Savoir-faire : 16 novembre 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 22/00185

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Savoir-faire : 16 novembre 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 22/00185

16 novembre 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
22/00185

[CP] [E]

C/

Association ODELIA

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2023

MINUTE N°

N° RG 22/00185 – N° Portalis DBVF-V-B7G-F4WX

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHALON SUR SAONE, section Encadrement, décision attaquée en date du 07 Février 2022, enregistrée sous le n° F20/00062

APPELANTE :

[CP] [E]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Brigitte DEMONT-HOPGOOD de la SELARL HOPGOOD ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

INTIMÉE :

Association ODELIA

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Sarah SOLARY, avocat au barreau de DIJON (postulant) et Me Mélisa SEMARI, avocat au barreau de LYON (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Octobre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Olivier MANSION, Président de chambre chargé d’instruire l’affaire et qui a fait rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

Katherine DIJOUX-GONTHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Juliette GUILLOTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Juliette GUILLOTIN, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [E] (la salariée) a été engagée le 2 février 2015 par contrat à durée indéterminée en qualité de directrice d’EHPAD par l’association Odelia (l’employeur).

Elle a été licenciée le 18 mars 2020 pour faute grave.

Estimant ce licenciement infondé, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 7 février 2022, a rejeté toutes ses demandes.

La salariée a interjeté appel le 4 mars 2022.

Elle demande l’infirmation du jugement et le paiement des sommes de :

– 6 194,99 euros de rappel de salaires pour la période de mise à pied,

– 16 243,50 euros au titre de la rémunération sur astreinte,

– 1 624,35 euros de congés payés afférents,

– 16 136,67 euros d’indemnité de préavis,

– 1 613,66 euros de congés payés afférents,

– 7 283,91 euros d’indemnité de licenciement,

– 32 273,34 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 30 novembre 2022 et 5 septembre 2023.

MOTIFS :

Sur les astreintes :

La salariée demande le paiement d’une indemnisation au titre des astreintes en indiquant qu’elle a dû intervenir à plusieurs reprises et que l’employeur n’a jamais mis en place de contrepartie en repos ou sous forme financière.

L’employeur répond que cette astreinte n’est qu’une simple permanence téléphonique.

L’article L. 3121-9 du code du travail dispose que : “Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.

La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

La période d’astreinte fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.

Les salariés concernés par des périodes d’astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable”.

En l’espèce, la salariée n’établit pas qu’elle était soumise à une telle astreinte et l’attestation de Mme [L] ne porte que sur deux interventions en urgence liées à une panne d’ascenseur et à une inondation.

Par ailleurs, la réunion DUP du 29 janvier 2019 fait état de permanence téléphonique tenue par les cadres et pour lesquels ils demandent une compensation.

Cependant, une permanence téléphonique n’est pas une période d’astreinte dès lors qu’elle n’implique pas une intervention pour accomplir un travail au service de l’entreprise.

La demande de paiement sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur le licenciement :

Il appartient à l’employeur qui s’en prévaut à l’appui du licenciement de démontrer la faute grave alléguée.

En l’espèce, la lettre de licenciement rappelle qu’une enquête a été effectuée par M. [R], directeur général de l’association, et qu’elle a mis en évidence une méthode de management très autoritaire, un comportement inadapté par des tons humiliants, des rabaissements et des dénigrements.

La lettre retient également un acharnement par un nombre de remarques important à l’encontre de Mme [W] et de MM. [SR] et [V] ainsi qu’un climat de mise sous pression permanente par des consignes confuses et contradictoires et en contrôlant régulièrement les horaires de travail.

La lettre ajoute que la plupart des salariés a confié avoir été victime ou témoin d”humiliations, de dénigrements et de propos désobligeants.

Il est aussi relevé une attitude visant à dévaloriser le travail des collaborateurs et leurs personnes.

Cette attitude est à l’origine de nombreux départs dont ceux de Mme [U], M. [V] et Mme [G].

En résumé, il est reproché un harcèlement moral à l’encontre de certains salariés.

La salariée conteste les griefs allégués.

A l’appui de la faute grave, l’employeur produit un compte rendu d’une réunion tenue le 24 janvier 2020, en présence de Mmes [U], [W], [P] et de MM. [R] et [S] permettant de retenir qu’au cours de cette réunion, les salariés présents, à l’exception de M. [R], se sont plaints du comportement de la salariée en raison des pressions, de brimades subies, du dédain et des insultes régulières proférées à leur encontre.

Il est précisé que Mme [W] étaient en larmes lors de cette réunion, qu’elle tremblait lorsqu’elle voyait le mot “directrice” s”afficher sur le portable et que les dénigrements prenaient la forme d’expressions comme : “Des bons à rien”, “tous des incompétents”.

L’employeur se reporte également aux attestations de Mmes [U], [G] et de M. [V] qui témoignent des pressions exercées par la salariée ayant amené la démission du responsable de la vie sociale, de l’infirmière coordinatrice, de Mme [U], directrice adjointe, qui indique qu’elle a pris la décision de démissionner pour se protéger.

M. [V], responsable de la vie sociale, précise qu’il a démissionné en raison du comportement de la salariée en raison de reproches incessants sur son savoir -faire.

Mme [G], infirmière coordinatrice, relève l’existence de pressions intenses, des contrôles de ses horaires de travail et une interdiction de communiquer avec la direction.

L’enquête diligentée, simple faculté, dont l’article 4.2 de l’accord interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010 n’impose pas à l’employeur d’associer les représentants du personnel ni le salarié concerné et qui ne constitue pas une enquête au sens des articles 204 et suivants du code de procédure civile, a permis d’entendre dix-sept salariés en interaction directe avec la salariée et la salariée elle-même le 6 février 2020.

Les questions posées sont listées dans les conclusions et portent sur le comportement de la salariée notamment au regard de propos et comportements constitutifs d’un harcèlement moral.

Par ailleurs, l’employeur rappelle qu’avec un nombre de salariés inférieur à 300, il n’y a pas de comité de santé, sécurité et conditions de travail au sein de l’association et que le CSE a été informé et consulté après l’enquête.

Lors de la réunion du 18 février 2020, les membres du CSE avaient en leur possession les attestations des trois salariés démissionnaires, les auditions des autres salariés, une note d’information et “le diagnostic” du harcèlement moral.

L’avis unanime de ce comité a retenu l’existence d’un tel harcèlement.

L’employeur communique les attestations de Mmes [W], [P], [O], [M], [J], [H], [I], [Y], [K] et [X] et de MM. [S], [D], [SR] et [T] qui indiquent, de façon concordante, le ton brutal de la salariée quand elle s’adresse, notamment, à M. [SR], une communication difficile, un comportement pour humilier M. [V] lors de réunions.

Pour contester ces griefs, la salariée invoque la prescription de l’article L. 1332-4 du code du travail en fixant la connaissance des faits en avril 2019.

L’article L. 1332-4 du code du travail dispose que : “Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales”.

Ce délai commence à courir dès lors que l’employeur a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits.

L’employeur peut prendre en compte de faits antérieurs de deux mois à la sanction, s’il s’agit de comportement se poursuivant dans ce délai.

En l’espèce, la procédure de licenciement a été initiée par la convocation du 10 février 2020 à un entretien préalable alors que l’employeur a eu connaissance complète des faits après la réunion du 24 janvier et l’enquête qui s’en est suivie, de sorte que le délai de deux mois n’avait pas expiré le 10 février 2020.

Par ailleurs, la salariée se reporte à ses entretiens annuels d’évaluation et à l’attestation de Mme [Z], à l’absence de plaintes auprès des instances représentatives du personnel ou d’alerte auprès du médecin du travail et de l’inspection du travail, autant d’éléments indifférents quant à l’appréciation de la faute reprochée.

Par ailleurs, la preuve étant libre en la matière, la salariée conteste vainement la forme des attestations produites.

Sur l’enquête, les conditions de sa réalisation ont été rappelées ci-avant et permettent de retenir que le recueil des témoignages a été fait de façon régulière et sans contrainte. La salariée a été entendue et l’absence de confrontation ne lui fait pas grief dès lors qu’elle a pu s’expliquer sur les faits reprochés lors de l’entretien préalable et qu’elle peut contester, comme présentement, ces faits devant les juridictions en cas de litige.

De plus, l’enquête a été diligentée par le directeur général qui n’était pas concerné par les reproches imputés à la salariée.

Par ailleurs, le CSE n’a pas procédé lui-même à une enquête comme il pouvait le faire.

Enfin, la salariée a adressé une lettre le 12 février 2020 pour compléter son audition : “ne s’étant pas sentie en mesure d’apporter une réponse précise compte tenu de l’imprécision des questions”.

Il en résulte que les éléments de preuve critiqués seront retenus.

Les attestations de Mmes [HV], [F], [N], [A], [Y] et de MM. [B] et [C] ne concernent que leur propre situation ou constituent des témoignages indirects ne contredisant pas les autres témoignages produits.

Il en va de même pour les autres attestations communiquées par la salariée.

La salariée souligne également que la décision était acquise dès le 28 janvier 2020 au regard d’un mail portant sur le bail du logement de fonction et une annonce de recherche d’un directeur d’EHPAD.

La lettre de licenciement est datée du 18 mars 2020 et les deux documents, pièces n° 63 et 63.1 ne permettent pas de rattacher ces demandes à la situation de la salariée dès lors que la première porte uniquement sur un échange de SMS du 28 janvier 2020 où il est demandé à la salariée de communiquer le bail du logement de fonction sans autre précision et que le second ne comporte aucune date.

Au regard des éléments de preuve rapportés par l’employeur, il convient de retenir que la faute grave est caractérisée.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de la salariée liées à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les autres demandes :

Les demandes formées au visa de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

La salariée supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :

– Confirme le jugement du 7 février 2022 ;

Y ajoutant :

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

– Condamne Mme [E] aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

Juliette GUILLOTIN Olivier MANSION

 


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