Saisine du juge de l’exécution : 29 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/03991

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Saisine du juge de l’exécution : 29 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/03991

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 60A

3e chambre

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 29 JUIN 2023

N° RG 18/03991

N° Portalis DBV3-V-B7C-SNWW

AFFAIRE :

SA GMF

C/

[Y] [S]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Mai 2018 par le Tribunal de Grande Instance de CHARTRES

N° Chambre : 1

N° RG : 15/00713

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à

Me Céline BORREL

Me Monique TARDY

Me Valérie RIVIERE-DUPUY

Me Antoine GUEPIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SA GARANTIE MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES (GMF ASSURANCES)

N° SIRET : 398 972 901

[Adresse 2]

[Localité 10]

Représentant : Me Céline BORREL, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 122

Représentant : Me Francisco BRIGAS-MONTEIRO, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0483

APPELANTE

****************

1/ Monsieur [Y] [S]

né le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 11]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentant : Me Monique TARDY de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 620 – N° du dossier 003874 –

Représentant : Me Alain MALET, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000032

INTIME

2/ CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DU PUY DE DOME venant aux droits et obligations du RSI et CLDSSTI

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 7]

Représentant : Me Valérie RIVIERE-DUPUY de la SCP IMAGINE BROSSOLETTE, Postulant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire 000034

INTIMEE

3/ Monsieur [L] [O]

[Adresse 9]

[Localité 5]

INTIME DEFAILLANT

4/ LES ASSURANCES MMA ALIVE ASSURANCES

N° SIRET : 775 652 126

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Antoine GUEPIN de la SELARL GIBIER FESTIVI RIVIERRE GUEPIN, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000021

INTIMEE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Président,

Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame FOULON,

————

FAITS ET PROCEDURE :

M. [S], né le [Date naissance 3] 1964, a été victime d’un accident de la circulation le 17 juin 2003, à raison duquel M. [O], assuré par la société Garantie Mutuelle des Fonctionnaires (ci-après, la société GMF), est tenu à indemnisation.

Par jugement du 1er mars 2007, le tribunal correctionnel de Chartres a fixé les préjudices de M. [S] et ordonné une expertise comptable afin de chiffrer les pertes de revenu professionnel alléguées.

Par arrêt du 22 mai 2008 la cour d’appel de Versailles a infirmé ce jugement sur les indemnités revenant à l’intéressé concernant la perte de revenus durant son incapacité temporaire et le déficit fonctionnel permanent.

L’expert, M. [M], a déposé son rapport le 19 novembre 2009.

Par jugement du 25 novembre 2010, le tribunal correctionnel de Chartres statuant sur intérêts civils a condamné solidairement M. [O] et la société GMF à payer à M. [S] la somme de 370 000 euros au titre de ses pertes de gains professionnels futurs à compter du 1er janvier 2005.

Par arrêt du 22 mars 2012, frappé d’un pourvoi, mais qui serait, selon M. [S], passé en force de chose jugée, la cour de Versailles a alloué à M [S] la somme de 270 000 euros (soit 300 000 euros dont à déduire une provision de 30 000 euros) au titre de sa perte de gains professionnels futurs à compter du 1er janvier 2005.

M. [S] invoquant une aggravation de son état, une nouvelle expertise médicale a été ordonnée le 27 juin 2014. L’expert, le docteur [F], a déposé son rapport le 11 février 2015.

Par acte du 4 mars 2015, M. [S] a assigné M. [O] et la société GMF devant le

tribunal de grande instance de Chartres aux fins d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution

provisoire, réparation du préjudice causé par cette aggravation.

Par acte du 25 mars 2015, M. [S] a assigné la caisse Régime Social des Indépendants Centre (ci-après, le RSI). Par acte du 12 mai 2017, il a également assigné la société MMA Iard. Les instances ont été jointes.

M. [O], assigné à personne, n’a pas constitué avocat.

Par jugement du 16 mai 2018, le tribunal de grande instance de Chartres a :

– condamné solidairement M. [O] et la société GMF à payer à M. [S] les sommes suivantes :

‘ au titre des pertes de gains professionnels……………………………………..592 633, 44 euros

‘ au titre des pertes de gains de retraite…………………………………………….257 115, 22 euros

‘ au titre déficit fonctionnel temporaire………………………………………………..6 310, 05 euros

‘ au titre des souffrances endurées…………………………………………………………6 000,00 euros

‘ au titre du préjudice esthétique temporaire……………………………………………1 000,00 euros

‘ au titre du déficit fonctionnel permanent………………………………………………5 760,00 euros

– ordonné la compensation avec la créance que la société GMF détient contre M. [S] (127 385,99 euros),

– déclaré irrecevable la demande en paiement formée par le RSI contre M. [O],

– condamné in solidum M. [O] et la société GMF à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné in solidum M. [O] et la société GMF aux dépens, comprenant notamment ceux de référé et les frais d’expertise médicale, avec recouvrement direct,

– ordonné l’exécution provisoire.

Par acte du 7 juin 2018, la société GMF a interjeté appel.

L’URSSAF sécurité sociale des indépendants (ci-après, l’URSSAF), venant aux droits de la caisse RSI Auvergne agissant pour le compte de la caisse RSI Centre a également relevé appel le 24 juillet 2018.

Les deux instances ont été jointes.

Par arrêt du 21 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles a :

– rejeté la demande tendant à ce que soient écartées les écritures de M. [S] du 14 août 2019,

– ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture du 5 septembre 2019 et dit que la procédure est clôturée le 10 octobre 2019,

– infirmé le jugement sur les pertes de gains professionnels et les pertes de droits à retraite à raison de l’aggravation, et avant-dire droit de ces chefs,

– ordonné une expertise et désigné pour y procéder M. [I] [M], expert,

– sursis à statuer sur les demandes au titre des pertes de gains professionnels, des pertes de droits à retraite et au titre de l’actualisation des sommes dues jusqu’au dépôt du rapport d’expertise,

– confirme le jugement déféré sur les postes relatifs aux déficit fonctionnel temporaire, déficit fonctionnel permanent, souffrances endurées et préjudice esthétique temporaire après aggravation,

– dit que les sommes allouées de ces chefs seront payées par imputation sur la créance de la société GMF à l’égard de M. [S],

– confirme le jugement sur l’irrecevabilité des demandes de l’URSSAF devant le tribunal, mais déclare lesdites demandes recevables devant la cour,

– condamné M. [O] à payer à l’URSSAF la somme de 3884,78 euros,

– rejeté la demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive de la société GMF,

– réservé les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclare l’arrêt commun à la société MMA Iard Assurances Mutuelles.

L’expert a déposé son rapport le 6 juillet 2021, concluant que la légère baisse puis la stagnation des revenus professionnels de M. [S] ne pouvaient être imputées à ses difficultés

de santé, qu’il n’y avait donc pas lieu de réévaluer la perte réparée par l’arrêt du 22 mars 2012 et qu’aucune perte de droits à la retraite ne pouvait être retenue.

Par arrêt du 17 mars 2022, la cour d’appel de Versailles a :

– ordonné un complément d’expertise confié à M. [I] [M], avec pour mission notamment, s’il conclut à l’existence d’une baisse de gains professionnels imputable aux difficultés de santé de M. [S] à compter de 2013 et à une perte de ses droits à la retraite, de dire dans quelle mesure et d’en proposer une évaluation,

– dit qu’il est sursis à statuer sur le mérite des demandes des parties et les dépens dans l’attente du dépôt du rapport complémentaire de M. [M].

Par dernières écritures du 30 janvier 2019, la société Assurances MMA Alive Assurances prie la cour de :

– constater que les sociétés MMA ont versé la somme de 109 160, 46 euros à M. [S] au titre de son contrat dit « ACTIS »,

– constater qu’aucune indemnité journalière ne peut être versée à M. [S] au titre de son contrat dit « ACTIS »,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Ces conclusions ont été déclarées irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état du 30 janvier 2019. Cette décision n’a pas été déférée à la cour.

Par dernières écritures du 12 juillet 2022, la CPAM prie la cour de :

– déclarer recevable l’intervention volontaire de la CPAM venant aux droits et obligations du RSI et de la Caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs des indépendants (CLDSSTI),

– constater que la cour d’appel a déjà statué en condamnant M. [O] à payer à l’URSSAF la somme de 3 884,78 euros devenue la CPAM du Puy de Dôme,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Par dernières écritures du 4 janvier 2023, la société GMF prie la cour de :

– constater qu’aux termes de son arrêt avant dire droit du 21 novembre 2019, la cour a déjà :

‘ confirmé le jugement s’agissant des indemnités allouées à M. [S] au titre de son DFT, DFP, PET et pretium doloris,

‘ débouté M. [S] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive à l’encontre de la société GMF,

‘ statué sur la créance du RSI,

‘ infirmé le jugement sur les pertes de gains professionnels et les pertes de droits à retraite à raison de l’aggravation,

Statuant à nouveau,

– débouter M. [S] de sa demande indemnitaire afférente à sa prétendue perte de gains professionnels et sa perte de retraite dont il ne démontre la réalité ni dans son principe ni dans son quantum,

– débouter M. [S] de sa demande d’actualisation de ses pertes de revenu et de perte de droit à la retraite,

– débouter M. [S] du surplus de ses demandes indemnitaires à l’encontre de la société GMF,

– débouter le RSI et tout appelant en garantie de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la société GMF, et de son assuré,

– ordonner la compensation entre toute indemnité allouée à M. [S] dans le cadre de la présente procédure et la créance que la société GMF dispose à son égard, et condamner M. [S] à verser le solde à la société GMF,

– cantonner toute condamnation de la GMF à l’égard de M. [S] après déduction des créances du RSI, et de tous autres tiers payants, et de la somme de 198 363,90 euros dont M. [S] est débiteur à l’égard de la société GMF,

– condamner M. [S] à rembourser à la société GMF la totalité des sommes qu’il a perçues au titre de l’exécution provisoire du jugement entrepris, avec intérêt au taux légal à compter de leur paiement,

– ordonner la capitalisation desdits intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner M. [S] à verser à la société GMF la somme de 25 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [S] aux entiers dépens de première instance et d’appel avec recouvrement direct, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières écritures du 14 février 2023, M. [S] prie la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé à 592 633,44 euros son préjudice au titre de la perte de gains professionnels et à 257 115,22 euros au titre de sa perte de gains à la retraite,

Y ajoutant:

– juger que ces sommes seront réactualisées et condamner en conséquence M. [O] et la société GMF solidairement à payer à M. [S] la somme de 351 648,77 euros au titre de la réactualisation des sommes dues en vertu du jugement attaqué,

– ajoutant au jugement, juger que la dette de M. [S] à hauteur de 127 835,99 euros est assortie de l’intérêt légal non majoré arrêté au 15 mai 2018, la veille du jugement entrepris, soit la somme de 6 893,41 euros,

– condamner M. [O] solidairement avec la société GMF à payer à M. [S] la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice subi par ce dernier du fait de la résistance abusive et injustifiée opposée par la société GMF depuis dix-huit ans,

– condamner M. [O] solidairement avec la société GMF à rembourser à M. [S] la somme de 25 228,22 euros avec intérêt au taux légal à compter du 24 juillet 2018 en remboursement du calcul erroné des intérêts au taux légal établi par la société GMF en 2018 à l’occasion de l’exécution du jugement exécutoire du 16 mai 2018 du tribunal de grande instance de Chartres,

Plus subsidiairement,

Pour le cas où la cour l’estimerait nécessaire au vu des insuffisances et contradictions du rapport de l’expert [M] commis, en comparaison avec le rapport de l’expert de partie Mme [V],

– ordonner une contre-expertise,

En tout état de cause,

– débouter purement et simplement la société GMF de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– déclarer commun au RSI et à la société MMA Iard Assurances Mutuelles l’arrêt à intervenir à la demande de M. [S],

– condamner solidairement M. [O] et la société GMF à verser à M. [S], la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement M. [O] et la société GMF aux entiers dépens avec recouvrement direct, sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Il est acquis que M. [S] a déjà été indemnisé des pertes de gains professionnels actuels, pertes de gains professionnels futurs et incidence professionnelle induits par son état séquellaire en aggravation, et que la cour est saisie, au titre de la réparation des préjudices, seulement des pertes de gains professionnels futurs et de la perte de droits à la retraite causés par l’aggravation de son état. Elle est également saisie d’une demande d’actualisation, de restitution, de calcul d’intérêts et de compensation.

Il est donné acte à la CPAM du Puy de Dôme de son intervention volontaire venant aux droits du RSI et de la CLDSSTI. Elle ne présente plus de demande, la cour ayant tranché ses demandes par arrêt du 21 novembre 2019.

‘ sur la demande au titre des pertes de gains professionnels futurs au titre du préjudice en aggravation

En substance, la GMF expose avoir interjeté appel du jugement du 7 juin 2018, au motif que le tribunal a arrêté l’indemnisation de M. [S] sur des bases erronées. Elle affirme que l’expert a considéré que la victime était apte à reprendre son activité dans les mêmes conditions qu’avant 2007, que l’expertise comptable et le complément ordonné par la cour dans son arrêt avant-dire-droit confirment qu’il n’a pas subi de pertes de revenus comme il le prétend, et qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la situation de santé et l’évolution de ses revenus professionnels.

Au titre des pertes de gains professionnels futurs, la GMF observe que l’expert médical a estimé lui-même que M. [S] avait été apte à reprendre son activité professionnelle dans les conditions antérieures à l’aggravation, du fait de la pose de la prothèse de hanche. Elle souligne que le RSI ne verse aucune pension depuis février 2016. Elle relève de surcroît que la cour de Versailles a déjà indemnisé ce poste de préjudice, qui plus est de façon viagère. Selon elle, la baisse de revenus n’est pas liée à l’état séquellaire initial ou aggravé, mais découle d’une cause extérieure, consistant dans l’évolution de l’activité revente, en baisse considérable, tandis que l’activité prestations de services n’a pas été impactée, ce alors même que c’est l’activité qu’il n’exerce presque plus. Elle en déduit qu’aucune perte de droits à la retraite ne peut être retenue non plus.

Elle critique la méthode d’évaluation retenue par le tribunal pour apprécier les pertes de gains professionnels futurs, contestant le fait que le tribunal ait tenu pour établi le fait que M. [S] ne pouvait plus travailler, et considérant qu’il a fait un raisonnement sans distinguer entre l’état initial déjà réparé et l’état résultant de l’aggravation.

Elle expose que l’indemnisation de toutes pertes de gains professionnels futurs complémentaires impose de justifier d’une perte de revenu causé par l’aggravation de son état, alors que le tribunal a suivi le raisonnement de la victime, qui s’appuie sur des revenus hypothétiques et ne tient pas compte du fait qu’il a poursuivi son activité professionnelle.

Elle soutient que les résultats sont liés à une conjoncture économique défavorable et aux choix d’investissement de M. [S], de sorte que la baisse des revenus est sans lien avec l’aggravation de son état séquellaire. Elle ajoute que le fait que le RSI ait versé une rente invalidité n’établit pas qu’il est dans l’incapacité de travailler, d’autant qu’elle n’est plus versée depuis 2016.

Elle indique qu’il a perçu des indemnités journalières pour 30 444,72 euros versés par son assureur MMA, confirmant qu’il n’a subi aucune perte de revenus entre 2007 et 2014.

S’agissant de la perte des droits à la retraite alléguée, elle réfute le principe même de l’existence du préjudice, remarquant que sa prétention relève de l’incidence professionnelle. Elle relève que la perte de droits à la retraite ne peut pas être évaluée à part lorsque la perte des revenus est évaluée de façon viagère, de sorte que ce poste de préjudice devait être écarté par le tribunal. Elle souligne en outre que le quantum de la perte alléguée n’est pas établie.

Concernant la demande d’actualisation présentée par M. [S], elle argue de ce qu’en l’absence de perte de revenus ou de droits à la retraite, il sera débouté de cette prétention.

En réponse, M. [S] critique le travail de l’expert saisi d’une mission complémentaire, qui n’a pas répondu à la note technique de Mme [V], expert de partie, et qui commet une erreur de raisonnement sur les périodes à examiner au regard de la mission assignée. Il affirme que les pertes de revenus ont été causées par son incapacité médicale à exercer son métier de photographe, puisqu’il dit ne plus pouvoir réaliser lui-même de photographies.

Il soutient que M. [M] reproduit la même erreur que celle commise pour la mission initiale, consistant dans le fait d’ajouter à tort dans ses calculs les cotisations RSI avec les cotisations [C], outre le fait qu’il n’examine que les années postérieures à 2013. Il affirme que la baisse de revenus est très importante après son accident. Il reproche également à l’expert de n’avoir pas examiné les jugements et calculs du tribunal de Chartres et d’avoir établi sa conclusion à partir d’une moyenne de revenus inexacte. Il affirme ainsi que l’expert s’est contenté de comparer les revenus professionnels de M. [S] pour les années 2013 et suivantes entre eux, sans rechercher comme il aurait dû le faire le revenu qui aurait été obtenu par M. [S] si le fait dommageable ne s’était pas produit.

Il fait valoir que l’expert ne prend pas du tout en compte son incapacité d’exercer, pourtant officiellement reconnue à compter du 1er mai 2014, alors que le tribunal de Chartres le 16 mai 2018 avait dûment argumenté sa décision de réévaluer son préjudice au regard de cette nouvelle situation.

Il prétend que l’aggravation est survenue a minima à compter de 2013 et que cette aggravation est en lien avec l’accident de 2003, que le RSI a confirmé cette situation en le déclarant inapte à l’exercice de son métier à compter du 1er mai 2014, qu’il justifie avoir dû faire appel à des photographes professionnels pour les prestations commandées à l’extérieur, qu’il n’était plus en mesure d’exercer. Il affirme avoir oeuvré pour réduire le préjudice, alors qu’il n’y était plus obligé, aussi en apportant des fonds personnels en compte courant pour renflouer la trésorerie de son entreprise, et en cédant des parts de sa résidence principale en 2014.

Il affirme ensuite que le préjudice tel qu’évalué par le tribunal de Chartres ressort comme un minima, observant qu’il prend en compte son incapacité de travail depuis le 1er mai 2014, chiffrant les pertes de droits à la retraite et enfin calculant les pertes subies sur les rapports d’expertises et décisions rendues précédemment. Il distingue diverses périodes pour évaluer les pertes de revenus.

Il conteste avoir reconnu une reprise de son activité de photographe, alors au contraire que les conclusions de l’expert médical démentent ce point. Il estime que l’analyse de Mme [V] est fondée et doit être retenue, ou qu’à défaut une contre expertise sera ordonnée.

S’agissant des droits à la retraite, il affirme que la baisse des revenus aura une incidence significative sur sa retraite future.

Sur ce,

Au titre du préjudice initial, il avait été alloué une somme de 300 000 euros par la cour d’appel de Versailles (dont une provision de 30 000 euros à déduire), par arrêt du 22 mars 2012, pour les pertes de gains professionnels futurs à compter du 1er janvier 2005, la cour ayant estimé que les revenus de M. [S] étaient inférieurs d’un tiers par rapport à la période antérieure à l’accident. Ce préjudice a alors été évalué de façon viagère.

La cour n’est donc saisie que de l’éventuelle perte supplémentaire générée par l’aggravation du préjudice. Elle est saisie des pertes de gains professionnels futurs et des pertes de droit à la retraite, lesquels relèvent en principe de l’incidence professionnelle, mais n’ont pas été présentées ainsi.

Le tribunal, par son jugement du 16 mai 2018 dont appel, a alloué à M. [S] une somme de 592 633,44 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs outre une somme de 257 115,22 euros au titre de la perte des droits à la retraite, ce pour le préjudice résultant de l’aggravation.

La cour a, par arrêt avant-dire-droit du 17 mars 2022, confié une mission de complément d’expertise à M. [M] qui avait été précédemment désigné aux fins d’expertise, par la même cour par arrêt du 21 novembre 2019. Il a ainsi été demandé à ce dernier de prendre position sur les observations faites par l’expert de partie, Mme [V], et de répondre aux dires des parties.

L’expert médical, le docteur [F], a fixé la date d’aggravation du dommage subi par M. [S] à la date d’intervention chirurgicale de pose de prothèse de hanche le 2 février 2007, en considérant que la coxarthrose droite ayant nécessité cette prothèse, suivie de la tendinite calcifiante d’insertion du psoas droit sont en relation directe, totale et certaine avec l’accident. Il retient pour date de consolidation du dommage en aggravation le 31 janvier 2014.

En réponse aux dires des conseils des parties, le docteur [F] écrit que « M. [S] a une aggravation depuis 2011 et surtout 2013 de la fonction de la hanche droite depuis la prothèse en 2007, à savoir une diminution sévère des possibilités fonctionnelles de la hanche droite par raideur et fatigabilité, en rapport avec la tendinite calcifiante du psoas droit évolutive. Sur le plan professionnel, M. [S] est inapte à reprendre son activité de reporter photographe dans les mêmes conditions d’avant l’accident de 2003 ou après la prothèse de 2007 à cause de l’aggravation douloureuse de 2011 – 2013 en rapport avec la tendinite, M. [S] ne pouvant ainsi honorer tous les contrats qui lui sont proposés. »

C’est à partir de cette date du 31 janvier 2014 qu’il convient de rechercher si la situation médicale de M. [S] a été la cause d’une diminution de ses revenus professionnels.

Selon l’expert médical, « M. [S] est apte à reprendre sa vie courante telle qu’il la menait avant le début de l’aggravation. Sur le plan professionnel, M. [S] a la même profession qu’avant son aggravation mais effectuée avec des difficultés accrues du fait des douleurs ; M. [S], dans ces conditions, ne peut honorer tous les contrats qui lui sont proposés, sachant qu’il ne peut déléguer son activité propre de photographe. Au jour de cette expertise, il est apte à exercer son activité de photographe dans les mêmes conditions qu’avant l’aggravation. »

En réponse aux dires du conseil de M. [S], l’expert a finalement précisé que « M. [S] a une aggravation depuis 2011 et surtout 2013 de la fonction de la hanche droite depuis la prothèse en 2007, à savoir une diminution sévère des possibilités fonctionnelles de la hanche droite par raideur et fatigabilité, en rapport avec la tendinite calcifiante du psoas droit évolutive. Sur le plan professionnel, il est inapte à reprendre son activité de reporter photographe dans les mêmes conditions d’avant l’accident de 2003 ou après la prothèse de 2007 à cause de l’aggravation douloureuse de 2011-2013 en rapport avec la tendinite, M. [S] ne pouvant ainsi honorer tous les contrats qui lui sont proposés. »

L’appréciation de l’expert médical n’a pas été remise en cause et a servi de base à l’analyse de l’expert comptable.

M. [S] critique fermement les conclusions de l’expert saisi pour mener l’expertise comptable de ses revenus professionnels.

Si l’expert a bien constaté une stagnation des revenus professionnels, il a estimé en conclusion de son premier rapport que « la conjonction de la baisse considérable de l’activité revente et de l’évolution de la demande dans le domaine des prises de vue extérieures sont les véritables causes de la stagnation des revenus professionnels de M. [Y] [S] et que les effets de la dégradation de son état de santé ne sont pas démontrés. »

Or, pourtant il est indéniable que le docteur [F] a estimé que la dégradation de la situation médicale a impacté les possibilités d’exercice de l’activité professionnelle.

Dans son complément de rapport, M. [M] a conclu qu’il n’existe aucune baisse des revenus professionnels de M. [S] à partir de l’année 2013. Il explique que la mission confiée par la cour dans son arrêt du 21 novembre 2019 visait exclusivement les gains professionnels de M. [S] et leur baisse à compter de 2013. Il écrit avoir « estimé, compte tenu du fait que M. [S] exerçait son activité en qualité de dirigeant de la SARL A et X [S], qu’il convenait de prendre en compte l’activité globale desdites entités alors que, dans sa démarche, Me [D] raisonne comme si son client était photographe entrepreneur individuel… » Il précise que « prétendre assimiler d’éventuels dividendes à des gains professionnels ne lui semble pas pouvoir être retenu… chacun sait que la rémunération d’un dirigeant dépend des possibilités économiques de l’entreprise mais également de choix et décisions de gestion. »

L’expert a relevé que le chiffre d’affaires de l’activité ventes a connu une baisse importante, passant de 436 081 euros à 177 195 euros, soit une perte de marge brute supérieure à 54 k€, tandis que l’activité « prestations de services » est restée stable et devenue prépondérante.

Or, il est certain que l’activité vente est celle que peut mener M. [S] et qui constitue aujourd’hui la part essentielle de son activité quotidienne, compte tenu des difficultés de santé connues empêchant de répondre personnellement aux commandes de prises de vue extérieure. L’expert a d’ailleurs considéré que M. [S] ne génère plus de chiffre d’affaires par son activité personnelle depuis 2011, puisqu’il fait appel à des sous-traitants.

Il explique ensuite que la rémunération brute de M. [S] s’est élevée à 56 006 euros au cours de la période 2013/2019, soit une moyenne annuelle de 8 000 euros, précisant que les charges sociales relatives à cette rémunération représentent un montant anormalement élevé, en raison de versements sur un contrat dit « Loi [C] », de sorte qu’en considérant la rémunération brute et les versements effectués par M. [S] sur le contrat dit Loi [C], il n’y a aucune érosion du revenu professionnel. L’expert insiste sur le fait que les versements dits Loi [C] correspondent au choix de M. [S] de préparer sa retraite, que ces versements ne constituent certes pas une rémunération mais que le montant inhabituellement élevé a obéré les possibilités de versement d’une rémunération de gérance plus élevée, sans lien avec son état de santé par conséquent.

M. [M] souligne qu’il a pris comme année de référence l’année 2013 pour apprécier l’éventuelle perte de revenus professionnels, en considérant que le RSI a déclaré M. [S] dans l’incapacité d’exercer son métier à compter du 1er mai 2014. Il faut observer que le RSI a finalement cessé de verser la rente à M. [S] à compter de février 2016, considérant alors un changement de sa situation.

L’expert critique l’extrapolation faite par M. [S] à partir des revenus moyens antérieurs à 2003, qu’il qualifie de construction intellectuelle faisant abstraction de la réalité. Il observe en premier lieu que le contexte économique et le périmètre de l’entreprise ne sont plus les mêmes, le nombre d’établissements étant passé de 4 à 2 et l’activité vente ayant fortement chuté, en second lieu, il relève que les résultats bénéficiaires de la société, même faibles, permettaient à M. [S] d’envisager un niveau de rémunération au moins égal à celui de 2011 et 2012, mais qu’il a choisi de valider 4 trimestres par an pour la retraite, ce qui constitue une décision de gestion.

C’est en considérant l’ensemble de ces éléments que M. [M] estime qu’il n’existe aucune baisse des revenus professionnels de M. [S] à partir de l’année 2013 et qu’aucune perte de droits à la retraite ne peut être retenue.

L’expert écarte ainsi toute baisse de revenus professionnels effective à compter de l’année 2013, de sorte qu’il n’a pas poursuivi son analyse. La cour ne s’explique pas le montant retenu par le premier juge pour évaluer cette perte de salaire à 3 x 15 000 euros au titre du coût complémentaire du collaborateur accompagnant M. [S] pour les mariages et reportages, alors que la difficulté pour M. [S] d’assurer les déplacements extérieurs était déjà prise en compte en 2007.

Répondant à la critique de M. [S], M. [M] réfute toute confusion entre la situation de la société de la victime et la perte de ses gains professionnels.

Mme [V], expert de partie, a pour sa part expliqué que M. [S] percevait avant l’accident un équivalent annuel de 135 243 euros, puis en 2012 et 2013, une somme annuelle de 12 867 et 14 566 euros respectivement, puis de 2013 à 2019, une rémunération moyenne de gérant de plus ou moins 8 000 euros annuellement.

Or c’est à raison que M. [M] n’a pas considéré que la baisse entre la période 2012-2013 et la période postérieure était consécutive à l’aggravation, puisqu’il a expliqué que cette baisse résultait non par l’aggravation de son état de santé, mais bien du choix fait par M. [S] de nourrir le compte [C] pour préparer sa retraite.

La seule baisse significative causée par l’accident a été prise en compte dans la réparation du préjudice initial.

En conséquence, selon M. [M] l’aggravation de la situation médicale n’a pas induit une perte de revenus professionnels futurs. En conséquence, il peut être considéré que l’évaluation faite de façon viagère de la perte de revenus futurs pour la réparation du préjudice initial réparait l’entier préjudice.

En conséquence, en l’absence de lien de causalité entre l’aggravation et la baisse des revenus subie postérieurement à 2013, il est justifié de dire, comme l’a fait l’expert, qu’aucune baisse de revenu n’est imputable à l’aggravation. Par voie de conséquence, il ne subit pas non plus de perte de droits à la retraite du fait de l’aggravation du préjudice initial.

Le jugement est infirmé en son évaluation des pertes de gains professionnels futurs et pour la perte des droits à la retraite pour la période consécutive à l’aggravation . M. [S] est débouté de ses demandes à ce titre. La demande tendant à l’actualisation des sommes dues par la GMF est également rejetée, puisque M. [S] est débouté de sa demande d’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs en aggravation.

‘ sur la demande au titre du remboursement des sommes dues par M. [S] et la demande au titre du taux d’intérêt

La GMF sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné M. [S] à rembourser les sommes trop perçues, observant qu’il reconnaît devoir la somme de 127 835,99 euros. Elle ajoute qu’elle ne s’oppose pas à la demande de compensation.

Elle fait diverses observations sur les décomptes en principal et intérêts.

M. [S] reconnaît devoir la somme sus-indiquée et répond aux arguments opposés par la GMF et affirme que la cour peut statuer sur la question des intérêts légaux applicables à la dette de restitution. Il sollicite l’exonération du taux majoré de l’intérêt légal en application de l’article L313-3 alinéa 2 du code monétaire et financier.

Sur ce,

Le présent arrêt infirmatif constitue un titre exécutoire permettant de poursuivre les restitutions

et il n’appartient pas à la cour de faire les comptes entre les parties à ce stade du litige, ni vérifier les décomptes d’intérêts, toutes mesures qui relèvent de l’exécution de la décision. L’application de l’article L313-3 alinéa 2 est de la compétence du juge de l’exécution et non du juge du fond et cette demande sera écartée. Il n’y a pas lieu non plus à ordonner la capitalisation des intérêts de cette dette de restitution.

La compensation ordonnée par le tribunal entre les sommes auxquelles la GMF est condamnée et la créance détenue par la GMF à l’encontre de M. [S] est confirmée, en l’absence de débat sur ce point.

‘ sur la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive

M. [S] sollicite la condamnation de la GMF à lui payer des dommages-intérêts pour résistance abusive, au motif que cette société multiplie les manoeuvres dilatoires et procédures pour le décourager depuis 20 ans.

La GMF observe que la cour a déjà rejeté cette demande.

Sur ce,

Il sera observé, outre que cette demande avait été rejetée précédemment par la cour par arrêt du 21 novembre 2019, que le temps de la procédure résulte d’une part de l’aggravation du préjudice initial, d’autre part de la nécessité de mener des mesures d’instruction, toutes situations qui ne sont pas imputables à la GMF, qui a entendu faire valoir ses intérêts au cours de la présente instance. La demande de dommages-intérêts est rejetée.

‘ sur les autres demandes

La GMF est condamnée à payer à M. [S] la somme de 5 000 euros d’indemnité de procédure.

La GMF supportera la charge des dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais de l’expertise et du complément d’expertise. Les dépens seront recouvrés, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, par chacun des avocats de la cause pour ce qui le concerne.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,

Déclare recevable l’intervention volontaire de la CPAM du Puy de Dôme aux droits du RSI et de la CLDSSTI,

Infirme le jugement en ce qu’il a condamné solidairement M. [O] et la GMF à payer à M. [S] la somme de 592 633,44 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs et celle de 257 115,22 euros au titre des pertes de droits à la retraite, en réparation du préjudice en aggravation consolidé le 31 janvier 2014,

Confirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Déboute M. [S] de la demande présentée au titre des pertes de gains professionnels futurs et des pertes de droits à la retraite au titre du préjudice en aggravation,

Rappelle que l’arrêt infirmatif vaut titre exécutoire permettant de poursuivre les restitutions,

Rejette la demande de comptes entre les parties,

Dit qu’il n’est pas de la compétence de la cour saisie du fond du litige de statuer sur l’application de l’article L313-3 alinéa 2 du code monétaire et financier,

Rejette la demande de capitalisation des intérêts présentée par la GMF,

Rejette la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

Y ajoutant,

Condamne in solidum la GMF et M. [O] à payer à M. [S] la somme de 5 000 euros d’indemnité de procédure,

Condamne in solidum la GMF et M. [O] aux dépens, en ce compris le coût de l’expertise, et dit qu’ils seront recouvrés, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, par chacun des avocats de la cause pour ce qui le concerne.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame PERRET, Président, et par Madame FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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