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4 mai 2023
Cour d’appel d’Angers
RG n°
21/00124
COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00124 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EYZ2.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 20 Janvier 2021, enregistrée sous le n° 20/00015
ARRÊT DU 04 Mai 2023
APPELANTE :
S.A.S. ARTUS prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Aurelien TOUZET de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d’ANGERS substitué par Maître BRULAY avocat au barreau D’ANGERS – N° du dossier 20A00677
INTIMÉ :
Monsieur [R] [LJ]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Maître Alexandra SABBE FERRI de la SELAS SAGAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Maître MORTREAU avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Madame Estelle GENET
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 04 Mai 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE
La Sas Artus a pour activité la fabrication de moteurs, de génératrices et transformateurs électriques pour l’aéronautique. Elle compte de manière habituelle un effectif de plus de 100 salariés et applique dans ses relations avec son personnel la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie ainsi que la convention collective des industries métallurgiques, mécaniques, électriques, électroniques, connexes et similaires du Maine et Loire pour les salariés non-cadres.
M. [R] [LJ] a été embauché par la société Artus en qualité d’ingénieur chimiste dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée du 2 juillet 2012 au 21 novembre 2012. Par contrat du 6 mars 2013 à effet au 16 mars 2013, il a été embauché pour une durée indéterminée. Son ancienneté a été reprise à compter du 2 juillet 2012. En dernier lieu, il exerçait les fonctions d’ingénieur chimiste, statut cadre, position II, coefficient 114.
Par lettre remise en main propre le 5 mars 2019, M. [LJ] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 mars 2019. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire à effet du même jour.
Par correspondance du 1er avril 2019 reproduite ci-après, la société Artus a notifié à M. [LJ] son licenciement pour faute grave motivé en substance par:
– son comportement inapproprié envers une stagiaire, Mme [FF] ;
– la déstabilisation d’une candidate lors d’un entretien pour un stage ;
– son comportement inadapté envers ses collègues ;
– son attitude à l’égard de son supérieur hiérarchique ;
– la suppression de données professionnelles sur son ordinateur.
Le 9 avril 2019, M. [LJ] a demandé des précisions sur les motifs de son licenciement. La société Artus a répondu par lettre du 16 avril 2019.
Par requête enregistrée le 16 janvier 2020, M. [LJ] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers sollicitant, selon ses dernières écritures, la condamnation de la société Artus à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement nul en raison de faits de harcèlement moral ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité légale de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 20 janvier 2021 le conseil de prud’hommes d’Angers a :
– dit que le licenciement de M. [R] [LJ] est sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société Artus à payer à M. [R] [LJ] :
– 22 150 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 5 527,81 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– 9 489,24 euros au titre de l’indemnité de préavis ;
– 948,92 euros au titre des congés payés afférents au préavis ;
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rappelé le bénéfice de l’exécution provisoire de plein droit conformément aux dispositions de l’article R.1454-28 du code du travail, seul à retenir, et a fixé la moyenne des salaires de M. [LJ] à la somme de 3 163,08 euros brut ;
– rappelé que les intérêts au taux légal sont dus à compter de la convocation devant le conseil de prud’hommes pour les sommes accordées à titre de salaires et à compter du jugement pour les sommes accordées à titre de dommages et intérêts ;
– débouté les parties de leurs autres demandes ;
– mis les dépens à la charge de la société Artus.
La Sas Artus a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 18 février 2021, son appel portant sur l’ensemble des dispositions lui faisant grief, énoncées dans sa déclaration.
M. [LJ] a constitué avocat en qualité d’intimé le 3 mars 2021.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du conseiller rapporteur du 7 février 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Sas Artus, dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 10 mai 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
– la dire et juger recevable et bien fondée en son appel ;
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 20 janvier 2021 en ce qu’il a débouté M. [LJ] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;
– infirmer ce même jugement en ce qu’il :
– a dit que le licenciement de M. [LJ] est sans cause réelle et sérieuse ;
– l’a condamnée à payer à M. [LJ] :
– 22 150 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 5 527,81 euros d’indemnité légale de licenciement ;
– 9 489,24 euros d’indemnité de préavis ;
– 948,92 euros de congés payés afférents ;
– 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– a rappelé que les intérêts au taux légal sont dus à compter de la convocation devant le conseil de prud’hommes pour les sommes accordées à titre de salaires et à compter du jugement pour les sommes accordées à titre de dommages et intérêts ;
– mis les dépens à sa charge.
Statuant à nouveau de :
– dire et juger mal fondé M. [LJ] en ses demandes et l’en débouter ;
– subsidiairement, si par impossible le licenciement venait à être jugé nul ou sans cause réelle et sérieuse, de limiter le montant des dommages et intérêts à 18 985 euros en cas de nullité, et à 9 493 euros en cas d’absence de cause réelle et sérieuse ;
– condamner M. [LJ] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
En réponse à l’appel incident interjeté par le salarié portant sur le harcèlement moral, la société Artus conteste l’ensemble des faits invoqués par le salarié, lesquels ne résultent, selon elle, que de ses propres allégations, soulignant au contraire que c’est lui qui a adopté un comportement inadapté notamment vis-à-vis des stagiaires outre le fait qu’il s’est permis de traiter son supérieur hiérarchique d’incompétent.
Elle s’oppose ensuite à la nullité du licenciement en raison de l’absence de harcèlement moral et soutient que l’ensemble des griefs reprochés à M. [LJ] sont non prescrits, fondés et démontrés par les éléments qu’elle verse aux débats. Elle affirme au surplus que le salarié ne justifie pas de son préjudice dans la mesure où il ne communique aucun élément sur sa situation postérieure au licenciement.
Enfin, sur l’obligation de sécurité, la société Artus prétend qu’elle n’a pas méconnu ses obligations puisqu’il n’y a jamais eu de harcèlement moral et que l’étude de poste à laquelle le salarié fait référence relevait des prérogatives du médecin du travail qui n’a jamais été empêché d’accéder aux locaux de l’entreprise pour y procéder.
*
Par conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 5 août 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. [LJ] demande à la cour de :
A titre principal :
– déclarer recevable son appel incident sur le chef de condamnation suivant : « déboute les parties de leurs autres demandes » ;
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de nullité de licenciement au titre du harcèlement moral dont il a été victime ;
Et statuant à nouveau :
– juger qu’il a été victime de harcèlement moral ;
– juger que le licenciement est nul ;
En conséquence :
– condamner la société Artus à lui verser :
* 38 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
* 5 527,81 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
* 9 489,24 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
* 948,92 euros au titre des congés payés afférents au préavis ;
A titre subsidiaire :
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société Artus aux sommes suivantes :
* 22 150 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 5 527,81 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
* 9 489,24 euros au titre de l’indemnité de préavis ;
* 948,92 euros au titre des congés payés afférents au préavis ;
* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
En tout état de cause :
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat ;
Et statuant à nouveau :
– condamner la société Artus à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat ;
– condamner la société Artus à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Au soutien de ses intérêts M. [LJ] fait en substance valoir qu’il a subi des faits de harcèlement moral imputables à son supérieur hiérarchique, M. [C], arrivé en avril 2018, caractérisés notamment par un management agressif et anxiogène, une pression constante pour qu’il démissionne en lui demandant à intervalles réguliers quand il comptait partir de la société, un dénigrement de son parcours académique en lui demandant à plusieurs reprises comment il pouvait être ingénieur avec un simple master au lieu d’un diplôme d’une école d’ingénieur, des remarques désobligeantes sur sa vie personnelle notamment sur le fait qu’il n’a pas d’enfant, une surcharge de travail et des décisions visant à dégrader ses conditions de travail telles que le refus de recruter un stagiaire pour alléger sa charge de travail. Il en déduit que son licenciement est nul.
Il estime subsidiairement que la faute grave n’est pas constituée, arguant de ce que le licenciement serait une mesure de rétorsion qui s’inscrit dans le contexte de dénonciation du harcèlement moral qu’il subissait depuis plusieurs mois. Il fait observer que le grief concernant Mme [FF] est prescrit et à tout le moins non démontré, et que la preuve des autres griefs n’est pas plus rapportée.
Sur l’obligation de sécurité, le salarié prétend que la société a été informée à plusieurs reprises entre le 13 novembre 2018 et le 1er mars 2019 de la dégradation de son état de santé sans qu’aucune mesure ne soit prise pour préserver sa santé et sa sécurité. Il soutient qu’elle a ainsi ignoré deux avis de la médecine du travail des 13 novembre 2018 et 26 février 2019. Il ajoute qu’elle a été immédiatement informée des accusations vexatoires et injustifiées de M. [C] à son égard le 28 janvier 2019 et a donc pu constater le harcèlement, mais qu’elle n’a pris aucune mesure concrète pour le protéger.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral et la nullité du licenciement
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte des dispositions de L.1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce M. [LJ] invoque les faits suivants :
– un management agressif et anxiogène de son supérieur hiérarchique, M. [C] ;
– une pression constante pour qu’il démissionne en lui demandant à intervalles réguliers quand il comptait partir de la société ;
– un dénigrement de son parcours académique en lui demandant à plusieurs reprises comment il pouvait être ingénieur avec un simple master au lieu d’un diplôme d’une école d’ingénieur ;
– des remarques désobligeantes sur sa vie personnelle ;
– une surcharge de travail ;
– des décisions visant à dégrader ses conditions de travail telles que le refus de recruter un stagiaire pour alléger sa charge de travail.
Pour démontrer la matérialité des faits sus-évoqués, M. [LJ] communique les pièces suivantes :
– un mail qu’il a adressé le 30 janvier 2019 à Mme [S] [T], médecin du travail, dans lequel il sollicite de pouvoir échanger avec elle sur ses ‘conditions de travail difficiles’ et lui indique notamment avoir été ‘offensé et vexé volontairement’ par son supérieur (pièce n°7) ;
– un mail qu’il a envoyé le 25 février 2019 à Mme [AF] en réponse à la demande de cette dernière formulée le même jour concernant une date de livraison. Il prétend ‘être en surcharge de travail et (qu’)on (lui) a refusé un stagiaire’. Il souligne qu’il ne ‘peut pas promettre quelque chose qu’il ne tiendra pas’ (pièce n°8) ;
– un mail du 25 février 2019 en réponse à une demande similaire de M. [N] dans lequel il indique de nouveau être en surcharge de travail et sans stagiaire tout en précisant qu’il ne peut pas promettre ce qu’il n’est pas certain de tenir (pièce n°9) ;
– un mail du 28 février 2019 qu’a envoyé Mme [G] à M. [P] et dans lequel elle précise ‘nous avons un problème de charge pour [F] pour se consacrer pleinement à la réponse à faire pour ZFIS. C’est lui le chimiste Artus et donc lui qui peut répondre aux questions très précises de ZFIS’ (pièce n°11) ;
– un mail qu’il a adressé à Mme [RG] le 1er mars 2019 et dans lequel il relate en substance que M. [C] a tenu à son égard des propos humiliants et vexatoires, et lui a refusé un stagiaire. Il y développe également l’ensemble des faits de harcèlement moral rappelés ci-avant qu’il estime avoir subis (pièce n°12) ;
– une attestation de M. [L], consultant au sein de la société Artus entre janvier 2017 et septembre 2018, qui indique : ‘à la fin de mon contrat en septembre 2018, j’ai observé un début d’isolement de M. [LJ] lié à des divergences avec sa hiérarchie sur la valorisation salariale et les conditions de travail’ (pièce n°23) ;
– un article internet du quotidien Ouest France relatant la condamnation de la société Artus par le conseil de prud’hommes d’Angers concernant une salariée ‘défigurée’ suite à son ‘exposition à des produits hautement nocifs et sans protection’ (pièce n°25) ;
– s’agissant des éléments médicaux, M. [LJ] verse son dossier médical auprès de la médecine du travail dans lequel ses propos ont été consignés par le praticien (pièce n°20) ainsi que des avis d’aptitude émis par le médecin du travail le 13 novembre 2018 (pièce n°5) et le 26 février 2019 (pièce n°10) précisant qu’une étude de poste est à prévoir.
Il en ressort que le management agressif et anxiogène de son supérieur hiérarchique, la pression constante pour qu’il démissionne, le dénigrement de son parcours universitaire, les remarques désobligeantes sur sa vie personnelle, et les décisions visant à dégrader ses conditions de travail telles que le refus de recruter un stagiaire pour alléger sa charge de travail, ne résultent que des mails que M. [LJ] a lui-même rédigés et qui ne font que reprendre ses propres allégations, lesquelles ne sont corroborées par aucun élément extérieur. Ces faits ne sont donc pas matériellement établis.
L’article de journal concerne une autre salariée et est sans lien avec les faits allégués.
Les seuls éléments extrinsèques consistant en l’unique attestation d’un ancien stagiaire peu précise et peu circonstanciée quant au début d’isolement qu’il évoque en septembre 2018, et le mail de Mme [G] du 28 février 2019 relatif à sa charge au vu de la nécessité de se consacrer ponctuellement à un dossier précis, pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l’existence d’un harcèlement moral, étant précisé qu’aucune pièce médicale ne démontre une dégradation de l’état de santé de M. [LJ], a fortiori en lien avec un tel harcèlement, et que le médecin du travail informé par son mail du 30 janvier 2019 de ‘ses conditions de travail difficiles’ et de ce qu’il a ‘été offensé et vexé volontairement’ par son supérieur, a toutefois délivré un avis médical d’aptitude le 26 février 2019 sans estimer utile de faire état de propositions de mesures individuelles après échange avec l’employeur.
Par conséquent, la demande de M. [LJ] tendant à faire reconnaître l’existence d’un harcèlement moral doit être rejetée ainsi que celle subséquente de voir prononcer la nullité de son licenciement.
Le jugement est confirmé sur ces points.
Sur le bien- fondé du licenciement
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La lettre de licenciement du 1er avril 2019 est ainsi libellée :
‘Faisant suite à notre entretien préalable du 19 mars dernier auquel vous vous êtes présenté, accompagné de M. [Y] [E] délégué syndical et élu au CSE d’Artus SAS, nous vous notifions par la présente, votre licenciement immédiat pour les motifs suivants:
Vos fonctions et votre qualité de salarié d’Artus SAS englobent, outre leur dimension technique, une sphère relationnelle importante qui requiert en particulier une empathie et un mode relationnel adapté avec l’ensemble de vos interlocuteurs.
Cette exigence est d ‘autant plus marquée que vous êtes amené à manager des stagiaires dont certains découvrent l’univers professionnel.
Malheureusement, vous vous êtes départi de ces obligations en vous inscrivant dans un mode relationnel totalement inadapté.
Si des difficultés de cette nature nous avaient alertés par le passé, nous avons récemment été informés qu’elles avaient soudainement atteint un degré de gravité qui heurte les règles et les valeurs de l’entreprise.
– Nous avons en effet été contactés par le directeur adjoint et référent enseignant à l’ETSCO de la jeune [A] [FF] venue faire un stage avec vous du 22 octobre au 20 décembre dernier, lequel nous a informé des conditions psychologiquement pesantes et dégradantes dans lesquelles vous avez maintenu cette jeune stagiaire.
Nous avons rencontré cette jeune étudiante venue découvrir le monde professionnel, qui nous a confirmé que vous n’aviez eu de cesse de la rabaisser, en veillant en permanence à l’isoler pour la maintenir dans un rapport de fragilité et de dépendance.
Au rebours de votre rôle de tuteur, vous avez déstabilisé cette jeune adulte par un comportement et des propos dégradants.
Cette jeune stagiaire a été profondément bouleversée par cette expérience à votre côté au point d’en être psychologiquement affectée et de perdre toute estime d’elle-même.
– Concomitamment, une collaboratrice du département ressources humaines nous a fait part des conditions particulièrement choquantes de l’entretien que vous avez réservées, en sa présence, à mademoiselle [X] [J] venue candidater à un stage.
Abusant de votre pouvoir, vous avez créé, lors de cet échange, les conditions d’un entretien malsain qui a profondément déstabilisé cette jeune candidate et a de surcroît mis mal à l’aise la représentante du département RH.
– Ces informations ont conduit votre supérieur hiérarchique, M. [C], particulièrement sensible à l’exigence d’un relationnel professionnel respectueux, pour avoir notamment suivi une formation sur ce point, à interrompre tout processus de recrutement de stagiaires vous concernant.
Vous vous êtes alors inscrit dans un rapport de remise en cause et de victimisation contre-productif contestant publiquement les compétences de votre supérieur, pour finir lors d’un échange qui s’est tenu le 28 janvier dernier, par le menacer physiquement et psychologiquement.
Au comble du rapport de force psychologique, vous l’avez menacé, devant témoin, de mort en lui précisant que « dans ma culture, ça mène à la mort» devant certains, et « dans mon pays, c’est la mort ” devant d’autres.
De telles menaces que vous avez, au surplus assumées, puis réitérées dans les jours suivants devant les partenaires sociaux que vous avez contactés, heurtent violemment notamment notre obligation de sécurité, elles sont parfaitement inacceptables.
– Elles s’inscrivent et illustrent un mode relationnel et un rapport à l ‘entreprise, totalement inadapté qui :
– vous a conduit à refuser toute interaction avec votre supérieur hiérarchique, M. [V] [C] pour vous installer à son égard dans une posture d’insubordination, remettant en cause toutes ses décisions ou communication.
Ainsi et par exemple, à la réception d ‘un courriel de sa part, adressé le 1er mars dernier, vous vous êtes rendu au service SAV pour y rencontrer un représentant du personnel, et devant le service, avez publiquement et violemment critiqué votre supérieur hiérarchique, provoquant un esclandre.
– vous a même conduit à insinuer, le 28 janvier 2019 en présence de M. [C] et Mme [RG] que l’entreprise poussait ses collaborateurs au suicide.
– vous conduit à discréditer publiquement vos collègues et les placer dans des positions d ‘accusés ou d’incompétents :
* Ainsi, il nous a par exemple été rapporté que vous aviez publiquement remis en cause devant une quinzaine de personnes les compétences d ‘un salarié lui faisant des reproches virulents en vous adressant à lui fortement avec un ton agressif. Le responsable hiérarchique de ce collaborateur a qualifié votre attitude «d’humiliante ” vis-à-vis de la personne à laquelle vous vous êtes adressé.
* Vos collègues féminines font particulièrement l’objet de ce mode relationnel inadapté ce qui est hors de propos dans une entreprise prônant l’égalité femmes/hommes, la diversité et l’inclusion. Nous avons par exemple été informés des difficultés que vous aviez rencontrées avec deux collègues féminines du département méthodes, cantonnant l’une aux tâches les moins nobles, discréditant les analyses techniques de l’autre à plusieurs reprises devant les opérateurs en précisant que c’est, je cite ‘ vous’ l’ingénieur chimiste.
– vous conduit à des actions délibérément préjudiciables à l’entreprise.
Au comble du ressentiment à l’égard de l’entreprise, vous avez volontairement supprimé à l’annonce de la procédure engagée à votre encontre, la plus grande partie des données professionnelles contenues sur votre ordinateur, perturbant ainsi significativement le fonctionnement de la société en la privant notamment d ‘éléments d ‘information et de traçabilité afférents à ses obligations.
L’ensemble de ces éléments révèle un comportement à l’autre qui heurte frontalement notre obligation de sécurité et contrevient aux valeurs de respect de l ‘entreprise.
Vous cesserez donc de faire partie immédiatement du personnel, sans préavis ni indemnité de rupture d ‘aucune sorte.
Bien que nous n’y soyons pas tenus mais afin de ne pas vous pénaliser une deuxième fois financièrement, nous vous précisons que votre période de mise à pied conservatoire qui sur plusieurs jours nous a permis de recevoir de nombreux témoignages ayant nourri notre réflexion, vous sera normalement payée. (…)’
– Sur le comportement inapproprié avec une stagiaire Mme [FF]
M. [LJ] invoque au préalable la prescription des faits constituant ce grief.
L’article L.1332-4 du code du travail dispose ‘qu’
aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales’.
Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de ce qu’il a eu connaissance des faits fautifs dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites disciplinaires. Cette connaissance s’entend de l’information exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.
Il ressort de la lettre de licenciement que Mme [FF] a effectué son stage entre le 22 octobre et le 20 décembre 2018.
L’employeur communique le courriel adressé le jeudi 17 janvier 2019 par M. [W] directeur de l’école ETSCO d'[Localité 5], à M. [C], supérieur hiérarchique de M. [LJ], qui débute ainsi : ‘suite à notre échange téléphonique de la semaine dernière concernant les difficultés qu’a pu rencontrer [A] [FF] pendant son stage au sein de votre entreprise (…)’. Il s’en déduit que l’échange téléphonique en question a nécessairement eu lieu entre le lundi 7 et le vendredi 11 janvier 2019.
La société Artus communique ensuite une attestation de M. [C] qui qualifie Mme [FF] de discrète et de réservée, de sorte que rien ne lui a permis de douter en son temps du déroulement du stage. Il ajoute avoir été abasourdi par l’appel de M. [W] qui lui a en outre, fait part de la peur de Mme [FF] et de sa crainte que son témoignage soit divulgué.
Elle communique enfin le compte rendu d’un entretien intervenu le 18 mars 2019 entre Mme [FF], M. [W], et Mme [RG], responsable du département RH de la société Artus, en présence de M. [E] délégué syndical élu au CSE. Ce document est signé par l’ensemble des participants. Il précise notamment que M. [W], informé à la fin d’un cours par Mme [FF] des difficultés rencontrées lors du stage ainsi que de son mal-être, l’a orientée vers l’infirmière de son établissement, Mme [O], laquelle dans un courriel du 20 mars 2019 indique l’avoir reçue le 9 janvier 2019.
Dès lors, la connaissance précise des faits reprochés au salarié par la société Artus peut être fixée au plus tôt le 7 janvier 2019 et non à la fin du stage de Mme [FF] comme le prétend l’intimé, de sorte qu’en engageant la procédure de licenciement le 5 mars 2019 par lettre remise en main propre à M. [LJ], soit dans les deux mois de la connaissance de ce fait, celui-ci n’est pas prescrit.
Sur le bien fondé de ce grief, le compte rendu sus évoqué développe de manière précise et circonstanciée le comportement de M. [LJ] rapporté par Mme [FF], laquelle indique notamment qu’il ne la laissait pas s’exprimer, ne l’incitait pas à échanger, a demandé au personnel de ne pas s’adresser à elle en son absence, lui a tenu des propos ambigus et déstabilisants au sujet d’un déplacement qu’ils effectueraient tous les deux, au point qu’elle a refusé sa présence lors de la présentation au jury de son rapport de stage. M. [LJ] lui a alors déclaré qu’elle serait incapable de démontrer ses compétences et qu’elle aurait une mauvaise note. Ce document relate également que Mme [FF] s’est effondrée en larmes devant M. [W]. On rappellera qu’il est signé par ses soins avec la mention ‘conforme aux déclarations faites ce jour’, ainsi que par M. [W], Mme [RG], responsable du département RH, et M. [E], membre du CSE, lesquels confirment tous que ce compte rendu est conforme aux déclarations de la stagiaire.
En outre, aux termes de son mail du 20 mars 2019, Mme [O], infirmière au sein de l’ETSCO indique avoir reçu Mme [FF] le 9 janvier 2019 et l’avoir orientée vers un médecin et vers un psychologue car cette dernière souffrait de troubles physiques inexistants avant le stage, comme des difficultés de concentration, des troubles du sommeil et de la tristesse.
Il ressort de ces éléments que le comportement de M. [LJ] s’est avéré inadapté et déplacé avec cette stagiaire dont il était de surcroît le tuteur, de sorte que ce grief est matériellement établi.
– Sur la déstabilisation d’une candidate lors d’un entretien pour un stage
La société Artus produit un mail de Mme [UZ] [U], chargée de RH, adressé le 28 janvier 2019 à Mme [RG], dans lequel elle rapporte les questions posées par M. [LJ] à Mme [J], candidate à un stage, lors d’un entretien du même jour auquel elle a personnellement assisté. Il en ressort qu’il s’est montré brusque et insistant malgré les réponses de la candidate qui semblaient ne pas lui convenir. Mme [U] ajoute : ‘j’étais très mal à l’aise, pas en accord avec ses propos, ton très directif voire agressif, qui cherche on ne sait quoi et questions pas ou peu adaptées au profil du candidat. Une candidate qui se tenait les mains car elles tremblaient certainement lié au stress mais pas seulement je pense.’
Mme [U] confirme par attestation que ‘durant cet échange, M. [LJ] s’est montré extrêmement insistant (ton et attitude) et brusque. Il cherchait à la bousculer et à la pousser dans ses limites. Le ton était directif voire agressif. Les questions n’étaient pas adaptées au profil de la candidate (bac+2).’ Elle donne ainsi des exemples de questions posées par l’intéressé : ‘vous êtes témoin d’échanges virulents entre les salariés autour de la sécurité: que faites-vous” ou ‘en mon absence vous êtes en contact avec des sous-traitants : vous êtes en désaccord avec eux sur les risques des produits : comment réagissez-vous” ou encore ‘à la fin de l’entretien, il l’a questionnée sur l’opinion qu’elle a de lui suite à l’échange’. Mme [U] ajoute : ‘la candidate se tenait d’ailleurs les mains car elles tremblaient beaucoup: son stress, son malaise et son incompréhension de la situation étaient visibles. (…) J’étais moi-même très mal à l’aise. (…) J’ai appelé la jeune femme pour m’excuser du ton et du style non cohérents avec nos règles de vie respectueuses des personnes.’
Ces éléments démontrent que lors de cet entretien du 28 janvier 2019, M. [LJ] a adopté une attitude volontairement excessive dans le but de déstabiliser la candidate, laquelle était effectivement mal à l’aise, et que le ton et les questions n’étaient ni appropriés ni adaptés à cet entretien qui n’était pas d’embauche, mais destiné à un stage aux fins de découverte du milieu professionnel en cours de cursus universitaire.
Dès lors, ce grief est matériellement établi.
– Sur les menaces, l’insubordination et la remise en cause des compétences de son supérieur hiérarchique
Il est reproché à M. [LJ] d’avoir contesté publiquement les compétences de M. [C], d’avoir proféré des menaces envers ce dernier et refusé toute inter-action avec lui en s’installant dans une posture d’insubordination et de remise en cause de toutes ses décisions.
La société Artus verse aux débats une attestation de M. [C] dans laquelle ce dernier reprend les propos tenus par M. [LJ] mentionnés dans la lettre de licenciement, le récépissé de dépôt d’une main courante par M. [C] relatant les mêmes propos et faisant état de ce qu’il ‘craint des représailles.’ Est également versé un mail adressé par M. [C] à Mme [RG] dans lequel il reprend les menaces susvisées indiquant qu’elles l’ont amené à ‘craindre pour sa vie’ et évoquant les critiques formulées par M. [LJ] à son endroit quant à ses compétences professionnelles.
Les menaces, au demeurant contestées par M. [LJ], ne sont rapportées que par le principal intéressé et supérieur hiérarchique du salarié, avec lequel il était manifestement en conflit. Elles ne sont corroborées par aucun autre élément alors que l’employeur précise dans son courrier de licenciement ‘vous l’avez menacé, devant témoin’. Il convient dès lors de considérer que ces éléments sont insuffisants à caractériser l’existence de menaces et que la matérialité de ce grief n’est pas établie.
En revanche, s’agissant de la remise en cause des compétences de M. [C] et du refus de travailler sous sa subordination, outre les éléments précités, il ressort du mail du 1er mars 2019 que M. [LJ] a adressé à Mme [RG] qu’ :
– il a ‘annoncé qu'(il) ne voulait plus avoir le moindre contact avec lui (M. [C]) peu importe le moyen de communication’ ;
– il fait état de ‘ (l’) absence d’expérience de management (de M. [C])’ ;
– il a ‘annoncé ne plus avoir [V] [C] comme manager (…) devant son incompétence face à la compréhension et l’exigence de (son) domaine d’activité’;
– il ne veut ‘plus avoir de contact physique et oral (avec M. [C])’.
Il apparaît ainsi que le refus de travailler sous la subordination de M. [C] ainsi que la remise en cause de ses compétences sont corroborées par les propres affirmations du salarié. La matérialité de ces griefs est donc établie.
– Sur le comportement inadapté envers ses collègues
Il est reproché au salarié d’avoir publiquement remis en cause les compétences d’un salarié devant une quinzaine de personnes, ainsi que des difficultés avec deux collègues féminines du département méthodes, cantonnant l’une aux tâches les moins nobles, et discréditant les analyses techniques de l’autre à plusieurs reprises devant les opérateurs.
A l’appui de ses allégations l’employeur produit deux mails de salariés.
Le premier du 17 mars 2019 est adressé par M. [K] à Mme [RG], dans lequel ce dernier indique n’avoir eu longtemps que deux femmes dans son service et dans les deux cas il y a eu des problèmes de communication dans lesquels ‘[F] [LJ] se plaçait en position supérieure exigeant de l’une d’exécuter les tâches qu’il estimait moins nobles et sur un ton méprisant ([YS] [B]) et discréditant a posteriori devant les opérateurs les analyses techniques de l’autre en précisant « c ‘est moi l’ingénieur chimiste ” ([H] [I]).’ Il ajoute que M. [LJ] a également ‘humilié en public (devant une quinzaine de personnes) un collaborateur [HR] [M] en lui faisant des reproches virulents en parlant extrêmement fort avec un ton agressif.’ M. [K] précise que ce dernier a été choqué et a ensuite refusé de travailler avec M. [LJ].
Le second du 15 mars 2019 émane de Mme [I], dans lequel elle indique que M. [LJ] travaille en secret et non en équipe et qu’elle l’a vu ‘à plusieurs reprises dénigrer les facultés et compétences des opérateurs: lui est celui qui sait et eux ils ne savent rien.’ Elle souligne cependant qu’elle n’a ‘jamais personnellement été mise mal à l’aise’ par ce dernier qui ne l’a ‘jamais dénigrée professionnellement.’
La société Artus verse en outre deux attestations de M. [Z] et M. [NV], salariés ou anciens salariés de la société.
Le premier en qualité d’opérateur relate des ‘invectives virulentes’ de la part de M. [LJ] à son égard et en public, le 7 octobre 2014.
Le second, supérieur hiérarchique de M. [LJ] jusqu’au 31 mars 2017, fait état de ses difficultés relationnelles avec les autres salariés notamment les opérateurs. Cette attestation est corroborée par un compte rendu d’entretien professionnel (2014), produit par M. [LJ] (sa pièce n°21) et qui pointe ses défaillances dans ses relations avec les autres collaborateurs en particulier ‘l’encadrement de l’atelier’, et la nécessité de ‘soigner la rigueur de comportement dans les relations: il faut essayer de comprendre les attentes des interlocuteurs et de l’entreprise.’
Comme le soulève M. [LJ], les deux dernières attestations se rapportent à des faits prescrits, les invectives envers M. [Z] étant survenues en 2014 et les difficultés relationnelles nécessairement constatées avant le 31 mars 2017.
Il fait ensuite observer que les mails des 15 et 17 mars 2019 font référence à des faits non datés et que la société Artus ne justifie pas de leurs validités au regard de la prescription. Dans la mesure où la charge de la preuve du respect de la prescription disciplinaire incombe à l’employeur et que ce dernier n’en justifie pas, ce grief ne sera pas retenu.
– Sur la suppression par le salarié de données professionnelles sur son ordinateur
Il est reproché à M. [LJ] d’avoir supprimé la plus grande partie de ses
données professionnelles à l’annonce de la procédure engagée à son encontre, étant rappelé qu’il a été convoqué à un entretien préalable et mis à pied à titre conservatoire par courrier remis en main propre le 5 mars 2019.
M. [LJ] affirme avoir procédé à un nettoyage de son ordinateur.
L’employeur communique le témoignage de M. [D] [PC], directeur informatique au sein de la société Artus, lequel atteste qu’une sauvegarde des données de l’ordinateur de M. [LJ] a été effectuée le 5 mars 2019 à 15 heures et que son répertoire comportait 2 550 fichiers pour 8 Go de données, et qu’une seconde sauvegarde a été effectuée le 6 mars 2019 à 10 heures et que son répertoire ne contenait plus que 3 fichiers pour 2,36 Mo de données.
M. [PC] précise que ‘la corbeille de l’ordinateur dans laquelle ont été déplacés les fichiers supprimés n’est bien évidemment pas un espace de stockage.’
Ainsi, la matérialité de ce grief est établie, étant précisé que le salarié ne peut sérieusement soutenir avoir procédé à un simple nettoyage de son ordinateur au vu du nombre et du volume des fichiers professionnels supprimés, de surcroît le jour de l’annonce de l’engagement de la procédure de licenciement. Pour autant, cette suppression a été sans conséquence pour la société Artus dans la mesure où ces documents ont été retrouvés dans la corbeille de l’ordinateur.
Il est donc établi que M. [LJ] a adopté un comportement inapproprié envers une stagiaire, Mme [FF], ainsi qu’envers Mme [J], candidate à un stage, qu’il a mis en cause les compétences de son supérieur hiérarchique et manifesté son refus de travailler avec lui, et qu’il a supprimé la plus grande partie de ses données professionnelles à l’annonce de l’engagement de la procédure de licenciement.
L’ensemble de ces griefs dont l’un a eu des conséquences sur la santé d’une jeune stagiaire, et un autre a conduit à une situation de blocage avec son supérieur hiérarchique de sorte que la relation de travail ne pouvait se poursuivre, constituent des manquements avérés caractérisant une faute grave rendant impossible le maintien de M. [LJ] dans l’entreprise.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et a condamné l’employeur au versement d’une indemnité de préavis, des congés payés afférents, d’une indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’obligation de sécurité
En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1, par des actions d’information et de formation, et par la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes et met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention définis par l’article L. 4121-2.
Il est tenu à ce titre d’une obligation de moyen renforcée.
M.[LJ] invoque des manquements de son employeur à son obligation de sécurité en ce que celui-ci, pourtant alerté à plusieurs reprises entre le 13 novembre 2018 et le 1er mars 2019 de la dégradation de son état de santé, n’a pris aucune mesure pour préserver sa santé et sa sécurité. Il soutient qu’il a ainsi ignoré deux avis de la médecine du travail des 13 novembre 2018 et 26 février 2019. Il ajoute par ailleurs que la société Artus a été immédiatement informée des accusations vexatoires et injustifiées de M. [C] à son égard le 28 janvier 2019 et a donc pu constater le harcèlement, mais n’a pris aucune mesure concrète pour prévenir et faire cesser de tels agissements.
Il sera préalablement rappelé que ni les accusations vexatoires et injustifiées de M. [C] alléguées par M. [LJ], ni le harcèlement moral n’ont été considérés par la cour comme établis.
Il résulte en outre des deux avis médicaux des 13 novembre 2018 et 26 février 2019 que le médecin du travail a déclaré M. [LJ] apte à son poste et n’a pas estimé utile de faire de propositions de mesures individuelles après échange avec l’employeur, alors qu’il était informé par mail du salarié du 30 janvier 2019 que ce dernier se plaignait de harcèlement moral.
Si ces deux avis mentionnent ‘étude de poste à prévoir’, il n’en demeure pas moins que cette étude relève de la seule initiative du médecin du travail, lequel n’a pas davantage estimé utile d’y procéder dans l’immédiat. A cet égard, il sera rappelé que l’étude de poste est une action en milieu de travail menée par le médecin du travail dans le cadre de l’évaluation de l’état de santé d’un salarié, qu’elle consiste à analyser l’ensemble de ses tâches et de ses conditions de travail aux fins de proposer d’éventuelles mesures d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé, compatibles avec son état de santé. L’employeur n’est pas habilité à ce titre, et n’a d’autre obligation dans ce cadre que de répondre aux injonctions du médecin du travail.
En conséquence, aucun manquement à son obligation de sécurité ne peut être retenu à l’encontre de l’employeur, étant précisé qu’aucune pièce médicale ne vient attester de la dégradation de l’état de santé de [LJ], son dossier médical ne faisant que retranscrire les propos relatifs à ses conditions de travail qu’il a lui-même tenus auprès du médecin du travail.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [LJ] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement doit être infirmé sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.
M. [LJ] doit être débouté de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentées en première instance et en appel.
L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Artus. M. [LJ] sera condamné à lui payer la somme de 500 euros à ce titre qui vaudront pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
M. [LJ] qui succombe à l’instance, doit être condamné aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, publiquement et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le 20 janvier 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [LJ] de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral et de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
DIT que le licenciement de M. [R] [LJ] repose sur une faute grave ;
DÉBOUTE M. [R] [LJ] de ses demandes d’indemnité de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
DEBOUTE M. [R] [LJ] de ses demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile présentées en première instance et en appel ;
CONDAMNE M. [R] [LJ] à payer à la Sas Artus la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile qui vaudront pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
CONDAMNE M. [R] [LJ] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER, P/LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ
Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Viviane BODIN