COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 29 JUIN 2023
N° 2023/480
Rôle N° RG 22/11355
N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ37M
[P] [B]
C/
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA CIOTAT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Amaury AYOUN
Me Virginie ROSENFELD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l’exécution de Toulon en date du 12 Juillet 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 22/01702.
APPELANT
Monsieur [P] [B]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 5] (Nord),
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 2]
représenté et plaidant par Me Amaury AYOUN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE LA CIOTAT
Société coopérative à capital variable immatriculée au RCS de Marseille sous le n° 312 682 131, représentée par ses dirigeants en exercice domiciliés en cette qualité au siège social [Adresse 4]
représentée et assistée par Me Virginie ROSENFELD de la SCP CABINET ROSENFELD & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 10 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Evelyne THOMASSIN, Président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023,
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Madame Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure et prétentions des parties :
Le Crédit Mutuel de la Ciotat, ci après désigné comme le Crédit Mutuel, a déposé le 4 janvier 2021, une requête en saisie des rémunérations à l’encontre de monsieur [P] [B], pour avoir paiement d’une somme de 120 096.04 euros en vertu d’un acte notarié de prêt du 13 janvier 2006 consenti à la SCI Roalis pour l’acquisition d’un immeuble et pour lequel, monsieur [P] [B] et madame [R] [Z], s’étaient portés cautions solidaires. Il indiquait n’avoir pas été totalement désinteressé par la vente de l’immeuble financé dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.
Sur contestation, le juge de l’exécution de Toulon le 12 juillet 2022 a :
– rejeté les contestations de monsieur [B],
– autorisé la saisie de ses rémunérations pour la somme de 120 096.04 €,
– rejeté la déchéance du droit aux intérêts, la demande de délais de paiement, mais réduit le taux d’intérêt à 1% à compter du jugement de saisie,
– condamné monsieur [B] à payer la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Il retenait que le prêt avait une durée de 360 mois, prolongé de deux ans pendant lesquels la banque pouvait agir à l’encontre de la caution, soit 384 mois arrivant à échéance le 13 janvier 2038 et écartait donc la forclusion de l’action. La cession de ses parts par la caution en 2013 ne lui permettait pas, selon le jugement d’être libéré de sa caution envers le créancier. Il écartait la déchéance du droit aux intérêts, au motif que cette contestation relevait du juge du fond, et n’avait en outre pas été formulée à l’occasion de la contestation d’un commandement de payer afin de saisie vente du 2 décembre 2019 qui reprenait très exactement le décompte. Sur le fondement de l’article L3252-13 du code du travail il réduisait cependant le taux d’intérêt sur les sommes à compter du jugement autorisant la saisie compte tenu de la situation financière et familiale du débiteur.
Monsieur [B] a fait appel de la décision le 5 août 2022 par déclaration.
Ses moyens et prétentions étant exposés dans des conclusions du 19 août 2022, auxquelles il est renvoyé, il demande à la cour de :
– infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
in limine litis,
– juger irrecevables les demandes du Crédit Mutuel car forcloses,
– les juger irrecevables en sa qualité d’associé,
sur le fond,
A titre principal,
– débouter le Crédit Mutuel de ses demandes en raison de l’extinction de ses obligations de réglement depuis le 22 juillet 2017,
A titre subsidiaire,
– juger que la créance du Crédit Mutuel est d’un montant de 102 387.77 euros et non 107 261.44 euros en raison d’un calcul inexact des intérêts,
– juger qu’il n’est pas tenu des intérêts rémunératoires à 4.5 % dès lors que l’obligation de couverture a cessé le 22 juillet 2017,
– en conséquence débouter la société Crédit Mutuel de sa demande d’intérêts pour 11 180.35 euros à compter du 17 septembre 2018 jusqu’au 4 janvier 2021, et des intérêts rémunératoires à échoir,
– prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la société Crédit Mutuel,
– dire que les paiements sont prioritairement affectés sur le principal,
– juger qu’il ne doit à la société Crédit Mutuel que la somme de 66 165.69 €,
– dire que la quotité saisissable est de 878.48 €,
– réduire le taux d’intérêt à 0% à compter de l’autorisation de saisie,
Par ailleurs,
– ordonner la suspension des obligations de monsieur [B] pendant deux ans,
– dire que les échéances reportées ne produiront pas intérêt,
– condamner le Crédit Mutuel à la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Monsieur [B] soutient que son engagement est fixé à la durée du prêt plus deux ans, et dès lors, en raison de la date de déchéance du terme, prononcée le 22 juin 2015, son obligation a pris fin le 22 juin 2017. Il s’agirait là d’un délai de forclusion (Cass 26 janvier 2016 n°14-23285) qui n’est pas susceptible d’être interrompu. S’agissant d’un contrat d’adhésion, la clause sur la durée de l’engagement de la caution doit être interprétée en sa faveur, il ne s’agit pas d’une durée prévisible mais de la durée réelle de la convention de crédit. Le Crédit Mutuel ne peut se fonder sur l’obligation financière de l’associé au regard de l’article 1857 du code civil, car il n’a plus cette qualité depuis la cession de ses parts, le 14 décembre 2013et le titre exécutoire invoqué n’est pas celui là mais celui issu du cautionnement solidaire du 13 janvier 2006 ( Cass com 15 octobre 2013 n°12-21704). En outre le calcul doit intégrer qu’un associé n’est responsable qu’à proportion du montant de ses parts dans le capital social, soit 50 %. Le juge de l’exécution en première instance, devait vérifier le montant de la dette, ce qu’il n’a pas fait et il ne s’agit pas là d’un débat de fond échappant au JEX. La délivrance préalable d’un commandement de payer, ne saurait à cet égard le dispenser de cette vérification. Le décompte est faux, les intérêts sont trop importants sur la période invoquée, il convient de vérifier également les modalités d’imputation des paiements intervenus. Sur le fondement de l’article L313-22 du CMF il oppose sa non information annuelle sur l’évolution de la dette et donc, là encore, la DDI et une imputation des paiements effectués directement sur le principal soit un montant complémentaire de 36 222.06 € à imputer, ce qui laisserait un solde éventuellement dû de 66 165.69 €. Il expose avoir un salaire de 2 600 euros et des charges quasiment égales à ses revenus qui rendent difficile la mise en oeuvre d’une saisie de ses rémunérations ce pourquoi, il sollicite la réduction du taux d’intérêt à zero pendant la saisie, un délai de grace de deux ans pour éviter la saisie qui aurait des conséquences désastreuses pour lui. Il a trois enfants à charge, ses filles nées de ses différentes unions, ce qui modifie la quotité saisissable à mettre en oeuvre, sur laquelle il s’explique.
Ses moyens et prétentions étant exposés dans des conclusions du 2 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé, le Crédit Mutuel demande à la cour de :
– confirmer la décision de première instance sauf en ce qu’elle a réduit le taux d’intérêt à 1% à compter du prononcé du jugement,
Statuant à nouveau,
– dire que la créance produira un intérêt à 4.5 % l’an,
– débouter monsieur [B] de ses prétentions,
– ordonner la saisie de ses rémunérations,
– le condamner à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
La clause sur l’engagement de caution est limpide, il dure deux ans de plus que le prêt qui devait s’achever en janvier 2036 donc la caution est tenue jusqu’en janvier 2038. De plus, la banque a fait plusieurs actes d’exécution interrompant ce délai de forclusion ou de prescription quinquennal au regard de l’article 2244 du code civil, notamment le 9 mai 2016 avec la saisie immobilière qui s’est achevée le 11 décembre 2018. Un commandement de payer a été délivré le 2 décembre 2019, une saisie attribution diligentée le 1er juillet 2020. Le crédit Mutuel dispose d’un titre notarié de cautionnement qui constitue le titre exécutoire.Qu’il soit caution ou associé, monsieur [B] est tenu de payer les sommes dues à la banque, il était associé à 50 % de la société Roalis. Les poursuites préalables de la société sont avérées, mais la banque n’a pas été désinteressée, elle est fondée à se prévaloir de l’article 1857 du code civil. La cession de ses parts par monsieur [B] ne le libére pas. Le décompte de créance est parfaitement clair au 9 mars 2022, il lui reste dû la somme de 120 893.32 €. En tentant d’échapper à ses obligations, monsieur [B] n’est pas de bonne foi et ne justifie pas relever d’une modération des intérêts sur une dette ancienne qui date de 2016. L’intimé s’oppose fermement à des délais de paiement.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2023.
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
L’acte de prêt du 13 janvier 2006, établi en l’étude de Me [K], notaire à [Localité 3], stipule au profit de la SCI Roalis, un prêt de 197 550 euros remboursable en 360 mensualités de 1 000.96 euros chacune hors assurance, au taux de 4.5 % l’an.
Il indique au titre des garanties l’intervention de cautions solidaires, madame [R] [Z] et monsieur [P] [B], pour assurer le remboursement de toutes sommes dues par le débiteur en principal, intérêts, commissions, frais et accessoires que le cautionné pourrait devoir à la banque au titre du prêt (page 21). Cette mise en oeuvre, en cas de défaillance du cautionné les oblige à payer ce que ce dernier doit, y compris les sommes exigibles par anticipation, sans que la caution ne puisse se prévaloir de délais de paiement qui seraient accordés au débiteur principal (page 22).
Les conditions particulières de l’offre de prêt, qui ont été annexées à l’acte authentique stipulent en clause 6-4 une limite en durée du cautionnement selon les termes suivants :’la caution est engagée pour un montant comprenant le principal du prêt cautionné, les intérêts, commissions, frais, accessoires et le cas échéant, les pénalités ou intérêts de retard..aux conditions et taux précisés aux présentes et dans la limite du montant du cautionnement …la caution est engagée pour la durée du prêt majorée de deux ans. Si l’engagement de caution porte sur plus d’un crédit, la partie caution aura à indiquer la durée du prêt la plus longue majorée de deux ans. Si l’acceptation de la caution est recueillie par acte sous seing privé ce montant et cette durée sont précisées par la caution elle même dans la mention manuscrite qui précède sa signature.’
Le cautionnement étant un contrat accessoire, la prescription de l’obligation qui en découle ne commence à courir que du jour où l’obligation principale est exigible.
Dans la clause rappelée ci dessus, les parties, usant de leur liberté contractuelle ont cependant souhaité prolonger dans le temps, l’obligation de la caution par rapport à celle du débiteur principal. La motivation du prêteur pour souhaiter cette clause, n’est pas indiquée. On peut envisager que ce soit pour lui donner un peu plus de délai pour agir contre la caution. Quoiqu’il en soit, pour définir la portée à donner sur la terminologie ‘la durée du prêt’, cette durée n’est pas purement théorique et figée en son ampleur au jour de la signature du prêt.
En effet, comme le soutient monsieur [B], on ne peut retenir qu’un prêt continue à courir, à s’exécuter, alors que la déchéance du terme a été prononcée et qu’elle a rendu exigibles le capital restant dû, les intérêts et les frais à l’égard de l’emprunteur, tenu à payer immédiatement ces sommes, tandis que la caution, elle, serait obligée jusqu’au terme initialement stipulé donc en l’espèce, 30 ans plus tard. Car c’est bien l’exigibilité de la dette principale qui provoque l’obligation à payer de la caution, et ce sans attendre 30 ans.
Il convient donc d’analyser cette durée de deux ans, comme un délai de forclusion, non susceptible d’interruption et qui privera le créancier de son action une fois ce temps écoulé (Cassation n°1423285 du 26 janvier 2016 ).
Il résulte des pièces que par courrier recommandé du 22 juillet 2015, le Crédit Mutuel a informé monsieur [B], caution, de la déchéance du terme rendant exigible la somme de 304 347.77 euros (pièce5) et c’est donc au plus tard le 22 juillet 2017, que les poursuites et actions en paiement devaient être mises en oeuvre à son endroit. A ce titre s’agissant d’un délai de forclusion il n’est pas susceptible de suspension mais d’interruption par certains actes d’exécution dirigés à l’encontre du débiteur principal. A ce titre, le Crédit Mutuel invoque à juste titre le commandement de saisie immobilière délivré le 9 mai 2016 à la SCI Roalis dont l’effet s’est prolongé jusqu’au 11 décembre 2018 touchant ainsi la caution solidaire dans les effets interruptifs puis une saisie attribution du 1er juillet 2020 qui selon le créancier a été ‘tentée’, mais dont la production n’est qu’incomplète devant la cour, elle ne comporte qu’une seule page (pièce 9), ne permettant pas de vérifier si une dénonciation a été faite à monsieur [B]. La requête en saisie des rémunérations de la société Crédit Mutuel a été déposée par la suite, le 4 janvier 2021, donc au delà du délai de forclusion acquis au 11 décembre 2020 à défaut de caractère interruptif établi de la saisie attribution du 1er juillet 2020.
Le jugement sera donc infirmé et le Crédit Mutuel déclaré irrecevable en son action.
Monsieur [B] n’est plus depuis 2013, associé de la SCI Roalis, il a cédé ses parts de sorte que la mise en oeuvre de l’article 1857 du code civil n’aurait pas vocation à s’appliquer à l’espèce, outre le fait que s’agissant d’une saisie des rémunérations, le titre exécutoire visé à la requête reste intangible.
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles engagés dans l’instance, il ne sera pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile.
La partie perdante supporte les dépens, ils seront à la charge du Crédit Mutuel qui succombe en ses prétentions.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe,
INFIRME la décision déférée,
Statuant à nouveau,
DIT l’action en recouvrement du Crédit Mutuel forclose,
DÉBOUTE la société Crédit Mutuel de sa demande en saisie des rémunérations,
DIT n’y avoir lieu à frais irrépétibles,
CONDAMNE la société Crédit Mutuel aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE