Your cart is currently empty!
19 janvier 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/01835
COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 19 JANVIER 2023
N° RG 21/01835 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GZTQ
S.A.S.U. SOCODOL devenue S.A.S.U. INTERNATIONAL SOCIETY ACTIVITIES FINANCES (ISA FINANCES)
C/ [F] [U]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 30 Août 2021, RG F 19/00177
APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE
S.A.S.U. SOCODOL devenue S.A.S.U. INTERNATIONAL SOCIETY ACTIVITIES FINANCES (ISA FINANCES)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Natacha RODRIGUEZ, avocat au barreau de LYON
INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE
Madame [F] [U]
[Adresse 2]
[Localité 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Eladia DELGADO de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 15 Décembre 2022, devant Monsieur Frédéric PARIS, Président de chambre, désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, chargé du rapport, et Madame Isabelle CHUILON, Conseiller, avec l’assistance de Madame Capucine QUIBLIER, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Madame Elsa LAVERGNE, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,
Copies délivrées le : ********
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [F] [U] a été engagée par la société Socodol sous contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2004 en qualité de gestionnaire administrative et financière statut cadre de la convention collective de l’immobilier.
Elle avait pour missions l’organisation et la gestion des locations immobilières, le suivi des rénovations, la comptabilité des sociétés appartenant à Mme [D] [J], présidente de la société Socodol.
Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée percevait un salaire moyen mensuel brut de 7769,24 € incluant des heures supplémentaires, une prime d’ancienneté et un avantage en nature (véhicule).
La société Socodol a une activité de gestion de titres et de biens immobiliers.
L’effectif de la société est de moins de onze salariés.
L’époux de la présidente, M. [J] représentait la société auprès des partenaires et la salariée était amenée à collaborer avec ce dernier.
Par lettre du 2 avril 2019 adressée à l’employeur, la salariée s’est plainte du comportement agressif de M. [J] à son égard.
La société a répondu à la salariée par lettre du 4 juin 2019, en indiquant qu’elle avait demandé à M. [J] de s’adresser à elle de manière calme et proportionnée, mais qu’il était inenvisageable que M. [J] ne travaille plus avec elle. Elle lui rappelait que M. [J] était directeur général de la société Isafinances qui détient la société Socodol à 100 % et qu’à ce titre elle devait respecter ses directives et ses consignes.
La société a proposé à la salariée de passer à temps partiel, ce qu’elle a refusé.
L’employeur a convoqué la salariée par lettre du 14 juin 2019 à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement fixée au 1er juillet 2019, avec mise à pied conservatoire.
La salariée se présentant à son poste de travail au retour de congés le 17 juin 2019, Mme [J] accompagnée de son avocat lui a remis la convocation en main propre et il lui a été demandé de quitter la société immédiatement en remettant le véhicule et l’ordinateur portable.
Mme [U] a été placée en arrêt de travail et une déclaration d’accident du travail a été effectuée. La caisse primaire d’assurance maladie n’a pas retenu que l’accident avait une origine professionnelle.
Elle a été licenciée pour faute lourde par lettre du 4 juillet 2019, l’employeur lui reprochant d’avoir effacé volontairement des données professionnelles sur un disque USB de sauvegarde des données et d’avoir utilisé la carte bancaire professionnelle à des fins personnelles.
Après avoir tenté de résoudre amiablement le litige, Mme [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Bonneville.
Par jugement du 30 août 2021 le conseil des prud’hommes a :
– dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse,
– dit que Mme [U] a subi des agissements sexistes,
– condamné la société Socodol à lui payer les sommes suivantes :
* 2000 € à titre de dommages et intérêts pour agissements sexistes,
* 4137,17 € de rappel de salaire pour la période de mise à pied et 413,72 € de congés payés afférents,
* 23 30,21 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2330,72 € de congés payés afférents,
* 32 164,34 € à titre d’indemnité légale de licenciement,
* 46 615,44 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– ordonné à la société Socodol de remettre à la salariée le certificat de travail, le reçu du solde de tout compte, l’attestation Pôle emploi sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document passé un délai de quinze jours suivant la notification du jugement,
– condamné la société Socodol aux dépens.
La société Socodol a interjeté appel par déclaration du 17 septembre 2021 au réseau privé virtuel des avocats.
Par conclusions notifiées le 18 novembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens la société International society activities finances demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [U] de sa demande de rejet de pièces, dit qu’elle n’avait pas été victime de harcèlement, débouté de sa demande de nullité du licenciement, et de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,
– l’infirmer pour le surplus,
statuant à nouveau,
– débouter Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts pour agissement sexiste et harcèlement moral, et à titre subsidiaire, réduire la demande,
– juger que le licenciement pour faute lourde est justifié, et le cas échéant restituer aux faits invoqués dans la lettre de licenciement leur exacte qualification,
– débouter Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, et à titre infiniment subsidiaire réduire la demande,
– juger que Mme [U] n’a pas fait l’objet de procédés vexatoires, et la débouter de sa demande de ce chef,
En tout état de cause,
– débouter Mme [U] de sa demande de rectification des documents de rupture,
– juger qu’elle se réserve le droit de formuler des demandes de dommages et intérêts devant des juridictions pénales,
– condamner Mme [U] à lui payer la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– la condamner aux dépens.
Elle soutient en substance que les messages dont la salariée demande qu’ils soient écartés des débats étaient enregistrés sur l’ordinateur professionnel, ils étaient donc présumés être professionnels.
Le licenciement pour faute lourde est étranger à tout harcèlement moral.
Les agissements d’harcèlement moral ne sont pas établis, l’agressivité prêtée à M. [J] ne ressort que de la propre lettre de la salariée en dehors de tout autre élément.
En réalité c’est la salariée qui manquait de respect envers M. [J].
Les interrogations de ce dernier sur des travaux concernant un portail dans une résidence étaient légitimes et il était normal qu’il demande des explications à la salariée.
Sur les comportements désobligeants, cela fait plus de trente ans que M. [J] l’appelle ‘ chérie’, et la salariée n’en a jamais été gênée, ce qu’elle ne conteste pas. Une telle expression s’inscrivait dans une relation quasi filiale, la salariée étant la meilleure amie de la fille de M. [J], ce qui explique ce comportement familier.
M. [N] qui témoigne que M. [J] aurait posé la main sur la salariée, a des relations très proches avec celle-ci ce qui rend son témoignage peu crédible.
Deux autres témoins évoquent des faits remontant à plus de deux années avant la saisine du conseil des prud’hommes. Il est surprenant que ces faits n’aient pas été dénoncés ni même relaté dans la lettre de la salariée du 2 avril 2019. Ces témoignages sont en outre contredit par d’autres témoins.
Sur le licenciement, la suppression des données de la sauvegarde ne peut être que le fait de la salariée, étant le seul personnel de l’entreprise, elle seule avait le mot de passe de l’ordinateur.
Elle a détruit le deuxième disque de sauvegarde, car il était défectueux.
Le prestataire informatique a constaté que la suppression avait eu lieu dans la journée du 5 juin.
Or à cette époque la salariée était déjà en conflit avec son employeur pour un dépassement de budget sur un chantier, et celle-ci avait seule intérêt à effacer les données informatiques de la sauvegarde. De plus elle est en mesure de communiquer un mail du 5 juin, ce qui établi qu’elle a conservé certaines données pour son propre intérêt.
Elle établit toutes les dépenses effectuées par la salariée.
Sur les coussins en tissus d’un prix de 1430 €, les sms échangés montrent le caractère personnel de l’achat.
Pour les notes de restaurants, des mails établissent qu’il ne s’agissait pas d’invitations de clients ou de partenaires.
Il a été nécessaire de vérifier de manière approfondie les comptes et la société n’avait pas connaissance avant des dépenses abusives de la salariée avant juin 2019.
Les faits ne sont donc pas prescrits.
Elle a fait abonner la société à deux quotidiens envoyés sur son adresse électronique personnelle.
Elle a exposé des dépenses nombreuses chez un fleuriste.
Elle a fait un usage abusif du véhicule de fonction en accomplissant un kilométrage élevé et toutes les notes de péage et de frais de carburant étaient payées par la société.
La salariée utilisait l’ordinateur professionnel et l’Ipad à des fins exclusivement personnelles.
Elle utilisait aussi son temps de travail à des occupations personnelles.
Le licenciement était fondé sur des fautes parfaitement établies et non sur un motif économique comme prétendu, la salariée ayant été remplacée par Mme [I].
Sur les dommages et intérêts demandés la salariée ne justifie du préjudice invoqué.
Concernant l’indemnité de préavis, les primes ne peuvent entrer en ligne de compte dans le salaire retenu, car elles présentent un caractère aléatoire.
Aucun procédé vexatoire n’a été commis lors de la procédure de licenciement.
La salariée n’établit pas le préjudice qu’elle allègue au titre du harcèlement.
Par conclusions notifiées le 14 novembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, Mme [U] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a dit dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, dit qu’elle avait subi des agissements sexistes, condamné la société Socodol à lui payer le rappel de salaire et congés payés afférents pour la période de mise à pied, l’indemnité compensatrice de préavis et lescongés payés afférents, l’indemnité légale de licenciement, la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’infirmer pour le surplus,
statuant à nouveau,
– écarter des débats les pièces 15 et 16 portant atteinte à sa correspondance et à sa vie personnelle,
– juger qu’elle a fait l’objet d’agissements sexistes et de harcèlement moral,
– juger son licenciement nul,
– condamner la société Socodol devenue société International Society activities finances à lui payer la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts du fait des agissements sexistes et harcèlement moral et celle de 155 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
ou subsidiairement à des dommages et intérêts de 93 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tont état de cause,
– juger son licenciement vexatoire,
– condamner la société Socodol devenue société International Society activities finances à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoire,
– ordonner à la société International Society activities finances de lui remettre le cerificat de travail, le solde de tout compte, l’attestation Pôle emploi sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document à compter de la décision à intervenir,
– condamner la société International Society activities finances à lui payer la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– la condamner aux dépens.
Elle fait valoir que les extraits de messages personnels provenant de son compte Facebook devront être écartés des débats, s’agissant de messages ou écrits couverts par le secret des correspondances.
Le fait que M. [J] l’ait appelé ‘chérie’ dans leurs rapports professionnels constitue un agissement sexiste.
Plusieurs personnes présentes à des réunions témoignent du comportement sexiste de M. [J].
L’employeur convient que l’expression ‘ma chérie’ était utilisée mais la banalise.
M. [J] avait des comportements désobligeants qui se sont aggravés lors de l’altercation du 1er avril 2019, incident qu’elle a dénoncé par lettre le 1er avril 2019
Lors d’un échange de Sms avec elle, Mme [J] n’a pas contesté cette altercation, elle a répondu qu’elle lui manquait der respect et ne s’excusait jamais.
Cela a constitué la seule réaction de l’employeur, pourtant tenu à une obligation de sécurité et de prévention.
La lettre du 1er avril 2019 est corroborée par sa réaction immédiate et par l’échange de sms.
Les agissements sexistes et le harcèlement moral ayant dégradé ses conditions de travail sont établis.
Sur le licenciement pour faute lourde, après avoir rappelé que la chambre sociale de la cour de cassation exige que la faute lourde doit être caractérisée par l’intention de nuire du salarié, elle invoque que l’employeur n’établit pas qu’elle ait effacé les données du disque de sauvegarde.
De plus l’essentiel des fichiers enregistrés sur l’ordinateur avait une version papier conservé par l’entreprise.
Le prestataire informatique indique juste que les données ont été effacéés au cours de la journée du 5 juin 2019 sans plus de précisions, de sorte qu’il est impossible d’identifier la personne ayant effectué une suppression de données.
Sur l’utilisation de la carte bancaire, la plainte pénale a été classée sans suite, si une plainte avec constitution de partie civile a été déposée, aucune décision pénale défnitive n’est intervenue.
La preuve des dépenses qu’elle aurait faite à titre personnel n’est pas rapportée.
De plus, l’employeur était informé de ces dépenses par les relevés bancaires mensuels, et les comptes étaient vérifiés par l’expert comptable chaque année.
L’employeur ne peut se prévaloir de faits antérieurs au 17 avril 2019, dont il avait connaissance, la procédure de licenciement ayant été engagée le 17 juin 2019.
L’intégralité des dépenses visées dans la lettre de rupture sont antérieures au 17 avril 2019.
En outre, les dépenses ne présentaient aucun caractère abusif.
L’ordinateur acheté l’a été pour des besoins professionnels ; il ne lui était pas interdit de se servir du véhicule accordé à titre d’avantage en nature à titre privée. Les frais de carburant étaient compris dans l’avantage en nature.
Si elle a contracté des abonnements à deux journaux, c’était pour l’exercice de ses missons et non à titre personnel.
Sur les autres dépenses (restaurants, fleurs, cadeaux) elles étaient effectuée à la demande ou avec l’accord des époux [J], et dans l’intérêt des clients.
Elle n’a fait aucun usage abusif de son téléphone portable professionnel.
L’employeur retient en plus des griefs non exposés dans la lettre de licenciement (recherches google à caractère non professionnel, connexion au réseau facebook, téléchargement de fichiers).
Aucune intention de nuire n’est établie ; le délai d’un mois entre la date d’engagement de la procédure de licenciement et le licenciement est incompatible avec l’existence d’une faute lourde.
Le licenciement s’inscrit dans un contexte de harcèlement moral, il constitue une mesure de représailles suite à la dénonciation du harcèlement moral. Un tel licenciement est nul.
Il ne repose en tout cas sur aucune cause réelle et sérieuse, la véritable cause résidant dans un motif économique : Mme [J] lui a demandé son contrat de travail et le bulletin de salaire juste après l’approbation des comptes 2018. Elle lui avait dit que la situation était alarmante et qu’il fallait prendre des mesures. Ces échanges ont eu lieu après que M. [J] ait à plusieurs reprises demandé si elle acceptait de passer à temps partiel ce qu’elle a toujours refusé.
Mme [J] avait donc l’intention de la licencier pour un motif économique ; pour éviter le coût d’un tel licenciement elle a préféré licencier la salariée pour faute lourde.
Le salaire de référence pour calculer les indemnités de rupture doit intégrer les primes, elle devait aussi bénéficier de la durée du préavis dans le calcul de l’indemnité de licenciement.
Elle subi un préjudice de perte d’emploi et un préjudice moral conséquents.
La demande de dommages et intérêts de l’employeur sera rejetée en l’absence de toute faute lourde.
Elle a enfin subi une procédure vexatoire et brutale, l’employeur l’a mis à pied à titre conservatoire en demandant à son avocat d’être présent, ce dernier l’a même accompagné à son domicile pour récupérer l’ordinateur portable.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 28 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la production aux débats des pièces 15 et 16, il n’est pas discuté que ces pièces concernent des extraits de communication privée entre la salariée et des tiers.
Il ressort de la pièce 15 que si les messages Facebook avaient un caractère personnel, ceux-ci étaient enregistrés sur l’ordinateur professionnel de la salarié dans un dossier document Socodol annexes iphone pro.
L’employeur était donc légitime à ouvrir ce fichier, ne pouvant savoir d’avance si les messages étaient personnels.
En revanche il ne ressort d’aucune mention figurant sur la pièce 16 que le contenu de cette pièce ait été enregistré sur l’ordinateur professionnel. La production de cette pièce en justice constitue donc une violation du secret des correspondances privées. Elle sera écarté des débats.
Il ne ressort d’aucune mention sur ces pièces que celles-ci sont issus de fichiers enregistrés sur l’ordinateur professionnel de la salariée contrairement à ce que prétend l’employeur.
Au fond, en vertu de l’article L 1153-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit porte atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
L’employeur prenant connaissance de ce type de comportement doit prendre toutes dispositions pour les prévenir ou les faire cesser immédiatement.
L’article L 1152-1 du code du travail dispose : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’.
L’employeur doit veiller à ce que ses salariés n’adoptent pas des agissements de harcèlement moral ou des attitudes ou propos à connotation sexuelle et prendre toutes dispositions pour prévenir ou faire cesser ce type de comportement.
En application de l’article L 1154-1 du code du travail cas de litige, il appartient d’abord au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral; l’employeur doit ensuite prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étranger à tout harcèlement.
Le juge doit considérer les faits pris dans leur ensemble pour apprécier s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
En l’espèce, la salariée produit une lettre du 2 avril 2019 adressée à l’employeur aux termes de laquelle elle se plaint du comportement de M. [J] qui est désobligeant, agressif et vexatoire ; il l’appele ‘ma chérie’, il critique tout ce qu’elle fait, il le menace en lui disant ‘barre toi’.
Elle explique que cela rend l’ambiance très lourde, il hurle devant elle et elle crains pour son intégrité physique.
Le 1er avril, la salariée relate qu’à propos d’un dossier, ‘il me répond de façon très agressive. Puis il se met à hurler et s’approche de moi à me faire peur. Je dois reculer car je crains pour moi…il hurle que ‘je ferme ma gueule ‘. Je lui demande de parler sur un autre ton, il répond qu’il est chez lui, que tout est à lui, et qu’il faut que je parte…il est très menaçant.’.
Elle ajoute qu’il lui interdit de se mêler des affaires de la présidente de SOCODOL alors que c’est sa mission même. Il la traite de menteuse, de gamine insolente et la menace : il n’a plus besoin d’elle, il faut qu’elle parte. Elle précise : ‘voyant que la situation est hors de contrôle et dangereuse pour moi, je ne réponds plus et je quitte le bureau sous ses hurlements.’.
La salariée conclut : ‘cette situation est intenable pour moi, humiliante et risquée. Je te demande d’agir et de trouver une solutinon pour je puisse faire mon travail dans des conditions normales. Notamment je ne dois plus être en contact avec M. [J] et travailler qu’avec toi et sous ta direction, et si cette situation dangereuse continue, depuis un autre lieu.’.
La présidente lui a répondu par lettre du 4 juin 2019 qu’elle a toujours bénéficié d’une totale indépendance et autonomie dans son travail, et que la relation de travial est basée sur la confiance qui les lie tant elle que M. [J], et ils l’ont toujours considérée comme leur fille.
Elle indique que M. [J] l’appelle ‘ma chérie’ depuis plus de vingt ans, comme un père parlant à sa fille. Elle ajoute que sorti du contexte ça peut choquer, mais elle ne l’a jamais alertée sur une quelconque gêne.
Elle estime que M. [J] qui est directeur de la société Isa Finances détenant la société SOCODOL est légitime à s’occuper des affaires de cette société et elle doit se conformer à ses directives et respecter ses consignes.
Elle ajoute encore : ‘Pour autant, il convient de rappeler à M. [J] qu’il doit s’adresser à toi de manière calme et proportionnée ,ce qui est chose faite’.
Elle précise qu’il n’est pas envisageable qu’elle ne travaille plus avec M. [J], ce qui reviendra de facto à l’exclure de la gestion de nos affaires, et que ‘sa loyauté et sa compétence font qu’il n’a plus que jamais ma confiance.’
La salariée produit l’attestation de M. [S] [N] ; ce témoin relate qu’il a travaillé sur une opération immobilière en tant que président d’un groupe industriel avec la salariée en 2015 et a participé à de nombreures réunions où était présent M. [J]. Il indique : ‘A chacune de ces rencontres j’ai constaté des anomalies gênantes dans la relation que B. [J] imposait à Mme [U] : il la tutoyait et l’appelait ‘ma chérie’ ostensiblement et avec emprise. Il posait la main sur elle. Elle répondait par un vouvoiement systématique et un mouvement de recul et semblait particulièrement affectée et gênée par ce comportement…Ces dérapages étaient récurrents et mettaient l’ensemble des personnes présentes mal à l’aise à chaque fois car il était flagrant que ce comportement déplaisait fortement à Mme [U]…’.
La salariée produit deux autres attestations, celle de M. [K], président d’une société de gestion de patrimoine qui témoigne comme suit : ‘ j’ai été très surpris des comportements très familiers et intimes qu’il avait avec Mme [U]. Il l’appelait fréquemment ‘ma chérie’ et avait des gestes inappropriés pour un rendez-vous professionnel. Ce comportement la gênait…’
Le témoin ajoute que lors d’une présentation le 17 octobre 2017 ‘j’ai été à nouveau surpris du comportement de M. [J] à l’encontre de Mme [U] qui persistait à l’appeler ‘ma chérie’. On sentait que Mme [U] n’appréciait pas…elle paraissait humiliée et fragilisée…’.
Un autre témoin, Mme [X] atteste que lors de la réunion du 17 octobre 2017 ‘j’ai été très surprise par l’attitude de M. [J] qui se permettait d’appeler sa collaboratrice ‘chérie’ ce qui manifestement déplaisait à Mme [U] qui lui répondait en le vouvoyant et l’appelant Monsieur. Cette situation était gênante…’.
Ces trois témoignages rapportent des faits précis et concordants, les attestations produites par l’employeur faisant état d’une bonne ambiance lors des réunions n’étant pas suffisantes pour leur enlever leur crédibilité.
Au regard de ces éléments pris dans leur ensemble, la salariée établit des faits précis et concordants laissant présumer l’existence d’agissements d’harcèlement moral et d’un comportement sexiste.
L’employeur doit au regard de ces éléments établir que ses décisions ou son comportement sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
La présidente de la société dans sa lettre du 4 juin 2019 ne conteste pas que M. [J] ait pu adopter un comportement agressif, précisant même qu’elle a signifié à ce dernier la nécessité de s’adresser à elle de manière calme et proportionnée.
L’employeur ne saurait justifier les agissements de M. [J] par le fait que la salariée ne s’était jamais plainte en quinze années et que les époux [J] la considérait comme leur fille et qu’elle bénéficiait d’une autonomie complète.
Il ne verse aucun élément objectif justifiant ses décisions ou son comportement à l’égard de la salariée.
Mme [J] a juste répondu à la salarié qu’elle manque de respect à M. [J] et ne s’excuse jamais.
En outre, le fait d’appeler la salariée ‘chérie’ ou ‘ma chérie’lors de réunions professionnelles devant des partenaires ou clients n’est pas justifiable quelque soit l’ancienneté des rapports entre la salariée et M. [J]. Un tel comportement dégrade les conditions de travail de la salariée et porte atteinte à sa dignité de femme.
La salariée produit aux débats un certificat médical du docteur [Z] [O] du 25 juin 2019 attestant que la salariée venue en consultation le 20 juin 2019 présentait des signes de dépression nerveuse avec crises de larmes, insonomie et asthénie depuis le lundi 17 juin 2019… le médecin précise : ‘J’ai eu des ses nouvelles quotidiennement par téléphone ou sms, son état s’étant aggravé elle ne mange plus et ne dort plus à tel point que j’ai dû lui trouver un rdv en urgence auprès d’un confrère psychiatre.’.
Un autre médecin certifie que la salariée a consulté à son cabinet le 17 juin 2019 et qu’il a été diagnostiqué un syndrome anxio-dépressif, et qu’un suivi thérapeutique a été nécessaire pendant un an.
Ces pièces médicales prouvent que la salariée a durablement été perturbée psychologiquement par la dégradation de ses conditions de travail.
Elle a donc subi un préjudice important justifiant l’allocation de dommages et intérêts pour harcèlement moral et agissements sexistes d’un montant de 10 000 €.
Sur le licenciement, l’article L 1152-2 du code du travail prévoit notamment qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte ‘pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.’.
L’article L 1152-3 dispose que ‘toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire L 1152-2 est nul.’.
Il en résulte que si le harcèlement subi a un lien même partiel avec la rupture du contrat de travail, le licenciement est nul.
Bien que la procédure de licenciement a été engagée deux mois et demi après la lettre de la salariée se plaignant de harcèlement moral, il convient de relever que l’employeur explique dans ses conclusions qu’il n’a pris connaissance du courrier du 2 avril 2019 que le 4 juin 2019.
Or il mandatait le lendemain, le 5 juin 2019 un prestataire informatique chargé d’analyser l’ordinateur professionnel de la salariée.
L’employeur décidait dans le même temps d’analyser les dépenses qu’avait effectué la salariée pendant plusieurs années au moyen de la carte bancaire professionelle qu’elle détenait.
L’employeur affirme qu’il a décidé de contrôler ces éléments après avoir constaté que la salariée avait emmené différents effets personnels et décoratifs de son bureau. Or il ne justifie pas de ces faits.
Il existait un désaccord entre la salariée et l’employeur sur le coût de travaux concernant une villa à Ollioule appartenant à la société, désaccord qui a donné lieu en avril 2019 à une violente altercation sur le chantier ayant opposée M. [J] à la salariée, ce qui avait décidé celle-ci de saisir l’employeur par lettre du 2 avril 2019 en dénonçant des faits de harcèlement.
L’employeur a au regard de ces éléments concordants décidé le 5 juin 2019 d’évincer la salariée de la société en recherchant des fautes qui pourraient lui être imputées.
Cette décision s’est même concrétisée dès le 16 juin 2019 avant le licenciement, puisque l’employeur a recruté à cette date un personnel pour remplacer la salariée dans ses fonctions.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que nonobstant la réalité de certains griefs, le licenciement pour faute lourde a au moins un lien partiel avec le harcèmenent moral subi par la salariée.
Un tel licenciement est nul conformément aux articles L 1152-2 et L 1152-3 du code du travail.
La salariée a droit à des indemnités de rupture et à des dommages et intérêts pour licenciement nul.
Sur l’indemnité de préavis, le salaire de référence à prendre en compte comprend le salaire fixe ainsi que toutes les primes perçues au cours de l’année (primes de vacances, primes de fin d’année, primes d’intéressement…) conformément à une jurisprudence constante et ancienne de la chambre sociale de la cour de cassation.
La salariée tient compte à juste titre du dernier salaire moyen de référence de 7769,24 €.
C’est donc à juste titre que le conseil des prud’hommes a accordé à la salariée une indemnité de préavis de 23 307,71 €.
La somme allouée au titre de l’indemnité de licenciement sera aussi confirmée, le montant de l’indemnité n’étant pas contesté, ainsi que le rappel de salaire dû au titre de la période de mise à pied conservatoire.
S’agissant des dommages et intérêts pour licenciement nul, la salariée a droit à un minimum de six mois de salaires.
La salariée percevait un salaire mensuel brut de 7769,24 €.
Elle a bénéficié d’allocations chômage d’un montant moyen mensuel de 3500 € jusqu’au 25 novembre 2022.
Elle justifie travailler actuellement pour un salaire mensuel brut de 1200 € (bulletin de salaire septembre 2022) et a droit à l’indemnité de solidarité spécifique de 17,90 € par jour à compter du 16 novembre 2022.
Elle aura les plus grandes difficultés à retrouver à l’âge de 58 ans un travail aussi rémunérateur que celui qu’elle avait avant son licenciement.
Son préjudice de perte d’emploi est donc conséquent.
Au regard de ces éléments, il lui sera alloué des dommages et intérêts de 55 000 € correspondant à un peu plus de sept mois de salaires.
Sur les dommages et intérêts pour procédure brutale et vexatoire, l’engagement d’une procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire est une procédure prévue par le code du travail, et la décision d’y recourir n’est pas en soi vexatoire ou brutale.
De même la présence d’un avocat mandaté par l’employeur lors de la remise de la convocation à l’entretien préalable, de la notification de la mise à pied et de la restitution du véhicule professionnel et de l’ordinateur portable n’est pas en soi vexatoire ou brutale.
La salariée ne produisant aucune preuve sur des attitudes vexatoires et brutales lors de la remise de la convocation à l’entretien préalable, de la notification de la mise à pied conservatoire, de la restitution du véhicule et des matériels professionnels et lors de l’entretien préalable, sa demande de dommages et intérêts pour procédure brutale et vexatoire sera rejetée et le jugement sera confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
ECARTE des débats la pièce n°16 produite par la société International Society activities finances ;
CONFIRME le jugement du 30 août 2021 rendu par le conseil de prud’hommes de Bonneville en ce qu’il a :
– dit que Mme [U] a subi des agissements sexistes,
– condamné la société Socodol à lui payer les sommes suivantes :
* 4137,17 € de rappel de salaire pour la période de mise à pied et 413,72 € de congés payés afférents,
* 23 307,21 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2330,72 € de congés payés afférents,
* 32 164,34 € à titre d’indemnité légale de licenciement,
* 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire et brutale,
– ordonné à la société Socodol de remettre à la salariée le certificat de travail, le reçu du solde de tout compte, l’attestation Pôle emploi sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document passé un délai de quinze jours suivant la notification du jugement,
– condamné la société Socodol aux dépens.
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,
DIT que Mme [U] a subi un harcèlement moral,
DIT que le licenciement pour faute lourde a un lien avec la dénonciation du harcèlement moral subi ;
en conséquence,
CONDAMNE la société International Society activities finances à payer à Mme [U]
– 55 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour agissements sexistes et harcèlement moral ;
CONDAMNE la société International Society activities finances aux dépens d’appel ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société International Society activities finances à payer à Mme [U] une somme de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 19 Janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président