Saisine du juge de l’exécution : 30 mai 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02307

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Saisine du juge de l’exécution : 30 mai 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02307

N° RG 21/02307 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K4MZ

C2

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

la SELARL JEAN-MICHEL ET SOPHIE DETROYAT

Me Pierre BENDJOUYA

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 30 MAI 2023

Appel d’un Jugement (N° R.G. 19/00774)

rendu par le Tribunal judiciaire de GRENOBLE

en date du 08 avril 2021

suivant déclaration d’appel du 20 mai 2021

APPELANTE :

Mme [L] [R]

née le 18 février 1955 à GIOIA DEL COLLE (ITALIE)

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 7]

représentée par Me Sophie DETROYAT de la SELARL JEAN-MICHEL ET SOPHIE DETROYAT, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Jean Michel DETROYAT

INTIMÉS :

M. [P] [S]

né le 25 août 1955 à SANTA MARINHA/RIBEIRA DE PENA Portugal

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 7]

Mme [K] [N] épouse [S]

née le 17 janvier 1963 à LA TRONCHE

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 7]

représentés et plaidant par Me Pierre BENDJOUYA, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR: LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Mme Catherine Clerc, présidente,

Mme Joëlle Blatry, conseiller,

Mme Véronique Lamoine, conseiller,

Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier

DÉBATS :

A l’audience publique du 3 avril 2023, madame [O] a été entendue en son rapport.

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

*****

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Suivant acte du 2 avril 1949, Mme [U] [A] a fait donation à ses deux enfants de sa maison d’habitation divisée en deux logements située [Adresse 6] (38): son fils, M. [G] [A], était attributaire de la partie nord de la maison et du jardin, outre un hangar, et sa fille, Mme [Y] [A] épouse [I], recevait la partie sud, avec les constructions à usage de clapier et de porcherie.

L’acte de partage stipulait au § Servitudes que «’la cour devant la maison (exception faite de la porcherie et du clapier attribués à Mme [I]) sera commune entre les copartageants qui auront tous deux droits de passage et de vues les plus étendues; que Mme [I] aura le droit de s’alimenter en eau à la pompe existant dans la partie de jardin attribuée à M. [A] et tous droits de passage à cet effet’».

Les époux [K] [N]/[P] [S] ont fait l’acquisition du bien de Mme [I] en 1995, désormais cadastré section AD [Cadastre 2] et [Cadastre 3] (anciennement AD [Cadastre 5]), leur titre de propriété reprenant la clause de servitude.

En 2003, Mme [L] [R] a acquis avec M. [X] [V] le bien de M. [A] cadastré section AD [Cadastre 4], puis suite à la liquidation de l’indivision en date du 2 mars 2006, en est devenue seule propriétaire.

Son titre de propriété reprend également la clause de servitude.

Courant mars 2017, Mme [R] fermait son portail avec un cadenas pour empêcher le passage sur son fonds.

Faute d’issue amiable à leur demande de passage par ce portail pour accéder à leur fonds AD 1171, les époux [S], après avoir été déboutés, suivant ordonnance de référé du 19 septembre 2018, de leur demande aux fins de faire constater l’existence d’une servitude de passage, ont poursuivi au fond Mme [R], suivant assignation du 27 décembre 2018.

Par jugement du 8 avril 2021, le tribunal judiciaire de Grenoble a :

constaté que la servitude de puisage et la servitude de passage y afférent dont bénéficiait la parcelle AD [Cadastre 5] devenue [Cadastre 2] située la commune de [Adresse 6] est éteinte par le non usage trentenaire,

débouté les époux [S] de leur demande en rétablissement,

dit que la parcelle AD [Cadastre 2] bénéficie d’une servitude de passage sur la parcelle AD [Cadastre 4],

ordonné le rétablissement de cette servitude de passage dans sa plénitude,

rappelé à Mme [R] l’interdiction de clore le passage sauf à remettre les clefs aux époux [S] et l’interdiction d’entraver le passage au moyen de véhicules, matériaux ou tous autres objets,

dit que Mme [R] sera soumise à une astreinte provisoire de 50€ par infraction constatée à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la signification du jugement,

dit que l’astreinte sera liquidée par le juge de l’exécution,

condamné Mme [R] à payer aux époux [S] une indemnité de procédure de 1.500€ et à supporter les dépens.

Suivant déclaration du 20 mai 2021, Mme [R] a relevé appel de cette décision.

Au dernier état de ses écritures en date du 25 janvier2023, Mme [R] demande à la cour de confirmer le jugement déféré sur le constat de l’extinction de la servitude de puisage et le rejet de la demande de rétablissement de celle-ci par les époux [S], l’infirmation pour le surplus, de débouter les époux [S] de l’ensemble de leurs prétentions et de les condamner à lui payer une indemnité de procédure de 5.000€.

Elle fait valoir que:

sur la servitude de passage

les titres de propriété stipulent que seule la cour devant la maison est commune,

les époux [S] ne peuvent donc revendiquer un passage devant et derrière la maison,

les époux [S] ne peuvent donc vouloir passer par l’arrière de la maison ni prétendre qu’ils sont enclavés alors qu’ils ont un accès direct à l’ensemble de leur fonds à partir de leur garage,

la cour commune s’entend de celle permettant l’accès aux deux logements dans la maison partagée,

elle est située au couchant de la maison d’habitation,

la situation actuelle des lieux résulte exclusivement des constructions édifiées par les époux [S] qui ont édifiés deux maisons d’habitation,

sans ces modifications importantes, la desserte du jardin à l’arrière de la maison se faisait par celle-ci,

dés lors, la reconnaissance d’une servitude de passage tant conventionnelle que légale, grevant son fonds n’est pas fondée,

sur la servitude de puisage

il s’agit d’une installation très ancienne,

cette servitude s’est éteinte du fait d’un non usage trentenaire,

elle a fait supprimer le portillon originairement utilisé pour les besoins du passage en vue du puisage sans que cela ne provoque la moindre réaction de ses voisins.

Par uniques conclusions du [Cadastre 4] novembre 2021, M. et Mme [S] demandent à la cour de confirmer le jugement déféré sauf sur le constat de l’extinction de la servitude de puisage et de :

1) à titre principal :

dire qu’ils bénéficient d’une servitude de passage conventionnelle leur permettant de puiser l’eau au point d’eau situé sur la parcelle AD [Cadastre 4],

condamner Mme [R], sous astreinte de 50€ par jour de retard à compter de la décision à intervenir à créer une ouverture dans le mur lui appartenant afin de leur permettre d’accéder au point d’eau,

les autoriser à installer un dispositif de puisage,

2) subsidiairement, si la cour ne reconnaît pas l’existence d’une servitude conventionnelle :

dire qu’ils sont enclavés,

condamner Mme [R], sous astreinte de 50€ par jour de retard à compter de la décision à intervenir à retirer le portillon bloquant l’accès à la parcelle AD [Cadastre 4] depuis la parcelle AD [Cadastre 1],

faire interdiction à Mme [R] de stationner son véhicule ou d’installer tout obstacle sur la partie de la parcelle AD [Cadastre 4] située entre le hangar et son logement,

condamner Mme [R] à 50€ par infraction constatée,

3) en tout état de cause, condamner Mme [R] à leur payer une indemnité de procédure de 2.500€.

Ils exposent que :

Mme [R] entretient une confusion entre l’arrière et le devant de la maison,

le devant de la maison se trouve face aux jardins,

Mme [R] s’appuie essentiellement sur le document établi de façon non contradictoire par le cabinet AGATE qui situe la cour au couchant, à savoir à l’ouest,

cette disposition géographique doit être prise par rapport à la position du hangar de Mme [R],

les jardins dont l’actuelle parcelle [Cadastre 2] anciennement AD [Cadastre 5] se situent bien à l’ouest du hangar de Mme [R],

il résulte de l’acte que la porcherie et le clapier ainsi que le puits se trouvent bien dans les jardins,

ils produisent de nombreuses attestations confirmant que le passage situé sur la parcelle AD [Cadastre 4] entre le hangar et la maison de Mme [R] était utilisé depuis des décennies afin de desservir les dépendances et le jardin de la parcelle AD [Cadastre 5] devenu [Cadastre 2],

à défaut, il sera retenu leur état d’enclave,

ils ne peuvent plus accéder qu’à pied à leur parcelle AD [Cadastre 2] et ne peuvent plus y stationner leur camping car,

ils ne sont pas à l’origine de leur état d’enclave,

Mme [R], en édifiant un mur sur son terrain en lieu et place de la haie séparative, a supprimé le portillon d’accès qui leur permettait d’accéder à ce point d’eau,

cette servitude de puisage n’avait pas un caractère personnel à Mme [I],

en outre, le fait que la pompe ne fonctionne plus depuis 1950 n’empêche pas la servitude de puisage.

La clôture de la procédure est intervenue le 21 mars 2023.

MOTIFS

1/ sur la servitude de passage

Aux termes de l’acte de donation-partage de 1949 et des titres de propriété des parties «’la cour devant la maison (exception faite de la porcherie et du clapier attribués à Mme [I]) sera commune entre les copartageants qui auront tous deux droits de passage et de vues les plus étendues’».

Les parties s’opposent sur la situation de la cour commune dont les divers actes indiquent qu’elle se situe devant la maison partagée et dont il se déduit que la porcherie et le clapier y sont situés.

Les propriétés des parties sont issues de la donation-partage de 1949 qui a attribué la partie sud à Mme [I], auteur des époux [S], initialement cadastrée AD [Cadastre 5], qui a été divisée en mars 2015 en AD [Cadastre 2] à usage de jardin et AD [Cadastre 3] mise en copropriété comprenant l’habitation dans la maison partagée, un studio et des garages.

Le fonds de Mme [R] cadastrée AD[Cadastre 4] était celui de M. [A], partie nord, et disposait d’un hangar.

Au regard des divers plans et photographies produits par les parties, l’accès à la maison partagée depuis la voie publique s’effectue en traversant la parcelle AD [Cadastre 4] jusqu’à un bâtiment en L, la première branche comprenant le logement de Mme [R] et la deuxième branche perpendiculaire comprenant, d’abord dans le prolongement de l’habitation de l’appelante, le logement des intimés, qui se poursuit à angle droit par des garages surmontés d’un appartement, l’ensemble des immeubles étant en copropriété sur la parcelle AD [Cadastre 3] (fonds [S]). Cette parcelle AD [Cadastre 3] inclut dans ses bâtiments les anciens clapier et porcherie.

L’entrée au logement [S] s’effectue par l’un des garages sur la partie ouest de la maison partagée.

L’entrée [R] est également située un peu plus bas également sur la partie ouest du logement.

Ces ouvertures ont été crées en 1949, date du partage de la maison, à laquelle il convient de se placer pour apprécier la localisation de la cour commune.

Une cour se définit comme un espace découvert entouré de murs et/ou de bâtiments et faisant partie d’une habitation.

Ainsi, il s’agit d’un seul espace et non des trois espaces entourant successivement la maison partagée.

Dès lors, la cour commune, qui a pour unique objet de permettre l’accès aux deux logements et le stationnement, est l’espace situé entre les branches en L des constructions et à l’avant de celles-ci, notamment, de l’ancienne porcherie et de l’ancien clapier sur un côté et des portes d’entrée sur un autre côté.

Ainsi, les époux [S] ne peuvent prétendre à l’existence d’une servitude conventionnelle pour accéder à leur parcelle AD [Cadastre 2].

Les époux [S], à défaut de servitude conventionnelle, prétendent au bénéfice d’une servitude légale pour cause d’enclave au motif qu’ils doivent pouvoir accéder à leur ancien hangar transformé en maison d’habitation.

L’ancienne parcelle AD [Cadastre 5], sur laquelle il n’y avait qu’une seule habitation dans la maison partagée, ayant un accès suffisant à pied et en voiture depuis la voie publique, n’a jamais été enclavée.

Il sera relevé que contrairement à ce que prétendent les époux [S], leur auteur, Mme [I] n’a jamais eu de hangar mais uniquement une porcherie et un clapier.

C’est l’auteur de Mme [R], M. [A], dont le fonds bénéficiait d’un hangar.

Ainsi, les époux [S] ne peuvent prétendre avoir transformé, sur leur parcelle AD [Cadastre 2], un hangar en habitation alors qu’ils y ont édifié une maison.

Leur parcelle AD [Cadastre 2] étant issue de la division de la parcelle AD [Cadastre 5] laquelle n’a jamais été enclavée, les époux [S] ne peuvent pas davantage prétendre à une servitude légale de passage sur le fonds AD [Cadastre 4] de Mme [R] pour accéder au troisième immeuble qu’ils ont édifié.

Par voie de conséquence, c’est à tort que le tribunal a reconnu un droit de passage aux époux [S] sur la parcelle AD [Cadastre 4] autre que la cour commune et a condamné Mme [R] à diverses obligations.

Le jugement déféré sera infirmé et les époux [S] déboutés de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de Mme [R] au titre d’un droit de passage.

2/ sur le droit de puisage avec droit de passage y afférent

L’acte de donation-partage de 1949 stipule que’ «Mme [I] aura le droit de s’alimenter en eau à la pompe existant dans la partie de jardin attribuée à M. [A] et tous droits de passage à cet effet’».

Les époux [S] ont fait l’acquisition du bien de Mme [I] en 1995 et leur titre de propriété reprend cette clause de servitude qui avait pour objet de fournir en eau le fonds qui en était dépourvu, de sorte que la clause de puisage à l’instar de la servitude sur la cour commune, n’est pas personnelle ainsi que l’a retenu le tribunal.

Toutefois, par application de l’article 706 du code civil, la servitude est éteinte par non usage pendant 30 ans.

Il incombe au propriétaire du fonds dominant de démontrer que la servitude dont il n’a pas la possession a été exercée depuis moins de 30 ans et les juges du fonds apprécient souverainement si les faits allégués sont constitutifs du non usage d’une servitude.

En l’espèce, les époux [S], qui ne contestent pas que la pompe est hors service depuis les années 1950, ne justifient pas, jusqu’à ce que Mme [R] ait remplacé la haie séparative des fonds par un mur, d’un usage du droit de puisage et d’un passage à cet effet sur la parcelle AD [Cadastre 4] de celle-ci.

Par voie de conséquence, c’est à bon droit que le tribunal a retenu l’extinction de la servitude de puisage et du droit de passage y afférent sur la parcelle AD [Cadastre 4] de Mme [R].

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point mais infirmé pour le surplus.

3/ sur les mesures accessoires

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de Mme [R].

M. et Mme [S], succombant, seront condamnés aux entiers dépens de la procédure avec distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sur l’extinction de la servitude de puisage et du droit de passage y afférent et sur le rejet des prétentions de M. [P] [S] et de Mme [K] [N] épouse [S],

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déboute M. [P] [S] et Mme [K] [N] épouse [S] de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de Mme [L] [R] au titre d’une servitude de passage conventionnelle ou légale sur sa parcelle AD [Cadastre 4] autre que sur la cour commune,

Y ajoutant,

Condamne M. [P] [S] et de Mme [K] [N] épouse [S] à payer à Mme [L] [R] la somme de 5.000€ par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes à ce titre,

Condamne M. [P] [S] et de Mme [K] [N] épouse [S] aux dépens de la procédure d’appel avec distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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