014, que ce contrat a été renouvelé le 24 février 2014 jusqu’au 30 avril 2014, et que M. [S] [W] devait occuper un poste d’employé de vente/magasinier avec notamment pour fonction d’effectuer le déchargement des camions.
Le CACES® R.485 qui concerne les 2 catégories de gerbeurs à conducteur accompagnant n’a été mise en oeuvre qu’au 1er janvier 2020, de sorte que, comme l’ont relevé les premiers juges, l’engin utilisé par M. [S] [W] au moment de l’accident ne nécessitait pas de certificat de formation.
Il n’est pas sérieusement contesté qu’au moment de l’accident du travail dont le salarié a été victime le 28 février 2014, celui-ci conduisait un gerbeur électrique non-autoporté pour réaliser le déchargement d’une palette de marchandises d’un semi remorque qui contenait des pots de céramique, de la vaisselle et des parasols ; la déclaration d’accident de travail établie par l’employeur le 28 février 2014 mentionnait l’objet dont le contact a blessé le salarié ‘une palette’ ; sur les circonstances de l’accident, M. [D] [G], responsable du magasin, précise que M. [S] [W] : ‘devait décharger une livraison sur laquelle il y avait du mobilier de jardin, toutes les balancelles étaient regroupées sur un côté de la palette’ et ne se rappelle pas si ‘la palette a été descendue au hayon du camion ou au gerbeur, que lorsque cette dernière était à proximité du sol, elle a basculé et [S] a essayé de l’empêcher de tomber et l’accident arriva’.
Il convient de rappeler que le gerbeur à conducteur accompagnant est un chariot automoteur de manutention à petite levée et muni de bras de fourches12, qu’il est utilisé pour le transport de charges au niveau du sol sur une distance relativement courte..
Si M. [S] [W] justifie avoir été titulaire du CACES pour la conduite des chariots élévateurs des catégories 3 et 5 avec la mention ‘sous réserve de l’avis médical du médecin du travail’, délivré le 20 octobre 2008 et valable jusqu’au 09 octobre 2013, il apparaît incontestablement que lors de son embauche par la Sas [12], ce certificat n’était plus valable et a fortiori lors de l’accident du travail dont s’agit.
En outre, contrairement à ce que soutient la Sas [12], le poste occupé par M. [S] [W] qui était amené à utiliser des gerbeurs électriques non-autoportés pour la manutention de marchandises, est un poste présentant des risques particuliers, dès lors que leur conduite nécessite une formation et qu’elle expose le salarié qui le dirige à plusieurs risques liés à la circulation : risque de collision avec des piétons et d’autres engins, risque lié au transport de charges lourdes, risque de renversement, risque d’éjection en cas de choc. Les règles de sécurité doivent donc être strictement respectées lors de l’utilisation d’un gerbeur électrique.
La conduite du chariot de M. [S] [W] présentait donc des risques particuliers, en raison tant de ses caractéristiques que de son objet au sens de l’arrêté du 02 décembre 1998 pris en application de l’article R4323-56 du code du travail.
Or, la Sas [12] ne justifie pas avoir donné à M. [S] [W] une formation renforcée à la sécurité pour l’utilisation du gerbeur électrique ; l’attestation établie par M. [D] [G] est insuffisamment circonstanciée et précise pour l’établir, le responsable du magasin indiquant qu’avec son adjoint ‘ils s’étaient assurés…qu’il ( M. [S] [W] )savait et avait la faculté de l’utiliser en toute sécurité, pour les livraisons, les premiers temps, il était accompagné toujours dans un souci de sécurité et d’accompagnement.’, tandis que M. [S] [W] soutient avoir été seulement ‘accompagné par un autre employé pour le déchargement pendant sa première semaine d’emploi’ et conteste avoir bénéficié d’une véritable ‘prise en main’ de l’engin.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu qu’il ‘n’est pas établi que M. [S] [W] ait bénéficié d’une formation préalable à sa prise de fonction’ et que l’employeur ait fourni ‘une formation (à la sécurité )à l’utilisation de la machine…notamment dans le cadre d’un déchargement de palettes lourdes’.
Le compte-rendu d’une réunion du Chsct du 07 novembre 2018, établi plus de quatre ans après l’accident dont s’agit, dans lequel il est rappelé que le magasin ne comprend que des gerbeurs électriques non-autoportés qui ne nécessitent pas de formation mais seulement une prise en main avec une démonstration d’un responsable du magasin ou de son représentant, ne permet en aucun cas d’établir que M. [S] [W] a bénéficié d’une telle formation.
Par ailleurs, la Sas [12] ne justifie pas avoir délivré à M. [S] [W] une autorisation de conduite dédiée au gerbeur électrique utilisé le jour de l’accident, conformément à l’article R4323-56 susvisé, cette autorisation correspondant à un document interne établi par le chef d’établissement ou son représentant après la réunion de trois conditions rappelées précédemment.
La faute inexcusable commise par la Sas [12] est ainsi donc présumée.
La présomption de faute inexcusable instituée par l’article L. 4154-3 du code du travail ne peut être renversée que par la preuve que l’employeur a dispensé au salarié la formation renforcée à la sécurité prévue par l’article L. 4154-2 du même code.
En l’espèce, la Sas [12] ne démontre pas que M. [S] [W] ait reçu la formation spécifique exigée par l’article R4322-55. Elle n’apporte pas non plus la preuve que le salarié ait reçu l’autorisation de conduire l’engin automoteur prévue à l’article R4322-56 du code du travail.
Il s’en déduit qu’elle a failli à l’obligation de formation renforcée prévue par l’article L454-2 du code du travail.
Le jugement entrepris sera donc confirmé.
Sur la provision :
M. [S] [W] justifie avoir subi, des suites de son accident du travail, une intervention chirurgicale le 28 février 2014 suite à ‘une fracture des deux os de la jambe gauche par écrasement, ouverte, traitée par enclouage centro-médullaire…avec compression initiale du nerf sciatique poplité externe au niveau du col du péroné’ , avoir été hospitalisé pendant 12 jours et avoir bénéficié de séances de rééducation pendant plusieurs mois.
Les pièces médicales ainsi produites par l’intimé justifient qu’il soit fait droit à sa demande de provision à hauteur de 3 000 euros, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nîmes, contentieux de la protection sociale, le 28 janvier 2021,
Condamne la Sas [12] à payer à M. [S] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et celle de 2 000 euros en cause d’appel,
Déboute les demandes plus amples ou contraires,
Déclare le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d’assurance maladie du Gard,
Condamne la Sas [12] aux dépens de la procédure d’appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,