COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 06 JUILLET 2023
N° 2023/ 492
Rôle N° RG 22/07079 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJNCC
[L] [V]
[W] [V]
C/
SCI ROYLUX
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Thimothée JOLY
Me Sébastien BADIE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de NICE en date du 10 mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n°22/575 .
APPELANTS
Monsieur [L] [V]
né le 30 décembre 1961 à [Localité 5], demeurant [Adresse 2] – [Localité 1]
Madame [W] [V]
née le 14 décembre 1963 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2] – [Localité 1]
représentés par Me Thimothée JOLY de la SCP CABINET PIETRA & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
et assistés de Me Cyril SABATIE, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
SCI ROYLUX
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 3]
représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me David TICHADOU, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 30 mai 2023 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur
Madame Myriam GINOUX, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2023,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Au sein de la copropriété dénommée Royal Luxembourg située [Adresse 3], M. [L] [V] et Mme [W] [V] sont propriétaires indivis d’un appartement situé au 3ème étage (lot n° 216) et d’un parking (lot n° 161), le studio (lot n° 341) et la cave (lot n° 58) dont ils étaient également propriétaires ayant été vendus le 4 novembre 2022.
Mme [W] [V] est également propriétaire en propre d’un studio (lot n° 326), d’un appartement situé au 3ème étage (lot n° 137) et d’une cave (lot n° 124).
La société civile immobilière (SCI) Roylux, représentée par M. [U] [H], est propriétaire d’un appartement (lot n° 421), d’une cave (lot n° 154) et d’un parking (lot n° 176).
Se plaignant d’un trouble manifestement illicite causé par les époux [V] tenant à la location meublée touristique de courte durée de leurs biens, la société Roylux les a fait assigner, par acte d’huissier en date du 17 septembre 2021, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice aux fins de les enjoindre, sous astreinte, à cesser leur activité de location meublée de courte durée et de retirer toutes les annonces figurant sur tout support électronique ou papier dont l’objectif est la promotion de locations meublées au sein de la copropriété.
Par ordonnance en date du 10 mai 2022, ce magistrat a :
– déclaré recevable l’action intentée par la société Roylux ;
– ordonné à M. [L] [V] et Mme [W] [V] de suspendre temporairement l’activité de location meublée de courte durée, concernant leurs lots au sein de la copropriété Royal Luxembourg, pendant une durée de 18 mois à compter de la signification de la décision ;
– ordonné à M. [L] [V] et Mme [W] [V] de retirer et de suspendre temporairement la parution de toutes annonces figurant sur tout support électronique ou papier dont l’objectif est la promotion de locations meublées de courte durée de leurs lots au sein de la copropriété Royal Luxembourg, pendant une durée de 18 mois à compter de la signification de la décision ;
– assorti ces obligations d’une astreinte provisoire de 700 euros par jour et par infraction constatée par huissier de justice, passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision, et pendant une durée de 12 mois, délai au-delà duquel il sera statué sur la liquidation de l’astreinte provisoire et la fixation de l’astreinte définitive devant le juge de l’exécution ;
– débouté M. [L] [V] et Mme [W] [V] de l’ensemble de leurs demandes ;
– condamné in solidum M. [L] [V] et Mme [W] [V] à payer à la société Roylux la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre le coût du procès-verbal d’huissier de Me [E] du 2 août 2021 ;
– condamné in solidum M. [L] [V] et Mme [W] [V] aux dépens de l’instance.
Concernant la recevabilité de l’action de la société Roylux, ce magistrat a estime, d’une part, que la société Roylux, en tant que copropriétaire ayant exercé seul l’action, justifie avoir notifié, par acte d’huissier, l’assignation au syndic, mais également par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 février 2022 et l’avoir informé de la date d’audience du 5 avril 2022, de sorte qu’il justifie avoir respecté les dispositions de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965, et, d’autre part, que la preuve n’est pas rapportée qu’elle avait connaissance d’une infraction au règlement de copropriété avant le délai de prescription quinquennale des articles 2224 du code civil et 42 de la loi du 10 juillet 1965, tel que modifiés par la loi Elan qui est entrée en vigueur le 25 novembre 2018, de sorte que son action n’est manifestement pas prescrite.
Concernant le fond du litige, il a considéré que si la question de l’interdiction de l’activité de locations meublées touristiques excède les pouvoirs du juge des référés dès lors que cela suppose d’interpréter les clauses du règlement de copropriété, de sorte qu’il n’est pas possible de retenir un trouble manifestement illicite de ce chef, il en va différemment du trouble manifestement illicite tiré du trouble anormal de voisinage causé par les époux [V] par le fait même de procéder à des locations de courtes durées à des fins touristiques dès lors que le règlement de copropriété, dans un article 95, interdit toute occupation gênante pour les autres copropriétaires, a l’instar de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965. Sur ce point, il estime que les pièces versées aux débats démontrent la réalité des désordres dénoncés troublant gravement la tranquillité des occupants et leur sécurité ainsi que la persistance et la fréquence de ces nuisances, toutes engendrées par la location des lots litigieux, tels que ceux des défendeurs notamment, ce qui excède les inconvénients normaux de voisinage. Il précise limiter dans le temps l’interdiction prononcée pour respecter le principe de la proportionnalité.
Suivant déclaration transmise au greffe le 16 mai 2022, les époux [V] ont interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions dûment reprises.
Aux termes de leurs dernières écritures transmises le 3 mai 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exploisé plus ample des prétentions et moyens, ils sollicitent de la cour qu’elle réforme l’ordonnance entreprise et statuant à nouveau qu’elle :
à titre liminaire,
-confirme l’ordonnance, dans sa motivation, en ce qu’elle s’est déclaré incompétente pour apprécier la conformité de l’activité de la location meublée touristique avec les dispositions du règlement de copropriété ;
sur la forme, à titre principal,
* prononce l’irrecevabilité des demandes présentées par la société Roylux faute pour elle de justifier d’en avoir informé le syndic en application de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 ;
* prononce l’irrecevabilité des demandes présentées par la société Roylux en raison de la prescription dont elles sont atteintes ;
sur la forme, à titre subsidiaire,
– se déclare incompétent ;
– déboute la société Roylux de ses demandes en l’état de contestations sérieuses portant sur l’action introduite et la renvoie à mieux se pouvoir ;
sur le fond,
– déboute la société Roylux de ses demandes ;
– se déclare incompétent pour statuer sur l’ensemble des demandes formulées par la société Roylux ;
– renvoie la société Roylux à mieux se pourvoir ;
en tout état de cause,
– la condamne à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamne aux dépens de première instance et d’appel.
A titre liminaire, ils exposent que le tribunal judiciaire de Nice, après que la société Roylux a été autorisée à les assigner à jour fixe, a rendu un jugement le 3 mars 2023 aux termes duquel il a débouté la société Roylux de l’ensemble de ses demandes en estimant, d’une part, que l’activité de location de courte durée d’un studio meublé dans l’immeuble Royal Luxembourg par Mme [V] n’est pas une activité commerciale par nature, de sorte qu’elle est conforme au règlement de copropriété qui l’autorise expressément ainsi qu’à la destination de l’immeuble, telle que définie aux actes et résulte de ses caractères et de sa situation et, d’autre part, qu’il n’est pas démontré que les locataires de Mme [V] sont à l’origine ou ont contribué à l’existente des troubles anormaux de voisinage qui se sont poursuivis après l’interdiction qui lui a été faite de louer ses lots en location meublée de courte durée, de même qu’il n’est pas établi que la location de son lot ait contribué aux incivilités constatées, de sorte que cette activité ne saurait être interdite, à elle seule, sur le fondement du trouble anormal de voisinage en l’absence de tout lien de causalité démontré. Ils insistent sur le fait que la décision du 3 mars 2023 est revêtue de plein droit de l’exécution provisoire, nonobstant l’appel interjeté par la société Roylux.
Concernant la recevabilité de l’action de la société Roylux, ils soutiennent en premier lieu que les dispositions de l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 n’ont pas été respectées en ce que, dès lors que l’action exercée à titre individuel par la société Roylux tend à la cessation d’une atteinte et à la remise en état des parties communes, elle met en jeu des intérêts collectifs, de sorte que la société Roylux aurait dû, sous peine d’irrecevabilité de sa demande, appeler le syndicat dans la cause. Elle estime que le seul fait d’avoir dénoncé l’assignation au syndic n’est pas suffisant.
En second lieu, ils se prévalent de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 pour soutenir que l’action de la société Roylux est prescrite, dès lors qu’elle a attendu l’expiration du délai de 5 ans pour agir, sachant qu’elle avait connaissance que les locations qu’elle dénonce étaient réalisées depuis plus de 5 ans, comme le démontrent les courriers adressés par les syndics à l’ensemble des copropriétaires. En tout état de cause, elle considère que la question de savoir si l’entrée en vigueur de la loi Elan du 23 novembre 2018 a fait courir un nouveau délai de prescription pour les locations déjà en cours outrepasse les pouvoirs du juge des référés, outre le fait que la prescription était acquise lors de l’entrée en vigueur de cette location, dès lors que les locations existent depuis les années 1980 et, à tout le moins, depuis le 7 janvier 2013, soit 5 ans révolus avant l’entrée en vigueur de la loi Elan.
Sur le fond, ils démentent être à l’origine d’un trouble manifestement illicite. En premier lieu, ils affirment, que pour déterminer la conformité de leur activité de location touristique meublée avec la destination de l’immeuble et les restrictions aux droits des copropriétaires, il y a lieu d’interpréter les clauses du règlement de copropriété, ce qui excède les pouvoirs du juge des référés. Ils soulignent que la destination de l’immeuble figurant dans les règlements de copropriété est interprétée de manière large de manière à permettre aux copropriétaires de modifier l’affectation de leurs parties privatives dès lors qu’ils respectent les dispositions de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965, de sorte qu’un changement d’affectation conforme aux stipulations d’un règlement de copropriété n’a pas besoin d’autorisation préalable de l’assemblée générale. Ils relèvent que tel est le cas de l’immeuble le Royal Luxembourg qui est à destination mixte commercial et d’habitation à tous les étages, tel que cela ressort de l’article 43 du règlement et des actes déposés par le constructeur de l’immeuble avant même la rédaction du règlement de copropriété, et non à destination exclusivement bourgeoise, comme le soutient la société Roylux. Ils font observer qu’il existe déjà 55 lots (11 par étage) intitulé ‘studios de vacances’ et ‘chambres de vacances ‘ réservés à un usage touristique. Ils indiquent que le règlement de copropriété interdit la transformation des appartements en chambres meublées destinées à être louées à des personnes distinctes mais pas la location d’appartements meublés. Quoiqu’il en soit, ils relèvent que les moyens développés par chacune des parties démontrent qu’il y a lieu, pour se prononcer, de se livrer à l’interprétation des clauses du règlement de copropriété, ce qui relève de la juridiction du fond.
En second lieu, ils affirment que la société Roylux ne démontre aucunement l’existence de troubles anormaux de voisinage en lien avec l’activité qu’ils exercent au sein de leurs lots. Ils soulignent que 49 appartements sont actuellement utilisés à destination de locations meublées touristiques et que, malgré cela, ils sont les seuls à avoir été assignés, faisant observer que le syndicat des copropriétaire lui-même n’a pas initié de procédure, ni même soutenu la société Roylux dans son action. Ils indiquent que, la plupart du temps, les infractions constatées résultent de personnes étrangères à la copropriété ayant réussi à pénetrer dans l’immeuble, tel que l’atteste le gardien de l’immeuble, dont ils sont eux-mêmes victimes. Ils soutiennent que la preuve d’un lien de causalité entre les évènements dénoncés et la location de leurs appartements n’est aucunement établie. Enfin, ils indiquent que la mesure qui a été prononcée est excessive et disproportionnée sachant que d’autres copropriétaires louent également leurs lots à des fins touristiques.
Aux termes de leurs dernières écritures transmises le 12 mai 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exploisé plus ample des prétentions et moyens, la société Roylux demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance entreprise ;
– condamner in solidum les époux [V] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner in solidum les époux [V] aux entiers dépens, dont le coût du procès-verbal de constat dressé par Me Pascale Azema.
A titre liminaire, elle critique le jugement rendu le 3 mars 2023 dont elle a interjeté appel en faisant valoir que l’immeuble Royal Luxembourg est un immeuble de très haut standing qui n’est pas destiné à une résidence de tourisme, que le règlement de copropriété n’autorise pas expressément l’activité de location meublée de courte durée à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, que les époux [V] sont des professionnels de l’hébergement touristique, que l’appartement qu’ils exploitent ne figure pas parmi les studios de vacances mentionnés dans le règlement de copropriété et que leur activité engendre d’importantes nuisances, principalement durant l’été. Par ailleurs, elle expose que, malgré l’astreinte prononcée par le premier juge, les époux [V] ne respectent pas les condamnations dès lors qu’ils ont continué à publier des annonces pour louer leurs lots au cours de l’été 2022 et par la suite.
Concernant la recevabilité de son action, elle expose en premier lieu avoir respecté les dispositions des articles 15 de la loi du 10 juillet 1965 et 51 du décret du 17 mars 1967 en ce qu’elle n’a pas eu d’autres choix que d’initier l’action en raison de l’inaction du syndic par peur d’être évincé, que l’activité de location meublée touristique exercée dans l’immeuble porte atteinte à la tranquillité des copropriétaires, y compris la sienne, que la formalité de l’article 51 susvisé n’est pas prévue à peine d’irrecevabilité de l’action et qu’elle a informé le syndic de la procédure à plusieurs reprises.
En second lieu, elle indique que son action n’est pas prescrite. Elle relève qu’en matière d’action personnelle entre copropriétaires, le délai de prescription est passé de 10 à 5 ans avec la loi Elan modifiant l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 entrée en vigueur le 25 novembre 2018. En considérant que les appelants ont débuté leur activité le 7 janvier 2013, elle relève, qu’à la date de l’entrée en vigueur de la loi Elan, la prescription de 10 ans n’était pas encore acquise. Elle indique avoir bien introduit l’action dans les 5 ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi Elan, en ce que la durée totale n’excèdait pas la durée de 10 ans prévue par la loi antérieure. Elle souligne que le moyen tiré de la prescription a été écarté par la judiction du fond. Dans tous les cas, elle affirme que le délai de prescription n’a jamais commencé à courir dès lors qu’elle ne savait pas, avant d’initier son action, que les appelants avaient changé la destination de leurs lots, ces derniers n’ayant jamais informé le syndic que leurs biens faisant l’objet de locations meublées de courte durée.
Sur le fond, elle affirme, en premier lieu, que l’activité de location en meublé touristique pratiquée par les appelants n’est pas autorisée par le règlement de copropriété. Elle se prévaut des articles L 631-7 et L 651-2 du code de la construction et de l’habitation et L 324-1-1 du code du tourisme pour soutenir que l’activité exercée constitue une activité commerciale par nature nécessitant un changement d’usage lorsque le règlement de copropriété contient une clause d’habitation bourgeoise. Elle expose que les articles 9 et 10 (page 95) du règlement de copropriété sont sans équivoque et ne nécessitent aucune interprétention. Elle affirme qu’il en résulte que l’immeuble entier est à usage d’habitation et les appartements situés dans les étages ne pourront qu’être occupés bourgeoisement, sachant que l’activité commerciale est proscrite à l’exception des locaux précisément définis, à savoir les boutiques situées au rez-de-chaussée et les locaux situés au 1er étage sur la circulation commerciale. Elle soutient que ce n’est pas parce qu’il est possible d’exercer une activité commerciale dans certains locaux que cela autorise les copropriétaires à exercer une activité commerciale dans le reste de l’immeuble. Elle relève que, si le règlement de copropriété (article 10) stipule que la location en meublée d’appartements entier est autorisée, il s’agit d’une disposition d’ordre général s’appliquant à des baux classiques, qui ne heurte pas l’interdiction susvisée concernant l’exploitation d’une activité commerciale. Elle souligne que si le règlement de copropriété désigne certains lots comme étant des chambres ou studios de vacances, lesquels sont tous situés à l’arrière du bâtiment, à l’inverse des lots appartenant aux appelants, cela n’autorise aucunement l’exploitation d’appartements à des fins commerciales en vertu de la clause bourgeoise figurant dans le règlement de copropriété. Elle indique également que les documents qui datent d’avant le règlement de copropriété ne sont pas probants dès lors que l’immeuble était destiné à un hôtel de luxe qui n’a jamais vu le jour. Elle insiste sur le fait que, contrairement à d’autres copropriétaires qui résident sur place et qui louent leur résidence principale durant quelques semaines de l’année, les appelants sont des professionnels de l’hébergement touristique et n’ont jamais sollicité un changement d’usage de leurs lots auprès de l’assemblée générale des copropriétaires.
En second lieu, elle expose que l’activité de location en meublé touristique génère, en elle-même, des nuisances constitutives d’un trouble manifestement illicite comme étant exercée en violation de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 et de l’article 10 du règlement de copropriété. Elle considère donc qu’il est tout à fait possible d’ordonner l’interdiction de l’exercice d’une activité constitutive d’un trouble manifestement illicite dans l’immeuble sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve que chaque nuisance est le fait des locataires des appelants. Elle réaffirme que l’exercice de l’activité de location meublée de courte durée constitue un trouble manifestement illicite dès lors que cette activité est contraire à la clause d’habitation bourgeoise du règlement de copropriété. Elle dénonce des allées et venues de locataires saisonniers, à toute heure du jour et même tard dans la nuit, diverses nuisances, surtout entre mai et octobre, des soirées sauvages, des dégradations, des cambriolages et des intrusions, de telle sorte que la coproriété a dû engager des agents de sécurité durant l’été 2020 et 2021. Elle expose qu’il n’est pas établi que d’autres personnes dans l’immeuble exploitent leurs biens à des fins commerciales en qualité de professionnel de l’hébergement touristique, qu’il est matériellement impossible d’attribuer systématiquement telle ou telle nuisance au locataire saisonnier de tel ou tel copropriétaire et que c’est l’exercice de l’activité qui génère des nuisances constitutives d’un trouble manifestement illicite.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 16 mai 2023.
Par soit-transmis en date du 2 juin 2023, la cour indique aux parties qu’elle entend soulever d’office l’irrecevabilité des demandes de la société Roylux de voir ordonner des mesures afin de faire cesser le trouble manifestement illicite allégué du fait de M. et Mme [V], et de la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par ces derniers, au regard de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement, en date du 3 mars 2023, du tribunal judiciaire de Nice, en application des dispositions des articles 122, 125 alinéa 2 et 488 du code de procédure civile ainsi que d’une jurisprudence (Cour de cassation, 2e chambre civile, 10 mars 2005-n° 02-20.513) aux termes de laquelle le juge des référés ne peut méconnaître l’autorité de la chose jugée par le juge du fond, même si le jugement au fond, non assorti de l’exécution provisoire, est frappé d’appel, de sorte qu’une cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé, ne peut méconnaître ce qui a été précédemment jugé par une juridiction du fond. Il a été imparti aux parties un délai expirant le lundi 12 juin 2023 minuit afin de leur permettre d’adresser à la cour leurs éventuelles observations sur ce point précis par une note en délibéré (articles 444 et 445 du code de procédure civile).
Par une note en délibéré transmise le 12 juin 2023, la société Roylux indique que, s’agissant de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, il n’y a aucune méconnaissance, par la cour, de ce qui a été jugé par le juge du fond étant donné que ce dernier a adopté la même position que celle retenue par le juge des référés. S’agissant du trouble manifestement illicite allégué, elle expose que le juge des référés a condamné les époux [V] au motif que ces derniers exercent dans l’immeuble une activité qui génère d’importantes nuisances constitutives d’un trouble manifestement illicite tandis que le juge du fond a estimé que la preuve n’était pas rapportée de troubles directement imputables aux locataires des époux [V]. Elle estime que la cour ne peut méconnaître le jugement au fond rendu le 3 mars 2023 que si elle considère que le critère d’imputabilité des nuisances est un élément essentiel et déterminant pour elle pour statuer sur ses demandes.
Par une note en délibéré transmise le 14 juin 2023, les époux [V], qui rappellent que la procédure au fond a été initiée par la société Roylux, et ce, alors même que la présente procédure était en cours, indiquent que l’autorité de chose attachée à un jugement de première instance rendu sur le fond doit effectivement primer sur l’ordonnance de référé. Ils déclarent que les deux procédures portent bien sur la même demande, la même cause et les mêmes parties et que toute décision contraire rendue par la cour de céans se heurterait nécessairement à l’autorité de la chose jugée au fond. Ils exposent avoir fait appel de l’ordonnance de référé afin de réserver leurs droits les plus légitimes, de sorte qu’ils estiment qu’il serait inéquitable de les laisser supporter les frais irrépétibles qu’ils ont engagés en première instance et en appel.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée
Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article 125 alinéa 2 du même code énonce que le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.
Aux termes de l’article 480 du même code, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche. Le principal s’entend de l’objet du litige tel qu’il est déterminé par l’article 4.
L’article 1355 du code civil énonce que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.
Il est admis que le juge des référés ne peut méconnaître l’autorité de la chose jugée par le juge du fond, même si le jugement au fond, assorti ou non de l’exécution proviosire, est frappé d’appel. Il en résulte qu’une cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé, ne peut méconnaître ce qui a été précédemment jugé par une juridiction du fond.
En l’espèce, il résulte des pièces de la procédure que, postérieurement à l’ordonnance entreprise en date du 10 mai 2022, le tribunal judiciaire de Nice a rendu un jugement en date du 3 mars 2023 revêtu de plein droit de l’exécution provisoire, lequel est frappé d’appel.
Il n’est pas contestable que la décision du juge du fond a été rendue entre les mêmes parties, sur la même cause et sur le même objet que les demandes formulées dans le cadre de la procédure de référé.
En effet, dans le cadre de ces procédures initiées par la société Roylux à l’encontre de M. et Mme [V], il est demandé la condamnation de ces derniers, sous astreinte, à cesser l’activité de location meublée de courte durée au sein de la copropriété Rotal Luxembourg, d’une part, et à retirer toutes les annonces figurant sur tout support électronique ou papier avec pour objet de faire la promotion de locations meublées de courte durée de leurs lots au sein de la même copropriété, d’autre part.
Il appert que les moyens soulevés sont exactement les mêmes, à savoir l’exercice d’une activité en violation du règlement de copropropriété et à l’origine de troubles anormaux de voisinage et, au préalable, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la société Roylux.
Il convient de relever que la fin de non-recevoir soulevée par M. et Mme [V] tirée de la prescription repose sur le même fondement.
En outre, si la société Roylux fonde ses demandes devant le juge des référés sur le trouble manifestement illicite tiré de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, tandis qu’elle se prévaut d’une violation du règlement de copropriété et de troubles excédants les inconvénients normaux de voisinage devant le juge du fond, il n’en demeure pas moins que la seule différence de fondement juridique entre des demandes ayant le même objet est insuffisante à écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée.
Dans ces conditions, les demandes formées par la société Roylux, ainsi que la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. et Mme [V], dans le cadre de la présente procédure se heurtent à l’autorité de la chose jugée du jugement du tribunal judiciaire de Nice en date du 3 mars 2023 et ce, peu important qu’un appel a été interjeté à son encontre par la société Roylux.
En effet, si une décision frappée d’appel ne peut servir de base à une demande en justice tendant à la réalisation des effets qu’elle comporte, elle n’en subsiste pas moins et ne peut être remise en cause tant qu’elle n’a pas été réformée, de telle sorte qu’une juridiction ne peut statuer sur un chef de demande déjà tranché par un jugement dont la connaissance appartient à la juridiction saisie de l’appel contre ce jugement.
Il s’ensuit qu’une décision sur le fond, même frappée d’appel, a autorité de la chose jugée.
En l’état de ces éléments, les demandes formulées par la société Roylux, ainsi que la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. et Mme [V], sont irrecevables en raison de l’autorité de la chose jugée du jugement, en date du 3 mars 2023, du tribunal judiciaire de Nice.
Compte tenu de cette irrecevabilité, il n’y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir de l’action de la société Roylux pour non-respect du formalisme requis par l’article 51 de la loi du 10 juillet 1965 soulevée uniquement dans le cadre de la présente procédure par M. et Mme [V].
Il y a donc lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Etant donné que les demandes principales formées par la société Roylux sont déclarées irrecevables en cause d’appel, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné M. et Mme [V] aux dépens de première instance, à verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge le coût du procès-verbal du 2 août 2021.
L’irrecevabilité s’expliquant par l’autorité de la chose jugée d’une décision de fond qui est intervenue au cours de la procédure d’appel, il y a lieu de condamner les parties à prendre en charge les frais de première instance et d’appel par elle exposés.
Il n’y a donc pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de l’une ou de l’autre des parties, de sorte qu’elles seront déboutées de leurs demandes formulées de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Déclare irrecevables en raison de l’autorité de la chose jugée du jugement, en date du 3 mars 2023, rendu par le tribunal judiciaire de Nice, les demandes formulées par la SCI Roylux ainsi que la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [L] [V] et Mme [W] [V] ;
Dit n’y avoir lieu de statuer sur la fin de non-recevoir de l’action de la SCI Roylux soulevée par M. [L] [V] et Mme [W] [V] pour non-respect du formalisme requis par l’article 51 de la loi du 10 juillet 1965 ;
Déboute la SCI Roylux de sa demande formulée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens ;
Déboute M. [L] [V] et Mme [W] [V] de leur demande formulée sur le même fondement ;
Condamne chacune des parties à prendre en charge les dépens de première instance et d’appel par elle exposés.
La greffère Le président