Salut Nazi filmé d’un salarié cadre : Licenciement pour faute grave justifié

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Salut Nazi filmé d’un salarié cadre : Licenciement pour faute grave justifié
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Le salarié-cadre qui, au cours d’un diner professionnel, se retrouve filmé en pose de “salut nazi”, s’expose à un licenciement pour faute.

Selon l’article L1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute, et le doute profite au salarié.

Résumé de l’affaire : M. [C] [W] a été engagé par la SAS Coyote System en tant que responsable du développement à l’international le 9 juillet 2015. En décembre 2019, il a accompagné Mme [J], nouvellement recrutée, lors d’un déplacement professionnel à [Localité 6]. Suite à ce dîner professionnel, Mme [J] a signalé des comportements inappropriés de la part de M. [C] [W] et d’autres participants, incluant des gestes déplacés, des imitations d’Hitler, des blagues douteuses et des références pornographiques. Ces incidents ont conduit à un entretien préalable au licenciement, et M. [C] [W] a été licencié pour faute grave le 29 janvier 2020.

Il a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, demandant la requalification de celui-ci en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des indemnités. Le 13 juin 2022, le conseil a jugé que le licenciement était fondé sur des fautes graves et a débouté M. [C] [W] de toutes ses demandes. M. [C] [W] a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et des indemnités. La société Coyote System a également formulé des demandes reconventionnelles. L’instruction a été clôturée, et les plaidoiries sont fixées au 7 mai 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/02216
COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 SEPTEMBRE 2024

N° RG 22/02216 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VKAG

AFFAIRE :

[C] [W]

C/

S.A.S. COYOTE SYSTEM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juin 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F 20/00876

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Michèle DE KERCKHOVE de

la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES

Me Benjamin LOUZIER de

la SELARL REDLINK

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [C] [W]

né le 17 Septembre 1967 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.26 – – Représentant : Me Pierre LOMBARD de l’ASSOCIATION DONNETTE-LOMBARD, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

APPELANT

****************

S.A.S. COYOTE SYSTEM

N° SIRET : 518 905 476

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Benjamin LOUZIER de la SELARL REDLINK, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J044 substitué par Me Félix LEBAIL

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Mai 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Présidente chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

Madame Odile CRIQ, Conseillère,

Greffiere lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Le 9 juillet 2015 à effet au 1er septembre 2015, M.[C] [W] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de responsable du développement à l’international, statut cadre, par la SAS Coyote System, qui est spécialisée dans l’édition de logiciels système et de réseau, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs conseils, sociétés de conseils (dite SYNTEC).

Dans le cadre de sa prise de fonctions, Mme [J], engagée le 29 novembre 2019 en qualité de responsable du développement partenariat, a été invitée à se rendre, avec M.[C] [W], deux jours à [Localité 6] afin de rencontrer les équipes locales les 30 et 31 décembre 2019.

Le 6 janvier 2020, Mme [J] a alerté Mme [R], directrice des ressources humaines du groupe, d’incidents survenus lors de ce dîner.

Convoqué le 14 janvier 2020, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 23 janvier suivant, et mis à pied à titre conservatoire, M.[C] [W] a été licencié par courrier du 29 janvier 2020, énonçant une faute grave.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est libellée en ces termes :

« Monsieur,

Nous faisons suite à l’entretien préalable du jeudi 13 janvier 2020, auquel vous vous êtes présenté en présence de Mme [H] [F], représentant du personnel.

Nous sommes au regret de vous informer qu’après réflexion, nous avons pris la décision de procéder à votre licenciement pour fautes graves pour les motifs détaillés ci-dessous.

Vous avez été embauché le 1er septembre 2015 au poste de Responsable du développement International.

Nous avons été alertés, le 6 janvier dernier, par une collaboratrice de faits très graves.

Madame [X] [T] qui a rejoint la société le 29 novembre 2019, au poste de Responsable du développement Partenariat (Business Developer Partenaires). Dans le cadre de son intégration, des déplacements professionnels ont été organisés avec vous pour lui permettre de rencontrer les équipes internationales notamment (Italie et Espagne).

Dans le cadre de sa plainte du 06 janvier 2020, Madame [X] [J] nous a alertés sur des faits très graves qui se sont produits lors d’un de vos déplacements avec elle. Elle nous a fait part de faits, d’attitudes et de gestes déplacés, inappropriés dans le cadre professionnel. Elle en était particulièrement choquée.

Le 30 décembre 2019, un déplacement était programmé avec elle, à [Localité 6] pour rencontrer Monsieur [A] [E], Country Manager de la filiale espagnole, et son équipe. L’équipe n’était pas au complet en raison des congés de fin d’année. Cette journée de découverte s’est déroulée normalement.

C’est au moment du dîner professionnel au Restaurant que tout a dérapé.

A l’issue de cette journée, vous-même, Monsieur [A] [E] et Madame [X] [J] aviez convenu de vous retrouver pour un dîner professionnel au centre de [Localité 6]. A 18 heures, vous retournez tous les deux à l’hôtel. Monsieur [A] [E] devait venir vous chercher pour partir tous ensemble dîner au Restaurant mais finalement, vous envoyez un sms à Madame [X] [J] l’invitant à vous rejoindre directement au Restaurant et lui communiquez l’adresse. Elle s’y rend.

Elle vous y retrouve en compagnie de Monsieur [A] [E] et d’une troisième personne qu’elle ne connaissait pas, un certain « [N] », ancien salarié de la filiale Espagne. Il s’agissait de Monsieur [N] [B]. Il semblait bien connaitre le propriétaire ([S]). Il l’a d’ailleurs présenté à Madame [X] [J] comme étant un « pétainiste ».

Ils se présentent.

Elle avait noté que vous étiez bien avancé dans la consommation d’alcool.

Dans les premiers échanges, Monsieur [N] [B] partage son téléphone pour visionner une vidéo sur Youtube d’un sketch ridiculisant les portugais et l’a invité à suivre l’auteur de la vidéo. Elle a trouvé l’approche quelque peu curieuse.

Au moment de l’arrivée de Madame [X] [J], le propriétaire lui sert une salade russe et Monsieur [N] [B] lui précise que la salade n’est pas une salade russe mais une salade nationale. Madame [J] s’étonne. Monsieur [N] [B] interpelle le propriétaire pour lui confirmer l’appellation de cette salade. Le propriétaire répond par un salut nazi.

En fin de dîner, vous avez invité [S], le propriétaire, à rejoindre la table. Il a très vite intégré le groupe et participé aux blagues douteuses. La conversation a basculé en espagnol; Madame [X] [J] était moins apte à suivre la discussion et a décroché.

Lors de ce dîner, Monsieur [N] [B], alors qu’il avait partagé des photos personnelles de son réveillon de noël avec femme et enfants, a eu la main « baladeuse » une première fois à l’égard de Madame [X] [J]. Cette dernière a cru qu’il perdait l’équilibre et qu’il s’agissait d’un geste accidentel.

Cela s’est reproduit une deuxième fois, elle lui a lancé un regard soutenu désapprobateur. Vous avez été témoin de ces faits sans intervenir alors que vous êtes son supérieur hiérarchique.

Tout au long de ce dîner, Madame [X] [J] s’est trouvée très mal à l’aise ; elle a cru à un bizutage. Au début, elle pensait à de l’humour « potache », mais l’accumulation de tout cela lui a fait très peur.

Vous avez fait des imitations d’Hitler qui l’ont particulièrement choquée. Elle vous a demandé de cesser sous peine de vous filmer. Elle était convaincue que personne ne la croirait.

Mais vous avez continué. Elle vous a alors filmé ; vous vous en amusiez.

Nous avons récupéré ces photos-vidéos que nous vous avons présenté lors de cet entretien (impression photo) qui sont particulièrement choquantes.

Madame [X] [J] s’est plainte également des références au registre pornographique que vous aviez fait notamment au moment de régler la note à la fin du dîner.

En effet, vous avez demandé à Madame [X] [J] de la régler. Elle a refusé. Monsieur [A] [E] l’a alors prise ; mais vous l’avait reprise en disant, tout à vous adressant à Madame [X] [J] : « Merci Qui ‘». Elle vous a répondu naïvement « Merci ». Vous lui avez faite répéter et avez fini par lui dire « non, c’est Merci Jacky et Michelle » en référence à un site pornographique.

Vous quittez le restaurant vers environ 1h15 du matin.

Madame [X] [J] était sur le point de commander un Chauffeur Uber.

Vous insistez pour la déposer sachant que l’hôtel se trouvait à quelques minutes. Madame [X] [J] s’est sentie obligée d’accepter mais n’était pas rassurée pour autant, au vu de la consommation d’alcool avant et durant ce dîner et leur état d’ébriété bien avancé.

Elle est montée dans la voiture, conduite par Monsieur [A] [E]. Vous aviez visiblement bien remarqué qu’elle était embarrassée et lui avez lancé « Allah Ou Akbar [Z] ». Elle a souligné que durant le dîner, vous vous amusiez à l’appeler « [Z] » au lieu « [X] ».

Ce dîner a été un véritable cauchemar pour elle au vu de la tournure regrettable qu’il a pris.

Les discussions sont restées centrées sur :

– Le Maréchal [P]. Monsieur [N] [B] avait précisé que le propriétaire du restaurant en était fan ;

– Le nombre de morts au cours de la première guerre mondiale (contestation des chiffres officiels et comparaison entre le nombre de morts des deux guerres en surévaluant le nombre de morts de la première guerre mondiale) ;

– Des quenelles, des saluts nazis – des imitations d’Hitler ;

– Des propos homophobes (« petit pédé » ; « tafiole ») ;

– Des références à des films pornographiques (« Merci qui ‘… Merci Jacky et Michelle »).

Elle en est arrivée à se questionner sur le fait que d’autres salariés ou que les dirigeants de la société pouvaient prôner ou partager des idées extrémistes, racistes, machistes.

D’autant que durant la soirée, vous avez fait part de votre « haine des flics » en faisant le doigt d’honneur et en vous ventant de ne pas payer les contraventions pour excès de vitesse quand elles provenaient de l’étranger en courrier simple.

Ce dérapage est allé trop loin. Si loin que Madame [J] [X] n’a pas souhaité poursuivre sa mission au sein de Coyote et a quitté la Société car cela lui était insupportable. L’idée de vous croiser dans les couloirs la terrifiait, si bien que suite à sa demande, nous l’avons autorisée à faire du télétravail lors de votre visite au siège prévue la semaine du 13 janvier, pour éviter de vous croiser dans les locaux de la société.

Votre comportement est inacceptable et nous ne pouvons le tolérer au sein de notre entreprise.

Nous avons dû gérer et rassurer le cabinet de recrutement qui nous a accompagné dans l’embauche de [X]. Ce cabinet ne souhaite plus travailler avec nous. Ce dérapage porte sérieusement atteinte à l’image de notre société.

Nous ne pouvons tolérer vos agissements et attitudes qui portent un sérieux préjudice à la société et rend impossible votre maintien dans l’entreprise.

Pour ces raisons, nous nous trouvons dans l’obligation de prononcer votre licenciement pour fautes graves.

[‘] ».

Le 12 juin 2020, M.[C] [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins d’obtenir, au titre de l’exécution de son contrat de travail, un rappel de salaire pour la période de mise à pied, et, au titre de la rupture de son contrat de travail, la requalification de son licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et le paiement des indemnités afférentes, ce à quoi la société s’est opposée.

Par jugement rendu le 13 juin 2022, notifié le 17 juin 2022, le conseil a statué comme suit :

dit et juge que le licenciement de M.[C] [W] est fondé sur des fautes graves

déboute M.[C] [W] de toutes ses demandes

déboute la société Coyote System de toutes ses demandes reconventionnelles

dit que chacune des parties conservera à sa charge ses éventuels dépens.

Le 12 juillet 2022, M.[C] [W] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 6 avril 2023, M.[C] [W] demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris

dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse

condamner la société Coyote System au paiement des sommes suivantes :

irrégularité de la procédure : 9 610 euros

paiement de la mise à pied injustifiée du 14/01 au 29/01 : 4 805 euros

préavis : 28 830 euros

indemnité licenciement : 12 813,33 euros

dommages et intérêts : 48 050 euros

article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros

débouter la société Coyote System de ses moyens fins et conclusions

condamner la société Coyote System à remettre sous astreinte de 100 euros par jour de retard les documents sociaux rectifiés (bulletin de salaire, certificat de travail, attestation Pôle emploi’)

condamner la société Coyote System aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 6 janvier 2023, la société Coyote System demande à la cour de :

confirmer le jugement du 13 juin 2022 en ce qu’il a débouté M.[C] [W] de l’ensemble de ses demandes

en conséquence, débouter M.[C] [W] de l’intégralité de ses demandes

à titre reconventionnel, infirmer le jugement du 13 juin 2022 en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de la société formulée à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive

et, statuant à nouveau :

condamner M.[C] [W] à 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive

en tout état de cause, condamner M.[C] [W] à verser à la société la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

condamner M.[C] [W] aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.

Par ordonnance rendue le 7 février 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Sur la cause

M.[C] [W] nie la matérialité des reproches qui lui sont faits (propos à caractère pornographique, attouchements de M. [B] envers Mme [Y]), ou souligne leur caractère humoristique (vidéo YouTube, imitation d’Hitler et du salut nazi), indiquant, en tout état de cause, que les faits sont advenus dans le cadre d’un dîner privé, de sorte qu’ils ne peuvent être sanctionnés par la société.

La société Coyote System soutient les griefs énoncés dans la lettre de licenciement, indiquant que les faits reprochés à M.[C] [W] se rattachent à la vie professionnelle et peuvent de ce fait être sanctionnés par la société en vertu de son pouvoir de direction.

Selon l’article L1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du code du travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute, et le doute profite au salarié.

En l’espèce, la Cour relève que les faits reprochés dans la lettre de licenciement ont eu lieu lors d’un déplacement professionnel destiné à faire rencontrer à Mme [J], nouvellement embauchée, les équipes espagnoles, sous la supervision de M.[C] [W] son supérieur hiérarchique direct, à l’occasion d’un repas en présence de deux salariés de l’entreprise, M.[C] [W] et M. [E], et d’un ancien salarié, M. [B], ce dont la Cour déduit que les faits se rattachent la vie professionnelle.

S’agissant du moyen soulevé par M.[C] [W] mettant en cause l’employeur qui produit au soutien de ses allégations, concernant les griefs énoncés dans la lettre de licenciement, le mail de Mme [R], directrice des ressources humaines, et le mail de Mme [J], indiquant que le mail de Mme [R] date du 10 janvier 2020, alors que le mail de Mme [J] date du 11 janvier 2020, de sorte que Mme [J] aurait recopié la thèse rédigée par l’employeur avec des « éléments de langage » juridiques, la Cour relève qu’il ressort des écritures et des pièces des parties que Mme [R] fait état dans son mail du 10 janvier 2020 d’un entretien verbal qu’elle a eu le 6 janvier 2020 avec Mme [J], et relate les faits qui lui ont été rapportés par cette dernière, lesquels sont par ailleurs confirmés par Mme [J] dans son mail du 11 janvier 2020, de sorte que, contrairement à ce que soutient le salarié, il n’y a pas de chronologie inversée ayant pour conséquence de mettre en cause l’existence des griefs énoncés dans la lettre de licenciement.

Il ressort de la lettre de licenciement que l’employeur détaille une série de six griefs, à savoir le visionnage d’une vidéo sur YouTube d’un sketch à connotation raciste sur les Portugais, l’absence de réaction de M.[C] [W] face aux attouchements allégués de M. [B] envers Mme [J], la tenue par M.[C] [W] de propos homophobes, pornographiques et racistes et l’imitation par M.[C] [W] d’Hitler et du salut nazi.

Sur la vidéo YouTube d’un sketch à connotation raciste sur les Portugais

La société reprend dans ses écritures les faits dénoncés par Mme [J], sans les étayer, M.[C] [W] justifiant qu’il s’agissait d’un sketch humoristique, ce qui est confirmé par M. [B], qui indique dans son attestation : « La vidéo de YouTube qu’évoque Mme [J], correspond à un sketch de l’humoriste [G] extrait du festival du rire de Marrakech organisé par l’humoriste [V] ». Par ailleurs, le contenu raciste de cette vidéo n’est pas démontré.

Le grief n’est pas donc établi.

Sur les attouchements de M. [B]

La société ne produisant, au soutien de ses allégations, que le courriel de Mme [J] relatant des faits d’attouchements de nature sexuelle de M. [B] envers elle, dont la matérialité est contestée par M.[C] [W] et M. [B] dans son attestation. En tout état de cause, ces faits ne sont pas imputables à M.[C] [W] et il ne peut être reproché à ce dernier sa passivité faute pour la société d’apporter davantage d’éléments probatoires.

Sur les propos à caractère pornographique

La société reprend dans ses écritures les faits dénoncés par Mme [J] s’agissant des références de M.[C] [W] à des films pornographiques (« Merci qui ‘ Merci Jacky et Michel »), le salarié contestant toute référence pornographique de sa part, de sorte que, faute pour la société d’apporter davantage d’éléments probatoires, le grief n’est pas caractérisé.

Sur les propos homophobes

La société se prévaut du courriel de Mme [J] dénonçant les propos homophobes (« Petit pd », « tafiole ») prononcés par M.[C] [W], à l’encontre de MM. [B] et [E], lorsque ces derniers ne buvaient pas leur verre assez vite, le salarié ne formulant aucune observation à ce titre dans ses conclusions, de sorte que, bien que ces paroles n’étaient pas destinées à la salariée, de tels propos, non contestés dans leur matérialité, ne peuvent qu’être fautifs, de sorte que le grief est établi.

Sur les propos à connotation raciste

Au soutien de ses allégations, la société produit le courriel de Mme [J] du 11 janvier 2020, dans lequel celle-ci fait mention du fait que M.[C] [W] lui aurait adressé, à la sortie du restaurant les propos suivants : « Allah ou Akbar [Z] ! », et l’aurait appelé « [Z] » à plusieurs reprises au lieu de « [X] », ce que M.[C] [W] ne conteste pas, ce dernier ne formulant aucune observation dans ses écritures à ce propos, de sorte que le grief est établi.

Sur l’imitation d’Hitler et du salut nazi

Au soutien du grief avancé, la société produit, en plus du courriel de Mme [J] dans lequel elle décrit que M.[C] [W] « mim[ait] de nouveau fièrement le salut nazi » (pièce n°6 de la société), trois photos non équivoques de M.[C] [W] imitant Hitler et le salut nazi (pièce n°7 de la société), la société soulignant le malaise de Mme [J] qui a un « époux de confession juive » (pièce n°11 de la société).

Par suite, le grief est établi dans sa matérialité, peu important que M.[C] [W] se prévale du fait d’avoir effectué le salut nazi de la main gauche au lieu de la main droite ce dont il déduit que cela traduisait la critique et la dérision de son geste.

Si M.[C] [W] demande de voir écarter le moyen de la société invoquant une atteinte à son image, se prévalant du fait que la société avait elle-même diffusé des images grivoises de la soirée de Noël (pièce n°10 du salarié), la Cour relève que cependant la société justifie que les faits reprochés au salarié lui ont causé un préjudice en termes d’image, auprès de Mme [J], celle-ci n’ayant plus souhaité travailler pour l’entreprise en raison de son comportement, mais également auprès du cabinet de recrutement par lequel Mme [J] avait été embauchée, se prévalant notamment d’un courriel dudit cabinet du 10 janvier 2020 demandant « un point sur le contexte plus que choquant du départ de [X] » (pièce n°8 de la société), la société alléguant également un préjudice financier, le poste de travail vacant de Mme [J] n’ayant été pourvu que le 7 octobre 2020 (pièce n°13 de la société).

S’agissant enfin des moyens relatifs au fait que Mme [J] paraissait s’amuser lors de la soirée (pièce n°5 du salarié), qu’elle avait envoyé une photo des convives avec un filtre Snapchat (pièce n°4 du salarié), et qu’elle ne parlait pas suffisamment bien espagnol pour comprendre les échanges, ceux-ci ne peuvent prospérer, la société précisant que tous les griefs reprochés à M.[C] [W] dans la lettre de licenciement renvoient à des gestes ou à des mots prononcés en français, ce qui n’est pas utilement contesté par le salarié, le fait que Mme [J] n’ait pas exprimé son malaise au moment des faits n’ayant aucune incidence sur les griefs reprochés à M.[C] [W], peu important d’ailleurs que Mme [J] ait pris une photo des convives avec un filtre Snapchat, laquelle n’est nullement problématique.

Dès lors, la matérialité des faits reprochés, leur gravité et leur imputabilité à M.[C] [W], sont suffisamment démontrées par la société, qui a considéré que sa faute rendait impossible le maintien du salarié dans ses effectifs, au motif que, en qualité de supérieur hiérarchique de Mme [J], laquelle a, à la suite de la dénonciation de ces faits, demandé à être placée en télétravail, puis a sollicité la rupture de sa période d’essai, M.[C] [W], de par ses imitations et ses propos à connotation raciste envers cette dernière lors d’un repas pendant un déplacement professionnel, a manqué à ses obligations, causant au surplus et à tout le moins un préjudice d’image à la société, empêchant de ce fait la poursuite de son contrat de travail, et, ce, peu important que la société ait omis de révoquer immédiatement le mandat d’administrateur délégué de la filiale italienne de M.[C] [W], la Cour relevant que les motifs du licenciement détaillent des manquements graves à ses obligations personnelles en qualité de salarié.

En conséquence de quoi, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement de M.[C] [W] pour faute grave fondé.

Sur les conséquences

Le licenciement de M.[C] [W] pour faute grave étant fondé, la Cour confirme le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes subséquentes :

– le rappel de salaire pour la période de mise à pied à titre conservatoire,

– les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– l’indemnité conventionnelle de licenciement,

– l’indemnité compensatrice de préavis,

– la condamnation de la société Coyote System à lui remettre sous astreinte de 100 euros par jour de retard les documents sociaux rectifiés (bulletin de salaire, certificat de travail, attestation Pôle Emploi).

Sur la procédure

Plaidant l’irrégularité de procédure, M.[C] [W] soutient d’une part que l’employeur aurait manifesté sa volonté de le licencier avant l’entretien préalable, se référant au SMS envoyé par M. [L], directeur général, pendant la procédure de licenciement, et, d’autre part, que les pièces ayant motivé son licenciement ne lui ont pas été présentées lors de l’entretien préalable.

La société objecte que la procédure de licenciement a parfaitement été respectée, indiquant que le SMS envoyé par M. [L] en cours de procédure était de nature amicale et ne faisait, en tout état de cause, nullement référence à la procédure disciplinaire en cours, la société soulignant n’avoir aucune obligation de présenter au salarié l’intégralité des pièces dans le cadre de l’entretien préalable, précisant lui avoir toutefois montré certaines pièces pour lui permettre de s’expliquer.

Selon l’article L1232-2 du code du travail, l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, par lettre recommandée indiquant l’objet de la convocation, à un entretien préalable qui ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation ou la remise de cette convocation.

En l’espèce, s’agissant du SMS envoyé par M. [L] à M.[C] [W], dont la date et le contenu ont été constatés par huissier (pièce n°6 du salarié), celui-ci est ainsi libellé : « Hello [C], petite pensée pour toi Comment ça va pas trop difficile. Essaye de positiver je sais que ça doit être compliqué mais peut être une bonne occasion de rebondir. Amitiés. [D] ».

Ce SMS est daté du 19 janvier 2020, étant constant que la procédure de licenciement a été engagée le 14 janvier 2020, l’entretien préalable de M.[C] [W] ayant eu lieu le 23 janvier 2020.

S’il n’est pas contesté que M. [L], en sa qualité de directeur général, était signataire des courriers de convocation à l’entretien préalable et de la lettre de licenciement, la Cour relève que le contenu du SMS ne témoigne nullement de la volonté de l’employeur de licencier M.[C] [W] avant l’entretien préalable, n’étant pas établi que le SMS visait explicitement la procédure de licenciement en cours, contrairement à ce que soutient le salarié, mais révéle davantage la nature amicale des relations entre M. [L] et M.[C] [W], comme en témoigne le SMS envoyé le 24 décembre 2019 par M.[C] [W] à M. [L], également constaté par huissier : « Salut l’ami. Joyeux Noël à toi et ta famille. On se voit l’année prochaine et bon ski j’imagine 😉 [C] » (pièce n°6 du salarié).

Par ailleurs, s’agissant des pièces, et plus particulièrement de la vidéo, que M.[C] [W] soutient ne pas avoir consultées lors de l’entretien préalable à son licenciement, il n’est pas fait obligation à l’employeur, au cours de l’entretien préalable, de communiquer au salarié les pièces susceptibles de justifier la sanction disciplinaire envisagée, les éléments dont dispose l’employeur pour fonder sa décision ayant vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement. Par suite, la société qui a rapporté, dans le cadre de la présente procédure, la preuve qui lui incombe de l’existence d’une faute grave de M.[C] [W], n’a commis aucun manquement au titre de la régularité de la procédure du licenciement de ce dernier.

Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté M.[C] [W] de sa demande d’indemnité pour procédure irrégulière.

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive

La société soutient que M.[C] [W] a commis des faits extrêmement graves dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, qui ont causé un préjudice certain à la société, de sorte que la mauvaise foi, et partant l’abus, est ici clairement caractérisé.

M.[C] [W] sollicite le débouté de la société demandant des dommages et intérêts pour procédure abusive, soulignant qu’une demande en justice n’est que l’expression d’un droit constitutionnel, et qu’elle n’est donc pas abusive.

L’exercice du droit d’ester en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas où le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.

Le seul rejet des prétentions d’un plaideur, y compris par confirmation en appel d’une décision de première instance, ne caractérise pas automatiquement l’abus du droit d’ester en justice, puisque l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas à elle seule constitutive d’une faute, sauf s’il est démontré que le demandeur ne peut, à l’évidence, croire au succès de ses prétentions.

En conséquence, la société Coyote System ne démontrant pas en quoi l’action que M.[C] [W] a introduite a dégénéré en abus, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et ce, par confirmation du jugement.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant ;

Rejette le surplus des demandes ;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [C] [W] aux entiers dépens.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame Isabelle FIORE, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, La Présidente,


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