2ème Chambre
ARRÊT N°371
N° RG 22/05868
N° Portalis DBVL-V-B7G-TFGM
Mme [D] [K]
C/
S.C. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me PEDELUCQ
– Me CAMUS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 JUILLET 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 01 Juin 2023
devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Juillet 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [D] [K]
née le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Nathalie PEDELUCQ de la SELARL SELARL PEDELUCQ-BERNERY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT
INTIMÉE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Martine CAMUS de la SELARL PICHOT – CAMUS-ROUSSEAU, postulant, avocat au barreau de LORIENT
Représentée par Me Jean-Sébastien DELOZIERE de la SCP DECOSTER CORRET DELOZIERE LECLERCQ, plaidant, avocat au barreau de SAINT OMER
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte authentique du 7 mars 2009, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (le Crédit agricole) a, afin de financer l’acquisition d’un fonds de commerce de bar-brasserie, consenti à la société [K] un prêt de 760 000 euros au taux de 4,45 % l’an, remboursable en 84 mensualités.
Par ce même acte authentique, Mme [D] [K], gérante et unique associée de la société emprunteuse, s’est portée caution solidaire de ce prêt dans la limite de 197 600 euros.
Par jugement des 11 mars 2014, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-mer a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société [K], le Crédit agricole ayant déclaré sa créance au passif de la procédure collective le 28 mars 2014 pour un montant de 351 883,85 euros au titre du prêt.
Par jugements des 8 juillet 2014 et 14 juin 2017, la juridiction consulaire a adopté un plan de redressement par continuation puis prononcé la résolution de celui-ci et la liquidation judiciaire de l’entreprise, cette procédure ayant été clôturée pour insuffisance d’actif le 15 mai 2019.
Après avoir mis Mme [K] en demeure d’honorer son engagement de caution par lettre recommandée du 5 octobre 2021, le Crédit agricole a, en vertu de l’acte authentique du 7 mars 2009, fait procéder à une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur un bien immobilier lui appartenant, cette mesure conservatoire ayant été dénoncée à la caution le 18 mars 2022.
Par acte du 15 avril 2022, Mme [K], qui contestait l’existence du caractère exécutoire du titre et invoquait la disproportion de son engagement de caution, a alors fait assigner le Crédit agricole devant le juge de l’exécution de Lorient, afin d’obtenir la mainlevée de l’inscription d’hypothèque et la remise de la somme de 82 291,53 euros séquestrée entre les mains d’un notaire à la suite de la vente du bien immobilier réalisée le 19 mai 2022.
Par jugement du 20 septembre 2022, le premier juge a :
rejeté les demandes de Mme [K],
condamné Mme [K] à payer au Crédit agricole une somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné Mme [K] aux entiers dépens, comprenant les frais de prise d’hypothèque judiciaire provisoire.
Mme [K] a relevé appel de cette décision le 5 octobre 2022, pour demander à la cour de l’infirmer et de :
juger que son engagement de caution est disproportionné et que le Crédit agricole ne peut pas s’en prévaloir,
débouter le Crédit agricole de ses demandes,
ordonner le versement au profit de Mme [K] de la somme de 82 291,53 euros séquestrée en l’étude du notaire [C], ou, si la somme a déjà été versée au Crédit agricole, condamner celui-ci au paiement de cette somme, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2022,
condamner le Crédit agricole au paiement d’une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entier dépens, en ce compris les frais d’hypothèque provisoire, de séquestre et de mainlevée.
Le Crédit agricole conclut quant à lui à la confirmation de la décision attaquée, et sollicite en outre la condamnation de Mme [K] au paiement d’une indemnité de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour Mme [K] le 9 mai 2023 et pour le Crédit agricole le 9 mai 2023, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 25 mai 2023.
EXPOSÉ DES MOTIFS
En cause d’appel, le caractère exécutoire de l’acte de cautionnement authentique n’est plus discuté, seule la disproportion de l’engagement aux biens et revenus de la caution l’étant.
À cet égard, il résulte de l’article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 15 septembre 2021, qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution ne lui permette de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée.
Mme [K] soutient que son engagement de caution, consenti le 7 mars 2009 pour un montant de 197 600 euros, serait manifestement disproportionné à ses biens et revenus de l’époque, dès lors qu’elle n’était alors propriétaire que d’un bien immobilier sis à [Localité 5], acquis en 2004 au prix de 104 310 euros au moyen d’un prêt immobilier dont le capital restant dû en 2009 était encore de 75 200 euros et vendu en 2016 au prix de 110 000 euros, et qu’ayant cessé son activité commerciale précédente le 31 décembre 2008 et ne percevant pas encore les revenus espérés du fonds de commerce acquis au moyen du prêt garanti par son cautionnement, elle était sans revenus autres que des revenus fonciers de 7 740 euros par an, ainsi que les allocations familiales de 1 440 euros par an.
Le Crédit agricole, qui produit une fiche de déclaration de revenus et de patrimoine, fait quant à lui valoir que Mme [K] avait bénéficié en 2008 d’un revenu annuel de 33 273 euros, outre 7 932 euros de revenus fonciers, qu’elle expose elle-même avoir tiré de la vente de son précédent fonds de commerce un prix de 330 000 euros, et qu’elle avait au demeurant une situation financière suffisamment solide pour acquérir en 2011 un autre bien immobilier à Wimerieux, sur lequel a été inscrite l’hypothèque dont la mainlevée est sollicitée.
Comme le souligne Mme [K], la proportionnalité de l’engagement de caution aux biens et revenus de cette dernière doit s’apprécier au jour de cet engagement, sans qu’il puisse être tenu compte des revenus escomptés de l’opération garantie.
Il ne peut donc être tenu compte, ni des revenus de l’exploitation du précédent fonds de commerce encaissés au cours de l’année 2008, ni de ceux, futurs, que l’exploitation du nouveau fonds de commerce acquis au moyen du prêt garanti par le cautionnement de Mme [K] a procurés à cette dernière, ni de la valeur patrimoniale d’un second bien immobilier acquis postérieurement à l’engagement de caution de 2009.
Il résulte par ailleurs de la fiche de renseignements du 4 février 2009, dont la banque n’avait pas, sauf anomalie apparente, à vérifier l’exactitude, que les revenus de Mme [K] se limitaient, début 2009, à des revenus fonciers et des prestations familiales d’un montant annuel total de 9 180 euros, soit 765 euros par mois, et que le seul bien immobilier figurant à son actif patrimonial était l’immeuble de [Localité 5] évalué à 140 000 euros, soit, eu égard au fait qu’il a été financé au moyen d’un prêt dont le capital restant dû était en mars 2009 de 75 200 euros, une valeur nette de 64 800 euros.
Cependant, Mme [K] expose aussi dans ses écritures d’appel a voir vendu le fonds de commerce qu’elle a exploité jusqu’en 2008 moyennant un prix de 330 000 euros et qu’après remboursement du solde d’un prêt antérieurement souscrit pour financer son acquisition et acquittement de la taxe sur les plus-values, elle a investi le reliquat dans la société d’exploitation de son nouveau fonds de commerce, à due concurrence de 10 000 euros au titre de la souscription du capital social et de 222 000 euros au titre d’un apport personnel destiné à solder le prix d’acquisition du fonds de commerce de 900 000 euros, outre les frais de la vente de 82 200 euros, partiellement financé à hauteur de 760 000 euros par le prêt cautionné.
Ainsi, elle détenait, au moment de son engagement de caution, soit une épargne de 232 000 euros, soit une créance de même montant sur la société [K], qui figurait donc dans son actif patrimonial et doit par conséquent être prise en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement de caution.
Dès lors, cet engagement, consenti dans la limite de 197 600 euros, n’est pas manifestement disproportionné à la situation patrimoniale nette de Mme [K], de 296 800 euros (64 800 + 232 000).
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en tous points, notamment en ce qu’il a rejeté les demandes de mainlevée de l’inscription d’hypothèque provisoire et du séquestre du prix de vente du bien immobilier hypothéqué.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge du Crédit agricole l’intégralité des frais exposés par lui à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 20 septembre 2022 par le juge de l’exécution de Lorient en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [D] [K] à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [D] [K] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT