Chambre civile
Section 2
ARRÊT n°
du 5 JUILLET 2023
n° RG 22/636
n° Portalis DBVE-V-
B7G-CE64 JJG – C
Décision déférée à la cour : jugement du juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’AJACCIO, décision attaquée du 5 octobre 2022, enregistrée sous le n° 22/116
OFFICE PUBLIC DE L’HABITAT DE LA COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION DU PAYS AJACCIEN
C/
[F]
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS
APPELANT :
OFFICE PUBLIC DE L’HABITAT DE LA COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION DU PAYS AJACCIEN
pris en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 1]
Représenté par Me Marc MAROSELLI de la SCP ROMANI CLADA MAROSELLI ARMANI, avocat au barreau d’AJACCIO
INTIMÉE :
Mme [G] [F]
nom d’usage [X]
née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 4] (Cher)
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Alain-Raphaël FALZOÏ, avocat au barreau d’AJACCIO plaidant en visioconférence
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 4 mai 2023, devant Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Jean-Jacques GILLAND, président de chambre
Judith DELTOUR, conseillère
Stéphanie MOLIES, conseillère
GREFFIER LORS DES DÉBATS :
Vykhanda CHENG.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023
ARRÊT :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Vykhanda CHENG, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant jugement du 10 août 2018, le tribunal d’instance d’Ajaccio a :
– prononcé la résiliation du bail conclu le 14 mars 2014, entre l’Office public de l’habitat de la Corse-du-Sud et Mme [G] [X] née [F] portant sur un logement situé [Adresse 6], à [Localité 1], sous réserve des dispositions ci-après,
– condamné Mme [G] [X] à payer à l’Office public de l’habitat de la Corse-du-Sud la somme de 4 253,17 euros au titre des loyers et charges impayés au 31 mai 2018, assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 1 899,65 euros à compter du 14 avril 2017, et pour le surplus à compter de la présente décision,
– dit que Mme [X] pourra s’acquitter du paiement de la dette en 23 mensualités de 170 euros et d’une dernière mensualité du montant du solde restant dû, avant le 15 de chaque mois à compter de la signification de la décision, et ce en plus du loyer courant,
– suspendu les effets de résiliation judiciaire pendant la durée des délais de paiement,
– dit qu’en cas de respect des délais de paiement, la résiliation judiciaire sera réputée n’avoir jamais joué,
– dit qu’à défaut de paiement d’une seule mensualité à son échéance ou du loyer courant, et après mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse quinze jours, l’intégralité de la dette redeviendra immédiatement exigible,
– dit que la résiliation judiciaire reprendra alors son plein effet,
– autorisé, en ce cas, le bailleur à faire procéder à l’expulsion de Mme [X] et de tout occupant de son chef, au besoin avec le concours de la force publique, du logement situé [Adresse 6], à [Localité 1],
– fixé, en ce cas, l’indemnité d’occupation à la somme de 669,24 euros, outre indexation, et condamné en cas de besoin Mme [X] à la payer jusqu’à libération effective des lieux,
– rejeté la demande de séquestration des meubles formée par l’O.P.H. de la Corse-du-Sud,
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,
– dit n’y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [X] au paiement des dépens de l’instance, en ce compris le coût du commandement de payer du 14 avril 2017.
Ledit jugement a été signifié à Mme [G] [F] suivant acte d’huissier du 4 septembre 2018 délivré à personne.
Suivant acte d’huissier du 20 septembre 2019, un commandement de quitter les lieux a été signifié à la personne de Mme [G] [F], suivi d’un procès-verbal de tentative d’expulsion dressé le 11 août 2020.
Suivant acte d’huissier du 12 août 2021, une sommation de déguerpir avec la force publique a été signifiée à la personne de Mme [G] [F].
Par jugement du 10 novembre 2021, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Ajaccio a :
– accordé six mois de délais à Mme [X] [G] à compter de la signification du jugement pour libérer les lieux qu’elle occupe [Adresse 6],
– rejeté la demande en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé les dépens à la charge de la demanderesse.
Cette décision a été signifiée à Mme [G] [F] par acte du janvier 2022 à personne.
Par requête déposée au greffe le 22 juillet 2022, Mme [G] [F] a saisi le juge de l’exécution d’une demande visant à obtenir un délai de grâce de 36 mois pour quitter les lieux.
Par décision du 5 octobre 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Ajaccio a :
– accordé dix mois de délais à Mme [X] [G] à compter de la signification du jugement pour libérer les lieux qu’elle occupe [Adresse 6],
– rejeté la demande en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé les dépens la charge de la demanderesse.
Suivant déclaration enregistrée le 11 octobre 2022, l’établissement public Office public de l’habitat de la communauté d’agglomération du pays ajaccien, représenté, a interjeté appel de la décision susvisée en ces termes :
‘Appel ayant pour objet l’infirmation du jugement du juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Ajaccio du 5 octobre 2022 en ce qu’il a : o Accordé 10 mois de délai à Mme [G] [X] à compter de la signification du jugement pour libérer les lieux qu’elle occupe [Adresse 6] à [Localité 1], o Rejeté la demande de l’office de l’habitat de la communauté d’agglomération du pays ajaccien en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. Y ajoutant, Rejeter la demande émanant de Mme [X], d’octroi de délai de grâce pour quitter les lieux qu’elle occupe [Adresse 6],
[Adresse 5] à [Localité 1], , Débouter Mme [G] [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires, La condamner reconventionnellement au paiement de la somme de 2.500,00 € en application des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.’
Par dernières conclusions régulièrement notifiées le 3 novembre 2022, l’office public de l’habitat de la communauté d’agglomération du pays ajaccien, représenté, a demandé à la cour de :
Infirmer le jugement du juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Ajaccio du 5 octobre 2022, en ce qu’il a :
o Accordé 10 mois de délai à Mme [G] [X] à compter de la signification du jugement pour libérer les lieux qu’elle occupe [Adresse 6] à [Localité 1],
o Rejeté la demande de l’office de l’habitat de la communauté d’agglomération du pays ajaccien en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Y ajoutant,
Rejeter la demande émanant de Mme [X], d’octroi de délai de grâce pour quitter les lieux qu’elle occupe [Adresse 6] à [Localité 1],
Débouter Mme [G] [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
La condamner reconventionnellement au paiement de la somme de 2.500,00 € en application des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Par dernières conclusions régulièrement notifiées le 2 décembre 2022, Mme [G] [F] a demandé à la juridiction d’appel de :
CONFIRMER le jugement de Monsieur le Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire d’Ajaccio du 5 octobre 2022, en ce qu’il a :
– Accordé 10 mois de délai à Mme [G] [X] à compter de la signification du jugement pour libérer les lieux qu’elle occupe [Adresse 6] à [Localité 1],
– Rejeté la demande de l’office de l’habitat de la communauté d’agglomération du pays ajaccien en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Y ajoutant,
DÉBOUTER l’Office Public de l’habitat de Corse-du-Sud de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
CONDAMNER l’Office Public de l’habitat de Corse-du-Sud au paiement de la somme de 2.500,00 € en application des dispositions de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Par ordonnance du 22 février 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de la procédure et fixé l’affaire à plaider devant le conseiller rapporteur au 4 mai 2023 à 8 heures 30.
Le 4 mai 2023, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise ainsi qu’aux dernières conclusions notifiées par les parties.
SUR CE
La partie appelante observe que le premier juge s’est fondé sur le paiement d’une indemnité d’occupation par Mme [F] depuis le début de l’année 2022 sans tenir compte du fait que le jugement d’expulsion et de fixation d’une indemnité d’occupation lui avait été signifié près de quatre années auparavant.
Elle relève par ailleurs qu’il ressort du courrier joint par Mme [F] à sa requête qu’elle n’a pas respecté le plan de surendettement qui lui a été accordé.
Elle rappelle qu’en sa qualité de bailleur social, elle doit faire face à une demande de logement qu’elle ne peut satisfaire et qu’il n’est pas acceptable que dans ces conditions, Mme [F] puisse demeurer dans les lieux malgré ce qu’elle qualifie d’«inertie symptomatique de sa mauvaise foi».
En réponse, la partie intimée explique l’origine de ses difficultés par un divorce particulièrement difficile, se retrouvant seule pour gérer trois enfants sans aucune aide, ni pension alimentaire.
Elle précise que ses deux garçons de 20 ans ont désormais quitté le domicile, seule sa fille de 16 ans restant à sa charge.
Elle indique bénéficier d’un plan de surendettement aménageant ses dettes à la suite d’une décision de la commission de surendettement du 15 septembre 2022, et s’être rapprochée de l’autorité préfectorale sur la base de la loi Dalo aux fins de relogement ; elle estime que ces démarches témoignent de son investissement pour résoudre cette situation.
Elle ajoute ne pas avoir trouvé de logement dans le secteur privé, malgré ses recherches, en raison de prix prohibitifs.
Elle souligne qu’une expulsion aurait des conséquences d’une extrême gravité sur sa situation et celle de sa fille, alors qu’elle paie son loyer courant.
En vertu de l’article L. 412-3alinéa 1 du code des procédures civiles d’exécution, le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que les occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation.
L’article L. 412-4 du même code précise que la durée de ces délais ne peut en aucun cas être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans et qu’il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté de l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement, ainsi que du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés (exercice du droit au logement opposable devant la commission de médiation).
Il appartient au juge de respecter un juste équilibre entre deux revendications contraires en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée par la sauvegarde des droits de l’occupant, dès lors que ces derniers apparaissent légitimes.
En l’espèce, Mme [F], qui est âgée de 61 ans et est greffière au tribunal judiciaire d’Ajaccio, perçoit un revenu mensuel moyen de 3 177,92 euros outre 30,90 euros à titre de prime d’activité et assume la charge d’un enfant né le [Date naissance 2] 2005.
Il convient d’observer en premier lieu que malgré le bénéfice de nombreux aménagements, la dette locative de Mme [F] est passée de la somme de 4 253,17 euros au 31 mai 2018 à celle de 25 768,28 euros au 5 septembre 2022.
Il ressort en effet des pièces versées au débat, notamment du décompte produit par l’appelant, que Mme [F], qui a bénéficié de délais de paiement au terme du jugement rendu le 10 août 2018, n’a effectué aucun versement dans ce cadre, et qu’elle a même cessé de régler son loyer courant jusqu’au mois de décembre 2020.
Il sera rappelé qu’au terme dudit jugement, le respect des délais de paiement, outre le paiement du loyer mensuel, aurait permis à Mme [F] d’échapper à la résiliation judiciaire du contrat de bail et à l’expulsion subséquente.
Mme [F] a ensuite bénéficié d’un plan de surendettement suivant décision de recevabilité du 16 février 2021 ; la caducité dudit plan a néanmoins été prononcée dès le 14 juin 2021 en raison du non-paiement du loyer courant.
Le conseil de Mme [F] a, par la suite, sollicité un arrangement amiable avec le bailleur suivant courrier du 23 août 2021, expliquant que la situation financière de sa cliente lui permettait désormais d’apurer sa dette, en raison du départ de ses deux fils aînés.
Le décompte versé au débat ne mentionne toutefois aucun paiement visant à l’apurement de la dette locative à cette date ou au cours des mois suivants.
En effet, seuls deux paiements de 673 euros sont intervenus aux fins d’apurer la dette locative depuis le jugement du 10 août 2018, lesdits paiements datant des mois de mars et avril 2022.
En outre, si Mme [F] justifie d’une nouvelle décision de recevabilité de la commission de surendettement du 15 septembre 2022 et de mesures imposées notifiées le 15 décembre 2022, aucun paiement n’est démontré dans ce cadre alors que l’ordonnance de clôture est intervenue le 22 février 2023.
D’autre part, Mme [F] a déjà bénéficié d’un délai de six mois pour libérer les lieux au terme d’un jugement rendu le 10 novembre 2021, sans que cela ne lui permette d’avancer dans ses recherches de relogement.
Elle ne justifie, à ce titre, que d’une attestation de demande de logement social formulée le 9 août 2022, soit exactement quatre années après le jugement ordonnant son expulsion et deux années après la tentative d’expulsion.
Si elle verse au débat les copies d’annonces immobilières trouvées sur le site ‘paruvendu.fr’, une telle production ne permet pas de justifier de recherches actives de relogement.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, notamment du montant des ressources de Mme [F], des multiples mesures d’aménagements déjà octroyées et des faibles efforts d’apurement de la dette locative et de relogement, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de la débouter de sa demande tendant à l’octroi de délais pour quitter les lieux.
A titre surabondant, il sera observé que de fait, Mme [F] a quasiment bénéficié du délai de dix mois accordé par le premier juge eu égard à la durée de la procédure d’appel, et d’un délai de trois années depuis le procès-verbal de tentative d’expulsion délivré deux années après le jugement ordonnant l’expulsion.
Sur les autres demandes
Mme [F], qui succombe, sera condamnée au paiement des dépens, en ceux compris les dépens de première instance.
S’il est pas équitable de laisser à la charge de l’intimée les frais irrépétibles qu’elle a engagés, il n’en va pas de même pour l’appelant au quel il y a lieu d’allouer, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement entrepris en toutes les dispositions qui lui sont dévolues,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déboute Mme [G] [F] de sa demande de délais pour quitter les lieux qu’elle occupe [Adresse 6] à [Localité 1] (Corse-du-Sud),
Y ajoutant,
Condamne Mme [G] [F] au paiement des entiers dépens, en ceux compris les dépens de première instance,
Déboute Mme [G] [F] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [G] [F] à payer à l’Office public de l’habitat de la communauté d’agglomération du pays ajaccien la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT