Sanction de la déchéance des intérêts contractuels : obligations de vérification de la solvabilité du prêteur

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Sanction de la déchéance des intérêts contractuels : obligations de vérification de la solvabilité du prêteur

L’affaire concerne un litige entre la société BNP Paribas et M. [J] [E] et Mme [V] [I] relatif à un contrat de crédit personnel. La cour a réformé un jugement antérieur, déchu la banque de son droit aux intérêts contractuels, et ordonné la réouverture des débats. BNP Paribas a demandé la confirmation du jugement concernant un compte de dépôt et l’infirmation de celui relatif au prêt personnel, tout en réclamant des sommes dues et des intérêts. M. [J] [E] et Mme [V] [I] ont contesté les demandes de la banque, demandant la confirmation du jugement initial et soumettant des propositions de paiement échelonné. La clôture de l’affaire a été prononcée le 22 mai 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

26 septembre 2024
Cour d’appel de Douai
RG
21/04677
République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 1

ARRÊT DU 26/09/2024

N° de MINUTE :24/673

N° RG 21/04677 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T2G2

Jugement (N° 1120000722) rendu le 30 Juin 2021 par le Juge des contentieux de la protection de Tourcoing

APPELANTE

SA BNP Paribas agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me David Dherbecourt, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué

INTIMÉS

Madame [V] [I] épouse [E]

née le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 7] – de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Monsieur [J] [E]

né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 8] – de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Priscilla Puteanus, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l’audience publique du 22 mai 2024 tenue par Catherine Ménegaire magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Gaëlle Przedlacki

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Yves Benhamou, président de chambre

Samuel Vitse, président de chambre

Catherine Ménegaire, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024 après prorogation du délibéré du 5 septembre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 22 mai 2024

EXPOSE DU LITIGE

Vu l’arrêt rendu par la 8ème chambre section 1 de la cour le 21 mars 2024 qui a :

– réformé le jugement entrepris ;

– déchu la société BNP Paribas de son droit aux intérêts contractuels ;

Sur la créance de la banque

– ordonné la réouverture des débats à l’audience de la 8ème chambre-section 1 du 22 mai 2024 ;

– ordonné à la société BNP Paribas de produire un décompte actualisé mentionnant l’ensemble des règlements effectués par M. [J] [E] et Mme [V] [I] au titre du contrat de crédit personnel, tant avant qu’après déchéance du terme du contrat de crédit ;

– invité les parties à faire part de leurs observations sur la réduction éventuelle par le juge du taux d’intérêt légal majoré de cinq points tel que prévu par l’article L.313-3 du code monétaire et financier, au regard de taux d’intérêt conventionnel de

1,99 % l’an ;

– ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 8 janvier 2024 ;

– réservé les autres demandes et les dépens.

Vu les conclusions notifiées le 16 avril 2024 par la société BNP Paribas aux termes desquels elle demande à la cour de :

– confirmer le jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Tourcoing du 30 juin 2021 en ce qui concerne le compte de dépôt,

– infirmer le jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Tourcoing du 30 juin 2021 en ce qui concerne le prêt personnel et les dépens,

en conséquence,

– vu les dispositions de la loi du 10 janvier 1978, les dispositions des articles L.312-1, L.312-14, L.312-29 du code de la consommation,

– condamner solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] à payer à la société BNP

Paribas la somme de 2 095,20 euros outre les intérêts au taux légal jusqu’au parfait paiement à compter du 24 mai 2019,

– condamner solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] à payer à la société BNP Paribas la somme de 9 412,77 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 1,99 % jusqu’à parfait paiement à compter du 24 mai 2019,

à titre subsidiaire, si le contrat de prêt devait être déclaré nul,

– condamner M. [J] [E] et Mme [V] [I] au paiement d’une somme de 8 439,70 euros correspondant au capital restant dû,

– dire en application de l’article 1343-2 du code civil que les intérêts dus pour une année entière porteront à leur tour intérêts au taux d’intérêt conventionnel,

– condamner solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] au paiement d’une somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant de la procédure de première instance et 2 000 euros s’agissant de la procédure d’appel,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

– condamner solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] aux entiers frais et dépens.

Vu les conclusions notifiées le 5 mai 2024 par lequelles M. [J] [E] et Mme [V] [I] demandent à la cour de :

Vu les articles 1353,1231-5 et 1343-5 du code civil,

Vu les articles R.632-1, R.312-32, L.311-9, L.311-48, L.321-39, D. 312-16, D.312-17 du code de la consommation,

vu l’article L.313-3 du code monétaire et financier,

– confirmer le jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Tourcoing du 30 juin 2021 en son intégralité,

à titre subsidiaire, si la cour estimait que les demandes de la société BNP Paribas sont fondées,

– condamner solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] à payer à la société BNP Paribas la somme de 8 439,70 euros au titre du capital restant dû du prêt consenti le 14 juin 2018,

– condamner solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] à payer à la société BNP Paribas la somme de 297,89 euros au titre des intérêts sur le capital restant dû du prêt consenti le 14 juin 2018, selon le décompte établi le 18 novembre 2020,

– déchoir la société BNP Paribas de son droit aux intérêts contractuels,

– constater que la sanction de la déchéance du droit aux intérêts contractuels avec application de l’article L.313-3 du ‘code de la consommation’ n’est pas conforme à la directive européenne numéro 2008/48/CE du 23 avril 2008,

– dire qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article L.313-3 du ‘code de la consommation’,

– à titre subsidiaire, déchoir partiellement la SA BNP Paribas du droit aux intérêts en substituant le taux d’intérêt contractuel au taux d’intérêt légal applicable 2018, à la date de la souscription du contrat, soit 0,89 % à compter de la date de conclusion du prêt, à titre de sanction du non-respect des obligations consultation du FICP,

– à titre infiniment subsidiaire, maintenir les intérêts au taux contractuel de 1,99 % afin que la déchéance des intérêts ne conduisent pas le prêteur à obtenir un bénéfice du non-respect de son obligation de consulter le FICP,

– débouter la société BNP Paribas de sa demande de clause pénale à l’encontre des époux [E],

– à défaut, ‘si clause pénale devait être prononcée’, condamner solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] à payer à la société BNP Paribas la somme de 100 euros au titre de la clause pénale, majorée des intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

– surseoir à l’exécution des poursuites et autoriser M. [J] [E] et Mme [V] [I] à s’acquitter de leur dette selon les modalités suivantes :

– paiement de la somme due en 23 mensualités successives de 370 euros chacune suivie d’une dernière mensualité composée du solde du principal, des frais et intérêts restant dus,

– paiement de la première mensualité au plus tard le dernier jour du mois suivant la signification de la présente décision, et des mensualités suivantes aux plus tard le dernier jour de chaque mois,

– dire qu’à défaut de versement d’une seule échéance, l’intégralité de la dette sera immédiatement exigible sans mise en demeure préalable,

– rappeler que conformément aux dispositions de l’article 1343-5 du code civil, la présente décision suspend les procédures d’exécution et que les majorations d’intérêts ou les pénalités encourues cessent d’être dues pendant le délai fixé par la décision,

– débouter la société BNP Paribas de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [J] [E] et Mme [V] [I] aux dépens,

– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.

La clôture de l’affaire a été rendue le 22 mai 2024.

MOTIFS

A titre liminaire, il est rappelé que la cour n’est pas saisie d’un appel du jugement sur ses dispositions afférentes au compte de dépôt.

Sur la sanction de la déchéance du prêteur du droit aux intérêts contractuels au titre du prêt personnel

Il est rappelé que par conclusions signifiées le 5 janvier 2022, les intimés ont soulevé la déchéance de la banque de son droit aux intérêts contractuels pour non-justification de son obligation de vérifier leur solvabilité.

Suivant son arrêt en date du 21 mars 2024, la cour faisant à la demande des emprunteurs, a déchu en totalité la société BNP paribas de son droit aux intérêts contractuels en application des articles L. 341-2 et L. 312-16 du code de la consommation, au motif qu’elle ne justifiait pas avoir consulté le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers avant la conclusion définitive du contrat de crédit.

Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la demande subsidiaire formée par M. [J] [E] et Mme [V] [I] tendant à la substitution du taux d’intérêt contractuel par le taux d’intérêt légal, ni sur leur demande infiniment subsidiaire de maintenir le taux d’intérêt contractuel.

L’article L.341-8 du code de la consommation dispose que, « Lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts dans les conditions prévues aux articles L. 341-1 à L. 341-7, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu, ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu.

Les sommes déjà perçues par le prêteur au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû. »

Il résulte des relevés du compte bancaire des époux [E] ouvert dans les livres de la société BNP paribas qu’ils ont réglé l’échéance de juillet 2018 d’un montant de 177,55 euros, et 6 échéances du mois d’août 2018 à janvier 2019 d’un montant de 183,76 euros, soit au total la somme de 1 280,11 euros.

Il resulte également de la pièce n° 18 produite par la société BNP paribas, que les emprunteurs ont fait divers versements pour un montant de 1 925,25 euros du 24 août 2019 au 15 janvier 2022, qui n’ont pas été pris en compte au titre du solde du compte bancaire clôturé en mai 2019.

Dès lors, la créance de la société BNP paribas d’établit comme suit :

– capital emprunté : 9 500,00 euros,

– à déduire :

– ensemble des versements avant contentieux : – 1 280,11 euros,

– versements du 24/08/2019 au 15/01/2022 : – 1 925,25 euros,

– total : 6 294,64 euros.

Il est rappelé qu’en cas de déchéance du droit aux intérêts, les dispositions de l’article L. 312-39 du code de la consommation relatif aux sommes dues en cas de défaillance de l’emprunteur n’est pas applicable, en sorte l’indemnité de résiliation prévue par ce texte n’est pas due.

La demande de réduction de la clause pénale formée par M. [J] [E] et Mme [V] [I] est dès lors sans objet.

Réformant le jugement entrepris, M. [J] [E] et Mme [V] [I] seront donc solidairement condamnés à payer à la société BNP paribas la somme en principal de 6 294,64 euros.

Par ailleurs, la Cour de cassation juge que la déchéance du droit aux intérêts conventionnels ne dispense pas l’emprunteur du paiement des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure (1ère Civ, 26 novembre 2002, pourvoi n°00-17.

119 ; 1ère Civ 18 mars 2003, pourvoi n° 00-17.761).

L’article L.313-3 du code monétaire et financier prévoit la majoration de 5 points du taux légal à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire.

L’article 23 de la directive n° 2008/48/CE du Parlement européen du 23 avril 2008 dispose que les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

Suivant un arrêt de la CUJE du 27 mars 2014, l’application du droit national ne doit être écartée que si les sommes susceptibles d’être perçues par le prêteur à la suite de la déchéance du droit aux intérêts ne sont pas significativement inférieures à celles dont il pourrait bénéficier s’ils avait respecté ses obligations, ce qui revient à anéantir l’effectivité de la sanction de la déchéance du droit aux intérêts et son effet dissuasif.

En l’espèce, le taux d’intérêt légal majoré étant largement supérieur au taux contractuel, il y a lieu d’écarter l’application de l’article L.313-3 du code monétaire et financier.

La condamnation en principal sera donc assortie des intérêts au taux légal non majoré à compter du 24 mai 2019, date de réception de la mise en demeure.

La condamnation en principal étant assortie des intérêts au taux légal, la banque sera déboutée de sa demande formée sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil tendant à voir juger que ‘les intérêts dus pour une année entière porteront à leur tour intérêts au taux conventionnel’.

Sur la demande de délais de paiement

En application de l’article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Il appartient au débiteur qui sollicite un tel délai d’apporter des éléments de preuve concernant sa situation financière, à savoir notamment ses revenus et ses charges prévisibles, éléments permettant de penser raisonnablement qu’il est en capacité de régler l’intégralité de sa dette dans le délai proposé.

Les intimés proposent de régler leur dette par mensualités de 370 euros. Ils justifient de leurs revenus mensuels à hauteur de 3 636,24 euros, de leurs charges de 2 114,69 euros, ainsi que des efforts faits pour apurer la dette, par le règlement du 24 août 2019 au 15 janvier 2022 d’une somme de 1 925,25 euros.

La banque ne s’oppose pas à la demande de délais.

Au vu de leurs ressources et charges, M. [J] [E] et Mme [V] [I] seront autorisés à s’acquitter de la dette en 17 échéances de 370 euros, la 18èmecorrespondant au solde de la dette, selon les conditions précisées au dispositif de l’arrêt.

Sur les demandes accessoires

Les motifs du premier juge méritant d’être adoptés, le jugement entrepris est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

M. [J] [E] et Mme [V] [I], qui succombent, sont condamnés in solidum aux dépens d’appel conformément aux dispositions du code de l’article 696 du code de procédure civile.

En équité, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et la société BNP Paribas est déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de l’appel ;

Vu l’arrêt de la 8ème chambre section 1 en date du 21 mars 2024 qui a réformé le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Condamne solidairement M. [J] [E] et Mme [V] [I] à payer à la société BNP paribas la somme en principal de 6 294,64 euros, augmentée des intérêts au taux légal non-majoré à compter du 24 mai 2019 ;

Constate que la demande relative à la clause pénale formée par M. [J] [E] et Mme [V] [I] est sans objet ;

Rejette la demande de la société BNP Paribas tendant à voir juger que ‘les intérêts dus pour une année entière porteront à leur tour intérêts au taux conventionnel’ ;

Autorise M. [J] [E] et Mme [V] [I] à s’acquitter de la condamnation au profit de la société BNP paribas en 17 échéances de 370 euros, la 18èmecorrespondant au solde de la dette ;

Dit que la première mensualité devra être réglée au plus tard le 30 du mois suivant la signification de la présente décision et les suivantes aux plus tard le 30 de chaque mois ;

Dit que les règlements s’imputeront en priorité sur le capital ;

Dit qu’à la première défaillance, la totalité de la dette sera rendue immédiatement exigible ;

Rappelle que conformément à l’article 1343-5 du code civil, les procédures d’exécution engagées par le créancier sont suspendues et les majorations d’intérêts et les pénalités cessent d’être dues pendant ce délai ;

Déboute la société BNP Paribas de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [J] [E] et Mme [V] [I] aux dépens de l’instance d’appel.

Le greffier

Ismérie CAPIEZ

Le président

Yves BENHAMOU


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