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11 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/06096
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 11 JANVIER 2024
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/06096 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHMOJ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Juin 2022 -Président du TC de PARIS 04 – RG n° 2022015572
APPELANTE
S.A.S.U. DYSON, RCS de Paris sous le n°410 191 589, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Ayant pour avocat postulant Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Représentée à l’audience par Me Clément WIERRE, de PELTIER JUVIGNY MARPEAU & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : L99
INTIMEE
S.A. L’OREAL, RCS de Paris sous le n°632 012 100, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Ayant pour avocat postulant Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
Représentée à l’audience par Maîtres Franck AUDRAN et Elizabeth GAUTIER, AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocats au barreau de PARIS, toque : G0396
PARTIE INTERVENANTE :
S.N.C. L’OREAL FRANCE, RCS de Nanterre sous le n°919 434 894, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Ayant pour avocat postulant Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
Représentée à l’audience par Maîtres Franck AUDRAN et Elizabeth GAUTIER, AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocats au barreau de PARIS, toque : G0396
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 Novembre 2023, en audience publique, Michèle CHOPIN, Conseillère, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par l’article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
****
EXPOSE DU LITIGE
La société Dyson SAS, ci-après la société Dyson, filiale de la société Dyson Home Technologies PTE Ltd, a pour activité la conception et la commercialisation de produits électroménagers destinés à la grande consommation.
En 2016, la société Dyson a lancé le premier de ses produits s’appuyant sur des technologies de pointe mises au service du soin capillaire : le “Dyson Supersonic”.
Deux ans plus tard, elle a lancé le “Dyson Airwrap”, un « hair styler » innovant utilisant la technologie “Coanda”.
Enfin, en mars 2020, la société Dyson a sorti son premier lisseur pour cheveux, sous la dénomination “Dyson Corrale”.
La société L’Oréal SA, ci-après la société L’Oréal, est un leader mondial du marché cosmétique.
Depuis la fin de l’année 2019, elle commercialise un lisseur pour cheveux dénommé “Steampod 3.0”.
Par exploit du 24 mars 2022, la société Dyson a fait assigner la société L’Oréal devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :
– ordonner à la société L’Oréal la communication des documents suivants, dans les 30 jours de la signification à la société L’Oréal du jugement à intervenir, et ce, sous peine d’une astreinte de 3.000 euros par jour de retard :
les résultats de l’ensemble des tests instrumentaux effectués par L’Oréal ou à sa demande concernant les performances du Steampod 3.0, telles qu’elles ressortent des allégations litigieuses,
les protocoles élaborés pour la réalisation de ces tests,
les analyses éventuellement effectuées par L’Oréal à la suite de ces tests ;
– se réserver le droit de procéder à la liquidation de l’astreinte ;
– condamner la société L’Oréal à payer à la société Dyson la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par ordonnance contradictoire du 22 juin 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
– dit n’y avoir lieu à référé, ni à application de l’article 700 code de procédure civile ;
– condamné la société Dyson aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros TTC.
Par déclaration du 29 mars 2023, la société Dyson a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 06 novembre 2023, la société Dyson demande à la cour de :
Sur son appel principal :
– la déclarer recevable en son appel et en son action, et la dire bien fondée ;
– infirmer l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a :
dit n’y avoir lieu à référé, ni à l’application de l’article 700 du Code de procédure civile ;
condamné la société Dyson aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros dont 6,78 euros de TVA ;
En conséquence, statuant à nouveau,
– ordonner à la société L’Oréal la communication des documents suivants dans les 30 jours de la signification de la décision à intervenir, et ce, sous peine d’une astreinte de 3.000 euros par jour de retard :
les résultats de l’ensemble des tests instrumentaux effectués par la société L’Oréal ou à sa demande concernant les performances du Steampod 3.0, telles qu’elles ressortent des allégations litigieuses,
les protocoles élaborés pour la réalisation de ces tests,
les analyses éventuellement effectuées par la société L’Oréal à la suite de ces tests,
Sur l’appel incident de la société L’Oréal,
– juger infondée la demande de la société L’Oréal visant à voir prononcer la caducité de l’assignation délivrée par la société Dyson le 28 mars 2022 ;
En conséquence,
– confirmer l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a jugé que la demande de la société Dyson avait été régulièrement engagée et que son action devait dès lors être déclarée recevable ;
Sur la demande reconventionnelle de la société L’Oréal,
– débouter la société L’Oréal de sa demande visant à ce qu’il soit ordonné à la société Dyson de produire dans leur intégralité les tests et résultats de Dyson relatifs au Steampod 3.0 ;
En tout état de cause,
– se réserver le droit de procéder à la liquidation de l’astreinte ;
– condamner la société L’Oréal à payer à la société Dyson la somme de 20.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle expose notamment que :
– sur la caducité de l’assignation, il ressort d’une jurisprudence établie que le délai de l’article 857 du code de procédure civile n’est pas applicable devant la juridiction commerciale des référés devant laquelle aucun délai minimum entre la remise au greffe de la copie de l’assignation et la date de l’audience ne trouve à s’appliquer, alors que l’assignation délivrée par ses soins respecte toutes les exigences procédurales,
– le Steampod 3.0 a pour caractéristique principale de proposer un lissage qui fonctionne à la vapeur d’eau grâce à un réservoir intégré,
– dès le début de la commercialisation du Steampod 3.0, la société L’Oréal a formulé plusieurs allégations visant à vanter les mérites de son produit dans ses campagnes publicitaires en mettant fortement en avant cette particularité,
– ces allégations tenaient à la rapidité du lissage, à la qualité de lissage, et aux dommages causés aux cheveux par le lissage, la société Dyson s’inquiétant surtout du caractère trompeur de ces allégations litigieuses,
– des engagements ont été pris par la société L’Oreal mais seulement quelques modifications marginales ont été apportées, ce, à plusieurs reprises, les dernières modifications étant même postérieures à la décision de première instance, certaines indiquant se fonder sur un test instrumental,
– la mesure sollicitée relève à l’évidence de la compétence de la juridiction des référés qui ne doit toutefois pas faire application des conditions de l’article 872 du Code de procédure civile, mais de la disposition spéciale de l’article 145 du code de procédure civile,
– cette mesure vise bien à confirmer, avant tout procès au fond, ses doutes quant à la véracité des allégations litigieuses formulées par la société L’Oréal au sujet du “Steampod 3.0”,
– l’existence d’une confrontation d’intérêts entre deux parties susceptibles de recours judiciaire suffit à qualifier le litige de potentiel et par conséquent, dans l’hypothèse où le caractère mensonger des allégations litigieuses serait établi, elle serait, en tant que concurrent direct de la société L’Oréal sur le marché des lisseurs à cheveux, fondée à introduire une action destinée à engager la responsabilité de cette dernière pour pratique commerciale trompeuse et acte de concurrence déloyale et à obtenir la suppression, sur tout support, des allégations litigieuses,
– sur l’utilité de la mesure demandée, celle-ci s’apprécie non par rapport à la possibilité pour le demandeur d’engager une action devant les juges du fond, laquelle appartient à tout justiciable, mais par rapport au succès de l’action envisagée,
– or, l’utilité de la mesure sollicitée pour le litige qu’elle envisage de mener contre L’Oréal ne fait donc aucun doute et par conséquent, il existe bien, en l’espèce, un motif légitime qui l’autorise à solliciter la présente mesure d’instruction,
– la mesure sollicitée présente en outre un caractère légalement admissible et elle vise à ordonner la communication de documents parfaitement identifiés et circonscrits,
– au-delà de n’être aucunement étayée par des éléments concrets, il apparaît que l’affirmation de la société L’Oreal relative au secret des affaires est infondée dans la mesure où les éléments sollicités n’en relèvent pas,
– la société L’Oréal sollicite à titre reconventionnel la production forcée par la société Dyson des tests relatifs au Steampod 3.0 sans justifier en quoi les pièces qu’elle sollicite seraient utiles à la solution du litige,
– aucune juridiction n’est saisie d’un litige entre les parties concernant les faits exposés ci-avant.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 13 novembre 2023, la société L’Oréal demande à la cour de :
A titre principal,
Sur la subrogation de la société L’Oréal SA par la société L’Oréal France SNC et la mise hors de cause de la société L’Oréal France SNC,
– déclarer l’intervention volontaire de la société L’Oréal France SNC recevable et bien fondée ;
– mettre hors de cause la société L’Oréal SA ;
Sur la caducité de l’assignation de l’appelante,
– déclarer recevable et bien fondé l’appel incident de la société L’Oréal visant à la réformation du chef de l’ordonnance ayant jugé « que la demande a été régulièrement engagée et que l’action doit, dès lors, être déclarée recevable » ;
– juger que l’assignation délivrée par la société Dyson le 28 mars 2022 est caduque ;
En conséquence, statuant à nouveau,
– réformer l’ordonnance du 22 juin 2022 du juge des référés du tribunal de commerce de Paris en ce qu’elle a jugé « que la demande a été régulièrement engagée et que l’action doit, dès lors, être déclarée recevable » ;
– prononcer la caducité de l’assignation en date du 28 mars 2022 et l’extinction de la présente procédure ;
– condamner la société Dyson à payer à la société L’Oréal la somme de 30.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour rejetterait l’argument de caducité,
– juger les demandes de communication de pièces de Dyson au visa de l’article 145 du code de procédure civile infondées et irrecevables ;
En conséquence,
– confirmer l’ordonnance du 22 juin 2022 du juge des référés du tribunal de commerce de Paris en ce qu’elle a jugé n’y avoir lieu à référé ;
– débouter la société Dyson de l’ensemble de ses demandes et prétentions ;
– condamner la société Dyson à payer à la société L’Oréal la somme de 30.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
A titre reconventionnel,
– ordonner à la société Dyson de produire dans leur intégralité les résultats et tests relatifs au Steampod 3.0. qu’elle a réalisés en interne, ainsi que ceux qu’elle affirme avoir fait réaliser par un laboratoire tiers indépendant, avant toute communication éventuelle par la société L’Oréal de ses propres tests et de ceux qu’elle a fait réaliser par le laboratoire Proderm ;
A titre très subsidiaire,
– aménager en tout état de cause les modalités de communication des résultats et tests de la société L’Oréal afin de préserver son secret des affaires ;
– ordonner le placement sous séquestre provisoire des documents dont la production serait ordonnée jusqu’à ce que la mesure d’instruction in futurum ait acquis un caractère définitif.
Elle expose notamment que :
– la société L’Oréal France SNC est subrogée dans tous les droits, actions, obligations et engagements de la société L’Oréal SA se rapportant aux éléments apportés,
– l’assignation délivrée est caduque en application des dispositions de l’article 857 du code de procédure civile, le délai de 8 jours étant imposé sous peine de caducité de l’assignation,
– subsidiairement, les demandes de la société Dyson ne sont pas fondées, les conditions de l’article 145 du code de procédure civile n’étant en l’espèce pas réunies,
– les seules raisons pour lesquelles la société Dyson a initié la présente procédure et a formé appel de l’ordonnance du tribunal de commerce de Paris du 22 juin 2022, plus de 9 mois après que celle-ci a été rendue, résident manifestement, d’une part, dans sa volonté d’exercer une pression sur la société L’Oréal avant un procès au fond et, d’autre part, à accéder aux protocoles de tests confidentiels et autres paramètres utilisés par celle-ci pour améliorer ses propres allégations ou explorer toute modification pertinente qui pourrait être appliquée à son produit,
– l’approche de la société Dyson est au surplus déloyale,
– les allégations proviennent de résultats qui ont été établis sur la base (i) de protocoles de tests incluant 15 passages du “Steampod 3.0”, en comparaison avec un “Steampod” sans peigne ni vapeur et de tests comparant le “Steampod 3.0” et le “Steampod” sans peigne ni vapeur,
– les allégations relatives aux dommages causés par le lissage du “Steampod 3.0” ont quant à elles été établies sur la base des résultats de tests effectués par Proderm, laboratoire-tiers qui a comparé la casse des cheveux entre un “Steampod 3.0” et un lisseur classique,
– la seule allégation modifiée par la société L’Oréal, lorsque l’on compare les captures d’écran réalisées par Dyson entre le 16 juin 2022 et le 2 mai 2023 consiste en la suppression de l’allégation « 78% de dommages en moins » sur une unique photographie présente sur une page Amazon de L’Oréal Professionnel pour la remplacer par l’allégation « 91% de dommages en moins »,
– il n’est fait état d’aucun motif légitime propre à autoriser la mesure d’instruction sollicitée,
– d’une part, la société Dyson ne produit aucun élément objectif contemporain permettant de constater avec date certaine les allégations commerciales de la société L’Oréal relatives au “Steampod 3.0”, ni aucun élément objectif et vérifiable permettant d’étayer leur caractère prétendument trompeur,
– d’autre part, les documents dont elle sollicite la communication ne sont manifestement d’aucune utilité à la solution du litige à venir, dans la mesure où, à la lecture des pièces produites par la société Dyson et de ses écritures, le caractère trompeur des allégations commerciales litigieuses ne fait selon elle aucun débat et est d’ores et déjà établi,
– l’appelante ne démontre pas être directement visée par les allégations commerciales qui concernent des lisseurs « classiques » et non des produits haut-de-gamme,
– en réalité, elle dispose d’ores et déjà de tous les éléments nécessaires pour engager, si elle le souhaite, une action en responsabilité à l’encontre de la société L’Oréal, la mesure d’instruction sollicitée étant dépourvue de toute utilité,
– en revanche, la divulgation de l’intégralité des études affecterait sans aucun doute le droit de la société L’Oréal à la protection du secret des affaires et la confidentialité des travaux réalisés par ses équipes et son prestataire tiers, le laboratoire Proderm, lequel a expressément stipulé, comme il est d’usage pour des travaux techniques et/ou scientifiques, que les tests et études réalisés sont confidentiels, alors qu’ils ont été développés pour l’usage exclusif de la société L’Oréal et que toute communication vers l’extérieur ne peut être réalisée sans un accord exprès,
– il est clair que l’objectif poursuivi par la société Dyson consiste uniquement à piller le secret des affaires de la société L’Oréal en lien avec les protocoles de tests développés par cette dernière, d’obtenir toute autre information que pourraient contenir ces études et, enfin, de limiter autant que possible les velléités de communication des autres acteurs innovants du marché,
– à titre reconventionnel, elle observe que la jurisprudence considérant de manière constante qu’il incombe au demandeur d’une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de produire des éléments objectifs de nature à corroborer le caractère probable, ou à tout le moins plausible, des faits allégués, la société Dyson devra être condamnée à communiquer les tests qu’elle indique avoir effectués ou fait effectuer sur le Steampod 3.0, afin qu’elle puisse être en mesure de vérifier si ceux-ci permettent réellement de justifier le recours aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile,
– la communication en l’état des documents relatifs aux tests de la société L’Oréal sur le Steampod 3.0 demandée par la société Dyson porterait une atteinte irrémédiable au secret des affaires de la société L’Oréal, cette dernière sollicitant que les pièces en cause soit placées sous séquestre jusqu’à ce que l’éventuelle mesure d’instruction in futurum ait acquis un caractère définitif.
SUR CE,
– sur l’intervention volontaire de la société L’Oréal SA et la mise hors de cause la société L’Oréal France
L’intervention volontaire de la société L’Oréal SA est recevable au sens de l’article 329 du code de procédure civile, cette société justifiant avir le droit d’agir relativement aux prétentions élevées.
La société L’Oréal France sera par conséquent mise hors de cause.
– sur la caducité de l’assignation introductive d’instance
L’article 857 du code de procédure civile dispose que le tribunal est saisi, à la diligence de l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation.
