République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 29/06/2023
N° de MINUTE : 23/634
N° RG 21/02176 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TSC5
Jugement (N° 16/09633) rendu le 02 Mars 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Lille
APPELANTS
Monsieur [F] [O] [S] [H]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 9] – de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Madame [T] [M] [L] [R] épouse [H]
née le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 10] – de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentés par Me Bertrand Charlet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, substitué par Me Stéphanie Drode, avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
SA Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France SA Coopérative à Capital Variable, immatriculée au RCS de Lille sous le numéro 440676559
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Yann Leupe, avocat au barreau de Dunkerque avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 05 avril 2023 tenue par Catherine Ménegaire magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Gaëlle Przedlacki
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Yves Benhamou, président de chambre
Catherine Ménegaire, conseiller
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Gaëlle Przedlacki, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 5 avril 2023
EXPOSE DES MOTIFS
Par acte notarié en date du 28 juin 2010, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France ci-après ‘le Crédit agricole’ a consenti à la SCI La Trilogie un prêt ‘tout habitat facilimo’ d’un montant de 450’000 euros, remboursable en 240 mensualités d’un montant de 2 526,59 euros, assorti d’un taux d’intérêt révisable, en vue de l’acquisition d’un immeuble [Adresse 7] à [Localité 11].
En garantie de ce prêt, la banque a pris une hypothèque conventionnelle sur l’immeuble pour un montant de 45’000 euros outre un privilège de prêteur de deniers à hauteur de 405’000 euros.
M. [A] [P], Mme [I] [P], M. [V] [X] M. [F] [H] et Mme [T] [R] épouse [H] se sont également portés cautions solidaires dans l’acte notarié du 28 juin 2010 à hauteur de 150’000 euros chacun.
À la suite de la défaillance de la SCI La Trilogie dans le remboursement de ses mensualités dès février 2011, la banque a prononcé la déchéance du terme du contrat de crédit par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 janvier 2022.
Le 20 octobre 2016, elle a fait procéder à une saisie-attribution sur les comptes de M. [H] et Mme [R] ouverts dans ses livres à l’agence de [Localité 8] pour obtenir paiement de la somme de 190’274,86 euros au titre de leur cautionnement de la SCI trilogie, et ce en vertu de l’acte notarié du 28 juin 2010.
La saisie-attribution a été dénoncée à M. [H] et Mme [R] le 27 octobre 2016 et ces derniers ont, par acte d’huissier du 7 novembre 2016, attrait la banque devant le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Dunkerque aux fins de voir ordonner la mainlevée de la saisie attribution pratiquée.
Parallèlement, les époux [H] ont, par exploit huissier en date du 7 novembre 2016, saisi le tribunal de grande instance de Lille aux fins de voir prononcer la nullité, la décharge et l’inopposabilité des cautionnements souscrits par eux.
Par jugement du 27 juin 2017, le juge de l’exécution près le tribunal de grande instance de Dunkerque a :
– rejeté l’exception de litispendance,
– rejeté le moyen tiré de l’inopposabilité de l’engagement de caution,
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale,
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande relative au caractère disproportionné de l’engagement de caution,
– rejeté le moyen tiré du caractère disproportionné des engagements de caution,
– débouté M. [H] et Mme [R] de leurs demandes de report de la dette,
– condamné M. [H] et Mme [R] aux dépens,
– condamné M. [H] et Mme [R] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Les époux [H] ont relevé appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 19 juillet 2017.
Dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de grande instance de Lille, par ordonnance d’incident en date du 18 octobre 2017, le juge de la mise en état a rejeté l’exception procédurale de litispendance invoquée par la banque, estimant que le juge de l’exécution était saisi d’une contestation d’une mesure d’exécution forcée cependant que le tribunal de grande instance de Lille était quant à lui saisi d’une demande de délai de paiement, d’action en nullité du cautionnement et d’une action en responsabilité. Le juge de la mise en état a également rejeté la demande de sursis à statuer formée par les demandeurs, considérant qu’il pouvait être jugé sans qu’il y ait lieu d’attendre la décision de la cour d’appel saisie d’une contestation de la décision prise par le juge de l’exécution.
Par arrêt en date du 4 juillet 2019, la 8 ème chambre section 3 de la cour de la présente cour a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Dunkerque en date du 27 juin 2017, sauf à préciser qu’il y a lieu de rejeter la demande de mainlevée de la saisie-attribution, et y ajoutant a condamné les époux [H] au paiement d’une indemnité de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par jugement contradictoire du 2 mars 2021, le tribunal judiciaire de Lille
a :
– accueilli la fin de non-recevoir tiré de la chose jugée s’attachant à l’arrêt de la cour d’appel de Douai confirmant en toutes ses dispositions le jugement du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Dunkerque en date du 27 juin 2017,
– déclaré en conséquence irrecevables les demandes de délais de paiement, de nullité, de décharge et d’inopposabilité des actes de cautionnement ainsi que la demande d’indemnisation du préjudice moral formulé par M. [H] et Mme [R],
– condamné in solidum M. [H] et Mme [R] en application de l’article 696 du code de procédure civile,
– condamné in solidum M. [H] et Mme [R] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue par le greffe de la cour le 15 avril 2021, M. [H] et Mme [R] ont relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement.
Aux termes de leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 3 avril 2023, ils demandent à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– accueilli la fin de non-recevoir tiré de la chose jugée s’attachant à l’arrêt de la cour d’appel de Douai confirmant en toutes ses dispositions le jugement du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Dunkerque en date du 27 juin 2017,
– déclaré en conséquence irrecevables les demandes de délais de paiement, de nullité, de décharge et d’inopposabilité des actes de cautionnement ainsi que la demande d’indemnisation du préjudice moral formulé par M. [H] et Mme [R],
– condamné in solidum M. [H] et Mme [R] en application de l’article 696 du code de procédure civile,
– condamné in solidum M. [H] et Mme [R] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
et statuant à nouveau :
– rejeter la fin de non-recevoir tiré de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu par la cour de céans en qualité de juge de l’exécution le 4 juillet 2019 à défaut d’identité des demandes formulées par les époux [H] devant le juge du fond,
en conséquence,
– les déclarer recevables et bien fondées,
à titre principal : vu les articles 1109 et suivants du code civil ancien,
– annuler pour vice du consentement les actes de cautionnement souscrit par M. [H] et Mme [R] au bénéfice de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France,
– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France de toutes prétentions fins et conclusions contraires,
subsidiairement, vu l’article 2314 du code civil,
– décharger M. [H] et Mme [R] de leurs engagements de caution solidaire et indivisible à l’égard de la banque qui par sa faute a entraîné une perte de recours pour les cautions,
– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France de toutes prétentions fins et conclusions,
vu les dispositions de l’article L.341-4 du code de la consommation aujourd’hui L.332-1,
– décharger M. [H] et Mme [R] de leurs engagements de caution solidaire et indivisible à l’égard de la banque à raison de leur disproportion manifeste aux bien et revenus des cautions,
– débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France de toutes prétentions fins et conclusions contraires,
vu les dispositions de l’article 1134 du code civil ancien,
– décharger M. [H] et Mme [R] de leurs engagements de caution solidaire et indivisible à l’égard de la banque qui a manqué à son obligation d’information et de devoir de mise en garde,
en tout état de cause et en conséquence,
– condamner la banque à payer à M. [H] et Mme [R] des dommages-intérêts équivalents à la dette garantie soit la somme de 150’000 euros chacun en principal outre les intérêts de retard échus ou à échoir au jour de la décision à intervenir,
– ordonner la compensation avec le montant de la dette des cautions,
– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à verser à M. [H] et Mme [R] la somme de 10’000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral,
– débouter la banque de toutes prétentions fins et conclusions contraires,
à titre infiniment subsidiaire, vu les dispositions de l’article 1343-5 du code de civil,
– ordonner le report de deux années du paiement des sommes dues en exécution des engagements de caution critiquée,
en tout état de cause,
– condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à verser à M. [H] et Mme [R] la somme de 10’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance dont distraction au profit de la Selarl Bednarski-Charlet & Associés, avocat aux offres de droit.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 mars 2023, le Crédit agricole demande à la cour de :
vu l’article 1355 du code civil et 122 du code de procédure civile,
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 2 mars 2021 en toutes ses dispositions,
– à titre subsidiaire pour le cas où la cour infirmait le jugement :
vu les dispositions des articles 1116 et suivants du code civil, 1415 du code civil, L.341-1 à L.341-6 du code de la consommation devenus les articles L.331-1et suivants, L.137 -2 du code de la consommation, 2226 du code civil,
– débouter M. [H] et Mme [R] de l’ensemble de leurs demandes fins et conclusions,
en tout état de cause,
– condamner les époux [H] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais les dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.
La clôture de l’affaire a été rendue le 5 avril 2023, jour de l’audience des plaidoiries.
MOTIFS
Les texte du code civil mentionné dans l’arrêt sont les textes dans leur version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ainsi que ceux antérieurs à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.
Sur les fins de non-recevoir tirées de l’autorité de la chose jugée
Les époux [H] font valoir que l’ordonnance du juge de la mise en état du 18 octobre 2017 qui a rejeté l’exception de litispendance soulevée par la banque en raison de l’absence d’identité d’objet entre les procédures engagées devant le tribunal de grande instance de Lille et le juge de l’exécution a autorité de la chose jugée, et ne pouvait être remise en cause par le juge du fond. Ils soutiennent que le tribunal judiciaire de Lille ne pouvait accueillir la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée, la procédure engagée devant lui et le juge de l’exécution ayant des objets distincts, la première visant à obtenir la mainlevée de la saisie attribution, la seconde visant à voir engager la responsabilité de la banque. Ils ajoutent que le juge de l’exécution n’avait pas le pouvoir de se prononcer sur une action en responsabilité qui n’était pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure d’exécution, et n’avait donc pas compétence pour statuer sur une action en responsabilité dirigée contre la banque qui a manqué à son devoir de mise en garde.
La banque demande de voir constater l’irrecevabilité des demandes des époux M. [H] au motif que si le jugement du juge de l’exécution statuant une demande de mainlevée d’une mesure conservatoire n’a pas autorité de la chose jugée au principal, le chef du dispositif de cette décision qui statue sur une demande incidente portant sur le fond du droit, fut elle irrecevable faute de constituer une contestation de la mesure conservatoire, est revêtu de cette autorité et qu’en conséquence, l’arrêt de la cour du 4 juillet 2019 a autorité de la chose jugée sur l’intégralité de prétentions qui lui étaient soumises et qui ont été tranchées. Elle ajoute que l’argument tiré de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance de mise en état ayant rejeté l’exception de listispendance est inopérant.
– Sur l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance de mise en état du 18 octobre 2017
Selon l’article 1355 du code civil ‘L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.’
Selon l’article L.213-6 du code de l’organisation judiciaire ‘Le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre(…)’
Selon l’article 100 du code de procédure civile ‘Si un même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétente pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si une partie le demande. A défaut, elle peut le faire d’office.’
Selon l’article 794 du code de procédure, dans sa version applicable depuis le 01 janvier 2020 aux instance en cours, les ordonnances du juge de la mise en état n’ont pas, au principal, l’autorité de la chose jugée à l’exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir, sur les incidents mettant fin à l’instance et sur la question de fond tranchée en application des dispositions du 6° de l’article 789.
Le juge de la mise en état a rejeté l’exception de listispendance soulevée par la banque qui demandait le dessaisissement du tribunal au profit du Juge de l’exécution, au motif que le juge était saisi d’une contestation d’exécution forcée, cependant que le tribunal était saisi d’une demande d’une action en nullité des cautionnement et d’une action en responsabilité.
Le rejet de l’exception de listispendance, quand bien elle a autorité de la chose jugée, n’a aucune incidence sur la question de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour du 4 juillet 2019 relativement aux contestations au fond qu’elles a tranché dans le cadre de la contestation de la saisie, et n’interdisait pas au juge du fond de statuer sur la fin de non-recevoir qui lui était soumise.
La fin de non-recevoir sera rejetée.
– Sur l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu le 4 juillet 2019 par la 8ème chambre section 3 de la cour
Il est constant que s’agissant des décisions du juge de l’exécution, si une demande de mainlevée d’une mesure d’exécution n’a pas autorité de la chose jugée au principal, le chef du dispositif de cette décision qui statue sur une demande incidente portant sur le fond du droit, fut elle irrecevable devant le juge de l’exécution faute de constituer une contestation de la mesure conservatoire, est revêtue de cette autorité de la chose jugée. (Cass 2ème 12 avril 2018, n° 16-28530).
Il est également de principe constant que l’autorité de chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif (Cass. 2e’civ., 1’févr. 2018, n°’16-27.471, inédit).
Il en découle que les motifs d’un jugement, fussent-ils le soutien nécessaire du dispositif, n’ont pas l’ autorité de la chose jugée.
En l’espèce, les appelants demandent à la 8ème chambre section 1 de la cour d’annuler leurs engagements de caution sur le fondement des vices du consentement au visa des articles 1109 et suivants du code civil, subsidiairement de se voir décharger de leurs engagements de caution d’une part, sur le fondement de l’article 2314 du code civil en raison des négligences de la banque, d’autre part, en raison de la disproportion manifeste de leurs engagements de caution sur le fondement de l’article L.341-4 du code de la consommation, et enfin, en raison des manquements de la banque à son obligation de mise en garde à leur égard sur le fondement de l’article 1134 du code civil, ayant généré un préjudice équivalent au montant de leur dette. Ils sollicitent à ce titre le paiement de la somme de 150 000 euros en principal et la compensation avec le montant de leur dette, ainsi que la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice moral. A titre subsidiaire, ils demandent des délais de grâce et le report de deux années de leur dette sur le fondement de l’article 1345-5 du code civil.
Dans son jugement du 27 juin 2017, le juge de l’exécution a :
– rejeté l’exception de litispendance,
– rejeté le moyen tiré de l’inopposabilité de l’engagement de caution formée sur l’article 1415 du code civil,
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale,
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande relative au caractère disproportionné de l’engagement de caution,
– rejeté le moyen tiré du caractère disproportionné des engagements de caution,
– débouté M. [H] et Mme [R] de leur demande de report de la dette,
– condamné M. [H] et Mme [R] aux dépens,
– condamné M. [H] et Mme [R] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Si dans les motifs de sa décision le juge de l’exécution de Dunkerque a rejeté la demande de nullité des actes de cautionnement formée sur les vices de consentement par les époux [H], il ne l’a pas mentionné au dispositif de son jugement. Par ailleurs, il n’a pas statué sur la demande de dommages et intérêts pour procédure d’exécution abusive qui était formée par les époux [H].
Dans les motifs de sa décision en date du 4 juillet 2019, la 8ème chambre section 3 de la cour a rejeté la demande visant à voir ordonner la mainlevée de la mesure d’exécution forcée en raison de l’inopposabilité des engagements de caution sur le fondement de l’article 1415, la demande de nullité des actes de cautionnement pour vices du consentement, la demande de décharge fondée sur l’article 2314 du code civil, la demande de décharge pour engagements disproportionnés, la demande de décharge au titre du manquement au devoir de mise en garde, la demande de dommages et intérêts pour abus de droit, et la demande de délais de grâce.
Cependant, dans le dispositif de son arrêt, la cour a seulement confirmé en toutes ses dispositions le jugement du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Dunkerque en date du 27 juin 2017, sauf à préciser qu’il y a lieu de rejeter la demande de mainlevée de la saisie-attribution.
Dans la mesure où l’autorité de chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a été tranché dans le dispositif, seuls sont revêtus de l’autorité de chose jugée les chefs du jugement du juge de l’exécution qui ont été confirmés par l’arrêt du 4 juillet 2019 de la 8ème chambre section 3 de la cour .
Dès lors, il y a lieu de constater que l’arrêt rendu par la 8ème chambre section 3 le 4 juillet 2019 a autorité de la chose jugée quant au rejet de la demande de décharge pour cautionnement manifestement disproportionné et au rejet de la demande de délais de grâce, et en conséquence de déclarer irrecevables ces demandes.
En revanche, réformant partiellement le jugement entrepris, demeurent recevables la demande de décharge fondée sur l’article 2314 du code civil, la demande de nullité des cautionnements pour vices du consentement, la demande de dommages et intérêts pour manquement au devoir de mise en garde, la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, les motifs de la 8ème chambre section 3 sur ces points dans son arrêt confirmatif du 4 juillet 2019 n’ayant pas autorité de la chose jugée.
Sur la demande de nullité de engagements de caution de pour vices du consentement
Au visa des articles 1109 et suivant du code civil, les appelants soutiennent que les engagements de caution doivent être annulés pour dol en raison de la négligence d’une particulière gravité de la banque et du caractère déterminant de l’erreur provoquée par cette dernière lors de la souscription des engagements de caution, puisqu’ils ne se sont engagés à l’égard de la banque qu’en considération de l’existence et de maintien des autres engagements de caution donnés par les associés de la SCI La Trilogie, dont celui de M. [X] dont la banque ne pouvait ignorer les irrégularités, et qui a été annulé judiciairement à défaut d’avoir été rédigé et signé de la main de la caution et sans qu’il soit justifié d’une délégation de pouvoir.
La banque oppose que les appelants ne démontrent pas une faute intentionnelle de sa part ni que leurs engagements de caution étaient conditionnés par celui de leurs cofidéjusseurs, le sort de la caution M. [X] faisant toujours l’objet d’une procédure judiciaire.
Aux termes de l’article1110 du code civil dans sa version applicable au présent litige l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention.
Selon l’article 1116 le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que sans ces manoeuvres l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
Si les époux M. [H] se sont portés caution avec trois autres cofidéjusseurs, ils ne rapportent pas la preuve d’une part qu’ils avaient fait de l’existence des autres engagements de cautionnements souscrit la condition déterminante de leurs propres engagement, ni que le cautionnement de M. [X] a été judiciairement annulé, le sort de cette caution faisant toujours l’objet d’une procédure judiciaire.
En outre, ils ne rapportent pas la preuve de manoeuvres dolosives imputables à la banque.
Dès lors, leur demande de nullité des engagements de caution sera rejetée.
Sur la demande de décharge sur le fondement de l’article 2314 du code civil
Les époux [H] invoquent l’article 2314 du code civil pour être déchargés de leurs engagements de caution au motif qu’ils ont perdu le bénéfice de l’hypothèque conventionnelle et autres privilèges sur les biens du débiteur principal, qu’ils ont perdu le bénéfice de la garantie donnée par leur cofidéjusseur M. [V] [X] dont l’engagement de caution a été déclaré nul, que la banque n’a pas justifié de démarche pour obtenir indemnisation de l’assureur du bien immobilier par le jeu de l’opposition au versement de l’indemnité d’assurance, et qu’elle a laissé prescrire l’action contre le débiteur principal.
La banque oppose notamment qu’il n’existe pas de perte du droit préférentiel sur l’immeuble composant le seul actif de la SCI la Trilogie, que les conditions de l’article 2314 ne sont applicables à la perte des cautions, et que les époux [H] ne souffrent en tout état de cause d’aucun préjudice puisqu’ils disposent d’un recours sur le fondement des articles 1857 et 2306 du code civil.
Selon l’article 2314 du code civil ‘La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite.’
La caution peut invoquer la perte du bénéfice de subrogation sur le fondement de l’article 2314 lorsqu’elle ne peut plus bénéficier, par le jeu de la subrogation, d’un droit du créancier lui permettant d’être payée par préférence aux autres créanciers du débiteur principal. Il s’agit de tout droit préférentiel ou exclusif conférant un avantage particulier au créancier. Ce droit peut être une véritable sûreté ou une garantie, dont une sûreté personnelle tel le cautionnement (Cass com. 9 avr. 2013, n°12-14.596),
Il incombe à la caution de démontrer la faute du créancier, qu’elle soit la cause exclusive du préjudice subi par elle, consistant en la perte d’un profit effectif des droits susceptibles de lui être transmis.
En l’espèce, aucun élément n’est versé aux débats s’agissant de l’annulation alléguée de l’engagement de M. [V] [X] et ni aucun élément justificatif de la perte de son cautionnement à raison de la faute exclusive du créancier.
Il ressort par ailleurs des pièces versées aux débats que la SCI La Trilogie a été défaillante dans le remboursement de ses mensualités dès le mois de février 2011, et la déchéance du terme a été prononcée par le crédit agricole le 23 janvier 2012 après qu’une mise en demeure ait été adressée à la SCI juillet 2011 ; or, le 26 décembre 2012 l’immeuble de la SCI a fait l’objet d’un incendie et la procédure de saisie immobilière mise en oeuvre par la créancière par un commandement de payer valant saisie n’a pu aboutir, l’audience d’adjudication prévue le 18 octobre 2013 n’ayant pu se tenir en raison de l’état de péril de l’immeuble constaté par les services municipaux de [Localité 11].
Ainsi, il ne peut-être reproché à la banque une négligence de sa part dans la mise en oeuvre des poursuites à l’encontre de débiteur principal et de la procédure de saisie immobilière.
Enfin, les époux [H] ne versent pas de pièces probantes afférentes aux conditions d’assurance de l’immeuble sinistré, et en conséquence, ne démontrent pas que la banque aurait été négligente pour obtenir une indemnisation, ni a fortiori qu’ils auraient subi un préjudice en lien avec la faute exclusive de la banque.
Dès lors, la demande de décharge sur le fondement de l’article 2314 du code civil sera rejetée.
Sur les demandes au titre du devoir de mise en garde
La banque est tenue, en application de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, à un devoir de mise en garde à l’égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financière de l’emprunteur.
Il incombe à la caution qui invoque un devoir de mise en garde de la banque à son égard de démontrer que l’acte de caution n’était pas adapté à sa situation financière et qu’il existait un risque d’endettement de l’emprunteur né de l’octroi du prêt.
La caution est tenu de déclarer de bonne foi ses revenus et charges et le créancier est en droit de se fier aux informations communiquées, sauf anomalie flagrante.
En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [H] et Mme [R] était des cautions non averties.
Aux termes de leur déclaration de patrimoine- revenus-endettement en date du 29 avril 2010, ils ont déclaré être mariés sous le régime de la communauté légale, avoir deux enfants à charge, et percevoir un revenu annuel net de 90 000 euros. Il est mentionné qu’ils remboursaient un crédit en cours de 8 400 euros annuels, que leur patrimoine immobilier était estimé à 250 000 euros, et qu’ils bénéficiaient d’avoirs bancaires de 36 817 euros.
Les appelants ne rapportent pas preuve de ce qu’ils auraient subi des pressions de la banque pour gonfler l’évaluation de leur bien immobilier, ni qu’ils ont rempli leur déclaration ‘au pied levé’ sans possibilité de vérifier les chiffres déclarés. Il leur appartenait en tout état de cause de communiquer les éléments de bonne foi, et ne démontrent pas l’existence d’anomalies flagrantes qui auraient dû alerter la banque.
Au regard de leur revenus, patrimoine et charges, leurs engagements de caution des époux étaient manifestement adaptés à leurs capacités financières.
La cour constate également qu’il n’est communiqué aucun élément permettant d’apprécier si le prêt était adapté à la situation du débiteur principal. Il n’est en effet communiqué aucun élément relatif à la SCI au jour de la souscription lequel avait pour objet l’acquisition d’un immeuble en vue de la location d’appartements. Il n’est pas démontré que le prêt était inadapté à la situation financière de la débitrice principale, et ni le risque de non remboursement du crédit.
Il en résulte que M. [H] et Mme [R] ne démontrent pas que la banque était tenue à un devoir de mise en garde à leur égard, et seront donc déboutés de leur demande de décharge de leurs engagement, ainsi que de leur demande et en paiement de la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les demande de dommages et intérêts pour préjudice moral
Les époux [H] ne rapportant pas la preuve d’un manquement de la banque à son obligation de loyauté leur égard, seront par conséquent déboutés de leur demande de dommage et intérêts pour préjudice moral.
Sur les demandes accessoires
Les motifs du premier juge méritant d’être adoptés, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [R] et M. [H] qui succombent seront condamné in solidum aux dépens d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile ainsi qu’à payer au Crédit agricole la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Ils seront déboutés de leur demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire ;
Infirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Fait partiellement droit à la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée s’attachant à l’arrêt de la 8éme chambre section 3 de la présente cour du 4 juillet 2019 ;
Déclare en conséquence irrecevables la demande de décharge pour cautionnement manifestement disproportionnés, ainsi que la demande de délai de grâce formées par Mme [R] et M. [H] ;
Déclare recevables les demande de nullité des actes de caution pour vices du consentement, de décharge fondée sur l’article 2314 du code civil, de dommages et intérêts pour manquement au devoir de mise en garde, de dommages et intérêts pour préjudice moral formée par Mme [R] et M. [H] ;
Déboute Mme [R] et M. [H] de leur demande de nullité des actes de caution pour vices du consentement ;
Rejette la demande de décharge de Mme [R] et M. [H] sur le fondement de l’article 2314 du code civil ;
Rejette la demande de dommages et intérêts de Mme [R] et M. [H] pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde ;
Rejette la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Condamne Mme [R] et M. [H] in solidum à payer au Crédit agricole la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute Mme [R] et M. [H] de leur demande à ce titre ;
Condamne Mme [R] et M. [H] in solidum aux dépens d’appel.
Le greffier
Gaëlle PRZEDLACKI
Le président
Yves BENHAMOU