RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03942 – N° Portalis DBVH-V-B7G-IUTU
CO
JUGE DE L’EXECUTION DE CARPENTRAS
14 octobre 2022 RG :22/00316
[W]
C/
[S]
Grosse délivrée
le 28 JUIN 2023
à Me Philippe PERICCHI
Me Geoffrey RAU
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 28 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l’exécution de CARPENTRAS en date du 14 Octobre 2022, N°22/00316
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Claire OUGIER, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre
Madame Claire OUGIER, Conseillère
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 05 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 28 Juin 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
Madame [T] [N] [W]
née le 08 Juillet 1962 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/004550 du 30/11/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de )
INTIMÉ :
Monsieur [J] [S]
né le 25 Octobre 1964 à[Localité 3])
Chez Madame [C] [T] [H]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Geoffrey RAU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D’ARDECHE
Affaire fixée en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 01 Juin 2023
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 28 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSÉ
Vu l’appel interjeté le 7 décembre 2022 par Madame [T] [W] à l’encontre du jugement prononcé le 14 octobre 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Carpentras dans l’instance n°22/00316 ;
Vu l’avis de fixation de l’affaire à bref délai du 14 décembre 2022 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 17 février 2023 par l’appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 4 mai 2023 par Monsieur [J] [S], intimé et appelant incident, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l’ordonnance de clôture de la procédure du 14 décembre 2022 à effet différé au 1er juin 2023 ;
***
Monsieur [J] [S] et Madame [T] [W] se sont mariés le 7 septembre 1996 et de leur union est né un fils le 8 aout 2004.
Madame a déposé une requête en divorce le 19 avril 2016, et par ordonnance de non conciliation du 18 octobre 2016, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Carpentras a, notamment,
donné acte aux époux de leur séparation de fait depuis le 11 janvier 2016,
attribué la jouissance à titre onéreux du domicile conjugal, bien indivis, à l’épouse, à charge pour elle d’assumer les charges et frais y afférents, à l’exception du crédit immobilier souscrit pour l’acquisition du bien, de la taxe foncière et de la taxe d’habitation pris en charge par Monsieur [S] à charge de récompense au moment de la liquidation de la communauté,
fixé la résidence habituelle de l’enfant mineur au domicile maternel.
Par jugement du 21 juin 2018 notifié à Madame [W] le 24 juillet 2018, le divorce a été prononcé et la résidence habituelle de l’enfant maintenu au domicile maternel.
Par exploit du 25 novembre 2019, Monsieur [S] a fait assigner Madame [W] devant le tribunal judiciaire de Carpentras en liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux.
Par jugement du 8 décembre 2020 signifié le 22 décembre 2020, le tribunal a, notamment, :
ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des intérêts patrimonieux des ex-époux, et désigné un notaire pour y procéder ainsi qu’un magistrat comme juge commissaire,
enjoint à Madame [W] de quitter le bien appartenant à Monsieur [S], situé [Adresse 8], dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, pendant un délai d’un an,
dit qu’il appartiendra à Monsieur [S] de saisir le juge compétent en matière d’expulsion si Madame [W] ne défère pas à l’injonction de quitter le bien,
et ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.
Sur l’appel interjeté par Madame et par arrêt contradictoire du 17 novembre 2021 notitié à Madame le 6 décembre 2021, la cour d’appel de Nîmes a confirmé le jugement, sauf à modifier le notaire désigné pour dresser l’acte de liquidation partage.
Le 6 décembre 2021, un commandement de payer et une sommation de quitter les lieux ont été délivrés à Madame [W].
Par exploit du 22 février 2022, Monsieur [S] a fait assigner Madame [W] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Carpentras aux fins de voir ordonner la liquidation de l’astreinte, fixer une astreinte définitive et la condamner à lui payer des dommages et intérêts outre les frais irrépétibles et les dépens.
Par jugement du 14 octobre 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Carpentras a :
liquidé à la somme de 73.000 euros, l’astreinte prévue par le jugement du 8 décembre 2020 rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Carpentras,
condamné Madame [T] [W] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 73.000 euros au titre de la liquidation de cette astreinte,
enjoint à Madame [T] [W] de quitter le bien appartenant à Monsieur [S], situé [Adresse 6], dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, pendant un délai de trois mois,
débouté Monsieur [J] [S] de sa demande de dommages et intérêts,
condamné Madame [T] [W] à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Madame [T] [W] a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.
***
Dans ses dernières conclusions, l’appelante demande à la cour, au visa des articles L131-2 et suivants, L421-1 et L421-2 du code des procédures civiles d’exécution, de:
réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [S] de sa demande de dommages-intérêts,
juger applicables les dispositions dérogatoires des articles L421-1 et L421-2 du code des procédures civiles d’exécution,
juger que l’astreinte à liquider est une astreinte provisoire,
débouter Monsieur [S] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions, ainsi que de son appel incident tendant à la liquidation de l’astreinte ordonnée, la fixation d’une astreinte définitive, et ainsi que des dommages-intérêts,
réduire à 0 euros le montant de l’astreinte provisoire dont la liquidation est sollicitée par Monsieur [S],
le condamner Monsieur [S] aux entiers dépens, avec distraction au profit de l’aide juridictionnelle.
Au soutien de ses prétentions, l’appelante fait valoir que sa situation est différente de celle d’un occupant sans droit ni titre puisqu’elle est l’ex-épouse de Monsieur [S] et mère de leur enfant, qu’elle est ainsi fondée à revendiquer la qualification de locataire en vertu du contrat de mariage la liant au propriétaire du bien, Monsieur [S], et qu’il faut donc considérer l’astreinte à liquider comme une astreinte provisoire et le régime dérogatoire des articles L421-1 et L421-2 du code des procédures civiles d’exécution comme applicable.
Dès lors, la cour a toute latitude pour fixer l’astreinte liquidée et doit prendre compte de son comportement et des difficultés rencontrées.
L’appelante explique qu’elle fait face à des difficultés psychologiques et financières, a subi les violences de son ex-mari, puis celles de son fils, et que son absence de stabilité dans l’emploi s’explique notamment par un parcours médical ayant duré plusieurs années.
Elle a formalisé un engagement à quitter le logement pour septembre 2023, lui permettant dans l’intervalle de stabiliser sa situation professionnelle encore très précaire et peu rémunératrice, et de trouver un nouveau logement.
Monsieur [S] ne justifie pas de l’existence d’un préjudice qui justifierait le prononcé d’une astreinte définitive et celle demandée apparait disproportionnée dans la mesure où il chiffre sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 5 000 euros.
Il habite chez sa nouvelle compagne et n’occupe plus ce bien depuis 2016 sans que cela ne lui ait posé jusque là la moindre difficulté.
***
Dans ses dernières conclusions, Monsieur [J] [S], intimé, forme appel incident et demande à la cour, au visa des articles L131-2 et suivants du code de procédure civile d’exécution, de :
déclarer son appel incident recevable et bien fondé,
confirmer le jugement dont appel sur la liquidation de l’astreinte et les condamnations prononcées à l’encontre de Madame [W],
l’infirmer en ce qu’il a enjoint à Madame [W] de quitter le bien appartenant à Monsieur [S], situé [Adresse 7], dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, pendant un délai de trois mois, et l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
débouter Madame [W] de toutes ses demandes, fins et prétentions,
fixer une astreinte définitive de 1.000 euros par jour à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, et ce pendant un nouveau délai d’un an, au titre du chef du jugement rendu par le juge aux affaires familiales de Carpentras le 8 décembre 2020, confirmé siuvant arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 17 novembre 2021, ayant enjoint à Madame [T] [W] de quitter le bien appartenant à Monsieur [S] situé [Adresse 6],
la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de légitimes dommages et intérêts pour résistance abusive,
la condamner à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
la condamner aux entiers dépens de l’instance,
dispenser Monsieur [S] du remboursement des sommes exposées par l’Etat dans le cadre du bénéfice de l’aide juridictionnelle, par application de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1991.
Monsieur [S] expose que son ex-épouse n’est pas entrée dans le domicile en vertu d’un contrat de bail et que les dispositions dérogatoires des articles L421-1 et L421-2 du code des procédures civiles d’exécution ne sont donc pas applicables.
Elle aurait dû quitter les lieux à compter du jugement définitif du divorce mettant un terme aux mesures provisoires, soit au 24 août 2018, mais elle s’y est maintenue illégalement alors même qu’elle a reconnu que l’ancien domicile conjugal était un bien propre de Monsieur [S].
Il n’a jamais commis de violence physique ou psychologique à l’encontre de son ex-épouse, cette dernière n’ayant par ailleurs jamais réclamé de divorce pour faute. L’absence de situation professionnelle stable de Madame [W] n’est pas la conséquence dudit parcours médical mais de son choix personnel. Elle ne justifie pas avoir recherché un nouveau logement, ni déposé de dossier en vue de l’attribution d’un logement social et son engagement à quitter les lieux ne saurait suffire à démontrer sa bonne foi. L’astreinte définitive fixée à 200 euros ainsi que le délai de 3 mois n’apparaissent pas suffisamment dissuasifs à cet égard.
L’intimé affirme subir un préjudice matériel en ce qu’il ne peut reprendre pleine possession de son bien alors qu’il a dû s’acquitter du crédit immobilier. Il subit également un préjudice moral du fait des nombreuses procédures judiciaires qu’il a dû entreprendre pour faire valoir ses droits en raison de la résistance abusive de son ex-épouse et de la nécessité de se défendre sur ces accusations mensongères.
***
Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur le fond :
L’article L421-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « par exception aux deuxième et troisième alineas de l’article L131-2, les astreintes fixées pour obliger l’occupant d’un local à quitter les lieux ont toujours un caractère provisoire et sont révisées et liquidées par le juge une fois la décision d’expulsion exécutée ».
L’article L421-2 suivant ajoute que « par exception au premier alinea de l’article L131-2, le montant de l’astreinte une fois liquidée ne peut excéder la somme compensatrice du préjudice effectivement causé. Il est tenu compte, lors de sa fixation, des difficultés que le débiteur a rencontrées pour satisfaire à l’exécution de la décision. L’astreinte n’est pas maintenue lorsque l’occupant a établi l’existence d’une cause étrangère qui ne lui est pas imputable et qui a retardé ou empêché l’ex&écution de la décision ».
Ces textes sont insérés dans le chapitre unique « l’astreinte » du titre deuxième intitulé « la prévention des difficultés d’exécution », lequel figure dans le livre IV du code des procédures civiles d’exécution, relatif à « l’expulsion ».
Aucun des deux articles cités ne pose d’exigence quant à la qualité de « l’occupant » sinon le fait qu’il doit s’agir d’un local -et donc pas d’un terrain nu ni d’une exploitation agricole- et rien ne permet donc de retenir que son application en soit réservée au seul titulaire d’un bail comme l’a retenu le premier juge.
On peut ainsi être occupant d’un local en vertu d’un titre, ou sans droit ni titre. A partir de la décision d’expulsion, quel qu’en soit le motif, la personne expulsée est considérée comme l’occupant d’un local et les articles précités, spécifiques à l’expulsion, sont applicables.-sauf régimes dérogatoires notamment pour les logements d’étudiants.
Madame [W] est de fait occupante du local d’habitation dont il n’est pas contesté qu’il est la propriété en propre de Monsieur [S], pour avoir été autorisée à titre provisoire à en jouir à titre onéreux par l’ordonnance de non conciliation du 18 octobre 2016 et n’en être manifestement jamais partie depuis, et ce malgré l’arrêt rendu le 17 novembre 2021 et le commandement du 6 décembre 2021.
Par application de ces textes, quand bien même la décision assortie d’une astreinte est exécutoire, toute liquidation de l’astreinte, telle que demandée par Monsieur [S], suppose que l’expulsion ait eu lieu puisqu’elle se fait seulement à hauteur du préjudice effectivement subi et non pas en tenant compte du nombre de jours de retard.
Il n’est pas contesté qu’à ce jour l’appelante n’a toujours pas été expulsée dudit local, et Monsieur [S] ne demande pas de liquidation provisoire de l’astreinte sur le fondement des articles L421-1 et L421-2 du code des procédures civiles d’exécution mais une liquidation de l’astreinte provisoire avec prononcé d’une astreinte définitive sur le fondement des articles L131-2, L131-3 et L131-4 du même code.
Ses demandes en ce sens ne peuvent donc qu’être rejetées.
S’agissant des dommages intérêts qu’il sollicite indépendamment de la liquidation d’astreinte, il les motive par une résistance abusive fautive de Madame [W] qui l’empêcherait de reprendre possession de son bien et le contraindrait à des procédures judiciaires pour faire valoir ses droits.
L’appelante ne conteste pas occuper effectivement un bien qu’elle sait propre à son ex-époux depuis l’arrêt rendu le 17 novembre 2021 par la cour d’appel de Nîmes, et ce, malgré le commandement qui lui a été délivré le 6 décembre 2021, ce qui est constitutif d’une faute civile.
Cette occupation prive de fait ledit propriétaire des lieux d’en jouir comme sa qualité devrait le lui permettre, que ce soit pour l’occuper lui-même ou en faire tout autre usage qui lui conviendrait, et lui cause ainsi incontestablement un préjudice dont l’indemnisation peut effectivement être fixée à la somme de 5.000 euros demandée.
Sur les frais de l’instance :
Madame [W], qui succombe partiellement, devra supporter les dépens de la première instance et de l’instance d’appel, et payer à Monsieur [S] une somme équitablement arbitrée à 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Dit que les dispositions des articles L421-1 et L421-2 du code des procédures civiles d’exécution sont applicables en l’instance ;
Constate que la décision d’expulsion n’a à ce jour pas été exécutée ;
Déboute en conséquence Monsieur [J] [S] de ses demandes en liquidation d’astreinte provisoire et fixation d’astreinte définitive fondées sur les articles L131-2, L131-3 et L131-4 du code des procédures civiles d’exécution ;
Dit que Madame [T] [W] a commis une faute en se maintenant abusivement dans l’immeuble appartenant à Monsieur [J] [S] depuis l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 17 novembre 2021 ;
Condamne en conséquence Madame [T] [W] à payer à ce titre à Monsieur [J] [S] une somme de 5.000 euros en indemnisation du préjudice qui en est résulté ;
Dit que Madame [T] [W] supportera les dépens de première instance et d’appel et payera à Monsieur [J] [S] une somme de 2.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens seront recouvrés conformément aux règles en matière d’aide juridictionnelle.
Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,