Cette remise doit avoir lieu au plus tard huit jours avant la date de l’audience, sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance, selon le cas, du président ou du juge chargé d’instruire l’affaire, ou, à défaut, à la requête d’une partie.
Le délai de huit jours se calcule selon les modalités des articles 640 à 642 du code de procédure civile. L’article 642 de ce code indique notamment que tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures et que le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.
En l’espèce, il apparaît que la société Dyson a fait assigner la société L’Oréal par exploit du 25 mars 2022, pour l’audience du 5 avril 2022, le placement ayant été effectué le 28 mars 2022. La société L’Oréal apporte la preuve par une consultation du site Infogreffe que l’affaire a été enrôlée au greffe du tribunal de commerce de Paris à la date sus indiquée.
Il faut par ailleurs observer que la société Dyson ne verse aux débats aucun second original ou aucune copie de l’assignation sur laquelle aurait été apposée une date de sa remise au greffe antérieure à celles indiquées.
Dans ces circonstances, il faut considérer que la date de remise ou de placement au greffe du tribunal de commerce de Paris de l’assignation délivrée à la société L’Oreal est celle du 28 mars 2022, date à laquelle le greffe a procédé à l’enrôlement de l’affaire, étant observé qu’il ne résulte d’aucune disposition que le délai prévu par l’ article 857 du code de procédure civile devrait être écarté dans le cadre d’une procédure de référé, et que si l’article 858 de ce code précise qu’en cas d’urgence, les délais de comparution et de remise de l’assignation peuvent être réduits par autorisation du président du tribunal, il n’est pas prétendu en l’espèce qu’une autorisation aurait été requise et donnée par le président du tribunal pour déroger au délai de huit jours imposé par l’article 857 du code de procédure civile.
Or, l’audience ayant lieu le 5 avril 2022, le dernier jour pour la remise de l’assignation au greffe était le 27 mars, soit un dimanche, par conséquent, prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant, donc le 28 mars 2022 au sens de l’article 642 du code de procédure civile.
Le délai de l’article 857 du code de procédure civile a ainsi été respecté et la caducité de l’assignation délivrée n’est pas encourue.
L’ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.
– sur le fond du référé
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Il incombe au requérant à la mesure de justifier d’un « procès en germe » entre les parties, possible et non manifestement voué à l’échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée.
Le recours à une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne requiert pas de commencement de preuve, la mesure ayant précisément pour objet de rechercher et établir les preuves en vue d’un procès futur.
Selon l’article L. 122-1 du code de la consommation, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n’est licite que si :
1/ elle n’est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2/ elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3/ elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services dont le prix peut faire partie.
En application de l’article L. 122-5 du même code, l’annonceur pour le compte duquel une publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver dans un bref délai l’exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité.
L’ article L.121-1 de ce code énonce que les pratiques commerciales déloyales sont interdites et précise qu’une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l’égard d’un bien ou d’un service.
Enfin, est trompeuse au sens de l’article L. 121-2, une pratique commerciale commise, notamment, lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant, entre autres, sur le prix ou le mode de calcul du prix, son caractère promotionnel et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service.
En l’espèce, il est constant que la campagne publicitaire lancée par la société L’Oréal, s’agissant du “Steampod 3.0”, vise à promouvoir ce lisseur au moyen d’allégations au titre de ses performances (coiffage et rapidité) et de son innocuité (dommages aux cheveux).
Cette campagne, réalisée sur plusieurs supports, notamment sur le site L’Oréal Professionnel [Localité 4] et Amazon, met en valeur en outre sa technologie à base de vapeur qui permettrait d’obtenir de tels résultats, ce, notamment, dans les termes suivants :
– “2x plus rapide”, “2x plus lisse” “meilleure discipline et 91% de dommages en moins”, test instrumental après 15 passages vs Steampod sans peigne ni vapeur (page du site internet L’Oréal Professionnel [Localité 4]),
– “Découvrez le pouvoir de la vapeur”, “78% de dommages en moins”, “test instrumental vs lisseur classique après 15 passages” ‘autre page de ce site),
– Le Steampod 3.0 est le lisseur professionnel breveté qui transforme vos cheveux en un rien de temps grâce au pouvoir doux de la vapeur”, “le pouvoir de la vapeur permet d’obtenir 78%de dommages en moins, un coiffage 2x plus rapide et des cheveux 2x lus lisses”, “le Steampod 3.0 lisseur professionnel breveté transforme vos cheveux en un clin d’oeil grâce au pouvoir de la vapeur” ( page L’Oréal Professionnel [Localité 4] du site Amazon).
Il est tout aussi constant que le “Steampod 3.0” est le seul produit de coiffage de type lisseur à disposer d’une telle technologie, la société Dyson commercialisant pour sa part, notamment, le “Dyson Corrale”à la technologie classique et proposé à un tarif plus onéreux que le produit de la société L’Oréal.
Ainsi, en ayant axé la campagne publicitaire sur la technologie à base de vapeur, induisant qu’elle seule permettrait des résultats importants en termes de performance et d’innocuité, la société L’Oréal a fait le choix de se démarquer des produits commercialisés par les principaux acteurs du secteur du coiffage, notamment la société Dyson, en proposant son produit au surplus à un coût moindre.
Le fait qu’aucun concurrent ne soit explicitement identifié dans cette campagne, apparaît dépourvu de pertinence dès lors qu’au regard du sens des allégations utilisées, sont nécessairement visées les autres marques directement concurrentes de la société L’Oréal, qui proposent des produits dont il est indiqué, a contrario, qu’ils sont moins performants et plus susceptibles de causer des dommages aux cheveux, donc de nuire au consommateur final.
Par ailleurs, la société Dyson produit (pièce n°14 de son bordereau de pièces) des résultats de tests effectués à sa demande par le laboratoire Dia-Strn Ltd dont il s’évince que la vapeur n’est pas susceptible d’influencer la rapidité et la qualité du lissage et qu’elle ne réduit pas non (plus) lus les dommages aux cheveux.
Ces résultats ne sont donc pas en cohérence avec ceux mis en avant par la société L’Oréal dans sa communication et apparaissent de nature à pouvoir remettre en cause la fiabilité des arguments de vente susvisés, permettant ainsi à la société Dyson de justifier d’une présomption de pratique commerciale trompeuse.
La critique émise par la société L’Oréal portant sur la méthodologie retenue pour la réalisation de ces tests est inopérante, dès lors qu’elle ne produit pas les siens et ne dévoile pas sa propre méthodologie.
Enfin, les contestations élevées par elle sur l’utilité de la mesure, puisque la société Dyson disposerait déjà des éléments nécessaires à une action au fond, ne sont pas davantage de nature à faire échec à la demande de l’appelante, dès lors qu’il n’appartient pas à la présente juridiction, saisie sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de statuer sur le degré de sérieux des contestations, la cour rappelant que la présente action n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé.
A cet égard, il doit être relevé M. [J], expert mandaté par la société Dyson expose aux termes de son attestation que : “l’élaboration de protocoles de tests visant à évaluer la rapidité du lissage, sa qualité et les dommages causés aux cheveux implique d’opérer un choix sur les nombreuses variables (méthodes de tests utilisées, types de cheveux testés, types de lisseurs testés, nombre de passages etc…) Dans la perspective d’une mise à l’épreuve des allégations commerciales de l’Oréal concernant le Steampod 3.0, il est nécessaire de disposer des tests soutenant les allégations ainsi que des protocoles élaborés en amont afin de vérifier les hypothèses retenues et reproduire ces tests en laboratoire”.
Au regard des éléments qui précèdent, les allégations publicitaires, qui induisent dans l’esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, que la société L’Oréal commercialise un lisseur performant en terme de rapidité et de lissage et sans dommages pour les cheveux suffisent à rendre plausible une violation par les appelantes des dispositions des textes susvisés et à démontrer l’intérêt de la société Dyson à solliciter la communication de pièces permettant de contrôler la véracité de ces allégations et la loyauté de la campagne publicitaire voire de la concurrence, dans la perspective d’un litige futur éventuel, qui n’apparaît pas, à ce stade, manifestement voué à l’échec.
La mesure d’instruction destinée à améliorer la situation probatoire de la société Dyson, se doit de concilier le droit à la preuve, auquel prétend cette dernière avec le droit au secret des affaires, auquel prétend la société L’Oréal, étant rappelé que la mesure doit être utile et pertinente pour l’éventuel futur procès.
Les documents dont la communication est sollicitée, bien qu’ils ne soient pas connus ou aisément accessibles pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité, sont relatifs à des tests techniques de sorte qu’il n’est pas démontré qu’ils revêtiraient une valeur commerciale certaine entre deux concurrents directs étant précisé qu’ils font nécessairement l’objet de mesures de protection raisonnables, n’étant, par principe, pas diffusés.
Ces éléments apparaissent utiles à la société Dyson pour déterminer l’étendue de son éventuel préjudice, étant rappelé que le secret des affaires ne fait pas obstacle à la communication d’une pièce utile à la solution du litige. Par conséquent la demande de la société L’Oréal tendant à voir placer les pièces demandées sous séquestre sera rejetée.
La décision entreprise, en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sera donc infirmée, la société L’Oréal ne démontrant pas que les pièces sollicitées seraient inutiles à la résolution d’un futur procès ni qu’elles porteraient une atteinte manifestement disproportionnée à leurs droits.
Ces pièces apparaissent au surplus pertinentes dès lors qu’elles sont de nature à justifier l’étendue de la campagne publicitaire et la véracité des allégations utilisées, la mesure d’instruction étant par ailleurs légalement admissible, lesdites pièces étant identifiées et circonscrites.
A titre reconventionnel, la société L’Oréal sollicite la production par la société Dyson des tests relatifs au “Steampod 3.0” réalisés par ses soins. Toutefois, outre que les résultats de ces tests sont produits, la société L’Oréal ne précise pas quels documents elle entend voir produits ni quelle serait leur utilité à la solution du litige.
Ainsi, la société L’Oréal ne justifie d’aucun intérêt probatoire pour le procès futur qui pourrait être engagé à obtenir des résultats des tests réalisés par la société Dyson.
Cette dernière sera donc déboutée de ce chef de demande.
Sur le prononcé de l’astreinte
Afin d’assurer l’effectivité de la communication des pièces, il convient d’assortir la communication dont s’agit d’une astreinte de 2.500 euros par jour de retard, à compter du 15ème jour suivant la signification de cet arrêt.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L’ordonnance rendue sera infirmée en ce qu’elle a mis les dépens de première instance à la charge de la société Dyson. En revanche, l’absence de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile a été exactement appréciée par le premier juge.
Succombant, la société L’Oréal supportera les dépens d’appel.
Aucune considération ne commande, au regard des circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
Reçoit l’intervention volontaire de la société L’Oréal SA ;
Met hors de cause la société L’Oréal France ;
Infirme l’ordonnance entreprise sauf en ce qui concerne la caducité de l’assignation et les frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau de ces chefs ;
Ordonne à la société L’Oréal de communiquer à la société Dyson, dans les 14 jours de la signification du présent arrêt, les documents suivants :
– les résultats des tests instrumentaux effectués par la société L’Oréal ou à sa demande concernant les performances du “Steampod 3.0”, telles qu’elles ressortent des allégations publicitaires,
– les protocoles élaborés pour la réalisation de ces tests,
– les analyses éventuellement réalisées à la suite des résultats de ces tests ;
Dit qu’à défaut de communication de ces éléments dans le délai susvisé, la société L’Oréal sera tenue à compter du 15ème jour suivant la signification du présent arrêt, au paiement d’une astreinte de 2.500 euros par jour de retard, laquelle sera due pendant une période de trois mois à l’issue de laquelle il pourra être statué à nouveau ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société L’Oréal aux dépens d’appel ;
Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE