COUR D’APPEL DE BORDEAUX
1ère CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 29 JUIN 2023
N° RG 22/03332 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MZIZ
[V] [B]
[L] [M] épouse [B]
c/
[Z] [C]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :29 juin 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 04 juillet 2022 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de LIBOURNE ( RG : 22/00062) suivant déclaration d’appel du 11 juillet 2022
APPELANTS :
[V] [B]
né le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 13]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 11]
[L] [M] épouse [B]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 14]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 11]
Représentés par Me Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY – MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX
etb assistés par Me François LALY, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ E :
[Z] [C]
née le [Date naissance 4] 1974 à [Localité 9]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 6]
Représentée par Me Laurence COMBEDOUZON, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 mai 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HERAS DE PEDRO, Conseillère, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : M. Roland POTEE
Conseiller : Mme Sylvie HERAS DE PEDRO
Conseiller : Mme Bérengère VALLEE
Greffier : Mme Séléna BONNET
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
A la suite d’une saisie immobilière à l’encontre de M. [U] [B], le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Libourne a, par jugement du 3 novembre 2017, déclaré Mme [Z] [C] adjudicataire d’un bien situé [Adresse 11] à [Localité 5], occupé par M. [U] [B] et ses parents M. [V] [B] et Mme [L] [B].
Faisant valoir que leur fils leur avait loué ce bien en vertu d’un bail conclu antérieurement à l’adjudication, les époux [B] se sont maintenus dans les lieux, et ils ont conclu avec Mme [B] un avenant, le 18 décembre 2017, dont la validité a par la suite été contestée en justice, de même que le titre d’occupation des époux [B].
Le juge des contentieux de la protection de Libourne, saisi du litige, a rendu un jugement le 19 août 2021 qui a été frappé d’appel. L’affaire est pendante devant la cour d’appel de Bordeaux.
Par ailleurs, en leur qualité réelle ou supposée de locataires, les époux [B] se sont plaints auprès de Mme [C] de désordres dans le logement et, après lui avoir adressé plusieurs mises en demeure, l’on fait assigner en référé, le 16 décembre 2020, devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Libourne, aux fins de la voir condamner à réaliser des travaux de mise en conformité du logement, s’agissant de la couverture, de l’installation électrique et de l’évacuation sanitaire.
Ils ont été déboutés de leurs demandes par ordonnance du 19 août 2021.
Parallèlement à cette procédure judiciaire, l’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine a été saisie de difficultés concernant l’état du logement occupé par les consorts [B] et a rendu un rapport le 3 février 2021.
Par arrêté du 11 février 2021, relatif au danger imminent pour la santé ou la sécurité physiques des personnes concernant l’immeuble, la préfète de Gironde a enjoint à Mme [C] de faire réaliser des travaux de mise en sécurité de l’installation électrique dans un délai de 20 jours à compter de la notification de l’arrêté et a interdit temporairement l’immeuble à l’habitation jusqu’à l’achèvement des travaux.
Par un second arrêté daté du 4 mai 2021, relatif au traitement de l’insalubrité, la préfète de Gironde, considérant le danger que l’immeuble présente pour la santé et la sécurité des personnes, l’absence de mise en place de mesures correctives suite au premier arrêté, et les risques engendrés par la situation d’insalubrité, a enjoint Mme [C] de faire réaliser, au vu des désordres retenus, l’ensemble des travaux de mise en conformité, dans un délai de 5 mois et a interdit temporairement l’immeuble à l’habitation jusqu’à l’achèvement des travaux.
Faisant valoir que les époux [B] ont refusé quatre propositions de relogement malgré le danger encouru et l’obligation d’assurer l’hébergement des occupants jusqu’à la levée de l’arrêté de traitement de l’insalubrité, Mme [C] a, par acte d’huissier du 27 janvier 2022, assigné les époux [B] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Libourne.
