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21 septembre 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
20/05803
AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 20/05803 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NGL6
S.A.R.L. SECMHY VERINS
C/
[B]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT ETIENNE
du 23 Septembre 2020
RG : 18/503
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2023
APPELANTE :
S.A.R.L. SECMHY VERINS
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON, Me Joseph AGUERA, avocat au barreau de LYON substitué par Me Yann BOISADAM de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[M] [B]
né le 30 Juin 1968 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat postulant au barreau de LYON
et Me Fabienne ROCHER de la SELARL MONTMEAT-ROCHER, avocat plaidan au barreau de SAINT-ETIENNE,
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 27 Avril 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Etienne RIGAL, Président
Vincent CASTELLI, Conseiller
Françoise CARRIER, Conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Assistés pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 Septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Etienne RIGAL, Président, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [M] [B] (le salarié) a été embauché selon contrat à durée déterminée par la société SECMHY VERINS (l’employeur, la société) à compter du 1er septembre 2004, en qualité de responsable d’affaire. Suivant avenant du 1er mars 2006, le salarié a été engagé par contrat à durée indéterminée.
Depuis 1996, la société SECMHY VERINS a été dirigée successivement par M. [V] [R] (père de l’épouse du salarié) jusqu’au 29 juin 2016, par Mme [I] [B] (épouse du salarié) du 29 juin 2016 au 31 juillet 2017, par M. [F] et Mme [B] en co-gérance, du 1er août 2017 au 26 mars 2018, et depuis cette date par M. [F] seul.
Le 25 mai 2018, par remise d’un courrier en main propre, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement.
Par courrier recommandé en date du 8 juin 2018, l’employeur notifiait au salarié son licenciement pour faute lourde, rédigé dans les termes suivants :
” Suite à notre entretien qui s’est tenu le 4 juin 2018, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants.
Nous vous rappelons, tout d’abord, le contexte dans lequel intervient cette décision, lequel a d’ailleurs permis de révéler les griefs que nous vous reprochons.
Votre épouse, Madame [B], est responsable administrative depuis le 28 octobre 1998; le 1er juin 2016, elle est devenue gérante de la SARL, puis cogérante à compter du 1er août 2017.
Madame [B] a exercé ces deux fonctions avec la plus large autonomie.
Elle s’est opposée, au prétexte d’une clause statutaire, à une demande d’agrément d’une nouvelle associée formée par l’actionnaire majoritaire, actuel gérant, saisissant l’occasion pour proposer opportunément à ce dernier d’acheter les parts et faisant dire qu’elle ne souhaitait plus travailler avec lui.
Alors que l’actionnaire majoritaire lui avait clairement fait savoir qu’il n’était pas vendeur, et que la procédure d’apport était définitivement clause (sic) par le vote de l’assemblée, Madame [B] a cru devoir demander au tribunal de commerce la désignation d’un expert pour valoriser lesdites parts, prétextant faussement d’un désaccord sur ce point.
Cette procédure a été demandée par elle dans son seul intérêt, sans en avoir informé son associé, ce qui ne l’a pas empêchée de faire payer la totalité des frais de cette procédure par la société SECMHY VERINS.
Compte tenu d’une baisse significative du chiffre d’affaires et des résultats, curieusement concomitantes à cette procédure de valorisation judiciairement initiée par Madame [B], la décision a été prise par l’actionnaire principal, à titre conservatoire, de ne pas valider les comptes 2016.
Celui-ci a sollicité un expert-comptable indépendant aux fins d’auditer les comptes.
Il a été demandé à Madame [B], à cette occasion, notamment la communication des bulletins de salaire de l’ensemble des salariés ; cette demande a été renouvelée à de nombreuses reprises par le gérant, Madame [B] l’ignorant totalement.
Elle ne s’est finalement résolue à le faire que le 12 février 2018, ce qui a permis à l’expert-comptable de poursuivre ses investigations.
In fine, Madame [B] a été révoquée de son mandat de cogérante le 26 mars 2018, pour justes motifs.
L’audit de l’expert-comptable a principalement porté sur :
– L’examen analytique des comptes sur la période déterminée (de 2015 à 2017),
– La détermination des charges et flux significatifs et non justifiés,
– La recherche de justification sur toutes les opérations et sur tous les flux déterminés,
– La détermination de l’impact sur la rentabilité de la société, ainsi que sur son patrimoine,
– La détermination de l’impact sur les approches de valorisation de la société.
En synthèse, il a été relevé par l’expert-comptable :
– Des charges de personnel anormalement élevées en 2015,
– Une baisse importante de la trésorerie.
Une analyse détaillée a également plus spécifiquement porté sur les bulletins de salaire de tous les collaborateurs de la société, étant ici précisé que nous avons découverts que Madame [B] établissait, seule et sans contrôle, ces bulletins de salaire, dont, bien entendu, les vôtres.
De cette analyse, il résulte trois points essentiels :
– Le paiement arbitraire de sommes et indemnités,
– Une absence totale de la maîtrise de l’établissement de la feuille de paie,
– Une absence de contrôle des bulletins de salaire.
Surtout, de graves anomalies sont apparues dans le traitement de votre absence pour maladie.
Pour mémoire, vous avez été victime d’un accident privé le 22 juin 2014 ; vous avez bénéficié d’un arrêt de travail jusqu’au 16 juin 2015.
Pour la période de juin 2014 à février 2015, soit pendant neuf mois, Madame [B] s’est limitée à noter en pied de page de vos bulletins de salaire la mention : ” maladie du [‘] au [‘] “.
Durant cette période, vous avez continué à percevoir mensuellement votre salaire brut de 3 539,40 €, outre une prime d’ancienneté de 107,42 €, soit un montant net à payer de 2 759,91 €, alors que par ailleurs il a été versé par la CPAM, à titre d’indemnités journalières de sécurité sociale, la somme totale de 14.627,24 € (dans le cadre d’une subrogation).
Ces indemnités journalières de sécurité sociale auraient dû être déduites de votre salaire brut maintenu, puisque n’étant pas soumises à cotisations, ce qui n’a pas été fait ; cette anomalie majeure a entraîné un surcout pour l’entreprise de 8.101 € de charges patronales.
Bien plus, il vous a été versé, au titre du bulletin de salaire d’octobre 2015, une somme complémentaire de 24.106,68 € bruts correspondant au remboursement de l’organisme de prévoyance MEDERIC, sans déduction de celles liées à votre maintien de salaire.
Vous ne pouviez ignorer que cette somme était totalement indue.
Il est par ailleurs troublant que vous ayez également perçu, en août, septembre et décembre 2015, des ” primes exceptionnelles ” pour un montant total de 13 837,97 € ; de la même façon, vous avez encore perçu une prime dite de Noël en 2017, alors qu’il avait été demandé à Madame [B] de ne pas la verser.
Là encore, vous ne pouviez ignorer, dans un contexte de dégradation des résultats de la société, que ces indemnités reçues en 2015, 2016 et 2017 étaient totalement disproportionnées et inappropriées.
Nous vous reprochons également votre réticence suspecte à nous communiquer le fichier clients complet de l’entreprise qui n’avons toujours pas (sic) ; vous avez même pris l’initiative de détruire plusieurs dizaines de pages d’informations sur les clients purement et simplement le 14 mai 2018, précisant, non sans une certaine ironie et provocation, qu’il nous appartenait de le reconstituer à partir de ” documents papiers “.
Dans le prolongement de cette attitude, vous nous avez dit le 24 mai 2018 qu’aucune sauvegarde n’avait été faite depuis plusieurs semaines ; pourtant le 22 mai 2018 vous avez copié à notre insu sur un disque dur personnel l’ensemble des données informatiques de la société et il a fallu l’intervention de l’huissier de justice, mandaté en tant que de besoin le jour de la notification de votre mise à pied à titre conservatoire, pour que vous restituiez la copie que vous aviez ainsi faite ; à ce jour, nous n’avons aucune certitude que vous n’ayez pas en votre possession l’ensemble des données concernant la société.
Vous avez enfin, le jour de cette notification, adopté un comportement irrespectueux, injurieux et menaçant ; en effet, après avoir dit au gérant, qui vous remettait votre lettre de convocation à entretien préalable et vous notifiait votre mise à pied à titre conservatoire, qu’il était un ” con ” et une ” merde “, vous avez levé la main sur lui et c’est l’huissier de justice qui vous a empêché de lui porter un coup ; ce comportement totalement inadmissible a été le point d’orgue de celui que vous adoptez depuis maintenant plusieurs semaines, en faisant preuve de défiance et d’insubordination.
Au final, nous faisons le constat que :
1) Vous avez sciemment bénéficié d’avantages totalement indus, en fraude des intérêts de l’entreprise et des règles les plus élémentaires de bonne gestion d’une société,
2) Vous avez retenu, puis détruit, un fichier d’information clients de l’entreprise,
3) Vous avez cru devoir adopter, à notre encontre, un comportement d’insubordination, irrespectueux, et menaçant, montrant ainsi la particulière déloyauté dont vous avez fait preuve dans l’exercice de vos fonctions.
Par ces agissements d’une gravité exceptionnelle, vous avez volontairement tenté de nuire à l’entreprise.
Nous considérons que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise “.
Le 22 octobre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Etienne aux fins de contester son licenciement et solliciter la condamnation de la société à lui verser diverses sommes à titres d’indemnités ou de rappels de salaires.
Par jugement du 23 septembre 2020, le conseil de prud’hommes a notamment :
– fixé le salaire mensuel moyen du salarié à la somme de 3 954,11 euros bruts
– dit que le licenciement pour faute lourde notifié le 8 juin 2018 au salarié est abusif pour être dépourvu de cause réelle et sérieuse
– condamné en conséquence la société à verser au salarié les sommes suivantes :
– 1 904,74 euros au titre de la mise à pied conservatoire
– 190,47 euros au titre des congés payés afférents
– 20 000 euros au titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse
– 13 839,39 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
– 11 862,33 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 1 186,23 euros au titre des congés payés afférents
– condamné la société à remettre au salarié les documents suivants :
– les bulletins de paie de mai et juin 2018
– une attestation destinée à Pôle Emploi
– un certificat de travail
rectifiés en conséquence de la présente décision
– dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte
– débouté le salarié de sa demande dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail
– débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour privation de la mutuelle d’entreprise et de la prévoyance
– condamné la société à verser au salarié la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– débouté la société de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la société aux entiers dépens.
La société a relevé appel de ce jugement le 22 octobre 2020.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 3 avril 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de :
À titre principal :
– RÉFORMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
” Dit que le licenciement pour faute lourde notifié le 8 juin 2018 à Monsieur [B] est abusif pour être dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
” Condamné, en conséquence, la société SECMHY VERINS à verser à Monsieur [B] les sommes suivantes :
o 1.904,74 € au titre de la mise à pied conservatoire, outre 190,47 € au titre des congés payés afférents ;
o 13.839,39 € au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
o 11.862,33 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre
o 1.186,23 € au titre des congés payés afférents ;
o 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
” Condamné la société SECMHY VERINS à remettre à Madame [B] (sic) les documents suivants rectifiés en conséquence de la présente décision :
o Les bulletins de paie des mois de mai et juin 2018
o Une attestation destinée à Pôle Emploi
o Un certificat de travail.
– En conséquence, DÉBOUTER Monsieur [B] de l’intégralité de ses demandes
À titre subsidiaire :
– CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [B] de ses demandes indemnitaires pour licenciement vexatoire/privation de la mutuelle et limité son indemnisation pour licenciement abusif à la somme de 20.000 € ;
Y ajoutant,
– CONDAMNER Monsieur [B] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tant au titre de la première instance que de la présente instance, ainsi qu’aux entiers dépens.
La société soutient :
– Sur les anomalies dans l’établissement des bulletins de paie : que le grief n’est pas prescrit, n’ayant été révélé que par la remise du rapport de l’expert-comptable le 15 mai 2018 ; que le salarié ne pouvait ignorer l’anormalité du versement litigieux de 24 106,68 euros en octobre 2015 ; qu’en ne signalant pas cette anomalie, il a manqué à son obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi ;
– Sur l’octroi d’avantages indus : que le salarié ne peut davantage se retrancher derrière les décisions de son épouse, alors qu’il en a largement profité ;
– Sur le refus de communiquer le fichier clients et sur la destruction du fichier : que ce geste du salarié est révélateur de son intention de nuire aux intérêts de la société ;
– Sur la sauvegarde des données informatiques de l’entreprise : que la réalisation d’une telle copie est curieuse, voire suspecte ;
– Sur le comportement injurieux et menaçant : que le salarié reconnaît son emportement
– Sur l’intention de nuire : que les époux [B] se sont octroyés des primes exorbitantes en parfaite connaissance des difficultés économiques de l’entreprise ; que le fait d’occuper un poste de direction permet de caractériser l’élément intentionnel ; que la rétention et la perte de documents essentiels à l’entreprise caractérisent à elles seules l’intention de nuire ; que le salarié a agi de concert et en parfaite collusion avec son épouse ;
– Qu’a minima, le conseil de prud’hommes aurait dû retenir la qualification de faute grave.
