N° RG 22/03954 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JHRE
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE DE LA PROXIMITE
ARRET DU 25 MAI 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
22/00833
Jugement du juge de l’Execution d’EVREUX du 22 novembre 2022
APPELANTE :
S.A.S. LE NOUVEAU QUOTIDIEN DE [Localité 7]
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
Immatriculée au RCS d’Evreux sous le n°398 907 204
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Valérie GRAY de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN postulante
Assistée de Me Pierre GUIDET de la SELARL GUIDET ET ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS plaidant
INTIME :
Monsieur le COMPTABLE DU PÔLE DE RECOUVREMENT SPECIALISE DNVSF
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Christine LEBEL de la SCP PICARD LEBEL QUEFFRINEC BEAUHAIRE MOREL, avocat au barreau de l’EURE
assisté de Me QUEFFRINEC, de la SCP PICARD LEBEL QUEFFRINEC BEAUHAIRE MOREL, avocat au barreau de l’EURE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Madame GOUARIN, présidente
Madame TILLIEZ, conseillère
Madame GERMAIN, conseillère
GREFFIER
Madame DUPONT, lors des débats et de la mise à disposition
DEBATS :
A l’audience publique du 24 avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 25 mai 2023
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement le 25 mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame GOUARIN, présidente et par Madame DUPONT, greffière.
Exposé des faits et de la procédure
Suivant avis adressé par lettre recommandée le 15 avril 2021, le comptable public, responsable du pôle de recouvrement spécialisé de la direction nationale de vérification des situations fiscales, a informé la SAS Le nouveau quotidien de [Localité 7] d’une vérification fiscale portant sur la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019.
A l’issue du contrôle, une proposition de rectification relative à l’exercice 2017 a été établie le 10 juin 2021.
Par courriers des 2 et 6 septembre 2021, la direction nationale de vérifications des situations fiscales a prononcé une amende d’un montant de 447 690 euros à l’encontre de la SAS Le nouveau quotidien de [Localité 7].
Une proposition de rectification relative aux exercices 2018 et 2010 a été adressée à la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] le 27 octobre 2021.
Par courriers des 6 octobre et 26 novembre 2021, la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] a contesté les rectifications proposées.
Par ordonnance du 11 janvier 2022, le juge de l’exécution a autorisé le comptable public à pratiquer à l’encontre de la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] une saisie conservatoire auprès du service des impôts des entreprises d'[Localité 6] au titre du crédit de taxe sur la valeur ajoutée, ce pour un montant de 887 226 euros.
Par acte d’huissier du 1er février 2022, une saisie conservatoire a été pratiquée pour un montant de 345 598 euros et elle a été dénoncée à la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] par acte du 2 février 2022.
Par acte d’huissier du 28 février 2022, la société a saisi le juge de l’exécution d’une demande de mainlevée des saisies conservatoires.
Par jugement contradictoire du 22 novembre 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Evreux a :
– débouté la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] de ses demandes ;
– validé la saisie conservatoire pratiquée le 1er février 2022 auprès du service des impôts des entreprises d'[Localité 6] en exécution de l’ordonnance du 11 janvier 2022 ;
– condamné la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] aux dépens ;
– condamné la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] à verser au comptable public, responsable du pôle de recouvrement spécialisé de la direction nationale de vérification des situations fiscales la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 8 décembre 2022, la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] a relevé appel de cette décision.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 2022.
Exposé des prétentions des parties
Par dernières conclusions reçues le 3 avril 2023, la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] demande à la cour de :
– infirmer en totalité le jugement rendu ;
– constater que les conditions édictées par l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ne sont pas réunies ;
– ordonner la mainlevée immédiate de la saisie conservatoire ;
A titre subsidiaire,
– réduire le montant de la saisie conservatoire à la somme de 193 001 euros ;
En tout état de cause,
– condamner le Trésor public au paiement de la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner le Trésor public aux dépens.
Par dernières conclusions reçues le 13 avril 2023, le comptable public, responsable du pôle de recouvrement spécialisé, demande à la cour de :
– débouter la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] de ses demandes ;
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– condamner la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions des parties pour l’exposé des moyens développés par celles-ci.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de mainlevée de la saisie conservatoire
Aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
Sur l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe
Il n’appartient pas au juge de l’exécution de statuer sur la réalité de la créance ou d’en fixer le montant mais de se prononcer sur le caractère vraisemblable d’un principe de créance.
En l’espèce, l’appelante soutient que la proposition de rectification ne peut conférer un principe de créance qu’à la condition d’être régulière et fait grief au premier juge d’avoir considéré que la proposition de rectification du 10 juin 2021 avait été régulièrement signifiée alors qu’il n’existe aucune boîte aux lettres à l’adresse de signification de l’acte et qu’aucun avis de passage n’a été laissé à son domicile ni à sa résidence. Elle fait également valoir qu’il n’existe pas de principe de créance concernant l’amende prononcée dès lors que cette amende n’a pas été notifiée sous la forme d’une proposition de rectification, que le vérificateur a manqué à son devoir de loyauté et que le principe du contradictoire n’a pas été respecté.
En réplique, l’intimé fait valoir que la proposition de rectification émise le 10 juin 2021 par le service vérificateur établit l’existence d’un principe de créance fiscale en ce qui concerne la TVA et l’impôt sur les sociétés, que cette proposition et la lettre du 6 septembre 2021 établissent l’existence d’un principe de créance fiscale concernant la pénalité appliquée, que l’obligation de notifier la pénalité prononcée sous la forme d’une proposition de rectification ne résulte d’aucune disposition légale et que le principe de créance a été conforté par les notifications ultérieures de la brigade de contrôle. Le comptable public soutient qu’il n’appartient pas au juge de l’exécution de trancher les contestations portant sur la régularité et le bien fondé de la proposition qui ne relèvent pas de la compétence du juge judiciaire. A titre subsidiaire, il considère que la signification de la proposition de rectification du 10 juin 2021 est régulière.
En application des dispositions de l’article L. 281 du livre des procédures fiscales, le juge de l’exécution connaît des contestations portant sur la régularité en la forme de l’acte de poursuite à l’exclusion de celles portant sur l’obligation au paiement, le montant de la dette ou l’exigibilité de la somme réclamée qui relèvent du juge de l’impôt.
Il s’en déduit que le juge de l’exécution ne saurait trancher les contestations portant sur la régularité de la procédure de vérification fiscale et le bien-fondé de la proposition de rectification mais seulement sur la régularité de la proposition de rectification.
Les contestations élevées qui portent sur le manquement allégué de l’administration aux droits de la défense et aux garanties fondamentales du contribuable vérifié concernent la régularité de la procédure de vérification fiscale et ne relèvent pas de la compétence du juge de l’exécution, auquel il appartient de statuer exclusivement sur la régularité en la forme de l’acte de poursuite.
En l’espèce, la direction nationale des vérifications des situations fiscales a établi, le 10 juin 2021, une proposition de rectification visant l’exercice 2017.
Cette proposition a été signifiée à la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] par acte d’huissier délivré le 14 juin 2021 dont la régularité est contestée.
Aux termes de l’article 655 du code de procédure civile, si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. L’huissier de justice doit relater dans l’acte les diligences qu’il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l’impossibilité d’une telle signification. (…) L’huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l’avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l’acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise.
En l’espèce, il résulte des mentions de l’acte que Me [K], huissier de justice, s’est rendu à l’adresse située au [Adresse 4] à [Localité 1] dont il n’est pas contesté qu’elle constitue l’adresse du siège social de la société Le nouveau quotidien de [Localité 7].
L’huissier de justice a décrit de manière précise les circonstances caractérisant l’impossibilité de la signification à personne en indiquant qu’aucune personne n’était présente, que la société était fermée, que personne ne répondait à ses appels à l’interphone et que personne ne répondait à ses appels téléphoniques au numéro de téléphone inscrit sur les Pages jaunes.
Il a indiqué avoir vérifié le domicile du destinataire au moyen des diligences suivantes : la société est inscrite à cette adresse au RCS, le nom est inscrit aux Pages jaunes et le nom est inscrit sur la boîte aux lettres située au [Adresse 3] à [Localité 8], domicile du gérant.
Il résulte des mentions du procès-verbal qu’un avis de passage conforme aux prescriptions de l’article 655 a été laissé à l’adresse du signifié et que la lettre prévue par l’article 658 comportant les mêmes mentions que l’avis de passage et copie de l’acte de signification a été adressée dans le délai prévu par la loi.
Dès lors qu’il résulte des mentions de l’acte, qui font foi jusqu’à inscription de faux, que les formalités prévues ont été accomplies, la signification est régulière, aucune mention de l’huissier ne permettant d’établir que l’avis de passage et la lettre ont été adressés à une adresse différente de celle de la société Le nouveau quotidien de [Localité 7].
Il en résulte que la proposition de rectification du 10 juin 2021 traduit, par l’apparence de sa réalité, le bien-fondé en son principe de la créance de l’administration fiscale.
La régularité en la forme de la proposition de rectification visant les exercices 2018 et 2019 adressée à la société le 27 octobre 2021 n’est pas contestée.
A la suite des contestations élevées par la société Le nouveau quotidien de [Localité 7], ces propositions de rectification ont été confirmées par lettre recommandée du service vérificateur du 18 août 2022.
Il s’ensuit que le créancier justifie du principe de sa créance par la production des deux propositions de rectification régulières en la forme.
S’agissant des pénalités consécutives au défaut de réponse dans le délai de trente jours à la demande de désignation des bénéficiaires des distributions, le comptable public a notifié à la société Le nouveau quotidien de [Localité 7] l’application de l’amende prévue par l’article 1759, par lettre recommandée du 6 septembre 2021 dont l’avis de réception a été signé par son destinataire le 7 septembre 2021.
Cette lettre rappelait que la société disposait d’un délai de trente jours à compter de la notification pour présenter ses observations sur la sanction envisagée ce, conformément aux dispositions de l’article L. 80 du livre des procédures fiscales.
Contrairement à ce que soutient l’appelante sur ce point, aucune disposition n’impose que la pénalité prenne la forme d’une proposition de rectification dès lors qu’elle est régulièrement notifiée au redevable par un document lui faisant connaître la sanction que l’administration se propose d’appliquer et le délai imparti pour présenter ses observations. Créatrice de droit en ce qu’elle informe le redevable de la sanction envisagée et lui permet de faire valoir ses observations dans un délai de trente jours suivant sa notification, cette décision ne saurait être qualifiée d’informelle.
A la suite des observations reçues de la société le 6 octobre 2021, le service vérificateur a confirmé les rectifications proposées et l’application de l’amende par lettre recommandée du 18 août 2022 dont l’avis de réception a été signé le 29 août 2022.
Dès lors que la pénalité litigieuse a été prononcée à la suite de la signification régulière de la proposition de rectification, le grief élevé tenant au manquement au principe de la contradiction doit être écarté.
Il en résulte que l’administration fiscale justifie également d’une créance paraissant fondée en son principe s’agissant des pénalités appliquées.
Sur les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance
Il appartient au créancier de justifier de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance.
En l’espèce, l’appelante soutient qu’il n’existe aucune menace sur le recouvrement en ce que le montant de la créance fondée en principe est de 193 001 euros, que les résultats de la société ne sont pas, à eux seuls, de nature à refléter la situation économique et la santé financière de l’entreprise, que l’évolution de son chiffre d’affaires est de 220% au cours des cinq derniers exercices, qu’il convient de tenir compte des immobilisations, des valeurs mobilières et des disponibilités qui s’élèvent à un montant total de 7 276 138 euros pour un endettement de 5 464 135 euros et qu’elle est à jour du paiement de ses impôts.
En réplique, le comptable public fait valoir que le résultat d’exploitation est déficitaire pour les exercices 2020 et 2021, que même si la société dispose de disponibilités financières et de valeurs mobilières de placement ainsi que de créances à un an au plus, elle est débitrice de dettes à un an au plus qui sont largement supérieures à ses capacités financières et qu’elle ne dispose d’aucun patrimoine immobilier.
Il a été démontré que la créance paraissant fondée en son principe est d’un montant de 887 226 euros.
Or, il résulte des pièces comptables versées aux débats que, si le chiffre d’affaires de la société était de 3 276 959 euros au titre de l’exercice 2020 et de 3 094 498 euros au titre de l’exercice 2021, le résultat d’exploitation était de -374 328 euros en 2020 et de -315 550 en 2021. Il s’en déduit que le résultat d’exploitation est déficitaire au titre de l’année 2020 et de l’année 2021. A supposer, comme le soutient l’appelante, que les déficits proviennent d’une dotation exceptionnelle aux amortissements et provisions sans laquelle le résultat de la société aurait été bénéficiaire de 117 109 euros en 2020 et 303 769 euros en 2021, les bénéfices allégués sont en tout état de cause inférieurs à la créance du comptable public.
Il est constant que la société ne dispose d’aucun patrimoine immobilier. Si les actifs immobilisés sont d’un montant net de 3 075 142 euros en 2020 et de 3 244 154 euros en 2021 et les actifs circulants d’un montant de 3 867 628 euros en 2020 et 3 981 025 euros en 2021, les dettes de la société à un an sont d’un montant de 5 128 050 euros en 2020 et de 5 464 135 euros en 2021 alors que les créances à un an sont de 1 040 720 euros en 2020 et de 1 539 092 euros en 2021, soit un endettement à un an d’un montant supérieur aux capacités financières de l’entreprise.
Il s’en déduit que, compte tenu de l’importance du montant de la créance dont le recouvrement est poursuivi, les circonstances permettent au comptable public de craindre légitimement que la créance excède les possibilités financières de la société.
Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé dans ses dispositions ayant débouté la société Le nouveau quotidien de sa demande de mainlevée et subsidiairement de réduction de la saisie conservatoire.
Sur les frais et dépens
Les dispositions du jugement déféré à ce titre seront confirmées.
La société Le nouveau quotidien de [Localité 7] devra supporter la charge des dépens d’appel et sera condamnée à verser à l’intimé la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour :
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Le nouveau quotidien de [Localité 7] aux dépens d’appel ;
Condamne la SAS Le nouveau quotidien de [Localité 7] à payer au comptable public, responsable du pôle de recouvrement spécialisé, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SAS Le nouveau quotidien de [Localité 7] de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
La greffière La présidente
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