Saisine du juge de l’exécution : 7 juillet 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/05633

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Saisine du juge de l’exécution : 7 juillet 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/05633

2ème Chambre

ARRÊT N°369

N° RG 22/05633

N° Portalis DBVL-V-B7G-TEEH

M. [B] [P]

Mme [E] [O] épouse [P]

C/

S.A.S. [9]

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me BOURGES

– Me TESSIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 07 JUILLET 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 01 Juin 2023

devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Juillet 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [B] [P]

né le 03 Avril 1946 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Madame [E] [O] épouse [P]

née le 30 Juillet 1946 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Tous représentés par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A.S. [9]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Sur les poursuites de la société [6], venant aux droits du [5], le juge de l’exécution de Vannes a, par jugement du 22 juin 2021, ordonné la vente forcée de l’immeuble propriété de M. [B] [P] et Mme [E] [O] (les époux [P]) situé [Adresse 1] à [Localité 4] (56).

Suivant jugement du juge de l’exécution du 19 octobre suivant, la société [9] (la société [9]) a été déclarée adjudicataire de cet immeuble moyennant le prix de 432 000 euros, hors frais.

Poursuivant l’exécution de cette décision, la société [9] a fait délivrer le 24 mars 2022, aux époux [P] un commandement de quitter les lieux au plus tard le 24 mai 2022.

Par courrier reçu le 23 mai 2022, les époux [P] ont saisi le juge de l’exécution de Vannes, aux fins de contester la validité du commandement, et, subsidiairement, de solliciter un sursis à expulsion.

Après avoir relevé que les demandeurs n’étaient ni présents ni représentés à l’audience, et estimant que la contestation du commandement ne pouvait être présentée que par voie d’assignation, le juge de l’exécution a, par jugement du 8 juillet 2022 statuant au fond sur la demande du défendeur comparant pour solliciter le débouté des prétentions adverses :

déclaré les époux [P] irrecevables en leur contestation du commandement de quitter les lieux à eux délivré le 24 mars 2022 à la demande de la société [9],

rejeté la demande de sursis à expulsion des époux [P],

dit que les frais et dépens seront supportés par les parties qui les ont exposés.

Les époux [P] ont relevé appel de ce jugement le 21 septembre 2022.

Bien qu’ayant été expulés de l’immeuble saisi selon procès-verbal du 31 octobre 2022, ils ont maintenu leur recours, pour demander à la cour de :

annuler ou, en tous cas, infirmer le jugement attaqué,

déclarer les époux [P] recevables en leur contestation du commandement de quitter les lieux,

prononcer la nullité du commandement de quitter les lieux du 24 mars 2022,

débouter en conséquence la société [9] de sa demande d’expulsion,

annuler le procès-verbal d’expulsion délivré le 31 octobre 2022,

ordonner la restitution du bien immobilier dans l’état où il se trouvait avant le 31 octobre 2022,

condamner la société [9] au paiement d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en considération de la nullité du commandement de quitter les lieux,

condamner la société [9] au paiement d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur expulsion abusive,

ordonner à la société [9] de libérer la maison afin de permettre leur réintégration ainsi que de l’ensemble de leurs meubles,

condamner la société [9] au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La société [9] conclut quant à elle à la confirmation du jugement attaqué.

Elle demande en conséquence à la cour de :

déclarer irrecevable l’action en contestation du commandement des époux [P],

déclarer irrecevable la prétention nouvelle des époux [P] au titre des dommages-intérêts,

rejeter la demande de nullité du commandement de quitter les lieux, et de restitution du bien immobilier,

rejeter la demande de réintégration des époux [P] et de leurs meubles,

rejeter la demande de dommages-intérêts et de délais,

condamner solidairement les époux [P] au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, il sera fait référence aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour les époux [P] le 5 mai 2023 et pour la société [9] le 12 avril 2023, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 11 mai 2023.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur l’annulation du jugement

Au soutien de leur demande d’annulation du jugement pour violation du principe de la contradiction, les époux [P] font grief au juge de l’exécution de les avoir déclarés irrecevables en leur contestation du commandement de quitter les lieux à eux délivrés le 24 mars 2022 au motif soulevé d’office que la demande ne pouvait être formée que par voie d’assignation, sans rouvrir les débats afin de leur permettre de s’expliquer sur ce moyen.

Cependant, il est de principe que nul ne peut se prévaloir d’une absence de contradiction exclusivement imputable à sa propre carence.

Or, bien que demandeurs à la contestation du commandement et au sursis à expulsion, les époux [P] étaient défaillants à l’audience du juge de l’exécution qui, conformément à l’article 468 du code de procédure civile, a été requis de statuer sur le fond par la société [9] comparante.

C’est donc sans enfreindre l’article 16 du code de procédure civile que le juge de l’exécution, tenu de soulever d’office des fins de non-recevoir d’ordre public, a déclaré la demande irrecevable pour ne pas avoir été introduite dans la forme prescrite par la loi de l’assignation.

En effet, si, comme la cour va l’observer ci-après, la décision d’irrecevabilité était affectée d’une erreur de droit, une telle erreur ne justifie pas l’annulation du jugement, mais seulement sa réformation.

Sur la recevabilité de la demande d’annulation du commandement de quitter les lieux

À cet égard, au soutien de leur demande d’infirmation de la décision attaquée, les époux [P] font valoir qu’aux termes de l’article R. 442-2 du code des procédures civiles d’exécution, la demande relative à l’exécution d’une décision de justice ordonnant l’expulsion peut être formée au greffe du juge de l’exécution par lettre recommandée avec avis de réception ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction, de sorte que leur demande de contestation du commandement de quitter les lieux et de sursis à expulsion formée par lettre recommandée du 19 mai 2022 au greffe de la juridiction serait recevable.

Il est exact que, par dérogation aux dispositions de l’article R. 121-11 du code des procédures civiles d’exécution, les difficultés d’exécution des décisions d’expulsion peuvent être soumises au juge de l’exécution par lettre recommandée avec avis de réception ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction.

Contrairement à ce qu’a décidé le juge de l’exécution, ce mode de saisine dérogatoire prévue au livre quatrième du code des procédures civiles d’exécution relatif à l’expulsion et au titre quatrième de ce livre relatif aux difficultés d’exécution de l’expulsion ne concerne pas seulement, au regard de la généralité de la formulation de l’article R. 442-2 visant toute demande relative à l’exécution d’une décision de justice ordonnant l’expulsion, les demandes de sursis à expulsion, mais l’ensemble des contestations susceptibles de s’élever à l’occasion d’une procédure d’expulsion décrite dans ce livre, en ce compris celles touchant à la régularité du commandement d’avoir à libérer des lieux prévu par l’article R. 411-1 inséré dans ce livre.

La demande d’annulation du commandement de quitter les lieux du 24 mars 2022 est donc recevable, le jugement attaqué étant par conséquent réformé sur ce point.

La société [9] soutient par ailleurs que, même si le juge de l’exécution pouvait être saisi par lettre recommandée, le courrier de saisine serait néanmoins irrecevable comme ne comportant pas les mentions obligatoires prévues par les articles 54 et 57 du code de procédure civile relatives aux demandes en justice, ni les date, lieu de naissance, nationalité et profession des demandeurs n’étant indiqués, ni les pièces sur lesquelles la demande est fondée n’étant listées.

Cependant, il résulte de l’article R. 442-3 du code des procédures civiles d’exécution que c’est à peine de nullité, et non d’irrecevabilité, que la demande présentée en application de l’article R. 442-2 contient ces mentions.

Or, aux termes de l’article 74 du code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond, ce que n’a pas fait la société [9] qui a comparu devant le juge de l’exécution et requis un jugement au fond sans soulever la nullité de l’acte de saisine.

Sur la contestation du commandement de quitter les lieux

Les époux [P] contestent la régularité du commandement de quitter les lieux qui leur a été délivré le 24 mars 2022 par la société [9], au motif que sa qualité de propriétaire des locaux ne leur serait pas opposable puisque le jugement d’adjudication n’était pas régulièrement publié à cette date et que le prix de vente n’avait pas été versé par l’adjudicataire.

À cet égard, il résulte de l’article L. 321-5 du code des procédures civiles d’exécution que la saisie immobilière est opposable aux tiers à partir de sa publication au fichier immobilier, de l’article R. 322-63 que le titre de vente est publié au fichier immobilier selon les règles prévues pour les ventes judiciaires à la requête de l’acquéreur ou, à défaut, du créancier poursuivant la distribution, de l’article R. 322-56 que le versement au séquestre ou la consignation auprès de la Caisse des dépôts et consignations du prix auquel est tenu l’adjudicataire doit être opéré dans un délai de deux mois à compter de la date d’adjudication définitive à peine de réitération des enchères, et de l’article L. 322-12 qu’à défaut de versement du prix ou de sa consignation et de paiement des frais, la vente est résolue de plein droit.

Cependant, la société [9] justifie avoir, selon certificat de consignation du 24 novembre 2021, réglé immédiatement à la CARPA le prix d’adjudication, outre les frais taxés et émoluments.

D’autre part, si le jugement d’adjudication n’a été publié que le 24 août 2022, la société [9] fait pertinemment valoir que les époux [P] ne sont pas des tiers à la procédure de saisie immobilière.

Or, le jugement d’adjudication du 19 octobre 2021, auquel ils sont parties, emporte vente forcée du bien saisi et en transmet la propriété à l’adjudicataire, les saisis étant dès lors tenus, à l’égard de l’adjudicataire, à la délivrance du bien et perdant, de jurisprudence établie, tout droit d’occupation dès le prononcé du jugement d’adjudication.

En effet, aux termes de l’article L. 322-10 du code des procédures civiles d’exécution, l’adjudication emporte vente forcée du bien saisi et en transmet la propriété à l’adjudicataire, le saisi étant tenu à la délivrance du bien et à la garantie d’éviction à l’égard de l’adjudicataire.

Il s’en évince que la société [9] avait bien la qualité de propriétaire de l’immeuble qui lui a été adjugé lorsqu’elle a fait délivrer aux époux [P], qui se maintenaient dans les lieux sans droits ni titres, un commandement de les quitter.

Cet acte a par conséquent été régulièrement délivré.

Prétendant par ailleurs avoir subi un important préjudice moral, de santé et financier lié aux poursuites exercées à leur égard alors que la société [9] n’avait pas qualité pour le faire, les époux [P] réclament, en application de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, le paiement d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant, selon eux, de la nullité du commandement.

La société [9] soutient que cette prétention serait irrecevable comme nouvelle en cause d’appel, mais, aux termes de l’article 566 du code de procédure civile, les demandes nouvelles sont recevables lorsqu’elles constituent l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la demande initiale, ce qui est le cas d’une demande de dommages-intérêts pour abus de poursuites, conséquence ou complément de la demande initiale d’annulation du commandement de quitter les lieux.

Cependant, le rejet de la contestation de la régularité du commandement prive cette demande, qui en procédait exclusivement, de tout fondement, et sera par conséquent rejetée.

Sur la contestation de l’expulsion

L’expulsion des époux [P] ayant été effectuée au cours de la procédure d’appel selon procès-verbal du 31 octobre 2022, ces derniers ne sollicitent plus l’octroi de délai pour quitter les lieux, demande devenue sans objet.

En revanche, ils sollicitent l’annulation du procès-verbal d’expulsion, leur réintégration dans l’immeuble vendu avec l’ensemble de leurs biens mobiliers et l’octroi de dommages-intérêts pour expulsion abusive.

Cependant, ils ont, à la suite de cette expulsion, à nouveau saisi le juge de l’exécution de Vannes qui, par jugement du 14 mars 2023, a rejeté leur contestation de la régularité du procès-verbal d’expulsion du 31 octobre 2022 et leurs demandes de réintégration et d’allocation de dommages-intérêts, après avoir relevé que les opérations d’expulsion avaient été à bon droit poursuivies en vertu du jugement précédent du 8 juillet 2022 qui, en dépit de l’appel, avait rejeté avec exécution provisoire la contestation du commandement de quitter les lieux et leur demande de sursis à expulsion, et qu’aucune faute ne pouvait être établie à l’égard de la société [9].

Cette décision, rendue entre les mêmes parties sur les mêmes demandes d’annulation du procès-verbal de d’expulsion, de réintégration et de paiement de dommages-intérêts fondées sur la même cause procédant de prétendues irrégularités de la procédure d’expulsion, a autorité de chose jugée et rend les demandes formées corrélativement devant la cour irrecevables.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société [9] l’intégralité des frais exposés par elle à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera allouée une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Dit n’y avoir lieu à annulation du jugement rendu le 8 juillet 2022 par le juge de l’exécution de Vannes ;

Déclare irrecevable l’exception de nullité de l’acte de saisine du juge de l’exécution ;

Infirme le jugement attaqué en ce qu’il a déclaré la contestation du commandement de quitter les lieux irrecevable ;

Déclare la demande d’annulation du commandement de quitter les lieux recevable et non fondée, et en déboute M. et Mme [P] ;

Déclare la demande de M. et Mme [P] en paiement de dommages-intérêts fondée sur la nullité du commandement de quitter les lieux recevable mais non fondée, et les en déboute ; 

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Déclare les demandes en annulation du procès-verbal d’expulsion du 31 octobre 2022, en réintégration dans l’immeuble saisi et en paiement de dommages-intérêts fondées sur l’expulsion abusive irrecevables ;

Condamne in solidum M. et Mme [P] à payer à la société [9] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. et Mme [P] aux dépens d’appel ;

Accorde le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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