2ème Chambre
ARRÊT N°221
N° RG 22/03616
N° Portalis DBVL-V-B7G-S2TW
S.C.I. ETOILES DE NUIT
C/
M. [P] [N]
Mme [F] [D] épouse [N]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me ALLAIN
– Me FORE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 05 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 02 Mars 2023
devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 05 Mai 2023, après prorogation, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
S.C.I. ETOILES DE NUIT
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Lucie ALLAIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [P] [N]
né le [Date naissance 5] 1956 à [Localité 7]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Madame [F] [D] épouse [N]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Tous représentés par Me Teddy FORE de la SELARL FORE AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant contrat de bail sous seing privé du 24 mai 1995 annexé le même jour à la minute de l’acte authentique de vente du bien donné en location, la SCI Génération Financière, aux droits de laquelle se trouve la SCI Etoiles de nuit (la SCI), a loué à la société Le California un local à usage de discothèque, ce bail précisant que ‘les personnes constituant le preneur, ses membres et dirigeants s’il s’agit d’une société, seront réputés solidaires vis à vis du bailleur, tant pour le paiement des loyers, que pour l’exécution des conditions des présentes’.
La société Le California a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 1er décembre 1997, son fonds de commerce, incluant le droit au bail, ayant été cédé à la société Le California MLG sur autorisation du juge-commissaire du 2 octobre 1998.
Par arrêt du 15 mai 2002, devenu irrévocable après rejet du pourvoi en cassation du 10 février 2004, la cour d’appel de Rennes a prononcé la résiliation du bail.
Par jugements des 29 mai 2006 et 29 novembre 2006, le tribunal de commerce de Saint-Brieuc a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Le California MLG et le local commercial restitué à la SCI le 12 février 2007.
Par arrêt du 20 avril 2011, la cour d’appel de Rennes a fixé la créance de la bailleresse au passif de la société Le California MLG à la somme de 2 660 850,30 euros.
Corrélativement, par acte du 31 août 2006, la SCI avait saisi le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc d’une action dirigée contre M. [P] [N] et Mme [F] [D] (les époux [N]) afin de rechercher la responsabilité personnelle des gérants de la société Le California MLG pour fautes détachables de leurs mandats sociaux.
Par arrêt du 27 octobre 2015, devenu irrévocable après rejet du pourvoi en cassation du 24 mai 2017, la cour d’appel de Rennes a déclaré cette action irrecevable au motif que le non-paiement des sommes dues en exécution du contrat de bail ne constituait pas un préjudice personnel distinct de celui subi par la collectivité des créanciers que seul le liquidateur a qualité à invoquer
Cependant, le 9 janvier 2017, la SCI a de nouveau fait assigner les époux [N] en paiement de la créance de 2 660 850,30 euros fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Le California MLG sur le fondement de la clause d’indivisibilité du bail.
Par arrêt du 29 septembre 2021, la cour d’appel de Rennes a déclaré cette action irrecevable pour violation du principe de concentration des moyens, le pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt n’ayant pas encore été rejeté au jour des débats portant sur la présente instance.
Néanmoins, dès 2002, la SCI avait corrélativement engagé des poursuites contre les époux [N] en vertu de la clause d’indivisibilité du bail.
Par arrêt du 16 décembre 2004, la cour d’appel de Rennes dit que la SCI disposait d’un titre exécutoire à l’encontre de M. [N] et maintenu la saisie conservatoire pratiquée sur la licence IV pour avoir sûreté d’une créance de 15 000 euros au titre des loyers, indemnités d’occupation impayées et d’une provision sur des travaux de réparation locative.
Puis, par arrêt du 8 mars 2007, cette même cour a validé la saisie-attribution pratiquée sur les comptes bancaires des époux [N], afin d’obtenir paiement d’une créance de 221 352,04 euros au titre d’indemnités d’occupation impayées et d’un indemnité de clause pénale.
Par ailleurs, s’estimant, en vertu des arrêts des 16 décembre 2004, 8 mars 2007 et 20 avril 2011, créancière des époux [N] au titre de la somme de 2 660 850,30 euros fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Le California MLG, la SCI a, selon ordonnance sur requête du 12 août 2021, obtenu l’autorisation du juge de l’exécution de Saint-Brieuc de prendre une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur l’immeuble appartenant à Mme [N] situé [Adresse 6].
D’autre part, elle a, selon seconde ordonnance sur requête du 4 octobre 2021, obtenu l’autorisation du juge de l’exécution de Saint-Brieuc de faire pratiquer sur les comptes bancaires des époux [N] des saisies conservatoires, ce qu’elle a fait pratiquer par acte du 10 novembre 2021 sur le compte bancaire ouvert par Mme [N] auprès du CIC Ouest, cette saisie ayant été dénoncée à Mme [N] le 15 novembre 2021.
Puis, selon procès-verbal du 25 novembre 2021, la SCI a fait procéder à la conversion de cette saisie conservatoire en saisie-attribution, pour obtenir paiement d’une somme de 2 662 259,11 euros, cette saisie ayant été dénoncée à Mme [N] le 2 décembre 2021.
Enfin, la SCI avait fait procéder le 5 janvier 2017 à une inscription du nantissement judiciaire provisoire des parts sociales détenus par les époux [N] dans la SCI Les Arcades, cette mesure ayant été dénoncée le 9 janvier 2017.
Contestant l’ensemble de ces saisies conservatoires et la conversion en saisie-attribution en faisant essentiellement valoir que la bailleresse ne disposait d’aucun principe de créance personnelle à leur égard, les époux [N] ont, par acte du 13 décembre 2021, fait assigner la SCI devant le juge de l’exécution de Saint-Brieuc, afin de constater la prescription de l’action en exécution de l’ensemble des décisions et actes évoqués par la SCI, d’obtenir la nullité de l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution, la mainlevée de l’ensemble des mesures conservatoires, et la condamnation de la SCI au paiement de dommages-intérêts ainsi que d’une amende civile.
Par jugement du 8 juin 2022, le juge de l’exécution a :
déclaré recevables l’action et les demandes des époux [N],
dit que la SCI ne dispose pas d’un titre exécutoire à l’encontre des époux [N] constatant une créance liquide et exigible d’un montant de 2 660 850,30 euros ou de tout autre montant,
déclaré caduque l’ordonnance du juge de l’exécution du 4 octobre 2021 et ordonné la mainlevée des actes de saisie conservatoire du 10 novembre 2021 sur les comptes détenus au CIC et la BPGO par les époux [N] et ce pour l’intégralité des montants saisis,
ordonné l’annulation de l’acte de conversion de saisie conservatoire en saisie-attribution signifié le 2 décembre 2021 sur les comptes des époux [N] ouverts au CIC ou dans toute autre banque ainsi que l’annulation de tous les actes subséquents,
déclaré irrecevable la demande des époux [N] relative à la prescription de l’action en exécution de l’ensemble des décisions et actes évoqués par la SCI,
débouté les époux [N] de leur demande de dommages et intérêts et des demandes associées à celle-ci,
débouté les époux [N] de leur demande relative au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la SCI,
déclaré caduque l’ordonnance du juge de l’exécution du 12 août 2021 et ordonné la radiation de l’hypothèque provisoire prise sur le bien immobilier sis [Adresse 6],
ordonné la radiation de l’inscription du nantissement judiciaire des parts sociales des époux [N] an sein de la SCI Les Arcades de Paimpol du 5 janvier 2017 dénoncée le 9 janvier 2017,
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
débouté la demande de la SCI relative à la somme de 3 000 euros au titre du préjudice de désorganisation,
condamné la SCI à payer aux époux [N] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
La SCI a relevé appel de ce jugement le 10 juin 2022.
Par ordonnance du 13 septembre 2022, le premier président a :
déclaré irrecevables, sur le fondement de l’article R. 121-22 du code des procédures civiles d’exécution, et mal fondées, sur le fondement des dispositions de l’article 524-3 du code de procédure civile, les demandes de sursis à l’exécution de ce jugement et d’arrêt de l’exécution provisoire,
rejeté la demande indemnitaire des époux [N],
condamné la SCI aux dépens et à payer aux époux [N] une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SCI demande à la cour de :
réformer le jugement attaqué, sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande des époux [N] relative à la prescription de l’action en exécution de l’ensemble des décisions et actes évoqués par la SCI, débouté les époux [N] de leur demande de dommages et intérêts et des demandes associées à celle-ci, et débouté les époux [N] de leur demande relative au prononcé d’une amende civile,
déclarer les époux [N] irrecevables en leurs demandes relatives au nantissement des parts sociales des époux [N] et à l’hypothèque prise sur le bien immobilier de Mme [N],
rejeter toutes les demandes des époux [N],
par conséquent, valider le nantissement des parts sociales des biens immobiliers devenus définitifs en date du 3 février 2017,
valider l’hypothèque sur le bien immobilier de Mme [N], sis au [Adresse 6], devenue définitive le 26 novembre 2021,
valider la saisie-attribution pratiquée sur les comptes bancaires des époux [N] devenue également définitive,
condamner les époux [N] au paiement d’une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, ainsi qu’aux dépens d’instance et d’appel.
Les époux [N] concluent quant à eux à la confirmation du jugement attaqué, et sollicitent la condamnation de la SCI au paiement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la SCI le 9 février 2023 et pour les époux [N] le 9 février 2023, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 23 février 2023.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les dispositions pertinentes du jugement attaqué ayant déclaré irrecevable la demande des époux [N] relative à la prescription de l’action en exécution de l’ensemble des décisions et actes évoqués par la SCI, exemptes de critique devant la cour, seront confirmées.
Sur l’existence d’un titre exécutoire et la conversion de saisie conservatoire en saisie-attribution
Au soutien de son appel, la SCI fait valoir que la saisie a été pratiquée en vertu d’un titre exécutoire, le bail annexé à l’acte authentique du 24 mai 1995, ainsi que trois arrêts de la cour d’appel de Rennes des 16 décembre 2004, 8 mars 2007 et 20 avril 2011.
Elle estime que le juge de l’exécution aurait dénaturé les dispositions du bail et méconnu l’autorité de chose jugée attachée à ces arrêts et le droit à l’effectivité des décisions de justice, ainsi que l’article R. 532-6 de ce code et le bénéfice d’exécution des titres exécutoires.
À cet égard, une décision n’a, aux termes des articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, autorité de chose jugée que pour les mêmes demandes, fondées sur la même cause et entre les mêmes parties, tranchées dans le dispositif.
Or, ainsi que l’a exactement analysé le juge de l’exécution, l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 16 décembre 2004 porte en réalité sur la validité d’une saisie conservatoire de licence IV pour garantie de la somme de 15 000 euros au titre des loyers et indemnités d’occupation impayés et la provision sur les travaux de remise en état, et le fait pour la cour d’avoir constaté que la SCI disposait d’un titre exécutoire à l’encontre de M. [N] pour la somme et les causes indiquées ne signifie pas que la SCI disposerait d’un titre exécutoire contre celui-ci, et moins encore contre Mme [N], pour la somme de 2 660 850,30 euros au titre de laquelle elle a pratiqué la conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution, aujourd’hui critiquée devant la juridiction de l’exécution.
D’autre part, l’arrêt du 8 mars 2007 porte sur la validité de la saisie-attribution pratiquée le 29 avril 2005 pour le paiement de l’indemnité d’occupation due entre le 16 mai 2002 et le 28 avril 2005, en cantonnant celle-ci à la somme de 221 352,04 euros.
L’autorité de chose jugée attachée à cet arrêt et tranchée dans son dispositif ne porte que sur la validité de cette saisie-attribution et ne confère pas davantage un titre exécutoire à la SCI lui permettant de réclamer la somme de 2 660 850,30 euros à l’encontre des époux [N], peu important que les motifs de l’arrêt relèvent que les époux [N] étaient tenus comme co-débiteurs solidaires de la société Le California MLG par application du bail du 24 mai 1995.
Enfin, l’arrêt du 20 avril 2011 a fixé à la somme de 2 660 850,30 euros à titre chirographaire la créance de la SCI au passif de la société Le California MLG , se décomposant comme suit :
créance de loyers, assurance et autres, dont intérêts, clauses pénales, frais de procédure – net des règlements de la période du 1er décembre 2000 au 12 février 2007 : 2 140 775,00 €
créances de réparations locatives et dommages-intérêts liés au détournement de meubles et matériels divers : 499 830,32 €
indemnités de relocation : 20 245,00 €
Cette créance de la SCI, telle que définitivement arrêtée et fixée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Le California MLG, ne concerne pas les époux [N] qui n’étaient pas parties à cette instance, de sorte que l’autorité de chose jugé attachée à cet arrêt est donc limitée aux rapports entre la SCI et la société Le California MLG.
Il s’ensuit, comme l’a pertinemment analysé le juge de l’exécution :
que les époux [N] n’ont jamais été condamnés à payer cette somme de 2 660 850,30 euros ou une somme inférieure à la SCI, la demande de cette dernière dirigée à leur encontre ayant d’ailleurs été jugée irrecevable à deux reprises par arrêts de la cour d’appel de Rennes des 27 octobre 2015 et 29 septembre 2021,
qu’en conséquence, il n’est pas possible de retenir l’existence d’une créance à l’encontre des époux [N], sauf à violer ces deux décisions rendues par la cour d’appel de Rennes ayant force de chose jugée,
et que le fait pour la SCI d’avoir vu, en vertu de l’arrêt du 10 avril 2011, sa créance à l’encontre de la société Le California MLG fixée à la somme de 2 660 850,30 euros ne rend pas cette somme exigible à l’égard des époux [N], alors qu’ils n’étaient pas partie à cette instance et que deux arrêts ultérieurs ont jugé que la demande en paiement de cette même somme formée contre les époux [N] était irrecevable.
En effet et en toute hypothèse, si le bail commercial annexé à l’acte authentique du 24 mai 1995 comportait une clause de solidarité entre la société locataire Le California MLG et ses gérants, les époux [N], et si les arrêts des 16 décembre 2004 et 8 mars 2007 admettent à tort ou à raison, dans les motifs du second et dans le dispositif du premier, que la SCI disposait, pour exercer ses poursuites d’un titre exécutoire contre les époux [N], l’arrêt du 29 septembre 2021 rejetant la demande en paiement de la somme de 2 660 850,30 euros formée personnellement au fond contre les époux [N] sur le fondement de cette clause de solidarité prive d’effet cette stipulation de l’acte et a fait par conséquent perdre leur fondement juridique aux arrêts des 16 décembre 2004 et 8 mars 2007.
C’est dès lors à juste titre que le juge de l’exécution a dit que la SCI ne disposait pas d’un titre exécutoire à l’encontre des époux [N] constatant une créance liquide et exigible d’un montant de 2 660 850,30 euros ou de tout autre montant.
Or, l’acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution est soumis, selon les conditions de l’article R. 523-7 du code des procédures civiles d’exécution, à la condition que le créancier obtienne un titre exécutoire constatant l’existence de sa créance, alors qu’il vient d’être établi que la SCI n’avait en l’espèce obtenu aucun titre exécutoire à l’encontre des époux [N] constatant l’existence de la créance alléguée depuis l’acte de saisie du 10 novembre 2011, et qu’à supposer même qu’elle en ait détenu ou obtenu antérieurement, ceux-ci ont, du fait de l’autorité et de la force de chose jugée attachées à l’arrêt du 29 septembre 2021, perdu leur fondement juridique.
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué, en ce qu’il a ordonné l’annulation de l’acte de conversion de saisie conservatoire en saisie-attribution signifié le 2 décembre 2021 sur les comptes des époux [N] ouverts au CIC ou dans toute autre banque ainsi que l’annulation de tous les actes subséquents.
Sur la caducité de l’ordonnance du juge de l’exécution du 4 octobre 2021 et la demande de mainlevée des mesures
Aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, le créancier dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire sur les biens de son débiteur s’il justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
Par ordonnance sur requête du 4 octobre 2021, le juge de l’exécution a autorisé la SCI à faire pratiquer une saisie conservatoire sur chaque compte bancaire détenu par les époux [N], pour garantie de la somme de 2 660 850,30 euros.
Or, l’arrêt passé en force de chose jugée du 29 septembre 2021 a non seulement fait perdre à l’acte authentique du 24 mai 1995 et aux arrêts des 16 décembre 2004 et 8 mars 2007 leur fondement juridique de titres exécutoires, mais il prive purement et simplement la SCI de tout principe de créance personnelle à l’égard des époux [N] au titre de la somme de 2 660 850,30 euros fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Le California MLG.
Dès lors, la SCI ne démontrant pas l’existence d’une créance fondée en son principe à l’encontre des époux [N], il convient, sans qu’il y ait lieu de vérifier s’il existe ou non un risque de non recouvrement de celle-ci, de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a ordonné la mainlevée des actes de saisie conservatoire du 10 novembre 2021 sur les comptes détenus au CIC et la BPGO par les époux [N], et ce pour l’intégralité des montants saisis.
En revanche, il n’y a pas lieu de prononcer la caducité de l’ordonnance du juge de l’exécution du 4 octobre 2021, la SCI étant dispensée d’accomplir la formalité édictée par l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution dès lors qu’elle avait déjà assigné, par acte du 9 janvier 2017, les époux [N] devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc aux fins de condamnation solidaire à lui payer la somme de 2 660 850,30 euros, et que les effets de cette assignation aux fins d’obtention d’un titre exécutoire se sont prolongés jusqu’à l’arrêt de la cour du 29 septembre 2021.
Le jugement attaqué sera en conséquence réformé en ce sens.
Sur la radiation des inscriptions d’hypothèque et de nantissement de parts sociales provisoires
Contrairement à ce que soutient la SCI, ces demandes additionnelles formées en première instance par les époux [N] se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant, en ce qu’elles sont fondées sur les mêmes titres et les mêmes parties, et sont par conséquent recevables en application de l’article 70 du code de procédure civile.
Ces demandes incidentes sont par ailleurs formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentées les moyens de défense, c’est à dire par voie de conclusions, et ce en application de l’article 68 du code de procédure civile.
Il convient par conséquent de débouter la SCI de sa demande tendant à déclarer ces demandes irrecevables.
D’autre part, selon l’article R. 512-1 du code des procédures civiles d’exécution, si les conditions prévues aux articles R. 511-1 à R. 511-8 ne sont pas réunies, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure à tout moment, les parties entendues ou appelées, même dans le cas où l’article L. 511-2 permet que cette mesure soit prise sans son autorisation.
Il incombe au créancier de prouver que les conditions requises sont réunies.
À cet égard, la SCI a, selon ordonnance sur requête du 12 août 2021, obtenu l’autorisation du juge de l’exécution de Saint-Brieuc de prendre une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur l’immeuble appartenant à Mme [N] situé [Adresse 6], pour garantie d’une créance évaluée provisoirement à la somme de 2 660 850,30 euros.
Par requête du 2 novembre 2021, les époux [N] ont contesté cette ordonnance rendue au regard des arrêts des 16 décembre 2004, 8 mars 2007 et 20 avril 2011, dont il a été jugé qu’ils ne conféraient pas un titre exécutoire à l’encontre des époux [N] pour le paiement de la somme de 2 660 850,30 euros, ou en tous cas que l’arrêt au fond du 29 septembre 2021 leur avait fait perdre leur fondement juridique.
Le moyen selon lequel le juge de l’exécution ne pouvait statuer sur une demande de mainlevée d’une inscription d’hypothèque provisoire alors que l’inscription définitive a été prise le 26 novembre 2021 est inopérant, dès lors que cette inscription définitive a été prise sur le fondement de décisions qui ne conféraient pas ou plus aucun titre exécutoire à l’encontre des époux [N] pour le paiement de la somme de 2 660 850,30 euros, et que cette inscription définitive est par conséquent irrégulière.
Ainsi, pour les mêmes motifs que ceux retenus pour ordonner la mainlevée des actes de saisie conservatoire du 10 novembre 2021 sur les comptes des époux [N], il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a ordonné la radiation de l’hypothèque provisoire prise sur le bien immobilier sis [Adresse 6].
En revanche, pour les mêmes motifs que ceux retenus pour rejeter la demande de caducité de l’ordonnance du 4 octobre 2021, le jugement sera réformé en ce qu’il a déclaré caduque l’ordonnance du juge de l’exécution du 12 août 2021.
S’agissant du nantissement judiciaire provisoire des parts sociales détenues par les époux [N] dans la SCI Les Arcades, la mesure conservatoire a également été prise en vertu des mêmes décisions dont il a été dit qu’elles ne conféraient pas ou plus de titre exécutoire à l’encontre des époux [N] pour la somme de 2 660 850,30 euros, la cour ayant, par arrêt du 22 septembre 2021, déclaré la demande en paiement de cette somme, dirigée contre les époux [N] sur le fondement de la clause de solidarité du bail, irrecevable.
Ainsi, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a ordonné la radiation de l’inscription du nantissement judiciaire provisoire des parts sociales détenues par les époux [N] dans la SCI Les Arcades du 5 janvier 2017.
Sur les autres demandes
Les époux [N] ne remettent pas en cause le jugement attaqué en ce qu’il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts et des prétentions associées à celle-ci, ainsi que leur demande relative au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la SCI.
Les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles étaient justifiées et seront maintenues.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge des époux [N] l’intégralité des frais exposés par eux à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il leur sera alloué une somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Déclare recevables les demandes des époux [N] en mainlevée de l’hypothèque judiciaire provisoire prise sur le bien situé [Adresse 6] et du nantissement judiciaire des parts sociales de la SCI Les Arcades de Paimpol ;
Confirme en l’ensemble de ses dispositions le jugement rendu le 8 juin 2022 par le juge de l’exécution de Saint-Brieuc, sauf en ce qu’il a déclaré caduques les ordonnances du juge de l’exécution des 4 octobre 2021 et 12 août 2021 ;
Dit n’y avoir lieu à caducité des ordonnances rendues les 4 octobre 2021 et 12 août 2021 par le juge de l’exécution de Saint-Brieuc ;
Condamne la SCI Etoiles de nuit à payer à M. et Mme [N] une somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI Etoiles de nuit aux dépens d’appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT