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7 septembre 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
19/03082
N° RG 19/03082 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MK5O
Décision du Tribunal de Commerce de LYON du 14 janvier 2019
RG : 2017j1197
SAS REFLECTIV ANCIENNEMENT REFLECTOR
SAS REFLECTIV
C/
SARL ADVANCED DATA NETWORK
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2023
APPELANTES :
SAS REFLECTIV (anciennement REFLECTOR) venant aux droits de la société REFLECTIV, agissant poursuites et diligences de son Président demeurant en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
SAS REFLECTIV agissant poursuites et diligences de son Président demeurant en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Sylvie GARDE-LEBRETON, avocat au barreau de LYON, toque : 298, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Florence ANDREANI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
SARL ADVANCED DATA NETWORK
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Charlotte BRACHET, avocat au barreau de LYON, toque : 1658, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Jonathan DENIZOU, avocat au barreau de LYON, toque : 1482
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 04 Mai 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 Avril 2023
Date de mise à disposition : 07 Septembre 2023
Audience tenue par Patricia GONZALEZ, présidente, et Marianne LA-MESTA, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Patricia GONZALEZ, présidente
– Marianne LA-MESTA, conseillère
– Aurore JULLIEN, conseillère
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Reflectiv, anciennement Reflector (ci-après la société Reflectiv), conçoit et fabrique des films adhésifs de haute technologie s’appliquant sur le verre qu’elle présente sur des catalogues et sur son site internet www.reflectiv.com.
La SARL Advanced Data Network (ci-après la société Advanced Data Network) exerce une activité de développement d’applications, de fourniture de services de formation, d’enregistrements de noms de domaine et de vente de systèmes de sécurité, comme des pare-feu, qu’elle commercialise notamment par le biais de son site internet www.firewallshop.fr.
Le 4 janvier 2017, la société Reflectiv a commandé sur le site internet de la société Advanced Data Network un routeur (pare-feu) dénommé Fortigate 50 E pour un montant de 569 euros et une prestation de service au prix de 274 euros HT, outre des frais de port et d’assurance à hauteur de 31,83 euros HT, soit une somme totale de 1.049,80 euros TTC.
Par mail du 1er février 2017 la société Reflectiv a indiqué à la société Advanced Data Network qu’elle annulait la commande et retournait le produit reçu le matin même, au motif que celui-ci est incompatible avec son installation fibre internet Orange, et sollicitait le remboursement conformément au droit de rétractation prévu aux conditions générales de vente du site.
Par courriel du même jour, la société Advanced Data Network a répondu que le délai de rétractation ne pouvait s’appliquer, avant de refuser de réceptionner le colis retourné par la société Reflectiv.
Suivant courrier recommandé du 23 mars 2017, la société Reflectiv a réitéré sa demande de remboursement en se prévalant à nouveau du droit de rétractation et en mettant en avant le défaut d’information et de conseil de la société Advanced Data Network.
Par mail du 12 avril 2017, la société Advanced Data Network a maintenu sa position, en observant notamment que le droit de retour ne peut s’appliquer sur le produit qui dispose de licences logicielles activées dès son expédition et que le droit de rétraction ne peut être invoqué par la société Reflectiv car elle a plus de 5 salariés.
Par exploit d’huissier en date du 26 juin 2017, la société Reflectiv a assigné la société Advanced Data Network devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins d’obtenir sa condamnation à lui rembourser le montant de la commande et lui verser la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement contradictoire du 14 janvier 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :
– jugé l’intervention volontaire de la société Reflectiv, anciennement Reflector, venant aux droits de la société Reflectiv, recevable,
– jugé que le non-respect de l’obligation d’information et de conseil de la société Advanced Data Network n’est pas prouvé,
– débouté les parties de l’ensemble de leurs moyens, fins et prétentions,
– condamné la société Reflectiv, anciennement Reflector, venant aux droits de la société Reflectiv, à verser à la société Advanced Data Network la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Reflectiv, anciennement Reflector, venant aux droits de la société Reflectiv, aux entiers dépens de l’instance.
La société Reflectiv a interjeté appel par acte du 2 mai 2019.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 février 2021, la société Reflectiv demande à la cour, sur le fondement des articles 325 et 329 du code de procédure civile, ainsi que sur celui des articles 1112-1, 1240 et 1241 du code civil :
– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé son intervention volontaire recevable,
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il :
– l’a condamnée à verser à la société Advanced Data Network la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamnée aux entiers dépens de l’instance,
– a jugé que le non-respect de l’obligation d’information et de conseil de la société Advanced Data Network n’est pas prouvé,
– a débouté les parties de l’ensemble de leurs moyens, fins et prétentions,
et statuant de nouveau,
– de débouter la société Advanced Data Network de toutes ses demandes, fins et prétentions,
– de condamner la société Advanced Data Network au paiement de la somme de 1.049,80 euros en remboursement de sa commande,
– de condamner la société Advanced Data Network au remboursement des frais TNT à hauteur de 7,49 euros,
– de condamner la société Advanced Data Network à lui payer la somme de 4.000 euros en réparation de son préjudice subi,
– de rejeter la demande de la société Advanced Data Network au titre de la procédure abusive,
en tout état de cause,
– de condamner la société Advanced Data Network à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance avec application de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 11 janvier 2021, fondées sur les articles 1240 et 1241 nouveaux du code civil, la société Advanced Data Network demande à la cour :
– de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
statuant de nouveau,
– de condamner la société Reflectiv à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
en tout état de cause,
– de condamner la société Reflectiv à lui verser une indemnité de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 mai 2021, les débats étant fixés au 26 avril 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient à titre liminaire de rappeler que les demandes de constat et dire et juger ne constituent pas des prétentions mais uniquement un rappel des moyens et qu’il n’y a donc pas de lieu de statuer sur ce point, la cour n’en étant pas saisie.
Il est également précisé que, compte tenu de la date à laquelle le produit en cause a été commandé, le litige est soumis au nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016.
Il sera encore observé qu’aucun appel, qu’il soit principal ou incident, n’a été formé à l’encontre du chef du jugement ayant déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Reflectiv, anciennement Reflector, venant aux droits de la société Reflectiv, de sorte que la décision est définitive sur ce point.
Sur l’obligation d’information et de conseil et du vendeur
La société Reflectiv expose pour l’essentiel :
– que le vendeur est tenu d’une obligation d’information et de conseil à l’égard de l’acheteur professionnel dans l’hypothèse où sa compétence ne lui permet pas d’apprécier la portée des caractéristiques techniques des produits dont il entend faire l’acquisition,
– que tel est le cas notamment en matière d’acquisition de matériel et de prestation informatique auprès d’une société spécialisée, qui doit transmettre à son client, simple utilisateur dépourvu de compétences techniques spécifiques, une information circonstanciée et personnalisée afin lui permettre d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du bien livré,
– que si elle est spécialisée dans la production de films adhésifs s’appliquant sur le verre, elle est en revanche totalement incompétente dans le domaine de l’informatique et n’a donc pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du routeur, objet du litige,
– qu’elle travaillait certes avec une société d’informatique indépendante, la société Madeo, dans le cadre d’un contrat conclu le 14 janvier 2002 et ayant pris fin le 27 juillet 2017, mais ce contrat portait uniquement sur l’installation d’un serveur HP Net Serveur E 60 sur 10 ordinateurs et sur la gestion de cette installation dans sa partie réseau, à l’exclusion de toute panne sur le matériel ou de tout dysfonctionnement intrinsèque des logiciels d’application,
– que le support téléphonique ne fonctionnait ainsi que pour les installations mises en place directement par la société Madeo, dont la sphère d’intervention était donc très limitée,
– qu’en particulier, la société Madeo n’avait aucun rôle de conseil,
– que contrairement à ce qu’affirme la société Advanced Data Network, le routeur Fortigate 50 E, objet du contrat, n’est pas un élément standard de réseau, mais un produit technique complexe, s’agissant d’un pare-feu ‘nouvelle génération’,
– qu’en 2016/2017, à la date de passation de la commande, la société Madeo ne proposait pas de routeurs Fortigate 50 E à la vente sur son site et n’avait donc pas les compétences lui donnant les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques de ce type de produit,
– que les objets sociaux de la société Advanced Data Network et Madeo sont bien différents, la première étant spécialisée dans l’écriture de programmes informatiques, la seconde dans dans le conseil en systèmes informatiques, comme le révèlent leurs codes APE totalement distincts,
– qu’elle a d’ailleurs interrogé la société Madeo qui l’a mal aiguillée, car elle n’avait justement pas les compétences requises en matière de routeurs Fortigate 50 E en 2016/2017,
– qu’il en découle que la société Advanced Data Network devait lui transmettre une information circonstanciée et personnalisée afin de lui permettre de prendre connaissance de ce qu’elle acquérait par rapport à ses besoins,
– que les échanges de courriels entre la société Madeo et la société Advanced Data Network produits par cette dernière en vue d’établir que la société Madeo vend des pare-feu Fortinet depuis au moins 2013, doivent être écartés des débats, car ils ont été obtenus dans des conditions ne respectant pas la loyauté et n’ont pas de valeur probante, puisque l’interlocuteur de la société Madeo a été manipulé par la société Advanced Data Network, sans avoir été informé de l’utilisation qui allait être faite de ses écrits, dont le contenu n’est au demeurant pas corroboré par des documents officiels,
– qu’étant tenue d’une obligation de conseil renforcée, le fait pour la société Advanced Data Network de faire figurer des informations très complexes sur son site internet avant validation de la commande ne suffit pas à établir que celle-ci a rempli son devoir d’information, car elle ne l’a pas alertée sur les limites de la prestation, la technicité du produit et les incomplétudes du besoin exprimé,
– que la société Advanced Data Network ne l’a pas non plus correctement conseillée lors de l’appel téléphonique qu’elle a pris soin de lui passer le 4 janvier 2017 pour avoir des informations sur le routeur avant de passer commande,
– qu’ainsi, aucune question précise ne lui a été posée concernant son installation fibre et sa compatibilité avec le routeur envisagé, alors qu’il s’agit d’une information de base pour un professionnel spécialisé dans ce secteur,
– qu’ayant sollicité ces renseignements oralement, elle n’a pas rempli le formulaire écrit évoqué par la société Advanced Data Network en cas de demande relative à l’adéquation de ses appareils,
– qu’en tout état de cause, la société Advanced Data Network ne rapporte pas la preuve de ce que lors du prétendu envoi du formulaire de pré-configuration du routeur le 30 janvier 2017, elle l’a mise en garde sur les difficultés qui pourraient en résulter pour la suite de l’installation,
– que la circonstance selon laquelle elle n’aurait pas souhaité cette pré-configuration, outre qu’elle n’est pas établie par les captures d’écran versées aux débats par la société Advanced Network, ne saurait exonérer cette dernière de son devoir de conseil, dès lors que cette pré-configuration intervient après la commande et donc après l’obligation de conseil qui fait défaut en l’espèce,
– qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir collaboré avec la société Advanced Data Network en ne répondant pas à ses propositions de vérifier le débit réel de sa Livebox, dès lors qu’aucune demande en ce sens n’a été faite préalablement à la commande.
La société Advanced Data Network réplique :
– que l’obligation de conseil n’existe que dans la mesure où l’acheteur a respecté son devoir de se renseigner,
– que dans le cas présent, la société Reflectiv ne démontre pas lui avoir demandé confirmation que le produit sélectionné par son informaticien correspondait effectivement à ses besoins, puisqu’elle se borne à faire état d’un échange téléphonique dont elle n’est pas en mesure de rapporter la teneur,
– qu’en outre, lorsqu’un client demande à vérifier l’adéquation du produit à ses besoins, il ne lui est pas répondu par téléphone compte tenu des renseignements précis qui doivent être communiqués pour répondre à cette question,
– qu’une adresse de contact figure sur son site de vente à cette fin que la société Reflectiv ne justifie pas avoir utilisée,
– que par ailleurs, les caractéristiques du matériel vendu sont présentées sur son site internet, ce qui permet au client de s’assurer de sa compatibilité, étant rappelé que la vitesse de protection, qui est la caractéristique principale d’un pare-feu, était bien mentionnée,
– que la société Reflectiv disposait donc de toutes les informations nécessaires pour vérifier ou faire vérifier par son informaticien l’adéquation du produit à ses besoins,
– que d’ailleurs, lors de la réception du produit, la société Reflectiv ne lui a pas reproché de l’avoir mal conseillée lors de l’appel téléphonique évoqué ci-dessus, mais s’est bornée à indiquer que son informaticien avait commis une erreur dans le choix du produit, alors que celui-ci avait les compétences nécessaires, étant rappelé que la compétence de l’acheteur professionnel exonère le vendeur de son obligation de conseil notamment en matière informatique lorsque le client est assisté par un informaticien,
– que le prestataire informatique de la société Reflectiv au moment de la commande, la société Madeo, est en effet spécialisée en administration réseau depuis 2000,
– que l’analyse du contrat liant la société Madeo à la société Reflectiv, qui était encore en vigueur lors de la commande litigieuse, fait apparaître que celle-ci lui fournissait une assistance en matière de fonctionnement de son réseau, dont le pare-feu constitue l’un des éléments essentiels, en ce qu’il définit les types de communication autorisés sur le réseau,
– qu’en vertu du contrat, la société Reflectiv était de surcroît tenue de consulter son prestataire quant au choix d’un élément venant modifier le système informatique, ce qui vient confirmer que le modèle de pare-feu Fortigate 50 E a été sélectionné ou, à tout le moins, agréé par la société Madeo,
– que cette dernière est distributeur et installateur de pare-feu de marque Fortinet depuis au moins 2013, ainsi qu’en attestent les captures d’écran de son site internet, mais également les mails qu’elle a échangés avec la société suite à une demande d’information effectuée via le formulaire en ligne de l’entreprise, ces courriels étant tout à fait recevables dans la mesure où la preuve est libre en matière commerciale,
– que la société Madeo disposait donc des connaissances techniques requises pour apprécier l’adéquation du pare-feu de marque Fortinet au réseau de la société Reflectiv,
– que si la société Reflectiv n’a pas fait l’acquisition du firewall auprès de son prestataire, c’est très probablement parce qu’elle le proposait à un prix plus attractif,
– que la plus ou moins grande technicité des équipements ou logiciels concernés par le contrat est également un paramètre à prendre en compte dans l’appréciation de l’intensité de l’obligation de conseil du vendeur ou prestataire, celle-ci étant atténuée lorsque le produit vendu est standard,
– qu’en l’occurrence, la complexité d’un matériel réseau de type Fortinet est faible, ne s’agissant pas d’une fabrication spécifique, et son usage est très fréquent dans une entreprise à l’heure actuelle,
– que de l’aveu même de la société Reflectiv, celle-ci avait, directement ou via son informaticien, la capacité de comprendre les spécifications de son ancien routeur (CISCO) et de déterminer qu’il n’était plus compatible avec ses équipements et ses objectifs,
– qu’enfin, en refusant de remplir le formulaire de pré-configuration transmis avant envoi du matériel, puis en ne répondant pas à sa proposition de tester le débit réel de son réseau, la société Reflectiv a manqué à son obligation de collaboration, ce qui fait obstacle à l’engagement de la responsabilité du vendeur,
– que le remplissage du formulaire ou le test du réseau lui auraient en effet permis de découvrir l’inadéquation du matériel choisi par la société Reflectiv.
Sur ce,
Il résulte de l’article 1231-1du code civil que le manquement d’un cocontractant à son obligation d’information et de conseil est constitutif d’une faute source de responsabilité contractuelle.
A l’égard de l’acheteur professionnel, l’obligation d’information du vendeur n’existe toutefois que dans la mesure où la compétence de cet acheteur ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens vendus. De même, l’obligation de conseil n’est concevable que s’il existe une différence de compétence entre le vendeur et l’acheteur.
En l’espèce, la société Reflectiv ne discute pas sa qualité de commerçant, ni le fait qu’elle a passé commande du routeur Fortigate 50 E pour les besoins de son activité professionnelle.
L’existence et l’étendue du devoir d’information et de conseil incombant à la société Advanced Data Network dans le cadre de la vente du matériel litigieux doit donc être appréciée à l’aune des dispositions rappelées ci-dessus.
A cet égard, il convient de relever que l’intimée ne conteste pas que la société Reflectiv, spécialisée dans l’achat/vente de produits verriers, et plus spécifiquement dans la fabrication de films adhésifs pour vitrage, ne dispose pas de compétences particulières en matière informatique.
La société Advanced Data Network relève en revanche à juste titre qu’à la date à laquelle l’appelante a passé commande du routeur Fortigate 50 E, celle-ci bénéficiait de l’assistance d’un administrateur réseau, la société Madeo, ce qui est d’ailleurs parfaitement admis par la société Reflectiv qui produit le contrat qui la liait à cette entreprise depuis le 14 janvier 2002 jusqu’à sa résiliation intervenue le 13 janvier 2018 (pièces n°29 et 30 de l’appelante), soit postérieurement à l’achat du pare-feu Fortigate 50 E.
La lecture de cette convention et de ses annexes, en particulier l’annexe 1, fait apparaître que la société Madeo était chargée de couvrir le bon fonctionnement de l’installation informatique dans sa partie réseau uniquement, à l’exclusion de toute panne sur le matériel ou de tout mauvais fonctionnement intrinsèque des logiciels d’application. Elle avait ainsi la mission d’administrer le serveur, d’assurer le fonctionnement en réseau de la société Reflectiv, de suivre le paramétrage des postes clients en vue du fonctionnement en réseau, de permettre l’impression à travers le réseau sur les imprimantes partagées et de mettre en place les conditions optimales de sauvegarde des données sur les matériels suivants : un serveur HP Net Serveur E 60 et 10 ordinateurs.
L’article 1 du contrat précise encore que ‘tout ajout et/ou toute modification apportés au système informatique du client devront faire l’objet d’un agrément du prestataire garantissant ainsi la fiabilité et la pérennité du présent contrat’, tandis que l’article 3.3 relatif aux obligations du client en matière d’évolution du parc prévoit que ‘le client s’engage à utiliser le matériel et les logiciels préconisés ou validés par les prestataire. Toutes modifications, sous peines d’exonérations de la responsabilité du prestataire, doivent faire l’objet d’un avenant signé par les deux parties’.
La société Reflectiv communique également la fiche ‘societe.com’ de la société Madeo mise à jour le 26 janvier 2020, laquelle mentionne qu’il s’agit d’une entreprise active depuis 19 ans et spécialisée dans le conseil en systèmes et logiciels informatiques (pièce n°31 de l’appelante), ce qui comprend, selon la nomenclature NAF par ailleurs versée aux débats par l’appelante (pièce n°34) la planification et la conception (études, conseil) de systèmes informatiques intégrant les technologies du matériel, des logiciels et des communications, ainsi que le conseil en développement logiciel personnalisé avec analyse des besoins et des problèmes des utilisateurs, puis formulation de propositions de solutions.
Il découle des observations qui précèdent :
– que d’une part, si la société Madeo n’a pas pour activité de concevoir des logiciels ou du matériel informatique, elle doit en revanche en maîtriser le fonctionnement, de manière à pouvoir prodiger tous conseils utiles à ses clients sur leurs modalités d’utilisation afin de développer un système informatique adapté à leurs besoins ou d’intégrer de nouveaux logiciels et/ou équipements à l’environnement informatique déjà existant de leur clientèle,
– que d’autre part, dans le cadre du contrat d’assistance informatique entre la société Reflectiv et la société Madeo, celle-ci avait un rôle d’administrateur réseau et que pour mener à bien cette mission, elle devait approuver les logiciels et matériels susceptibles d’affecter le fonctionnement dudit réseau.
Or, selon la documentation fournie par la société Advanced Data Network et non remise en cause par la société Reflectiv, le routeur Fortigate 50 E qu’elle a commandé sur la boutique en ligne de la société Advanced Data Network est un matériel informatique communément appelé pare-feu (de l’anglais firewall), permettant de faire respecter la politique de sécurité du réseau, celle-ci définissant les types de communication autorisés sur ce réseau informatique. Il surveille et contrôle les applications, ainsi que les flux de données (pièce n° 14 de l’intimée).
Il sera à ce stade observé qu’au vu de son usage, ce type de matériel de protection est habituellement conseillé, utilisé et installé par les administrateurs réseau, comme le confirment au demeurant les indications portées sur la page d’accueil du site de la société Madeo (pièce n°15 de l’intimée) qui propose notamment des solutions de sécurité réseau.
Compte tenu de la mission dévolue à la société Madeo dans le cadre du contrat d’assistance informatique qui la liait à la société Reflectiv, telle que décrite ci-dessus, ainsi que des obligations incombant à cette dernière au titre de ce même contrat, il y a lieu de retenir qu’avant de procéder à l’achat d’un routeur destiné à protéger le réseau, la société Reflectiv était tenue d’en référer à la société Madeo afin que celle-ci valide le choix du matériel avant son installation sur le réseau qu’elle était chargée d’administrer.
Il est d’ailleurs à noter que dans un courriel envoyé le 1er février 2017 à la société Advanced Data Network en réponse au message lui ayant été envoyé par cette dernière pour signaler que les utilisateurs connectés directement au wifi de la livebox Orange ne pourront bénéficier des protections du produit Fortigate 50 E, car celles-ci fonctionnent avec un débit maximum de 160 Mbit/s alors que sa fibre Orange a un débit de 1000 Mbit/s, la société Reflectiv relate : ‘il s’avère que nous avons mal été aiguillés par notre informaticien dans un premier temps’ (pièce n°10 de l’appelante).
Il s’infère de ces propos que conformément aux stipulations du contrat d’assistance informatique, la société Reflectiv s’est bien tournée vers la société Madeo pour savoir quel type de pare-feu il convenait d’acquérir au regard de ses besoins, mais également des contraintes de son réseau internet, ce qu’elle concède d’ailleurs également dans ses écritures (pages 25-26).
Il s’ensuit que par le biais de son prestataire informatique, la société Reflectiv, bien que n’ayant elle-même aucune compétence particulière en ce domaine, était en mesure d’avoir une parfaite connaissance du modèle de produit à acquérir pour qu’il puisse fonctionner dans son environnement réseau.
Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer qu’aucune obligation particulière d’information et de conseil ne pesait sur la société Advanced Data Network dans le cadre de la vente du routeur Fortigate 50 E à la société Reflectiv, notamment s’agissant de la compatibilité du bien avec l’installation de cette dernière, celle-ci étant en mesure de l’apprécier par l’intermédiaire de la société Madeo vers laquelle elle devait se tourner pour des acquisitions de cette nature.
Il doit en tout état de cause être rappelé qu’en matière de matériel informatique, il existe pour l’acheteur, même profane, un devoir de coopération vis-à-vis du vendeur, auquel il doit faire connaître ses besoins et ses objectifs.