Par jugement du 4 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Libourne a :
– prononcé la résiliation de tout droit d’occupation ou de tout droit au bail dont se prévalent les époux [B] sur l’immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 5],
– dit que les époux [B] sont dès lors occupants sans droit ni titre et qu’ils occupent de surcroît ledit immeuble en violation de l’arrêté préfectoral du 4 mai 2021,
– ordonné en conséquence aux époux [B] de libérer les lieux sans aucun délai,
A défaut,
– condamné les époux [B] à payer à Mme [C] une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard pendant quatre mois, à faire liquider par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Libourne,
– ordonné l’expulsion immédiate des époux [B] ainsi que celle de tout occupant et de tout bien de leur chef, si nécessaire avec le concours de la force publique et d’un serrurier, sans commandement préalable de quitter les lieux,
– dit qu’il sera procédé conformément aux articles L.433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d’exécution en ce qui concerne le sort des meubles,
– condamné les époux [B] aux dépens,
– condamné les époux [B] à payer à Mme [C] la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– rappelé que le jugement est de droit exécutoire à titre provisoire,
– débouté les parties du surplus des demandes.
Les époux [B] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 11 juillet 2022.
Par conclusions déposées le 13 septembre 2022, les époux [B] demandent à la cour de :
– réformer le jugement rendu le 4 juillet 2022, par le juge des contentieux et de la protection de Libourne,
Statuant à nouveau,
– à titre principal, débouter Mme [C] de l’ensemble de ses demandes, tant pour cause d’estoppel que pour sa turpitude manifeste,
– condamner Mme [C] au paiement d’une amende civile de 10 000 euros,
– condamner Mme [C] à payer aux époux [B] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamner Mme [C] à verser aux époux [B] une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [C] aux dépens,
– à titre subsidiaire, saisir la cour de cassation d’une demande d’avis sur l’adéquation d’appliquer la notion d’estoppel à des procédures voisines tendant aux mêmes fins,
– en ce cas réserver les dépens.
Mme [C] a constitué avocat le 25 août 2022 mais n’a pas déposé de conclusions.
Par ordonnance de la Première présidente de chambre de la cour d’appel de Bordeaux du 20 octobre 2022, les époux [B] ont été déboutés de leur demande tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement déféré et ont été condamnés à régler à Mme [C] la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par message RPVA du 28 avril 2023, Mme [C] a porté à la connaissance de la cour le procès-verbal dressé le 26 octobre 2022 constatant l’expulsion de M. et Mme [B].
L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 15 mai 2023.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 2 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est rappelé que selon l’article 954 du code de procédure civile, tel qu’interprété par la cour de cassation, la cour d’appel qui n’est pas saisie de conclusions par l’intimé doit, pour statuer sur l’appel, examiner les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de cette partie en première instance (3ème civ., 7 juillet 2015, n° 14-13.715).
Sur la demande de résiliation du bail ou du droit d’occupation
Pour prononcer la résiliation du bail ou du droit d’occupation et ordonner sous astreinte l’expulsion de M. et Mme [B], le premier juge a considéré que Mme [C] avait satisfait à ses obligations en matière de relogement, en leur présentant des offres sérieuses de relogement dans le délai qui lui était imparti.
En réponse, M. et Mme [B] reprochent à Mme [C] de présenter comme abusif leur refus de se reloger à leurs propres frais, sans même avoir la garantie que les travaux seraient effectivement réalisés. Ils font valoir que Mme [C] leur a proposé un relogement, et non une solution d’hébergement temporaire, et ce, sans indiquer qu’elle prendrait les frais d’hébergement à sa charge, de sorte que sa démarche ne visait en réalité qu’à les expulser définitivement de leur logement.
Selon l’article L. 521-3-1 I du code de la construction et de l’habitation, lorsqu’un immeuble fait l’objet d’une interdiction temporaire d’habiter ou d’utiliser ou que les travaux prescrits le rendent temporairement inhabitale, le propriétaire est tenu d’assurer aux occupants un hébergement décent correspondant à leurs besoins.
A défaut, l’hébergement est assuré dans les conditions prévues à l’article L. 521-3-2. Son coût est mis à la charge du propriétaire ou de l’exploitant.
Aux termes de l’article L. 521-3-2 I du code de la construction et de l’habitation, lorsque l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité mentionné à l’article L. 511-11 ou à l’article L. 511-19 comporte une interdiction définitive ou temporaire d’habiter ou que les travaux prescrits rendent temporairement le logement inhabitable, et que le propriétaire ou l’exploitant n’a pas assuré l’hébergement ou le relogement des occupants, l’autorité compétente prend les dispositions nécessaires pour les héberger ou les reloger.
Le paragraphe VII du même article précise que si l’occupant a refusé trois offres de relogement qui lui ont été faites au titre des I ou III, le juge peut être saisi d’une demande tendant à la résiliation du bail ou du droit d’occupation et à l’autorisation d’expulser l’occupant.
En l’espèce, il n’est pas contesté que M. et Mme [B] ont été destinataires, le 27 mai 2021, de quatre annonces de biens en location situés à [Localité 8], [Localité 10], [Localité 12] et [Localité 7], correspondant à des appartements de deux pièces, présentant des surfaces habitables entre 36m2 et 50 m2 et des loyers compris entre 464 euros et 530 euros.
M. et Mme [B] ne développent aucun moyen tendant à démontrer que ces logements situés dans des communes proches de celles dans laquelle ils résidaient, ne correspondaient pas à leur besoin.
En outre, ils sont mal fondés à prétendre que ces offres n’étaient pas conformes à celles qui pouvaient être attendues au vu de l’arrêté préfectoral, puisque ce dernier renvoie à des dispositions légales qu’ils ne peuvent légitimement méconnaître et qui prescrivent, sans d’ailleurs exiger de délai, une solution d’hébergement ou de relogement, ce de manière alternative.
De plus, le courrier qu’ils ont reçu de Mme [C] le 15 juin 2021 par lequel elle leur a précisé que les offres de relogement étaient évidemment à ses frais était nécessairement de nature à lever les doutes dont ils font ici état sur la prise en charge des frais inhérents à leur relogement.
C’est donc par des motifs pertinents que le premier juge, après avoir justement relevé que Mme [C] avait satisfait à l’obligation de relogement qui lui était imposée par les textes précités, a constaté la résiliation du bail et ordonné l’expulsion de M. et Mme [B].
Le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé de ce chef.
Sur les demandes d’amende civile et de dommages et intérêts
L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Outre que le prononcé de cette amende ne saurait être mis en oeuvre que de la propre initiative de la juridiction saisie, les parties ne pouvant avoir aucun intérêt, même moral, au prononcé d’une amende civile à l’encontre de l’adversaire, l’issue favorable réservée aux demandes de Mme [C] démontre à elle seule que cette dernière n’a pas abusé de son droit d’agir.
Ils seront donc déclarés irrecevables en cette demande et le jugement déféré qui les en a déboutés sera réformé.
N’ayant pas commis de faute en mesure d’engager sa responsabilité civile, Mme [C] ne saurait être tenue d’indemniser M. et Mme [B] au titre de préjudices dont, au surplus, ils ne démontrent pas l’existence.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. et Mme [B] de leur demande tendant à la condamnation de Mme [C] au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande d’avis à la cour de cassation
Selon l’article L. 441-1, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation.
S’il est loisible à une partie de suggérer à la juridiction saisie d’un litige de saisir la cour de cassation en application des dispositions sus-énoncées, cette sollicitation, qui n’est pas à proprement parler une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile, ne peut faire l’économie de la démonstration de l’intérêt que présente la demande d’avis pour le traitement de la présente affaire.
Or, M. et Mme [B] qui s’interrogent simplement sur ‘l’adéquation d’appliquer la notion d’estoppel à des procédures voisines tendant aux mêmes fins’ observant que l’estoppel est ‘une création prétorienne dont il peut être utile de préciser les contours’
n’expliquent pas en quoi il serait utile, dans la présente affaire, de surseoir à statuer sur la demande de Mme [C] dans l’attente d’une réponse apportée à cette question au demeurant fort imprécise.
Il n’y a donc pas lieu de solliciter l’avis de la Cour de cassation.
Sur les dépens et les frais irrépétibles.
M. et Mme [B] qui succombent seront condamnés aux dépens en application de l’article 696 du code civil et déboutés de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. et Mme [B] de leur demande subsidiaire tendant à saisir la Cour de cassation d’une demande d’avis sur l’adéquation d’appliquer la notion d’estoppel à des procédures voisines tendant aux mêmes fins et débouté de leur demande au titre d’une amende civile,
Statuant à nouveau dans cette limite,
Déclare M. [V] [B] et Mme [L] [B] irrecevables en leur demande au titre d’une amende civile,
Dit qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour de cassation d’une demande d’avis sur le fondement de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire,
Y ajoutant,
Condamne M. [V] [B] et Mme [L] [B] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Monsieur Roland POTEE, président, légitimement empêché, et par Madame Séléna BONNET , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,