Dans ses dernières conclusions en date du 16 avril 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
– dit et jugé que le licenciement prononcé par la société SECMHY VERINS à l’encontre de Monsieur [B] est abusif et sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société SECMHY VERINS au règlement à Monsieur [B] de son salaire pendant la mise à pied conservatoire du 28 MAI 2018 au 08 JUIN 2018, pour 1.904,74 euros bruts, outre indemnité compensatrice de congés payés d’1/10ième y afférents pour 190,47 euros;
– condamné par principe la société SECMHY VERINS au versement à Monsieur [B] de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société SECMHY VERINS au versement à Monsieur [B] de l’indemnité légale de licenciement dont il a été privé pour 13.839,39 €uros ;
– condamné la société SECMHY VERINS au paiement à Monsieur [B] d’une indemnité compensatrice de préavis de 3 mois dont il a été privé soit 11.862,33 €uros bruts outre 1/10ième de congés payés y afférents soit 1.186,23 euros;
– condamné la société SECHMY VERINS au versement à Monsieur [B] d’une indemnité au titre des dispositions de l’Article 700 du Code de Procédure Civile à hauteur de la somme de 3.000 euros en première instance ;
– condamné la société SECMHY VERINS à remettre à Monsieur [B] une Attestation destinée à POLE EMPLOI, un certificat de travail et des bulletins de paye conformes au Jugement rendu ;
– débouté la société SECMHY VERINS de l’intégralité de ses fins et demandes et prétentions plus amples et contraires ;
– fixé le salaire moyen de Monsieur [B] sur la moyenne des 3 derniers mois de salaire à 3.954,11 euros;
FAISANT droit à l’appel incident de Monsieur [B] :
– INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il n’a condamné la Société SECMHY VERINS qu’au versement d’une indemnité de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse envers Monsieur [B] ;
Statuant à nouveau :
-CONDAMNER la société SECMHY VERINS au versement à Monsieur [B] de la somme de 45.472,27 euros (11,5 mois de salaires) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse de Monsieur [B] ;
– INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [B] de sa demande de versement de dommages et intérêts au titre du caractère brutal et vexatoire de son congédiement par la Société SECMHY VERINS ;
Statuant à nouveau :
– CONDAMNER la Société SECMHY VERINS au versement à Monsieur [B] de la somme de 1.500 €uros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral au titre du caractère brutal et vexatoire de son congédiement de la Société SECMHY VERINS ;
– INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [B] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la privation de la Mutuelle d’Entreprise et de la Prévoyance ;
Statuant à nouveau :
-CONDAMNER la société SECMHY VERINS au versement à Monsieur [B] de légitimes dommages et Intérêts pour privation de la Mutuelle d’entreprise et de la Prévoyance à hauteur de la somme de 1.500 euros ;
– INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [B] de sa demande de remise de documents sous astreinte ;
Statuant à nouveau :
– CONDAMNER la Société SECMHY VERINS et assortir la condamnation de la Société SECMHY VERINS d’avoir à remettre à Monsieur [B] une attestation destinée à POLE EMPLOI, un certificat de travail et des bulletins de paye conformes à la décision rendue sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt d’appel à intervenir ;
– CONDAMNER la Société SECMHY VERINS au versement en cause d’appel à Monsieur [B] d’une indemnité de 3.000 euros supplémentaire en application des dispositions de l’Article 700 du Code de Procédure Civile ;
– CONDAMNER la Société SECMHY VERINS aux entiers dépens de procédure tant de première instance que d’appel, ceux d’appel étant distraits au profit de Me Romain LAFFLY – LEXAVOUE LYON sur son affirmation de droit
– DEBOUTER la société SECMHY VERINS de l’intégralité de ses fins et demandes et prétentions plus amples ou contraires, en cause d’appel.
Le salarié soutient qu’aucun des griefs contenus dans le courrier de licenciement n’est fondé et encore moins constitutif d’une faute lourde ; que les erreurs de traitement par son épouse des bulletins de paie en 2014/2015 et du capital versé par l’organisme de prévoyance ne lui sont pas imputables et que ces faits sont par ailleurs prescrits ; qu’il pensait légitimement que ce capital lui revenait ; qu’il n’est pas à l’origine des primes perçues en 2015 et 2017 ; qu’il n’a effacé qu’un fichier préparatoire qu’il tenait de sa propre initiative, et non un fichier clients, et que l’employeur ne prouve ni une telle destruction, ni un quelconque préjudice qui en serait résulté ; qu’il n’a opposé aucune réticence à la remise de son disque dur de sauvegarde informatique, réalisé dans l’intérêt de la société ; que s’il reconnaît s’être emporté verbalement lors de sa mise à pied conservatoire, c’était en raison des circonstances brutales et vexatoires de sa convocation, et qu’il n’a par ailleurs jamais été menaçant.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour l’exposé complet de leurs prétentions et de leurs moyens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la cause du licenciement
En application de l’article L1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.
Aux termes de l’article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur et fixe les limites du litige. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n’est pas nécessaire. L’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs.
Le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail.
La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute lourde et de l’intention de nuire qui la caractérise.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, la société articule plusieurs griefs dans la lettre de licenciement, qu’il convient d’examiner successivement.
Sur le reversement à M. [M] [B] de la somme servie par l’organisme de prévoyance MEDERIC, sur le paiement erroné des cotisations sociales sur les indemnités journalières de sécurité sociale et sur le versement de primes exceptionnelles
1) Sur la prescription
Le salarié soutient que ces griefs, se rapportant à des faits de 2014 et 2015, seraient prescrits.
Selon l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
Toutefois, il est de principe bien établi que le point de départ du délai de prescription est reporté au jour où l’employeur a pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié (Soc. 17 fév. 1993, n°88-45.539, 10 juil. 2001, n°98-46.180, publiés).
Au cas particulier, l’employeur produit le rapport de l’expertise comptable diligentée par ses soins, remis le 15 mai 2018, dont il ressort que la somme reversée à M. [M] [B] au titre de la prévoyance aurait dû faire l’objet d’une déduction des sommes liés au maintien du salaire, et qu’en l’absence de cette déduction, le trop-versé peut être estimé à 18 846 € (pièce n°12, page 4). Le rapport évoque également les cotisations sociales auxquelles la société s’est trouvée assujettie par erreur, ainsi que les primes exceptionnelles excessives perçues par les époux [B].
Ainsi, ce n’est qu’à la date de la remise de ce rapport que l’employeur a pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié, et non, contrairement à ce que soutient ce dernier, par l’étude des documents comptables qu’il avait à sa disposition antérieurement.
Il suit que ces faits, invoqués à l’appui du licenciement du salarié intervenu le 8 juin 2018, ne sont pas prescrits.
2) Sur le fond
Selon l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi. Il est constant en l’espèce que seule Mme [I] [R] épouse [B], épouse du salarié, était en charge de l’établissement des fiches de paie à l’exclusion de toute autre personne.
La lettre de licenciement adressée au salarié met d’ailleurs expressément son épouse en cause quant aux griefs sus-énoncés.
La société reproche toutefois au salarié de ne s’être pas ému des anomalies constatées et de n’avoir pas spontanément restitué les sommes litigieuses en vertu de son obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi.
S’agissant du paiement erroné de cotisations sociales, qui n’a nullement bénéficié au salarié, ainsi que de la perception de primes exceptionnelles, dont il n’appartenait pas à celui-ci de vérifier la légitimité, les griefs formulés par l’employeur ne sont pas fondés.
S’agissant de la somme servie par l’organisme de prévoyance, il est constant que la somme de 24 106,68 € a été reversée à M. [M] [B] par l’employeur, et figure expressément sur son bulletin de paye du mois d’octobre 2015, sous le libellé ” remb mederic prevoyance sur maladie “.
Le salarié ne soutient pas dans ses écritures que cette somme lui était due, mais explique cependant qu’il a pu le croire de bonne foi au moment de son versement.
Or il ressort des bulletins de paye produits que M. [M] [B] a été placé en arrêt maladie du 23 juin 2014 au 15 juillet 2015 et qu’il a perçu le maintien intégral de son salaire, dans le cadre de la subrogation de l’employeur, depuis le début de son arrêt maladie et jusqu’au 30 juin 2015.
Le salarié ne peut donc pas sérieusement soutenir que le caractère anormal du versement de la somme de 24 106,68 € au mois d’octobre 2015, au titre de la même période de maladie, lui aurait échappé.
A cet égard, l’attestation de son assureur personnel, la MAAF (pièce n°36), indiquant que M. [M] [B] a également reçu une indemnisation complémentaire de 3 019 € de la part de celui-ci au titre de l’accident de la vie privée du 22 juin 2014, ne démontre pas que le salarié ait pu croire de bonne foi que la somme de 24 106,68 €, reversée par son employeur au titre de la prévoyance lui était due.
Et la conversation téléphonique dont le salarié se prévaut avec l’organisme de prévoyance Malakoff-Médéric n’est pas justifiée.
Il en résulte qu’en s’abstenant de signaler à son employeur la perception indue de la somme de 24 106,68 € sur son bulletin de paye du mois d’octobre 2015, le salarié a manqué à la bonne foi dans l’exécution du contrat de travail.
Ce grief est donc établi.
La faute du salarié, qui n’est pas à l’origine du versement litigieux, ne revêt cependant pas une importance telle qu’elle rendait impossible son maintien dans l’entreprise. Elle ne peut dès lors être qualifiée ni de faute grave, ni de faute lourde.
Elle constitue en revanche une cause réelle et sérieuse, propre à justifier le licenciement du salarié.
Sur le refus de communiquer le fichier clients et sur la destruction de ce fichier
La société, pour démontrer ce grief contesté par le salarié, produit :
– un message électronique du dirigeant, M. [Z] [F], adressé à M. [M] [B] le 4 avril 2018,
– un message électronique du dirigeant adressé à M. [L] [H] le 7 mai 2018,
– un message électronique de M. [H] mettant en cause M. [M] [B] le 14 mai 2018, rédigé en ces termes : ” Je dois vous informer du refus de Mr [B] de me donner une copie complète d’un des fichiers de travail. Il ne m’en a remis que l’extrait ci-joint. Il s’agit du fichier qui répertorie les affaires depuis fin 2015 avec les références client, etc. Dans la foulée, Mr [B] m’a annoncé qu’il supprimerait ce fichier de son ordinateur de bureau. Je l’ai invité à renoncer à détruire des informations de la société et que je devrais vous en rendre compte le cas échéant. Mr [B] m’a répondu qu’il avait constitué ce fichier ” pour lui ” en vue de sa succession à Mr [R] et a devant moi effacé le fichier originel complet de son ordinateur “.
Le salarié, pour sa part, produit :
– une attestation du gérant de la société AXYLE SSII, qui indique que sa société a fourni un contrat d’assistance à la société SECHMY VERINS pour les produits EBP paie, gestion et comptabilité et que ” Concernant d’éventuelles disparitions de fichiers clients, il n’est pas possible dans les logiciels EBP comme dans tous les produits du marché de supprimer un client à partir du moment où des opérations de ventes ont été effectuées sur son compte “,
– un document établi par ses propres soins (pièce n° 38), dans lequel il explique que le docu ent effacé constituait un document de travail personnel et non pas le fichier clients de l’entreprise.
L’analyse des pièces produites par les parties conduit la cour à considérer que les griefs relatifs au refus de communication du fichier clients et à sa destruction par le salarié ne sont pas établis, le doute profitant au salarié.
Sur la copie de données informatiques de la société
La copie litigieuse, réalisée sur un disque dur personnel du salarié, n’est pas contestée par ce dernier, qui fait cependant valoir qu’il n’a agi que dans un but sécuritaire et qu’il a remis le disque dur sans difficulté lors de sa mise à pied.
La société soutient que ce comportement est ” curieux “, voire ” suspect “, sans cependant alléguer ni a fortiori démontrer le caractère illicite de l’action du salarié, ni davantage le préjudice qui en serait résulté.
La cour considère en conséquence que ce grief n’est pas établi.