Dans le cas présent, bien qu’aucune pièce ne vienne l’établir, la société Advanced Network reconnaît avoir été contactée téléphoniquement par la société Reflectiv le 4 janvier 2017, avant que celle-ci ne passe commande du produit litigieux. Elle soutient cependant que cet appel n’a pas porté sur le modèle de pare-feu à choisir, celui-ci ayant déjà été sélectionné par la société Reflectiv, mais qu’il avait avait pour seul objet de savoir s’il fallait des notions techniques réseau pour procéder à sa configuration.
Or, la société Reflectiv ne produit aucune offre de preuve de nature à venir démentir les allégations de la société Data Advanced Network sur la teneur de cet échange téléphonique, étant souligné que cette dernière avait déjà la même position sur le contenu de l’appel bien avant l’engagement de la procédure judiciaire, comme le révèle le courriel écrit pas ses soins à la société Reflectiv le12 avril 2017 (pièce n°15 de l’appelante). Il n’est donc pas démontré par la société Reflectiv que préalablement à l’achat du routeur, celle-ci aurait évoqué avec la société Advanced Data Network l’usage auquel elle le destinait et interrogé cette dernière sur les critères techniques devant être satisfaits par le produit pour répondre à ses attentes avant de faire le choix d’un modèle de pare-feu.
Par ces motifs substitués, il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Reflectiv de sa demande tendant à voir retenir la responsabilité de la société Advanced Data Network pour manquement à son obligation d’information et de conseil, mais également de sa demande de remboursement du prix du routeur et de dommages et intérêts au titre d’un préjudice commercial.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
La société Advanced Data Network soutient qu’en intentant la présente action, la société Reflectiv fait preuve d’une véritable intention de nuire à son encontre, dès lors :
– que cette procédure a pour seul but de pallier à ses carences dans son devoir de se renseigner,
– qu’elle a refusé toutes ses propositions amiables, pourtant formulées à plusieurs reprises, notamment celle qui lui aurait permis d’obtenir le remboursement de sa commande sous réserve de s’acquitter de la modique somme de 70 euros.
Elle considère que ces agissements lui ont causé un préjudice commercial, puisqu’elle a dû mobiliser des ressources humaines significatives pour formuler à plusieurs reprises des offres commerciales puis constituer le dossier en défense devant le tribunal de commerce de Lyon puis la cour d’appel.
La société Reflectiv relève quant à elle :
– que son refus de donner suite aux propositions de la société Advanced Data Network, qui ne faisaient pas explicitement apparaître d’offre de remboursement, n’est pas de nature à caractériser un abus,
– que la société Advanced Data Network n’établit pas l’existence du préjudice commercial qu’elle prétend avoir subi.
Sur ce,
L’article 1240 du code civil, dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts qu’en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.
En l’espèce, faute de démontrer que la société Reflectiv aurait cherché à lui nuire en l’assignant devant le tribunal de commerce puis en exerçant son droit d’appel, mais également de rapporter la preuve du préjudice qui en résulterait, la société Advanced Data Network sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La décision du tribunal de commerce sera par conséquent confirmée, en ce qu’elle a rejeté les prétentions formulées par la société Advanced Data Network sur ce fondement.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Succombant dans son action, la société Reflectiv doit supporter les dépens de première instance et d’appel, ce qui conduit à la confirmation du jugement déférée sur ce point.
Il le sera également s’agissant de la condamnation prononcée à l’encontre de l’appelante en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’équité commandant d’allouer une indemnité complémentaire de 2.000 euros à la société Advanced Data Network au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. Compte tenu de l’issue du litige, la société Reflectiv sera bien évidemment déboutée de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Ajoutant,
Condamne la SAS Reflectiv à verser à la SARL Advanced Data Network la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
Condamne la SAS Reflectiv aux dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE