JG/ND
Numéro 23/2344
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRET DU 29/06/2023
Dossier : N° RG 22/02762 – N° Portalis DBVV-V-B7G-IK2Z
Nature affaire :
Action en responsabilité exercée contre l’établissement de crédit pour octroi abusif de crédits ou brusque rupture de crédits
Affaire :
[C] [G]
[I] [F] épouse [G]
C/
S.A. BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 29 Juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
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APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 27 Mars 2023, devant :
Madame Joëlle GUIROY, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l’appel des causes,
Joëlle GUIROY, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Joëlle GUIROY, conseillère
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [C] [G]
né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 8]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Madame [I] [F] épouse [G]
née le [Date naissance 4] 1964 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentés par Me Didier SANS, avocat au barreau de TARBES
INTIMEE :
S.A. BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Christophe DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Frédéric PUGET (SELARL PUGET LEOPOLD COUTURIER), avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 28 SEPTEMBRE 2022
rendue par le JUGE DE LA MISE EN ETAT DE TARBES
Exposé du litige et des prétentions des parties :
Courant 2012, [C] [G], pharmacien et son épouse [I] [F], coiffeuse, tous deux domiciliés à [Adresse 7], ont souhaité vendre leur résidence principale pour acheter un terrain à [Localité 5] et y faire construire un immeuble devant servir à usage mixte d’habitation et professionnel.
Pour le financement de cette opération, suivant acte authentique en date du 25 février 2013, ils ont souscrit, en qualité de coemprunteurs conjoints et solidaires, un prêt auprès de la SA BNP Paribas personal finance d’un montant principal de 617.999,64 euros moyennant un taux d’intérêt initial de 3.35 % 1’an.
Il était stipulé que le prêt était remboursable, après la première échéance fixée le 5 mars 2013, par 240 mensualités avec engagement des coemprunteurs à rembourser la somme de 248.000 euros dès la vente de leur résidence principale sise à [Localité 6] et au plus tard le 24ème mois suivant le premier versement du crédit.
Par actes sous seings privés en date des 8 juillet 2013, 26 août 2013 et 5 octobre 2014, Madame [G] a donné mandat à un notaire et à deux agents immobiliers de vendre le bien immobilier qui constituait leur résidence principale moyennant un prix net vendeur de 320.000 euros minimum.
Cependant, rencontrant des difficultés pour réaliser la vente de leur bien, les époux [G] n’ont pu effectuer le versement convenu de 248.000 euros à son échéance fixée au 5 mars 2015.
Aussi, selon avenant du 22 janvier 2015, ils ont obtenu du prêteur un report de six mois pour le paiement de cette somme lequel devait intervenir au plus tard le 5 septembre 2015.
Mais, à l’échéance du 5 septembre 2015, ils se sont trouvés une nouvelle fois dans l’impossibilité de réaliser le versement en capital exigé.
Suivant courrier recommandé avec demande d’avis de réception du 8 septembre 2015, la SA BNP Paribas personal finance a mis en demeure les coemprunteurs d’avoir à lui régler ladite somme de 248.000 euros.
Puis, dans les mêmes formes, le 22 février 2016, elle leur a notifié la déchéance du terme du contrat de prêt.
N’obtenant pas le règlement des sommes objets du litige, le 28 juin 2017, la SA BNP Paribas personal finance a fait délivrer aux époux [G] un commandement de payer valant saisie-vente pour le recouvrement de la somme de 682.643,09 euros et a ensuite engagé une procédure judiciaire de saisie immobilière.
Les époux [G] ont toutefois obtenu, par jugement du 5 février 2018 du juge de l’exécution près le Tribunal de grande instance de Tarbes, l’octroi d’un délai de deux ans pour s’acquitter de leur dette.
Puis, par jugement du 19 mars 2020, le juge de l’exécution a fixé la créance de la banque à la somme de 682.643,09 euros et a autorisé la vente amiable des biens objets de la saisie, laquelle sera conclue le 6 avril 2020 pour le prix de 220.000 euros et judiciairement homologuée par jugement du 13 août 2020.
Dans ce contexte, par exploit d’huissier en date du 27 août 2020, délivré à personne morale, les époux [G] ont fait assigner la SA BNP Paribas personal finance devant le Tribunal judiciaire de Tarbes à l’effet, en application de l’article 1147 du code civil, des articles L.313-12 et L.313-16 du code de la consommation, et au visa du code monétaire et financier, de voir :
– dire que la banque a failli à leur égard dans son obligation d’information, de conseil et de mise en garde dans l’octroi et l’exécution du contrat de prêt du 25 février 2013 pour un montant de 617.999,64€,
– retenir sa responsabilité contractuelle fautive et la condamner, en réparation du dommage subi, à leur verser la somme de 530.000€, à titre de dommages et intérêts, somme assortie des intérêts de droit à compter de l’assignation,
– condamner la banque aux entiers dépens ainsi qu’à la somme de 5.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La SA BNP Paribas personal finance, ayant reçu règlement de la somme de 214.800 euros sur le produit de la vente amiable homologuée en justice, a sollicité reconventionnellement leur condamnation au paiement du montant de sa créance restante, soit la somme de 539.171 ,94 euros.
Et, suivant conclusions d’incident, elle a demandé au juge de la mise en état de déclarer les époux [G] irrecevables, en raison de la prescription, en leurs demandes fondées sur les prétendus manquements à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde et leur demande indemnitaire subséquente.
Elle a aussi sollicité la disjonction de l’instance pour qu’il soit statué sur la demande reconventionnelle autonome qu’elle a formulée et la condamnation des époux [G] à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par ordonnance du 28 septembre 2022, le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Tarbes a :
– déclaré irrecevables les demandes en responsabilité formulées par les époux [G] suivant acte extrajudiciaire du 27 août 2020 et les demandes indemnitaires subséquentes ;
– rejeté les autres demandes plus amples ou contraires, notamment celles formulées par les époux [G] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– renvoyé l’affaire à la mise en état du mardi 03 janvier 2023 à 09 h00 pour qu’il soit statué sur la suite de la procédure toutes les parties ayant conclu au fond ;
– condamné les époux [G] aux dépens de l’incident.
Par déclaration au greffe en date du 11 octobre 2022, [C] [G] et [I] [F] ont interjeté appel de l’ordonnance.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 février 2023 et l’audience de plaidoirie a eu lieu le 27 mars 2023.
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Par conclusions notifiées le 17 octobre 2022, [C] [G] et [I] [F] demandent à la cour de réformer la décision déférée, de dire que l’action en responsabilité qu’ils ont initiée suivant acte extra judiciaire du 27 août 2020 n’est pas prescrite et est recevable et de condamner l’intimée aux entiers dépens.
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Par conclusions notifiées le 17 novembre 2022, la SA BNP Paribas personal finance demande à la cour de :
– déclarer les époux [G] mal fondés en toutes leurs demandes et les en débouter ;
– confirmer l’ordonnance du 28 septembre 2022 ;
– les condamner à payer la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé aux dernières des conclusions des parties visées ci-dessus.
MOTIVATION :
– Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action des époux [G] :
L’action des époux [G] se fonde sur le manquement de la SA BNP Paribas personal finance à ses obligations contractuelles laquelle leur a opposé la fin de non-recevoir tirée de la prescription de celle-ci.
Les parties s’opposent sur le point de départ de la prescription quinquennale dont elles ne contestent pas l’application en l’espèce.
Les époux [G] appelants reprochent au premier juge d’avoir déclaré leur action prescrite au motif que, en matière de prêt in fine, le dommage réside dans la perte de chance d’éviter un risque consistant en une contre performance des garanties consenties dont le rachat ne permet pas de rembourser le prêt à son terme. Ils soutiennent que le point de départ de leur action ne peut être fixé au 22 janvier 2015, c’est-à-dire à la date à laquelle ils ont obtenu, par avenant, le report de six mois de la date de versement de la somme de 248.000 euros issue de la vente de leur résidence principale faute de pouvoir honorer la première date du 5 mars 2015.
En effet, ils exposent qu’ils n’ont pas été en mesure d’anticiper le préjudice résultant des manquements qu’ils reprochent au prêteur avant l’échéance finale qui a été reportée au 5 septembre 2015 et avant la mise en demeure de la banque d’avoir à lui régler l’échéance relais de 248.000 euros qui leur a été adressée le 8 septembre 2015 de telle sorte que leur action initiée le 27 août 2020 doit être déclarée recevable par infirmation du jugement entrepris.
A l’inverse, la banque demande la confirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a dit l’action des demandeurs prescrite mais soutient que le point de départ à retenir pour le cours de la prescription est le jour de la signature du contrat de prêt, soit le 25 février 2013, en ce que le seul préjudice indemnisable des coemprunteurs à raison de prétendus manquements à ses obligations pré-contractuelles résulte de la perte de la chance de ne pas contracter.
En droit, selon l’article L. 110-4 du code de commerce en sa rédaction applicable à la date de l’acte de prêt : « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».
Selon l’article 2224 du code civil, en vigueur à compter de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Et il est de jurisprudence constante que le dommage résultant d’un manquement éventuel de la banque à l’égard de l’emprunteur à ses obligations d’information, de conseil et/ou de mise en garde, lorsqu’elle y est tenue, consiste en une perte de chance de ne pas contracter et d’éviter le risque que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, de sorte que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face.
Dans le cas d’un montage destiné à financer une acquisition immobilière par la mise en place d’un prêt dont une partie doit être remboursée à échéance déterminée par des fonds devant provenir de la vente d’un autre bien, le préjudice découlant des manquements du prêteur à ses obligations consiste dans la perte d’une chance d’éviter la réalisation du risque de non-réalisation de la vente projetée ou de contre performance dans celle-ci et de défaillance des emprunteurs dans le remboursement du crédit qui ne peuvent faire face au paiement des sommes exigibles à la date prévue contractuellement.
En l’espèce, les époux [G] se sont engagés, le 25 février 2013, pour un remboursement de la somme de 248.000 euros à provenir de la vente de leur résidence principale à la date du 5 mars 2015.
Or, conscients de ne pouvoir s’acquitter à cette date de leur obligation faute d’acquéreur, ils ont sollicité, et obtenu de l’organisme prêteur, le 22 janvier 2015, un avenant au contrat de prêt reportant l’échéance au plus tard au 5 septembre 2015, ce qu’ils n’ont pu cependant honorer à nouveau.
Ainsi, c’est à cette date, qui constitue leur premier incident effectif de paiement, que les coemprunteurs ont été en mesure d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles de leur manquement à leur obligation de remboursement de la somme de 248.000 euros, date qui doit constituer le point de départ de la prescription de leur action en responsabilité de la banque.
Il s’en déduit que leur action engagée par exploit du 27 août 2020 n’est pas prescrite.
L’ordonnance du 28 septembre 2022 du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Tarbes sera dès lors infirmée.
– Sur les dépens et frais irrépétibles :
En application de l’article 696 du code de procédure pénale, la SA BNP Paribas personal finance, partie perdante, devra supporter les dépens de l’appel.
Et eu égard à la situation des parties et à la nature du litige, il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la SA BNP Paribas personal finance les frais irrépétibles qu’elle a exposé en première instance comme à hauteur d’appel et dès lors de la débouter de sa demande sur ce fondement, les époux [G] n’ayant pas formé de demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme l’ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Tarbes du 28 septembre 2022 en ce qu’il a :
– déclaré irrecevables les demandes en responsabilité formulées par les époux [G] suivant acte extrajudiciaire du 27 août 2020 et les demandes indemnitaires subséquentes ;
– rejeté les autres demandes plus amples ou contraires, ;
– condamné les époux [G] aux dépens de l’incident.
Confirme pour le reste ladite ordonnance ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
– Écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de [C] [G] et [I] [F] épouse [G] contre la SA BNP Paribas personal finance ;
– Déclare recevable l’action de [C] [G] et [I] [F] épouse [G] contre la SA BNP Paribas personal finance ;
– Condamne la SA BNP Paribas personal finance aux dépens de l’appel ;
– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière, Le Président,