Sur le comportement injurieux et menaçant du salarié
La société, pour démontrer ce grief contesté par le salarié qui se borne dans ses conclusions à reconnaître un ” emportement verbal bien légitime “, produit un constat d’huissier du 25 mai 2018, dressé lors de la notification de la mise à pied conservatoire de M. [M] [B], dont il ressort que celui-ci insulte M. [Z] [F] (” t’es vraiment un con, t’es qu’une merde, t’es qu’une merde, une merde, je m’en fous de tes’ “), qu’il ” s’approche de M. [F] en levant la main “, est ” maintenu par deux salariés présents sur les lieux et Mme [I] [B] “, puis ” tente de revenir par un autre accès ” et est à nouveau ” retenu par Madame [I] [B] et des salariés “.
La cour considère que ce comportement, quoique fautif, ne révèle pas l’intention du salarié de nuire à la société. Si ces faits auraient pu justifier une sanction disciplinaire proportionnée, en revanche, compte tenu de leur caractère isolé, contextualisé et de l’absence de violence physique, ils ne constituent pas davantage une faute grave.
Ce grief n’est par conséquent pas démontré.
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le licenciement de M. [M] [B] est justifié par une cause réelle et sérieuse, caractérisée par son manquement à l’obligation d’exécuter le contrat de travail de bonne foi, en s’abstenant de signaler à son employeur la perception indue d’une somme de 24 106,68 € sur son bulletin de paye du mois d’octobre 2015.
Le jugement est réformé en ce sens.
Sur les conséquences du licenciement
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La cour ayant jugé que le licenciement est justifié, la demande du salarié aux fins de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut qu’être rejetée.
Le jugement est réformé sur ce point.
Sur la demande de rappel de salaires pour la période de mise à pied conservatoire et les congés payés afférents
Ni la faute lourde ni la faute grave du salarié n’ayant été retenues par la cour, il y a lieu de faire droit à la demande de celui-ci aux fins de rappel de salaires pour la période de mise à pied conservatoire et pour les congés payés afférents, justement appréciée par les premiers juges.
Le jugement est confirmé sur ces points.
Sur les demandes d’indemnité légale de licenciement et d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents
Pour les mêmes motifs que précédemment, cette demande, ainsi que la demande d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, doivent être accueillies, ainsi que le sollicite le salarié.
Le jugement est confirmé sur ces points.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l’ont accompagné, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral, sur le fondement de la responsabilité civile prévue aux articles 1240 et suivants du code civil.
Toutefois, au cas particulier, il n’est pas démontré par les pièces produites aux débats que le licenciement fût accompagné de circonstances brutales ou vexatoires, le seul fait que les collègues de travail de l’intéressé et un huissier de justice fussent présent lors de son congédiement étant insuffisant à caractériser de telles circonstances.
Il y a donc lieu de rejeter la demande du salarié de ce chef.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de la mutuelle d’entreprise et de la prévoyance
Ainsi que le souligne la société, le salarié n’allègue pas ni a fortiori ne démontre l’existence d’un préjudice de chef, alors même qu’il a retrouvé un emploi.
Il y a donc lieu de rejeter cette demande.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur la demande tendant à la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte
Ni la faute lourde ni la faute grave du salarié n’ayant été retenues par la cour, il y a lieu de faire droit à la demande du salarié tendant à la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformément à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette condamnation d’une astreinte.
Le jugement est confirmé sur ces points.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Compte tenu de l’issue du litige, le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance.
En considération de l’équité, le salarié est condamné à verser à la société la somme totale de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
La demande du salarié de ce chef est rejetée.
Le salarié est condamné aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement pour faute lourde notifié le 8 juin 2018 à M. [M] [B] est abusif pour être dépourvu de cause réelle et sérieuse.
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il condamné la société SECHMY VERINS à verser à M. [M] [B] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
INFIRME le jugement entrepris quant aux dépens et aux frais irrépétibles ;
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le licenciement de M. [M] [B] est justifié par une cause réelle et sérieuse, à l’exclusion d’une faute lourde ou d’une faute grave ;
REJETTE la demande de M. [M] [B] aux fins de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
CONDAMNE M. [M] [B] à verser à la société SECMHY VERINS la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés en première instance et en appel, non compris dans les dépens ;
REJETTE la demande de M. [M] [B] de ce chef ;
CONDAMNE M. [M] [B] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT,