REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 29 JUIN 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général
N° RG 22/07801 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFVUD
Décision déférée à la cour
Jugement du 2 février 2022-Juge de l’exécution de Fontainebleau-RG n° 2020/A 183
APPELANT
Monsieur [B] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Bernard DUMONT, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU
INTIMEE
S.A.S. MCS ET ASSOCIES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Céline NETTHAVONGS de l’AARPI RABIER & NETHAVONGS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1075
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 31 mai 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Suivant jugement du tribunal de grande instance de Fontainebleau en date du 17 février 1993, assorti de l’exécution provisoire, M. [U] a été condamné à payer à la société Crédit Lyonnais les sommes de 68 088,80 F, 69 138,15 F et 154 133,13 F avec intérêts au taux conventionnel à compter du 7 mai 1991, au titre du cautionnement des engagements de Mme [R], ainsi qu’aux entiers dépens.
Par arrêt du 22 septembre 1995, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du 17 février 1993, en assortissant la condamnation à paiement de l’intérêt légal à compter du 11 décembre 1991, a ordonné la capitalisation des intérêts, et a condamné M. [U] aux dépens d’appel.
La société MCS & associés déclarant venir aux droits de la société Crédit Lyonnais a déposé auprès du juge de l’exécution de Fontainebleau une requête en saisie des rémunérations à l’encontre du débiteur le 30 juin 2020, pour avoir paiement de la somme de 80 308,79 euros.
Suivant jugement en date du 2 février 2022, le juge de l’exécution a :
– autorisé la saisie des rémunérations de M. [U] à hauteur de 70 000,54 euros (soit 44 417,55 euros en principal, 396,39 euros au titre des frais, et 35 858 euros au titre des intérêts, sous déduction des acomptes à hauteur de 10 671,40 euros) ;
– débouté la société MCS & associés de ses demandes plus amples ou contraires ;
– débouté M. [U] de ses demandes ;
– condamné M. [U] à payer à la société MCS & associés la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [U] aux dépens.
Pour statuer ainsi, il a notamment relevé :
– que la société MCS & associés justifie venir aux droits de la société Crédit Lyonnais, par un acte notarié de cession de portefeuille en date du 21 octobre 2019 ;
– que la créance en cause a bien été cédée ;
– que le commandement à fin de saisie-vente en date du 17 mai 2018, délivré en l’étude de l’huissier de justice instrumentaire, n’a pas à être annulé, et a ainsi interrompu le délai de prescription si bien que celle-ci n’est pas acquise ;
– que le protocole en date du 6 novembre 2011, homologué par un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Fontainebleau le 29 mai 2002, n’a pas été respecté et n’est donc plus applicable ;
– que la société MCS & associés n’a nullement renoncé à recouvrer les sommes dues.
Selon déclaration en date du 16 avril 2022, M. [U] a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 18 avril 2023, il expose :
– que son appel est recevable ; qu’en effet l’acte de signification du jugement est nul, car il a été prétendument délivré le 15 mars 2022 mais comporte plusieurs dates avec des ratures, celles-ci n’étant pas les mêmes selon que l’on examine son propre exemplaire de l’acte ou celui de la partie adverse ;
– que l’huissier de justice s’était d’ailleurs rendu chez lui au préalable, sans dresser d’acte ;
– que la prescription est acquise, sa durée étant de dix ans et courant à dater du 19 juin 2008 ;
– que la société MCS & associés ne peut pas justifier d’actes interruptifs de prescription ;
– qu’en effet Mme [R] a cessé tout règlement après le 28 avril 2005 alors que le commandement à fin de saisie-vente à lui délivré le 17 mai 2018 est nul ;
– qu’il a été signifié à son ancienne adresse à [Localité 6], alors qu’il n’y résidait plus depuis 2017, son immeuble ayant été victime d’une inondation à la suite de la crue du Loing au mois de juin 2016, et étant devenu totalement inhabitable ; que lors de la délivrance de cet acte, ledit immeuble était inoccupé, dépourvu de sonnette, sans aucun nom inscrit à la porte, et sans aucun signe de présence ; que la faible consommation d’électricité qui avait été relevée démontre qu’il n’y habitait plus, celle-ci étant uniquement consécutive aux travaux ;
– que les informations qui avaient été communiquées à l’huissier de justice par la mairie au sujet de son adresse étaient erronées, et ce d’autant plus qu’il ne payait plus la taxe d’habitation depuis l’année 2017 ;
– que son domicile a toujours été à [Localité 4] depuis le sinistre survenu en 2016 ;
– que le commandement à fin de saisie-vente est nul et a ainsi perdu tout effet interruptif ;
– que cet acte visait le jugement du 8 avril 1993 et l’arrêt du 22 septembre 1995, alors qu’en réalité la société MCS & associés agissait en vertu du jugement du 29 mai 2002 ayant homologué le protocole ; que ledit commandement à fin de saisie-vente a de plus fort perdu tout effet interruptif ;
– que le jugement précité n’a pas été signifié à avocat et à partie ;
– que dans le protocole susvisé daté du 6 novembre 2001, il avait été prévu de ramener le montant de la dette à 450 000 F, dont 50 000 F étaient payables sur-le-champ et le surplus par des mensualités de 7 000 F ;
– que la seule sanction en cas de défaut de règlement de ces sommes était le partage de l’indivision existant entre lui-même et Mme [R] ; que ce protocole ne comportait pas de clause résolutoire ;
– que par ailleurs, le Tribunal, dans son jugement homologuant le protocole susvisé, a omis de prendre en compte le versement de la somme de 15 103,56 euros ;
– qu’il n’a pas tenu compte de tous les versements, notamment des mensualités de 7 000 F, de celui de 50 000 F (soit 7 469,98 euros), ni d’une somme de 7 633,58 euros réglée hors protocole ; que seule celle de 16 248,83 euros serait due.
M. [U] demande en conséquence à la Cour de :
– annuler l’acte de signification du jugement du juge de l’exécution de Fontainebleau daté du 2 février 2022 ;
– déclarer son appel recevable ;
– annuler le commandement à fin de saisie-vente en date du 17 mai 2018 ;
– constater la prescription ;
– fixer le montant de la dette à 16 248,83 euros ;
– subsidiairement, faire injonction à la société MCS & associés de produire la convention de cession de créance et ses annexes, et ce, sous astreinte de 100 euros par jour ;
– très subsidiairement, fixer le montant de la dette à 23 718,81 euros ;
– condamner la société MCS & associés au paiement de la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société MCS & associés aux dépens de première instance et d’appel.
Dans ses conclusions notifiées le 12 avril 2023, la société MCS & associés réplique :
– que l’appel est irrecevable ; qu’en effet le jugement a été signifié le 15 mars 2022 et la déclaration d’appel régularisée le 16 avril 2022 soit hors délai ; que l’acte de signification du jugement est régulier, et a été remis à l’épouse du débiteur qui en connaissait nécessairement la date ; que les mentions y figurant font foi jusqu’à inscription de faux ; que s’il comporte plusieurs dates c’est en raison du fait que l’huissier de justice a été contraint de se rendre à plusieurs reprises à l’adresse mentionnée dans le jugement avant de pouvoir signifier ce dernier à M. [U] le 15 mars 2022 ;
– que le délai de prescription est de 10 ans à compter du 19 juin 2008 et devait expirer le 19 juin 2018 ; que ladite prescription a été interrompue par le commandement à fin de saisie-vente du 17 mai 2018 ;
– qu’en effet, il a été délivré à M. [U] à sa bonne adresse, à [Localité 6], celle-ci ayant été confirmée par la mairie, étant rappelé qu’il s’agit d’une commune de 4 300 habitants, alors qu’il n’était nullement indiqué dans l’acte que l’immeuble était saccagé, et que des consommations d’électricité en 2017 et 2018 ont été mises en évidence ; que dans le procès-verbal de constat en date du 5 mars 2018, dressé sur la requête de l’appelant, il s’était domicilié à [Adresse 7]) et non pas à [Localité 4] ; que le bien sis à [Localité 6] n’était pas ravagé par une inondation comme M. [U] le prétend ;
– qu’il apparaît que ce dernier se domicilie tantôt dans cette commune, tantôt à [Localité 4] ;
– que le protocole susvisé n’a pas été respecté, ce que l’appelant a reconnu dans ses écritures puisqu’il signale que Mme [R] a cessé tout règlement postérieurement au mois d’avril 2005 ; que par voie de conséquence, ce protocole est caduc, et elle est en droit de diligenter des mesures d’exécution sur le fondement des décisions de justice rendues, et non pas seulement de solliciter le partage du bien indivis ;
– que le jugement du 17 février 1993 a été notifié à avocat le 17 mars 1993 et à partie le 8 avril 1993 ;
– que l’arrêt du 22 septembre 1995 a été notifié à avoué le 17 octobre 1995 et à partie le 26 octobre 1995 ;
– qu’en tout état de cause, même si tel n’avait pas été le cas, il s’agirait là d’une irrégularité de forme nécessitant la preuve d’un grief pour entraîner la nullité de l’acte ;
– que seuls ont été payés 20 acomptes de 533,57 euros, par Mme [R], soit 10 671,40 euros, le total des paiements à retenir étant de 11 738,54 euros après ajout de la somme de 1 067,14 euros (soit 7 000 F) ;
– que le bordereau de cession de créance est produit, tandis que l’indication du montant de la créance cédée dans ce dernier n’est pas prévue à peine de nullité.
La société MCS & associés demande en conséquence à la Cour de :
– déclarer l’appel irrecevable ;
– subsidiairement, confirmer le jugement sauf en ce qu’il a fixé la créance à la somme de 70 000,54 euros ;
– l’infirmer sur ce point et fixer ladite créance à 53 734,69 euros, arrêtée au 31 mai 2023 ;
– condamner M. [U] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– le condamner aux dépens de première instance et d’appel, et dire que ces derniers seront recouvrés directement par Maître Netthavongs.
MOTIFS
Il résulte des dispositions des articles R 121-19 et R 121-20 du code des procédures civiles d’exécution que les jugements du juge de l’exécution sont susceptibles d’appel, et ce dans les 15 jours de leur notification. En l’espèce, le jugement dont appel a été signifié par un acte de la Selarl Evidence, huissier de justice à [Localité 5] (77).
Conformément à l’article 648 du code de procédure civile, tout acte d’huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :
1. Sa date ;
2. a) Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
b) Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement.
3. Les nom, prénoms, demeure et signature de l’huissier de justice ;
4. Si l’acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social.
Ces mentions sont prescrites à peine de nullité.
L’acte produit par M. [U] comporte en sa première page trois dates manuscrites : 23 février 2022, 11 mars 2022 et 15 mars 2022, qui sont toutes les trois raturées. La feuille de signification ne comporte pas de date.
L’acte produit par la société MCS & associés comporte une seule date : celle du 15 mars 2022.
Devant les contradictions évidentes entre les deux exemplaires de cet acte, il convient de considérer qu’il est totalement irrégulier, et la preuve d’un grief est rapportée puisque M. [U] n’a pu qu’être induit en erreur sur la date à laquelle le délai d’appel expirait, faute de date certaine de l’acte qui faisait courir ce délai. L’acte de signification querellé sera donc annulé, si bien que l’appel est recevable, puisque le délai de 15 jours n’a pas commencé à courir.
S’agissant de la prescription, depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l’exécution des titres exécutoires d’origine judiciaire ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long. En effet selon l’article L 111-4 du code des procédures civiles d’exécution, l’exécution des titres exécutoires d’origine judiciaire ne peut être poursuivie que durant dix ans. La décision fondant les poursuites ayant été prononcée en 1995, soit sous l’empire de l’ancienne loi qui édictait un délai de prescription trentenaire, il y a lieu de faire application de l’article 2222 alinéa 2 du code civil selon lequel, en cas de réduction du délai, le nouveau délai (soit en l’espèce dix ans) court du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Ce délai courait donc à compter du 18 juin 2008 et devait expirer le 19 juin 2018.
L’interruption de la prescription peut être invoquée par le créancier, si ont été délivrés des actes visés aux articles 2240, 2241, 2244, 2245 du code civil (reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, demande en justice, acte d’exécution forcée, mesure conservatoire).
Pour conclure à l’interruption de la prescription, la société MCS & associés invoque un commandement à fin de saisie-vente délivré à M. [U] le 17 mai 2018, en l’étude de l’huissier de justice instrumentaire. L’adresse à laquelle il a été délivré est le [Adresse 7] à [Localité 6], l’auxiliaire de justice ayant indiqué avoir interrogé la mairie au téléphone, laquelle lui aurait confirmé que M. [U] résidait bien à cette adressse.
Ce dernier objecte qu’il n’y résidait plus, à la suite d’une inondation consécutive à la crue du Loing, le logement étant devenu totalement inhabitable.
Des photographies versées aux débats montrent que l’immeuble se trouve dans un état de grand désordre, alors que des fils électriques sont arrachés, les pièces sont vides et le tableau électrique est totalement dégradé ; le jardin est impraticable car envahi de sacs.
Toutefois, dans un procès-verbal de constat en date du 5 mars 2018, dressé très peu de temps avant l’acte critiqué, M. [U] s’est domicilié à [Localité 6]. Ce constat était destiné à relever des malfaçons imputables à l’entreprise qu’il avait mandatée pour rénover le bien qui avait été dégradé lors de la crue du Loing. Il ne peut être déduit de ce seul constat que M. [U] résidait effectivement à cette adresse ; dès lors qu’il s’agissait de celle des travaux, l’intéressé a pu, par commodité, s’y domicilier pour les besoins du constat. D’ailleurs les photographies annexées audit constat montrent sans contestation possible que l’immeuble était alors totalement inhabitable : toutes les pièces étaient vides et en travaux. En outre, l’avis d’imposition adressé par l’administration fiscale à M. [U] et à Mme [R] l’a été à [Localité 4], de même que les factures d’électricité.
Nonobstant la mention, dans l’acte dressé par l’huissier de justice, de ce que le nom de [U] figurait sur la boîte aux lettres, il est établi que cet acte n’a pas été délivré à la bonne adresse.
L’acte en cause est irrégulier, mais s’agissant d’une irrégularité de forme, la nullité ne peut en être prononcée que si un grief est mis en évidence, comme il est dit à l’article 114 du code de procédure civile.
Un commandement à fin de saisie-vente fait courir un délai de 8 jours à l’expiration duquel, en cas de défaut de paiement de la dette, la saisie-vente des biens du débiteur peut intervenir. L’appelant n’a donc pas été tenu informé du point de départ dudit délai en temps utile ; par ailleurs, cet acte étant interruptif de prescription, l’intéressé n’a pas été avisé de ce que le délai de 10 ans recommençait à courir. Un grief est donc caractérisé, contrairement à ce qu’a estimé le juge de l’exécution.
Cet acte sera annulé, et par voie de conséquence la prescription est acquise ; les demandes de la société MCS & associés sont irrecevables. Le jugement est infirmé en l’ensemble de ses dispositions.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. [U].
La société MCS & associés sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
– ANNULE l’acte de signification du jugement en date du 2 février 2022 ;
– DECLARE l’appel recevable ;
– INFIRME le jugement en date du 2 février 2022 en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau :
– DECLARE irrrecevable la demande de saisie des rémunérations formée par la société MCS & associés à l’encontre de M. [B] [U] ;
– REJETTE la demande de M. [B] [U] en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE la société MCS & associés aux dépens de première instance et d’appel ;
– DIT que la partie la plus diligente devra remettre au greffe du juge de l’exécution de Fontainebleau une copie du présent arrêt et de ses actes de signification.
Le greffier, Le président,