REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 25 MAI 2023
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/17406 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGQYT
Décision déférée à la cour :
Jugement du 31 août 2022-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 21/00253
APPELANTE
S.C.I. GHIBLI
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Jérôme HOCQUARD de la SELARL ELOCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0087
INTIMÉE
S.A. LE CREDIT LYONNAIS
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Bruno PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0865
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 12 avril 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant commandement de payer valant saisie immobilière délivré le 1er juin 2021, publié le 26 juillet 2021 au service de la publicité foncière de Paris 1, sous le volume 2021 S n°72, le Crédit Lyonnais a entrepris une saisie des biens immobiliers de la SCI Ghibli situés [Adresse 3], en vertu d’un acte notarié portant sur deux prêts.
Par acte d’huissier en date du 24 septembre 2021, le Crédit Lyonnais a fait assigner la SCI Ghibli à l’audience d’orientation du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement d’orientation en date du 31 août 2022, le juge de l’exécution a notamment :
rejeté les demandes d’annulation et de radiation du commandement de payer valant saisie immobilière,
ordonné la vente forcée des biens visés au commandement et fixé la date de l’audience de vente,
mentionné que le montant retenu pour la créance du poursuivant est de 92.633,54 euros, en principal et intérêts arrêtés au 28 mars 2021,
organisé les visites des lieux et aménagé la publicité légale de la vente,
dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
dit que les dépens seront compris dans les frais taxés de vente.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution, faisant application de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, a retenu que le commandement ayant été délivré le 1er juin 2021, seules les échéances impayées antérieures au 31 mai 2016 étaient prescrites.
La SCI Ghibli a fait appel de cette décision par déclaration du 21 octobre 2022, puis a saisi le premier président d’une demande d’autorisation d’assigner à jour fixe par requête du 24 octobre 2022.
Par acte d’huissier du 14 novembre 2022, déposé au greffe sur le RPVA le même jour, elle a fait assigner à jour fixe le Crédit Lyonnais devant la cour d’appel de Paris, après y avoir été autorisée par ordonnance sur requête du président de chambre délégataire en date du 27 octobre 2022.
Aux termes de son assignation, la SCI Ghibli demande à la cour d’appel de :
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– déclarer prescrites les créances du Crédit Lyonnais au titre des deux prêts,
En conséquence,
– prononcer la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière du 31 mai [1er juin] 2021 et en ordonner la radiation,
– ordonner la mention de la décision à intervenir en marge du commandement publié au 1er bureau du service de la publicité foncière de [Localité 6] le 26 juillet 2021 volume 2021 S n°72,
– condamner le Crédit Lyonnais au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle fait valoir que la déchéance du terme, qui intervient automatiquement sans que le créancier ait à la prononcer, a en réalité déjà été prononcée le 28 septembre 2015, et que le Crédit Lyonnais a essayé de contourner les règles de la prescription en prononçant une seconde fois la déchéance du terme en 2021, alors que la prescription est intervenue le 28 septembre 2020.
Par conclusions du 6 janvier 2023, le Crédit Lyonnais demande à la cour d’appel de :
confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté le moyen tiré de la prescription et ordonné la vente forcée des biens saisis,
l’infirmer en ce qu’elle a mentionné le montant retenu pour la créance à la somme de 92.633,54 euros,
Statuant à nouveau,
mentionner que le montant retenu pour sa créance au titre du prêt de 177.000 euros est de 136.873,85 euros, intérêts arrêtés au 23 juin 2022, et, au titre du prêt de 57.500 euros, de 46.169,15 euros,
ordonner l’emploi des dépens d’appel en frais privilégiés de vente.
Il fait valoir que la SCI Ghibli ne rapporte pas la preuve que la déchéance du terme a été prononcée en 2015, comme elle le soutient, et que ses créances ne sont nullement prescrites.
Sur son appel incident, il invoque une erreur du juge sur l’exigibilité du capital et les indemnités, puisque l’extinction des échéances antérieures au 31 mai 2016 par l’effet de la prescription n’a aucune incidence sur le capital restant dû à la date de déchéance du terme du 28 mars 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription et la nullité du commandement
Aux termes de l’article R.322-15 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution, « à l’audience d’orientation, le juge de l’exécution, après avoir entendu les parties présentes ou représentées, vérifie que les conditions des articles L.311-2, L.311-4 et L.311-6 sont réunies, statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes… ».
Il résulte de l’article L.311-2 que, pour pouvoir procéder à une saisie immobilière, le créancier doit être muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.
L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.
Le Crédit Lyonnais agit en vertu d’un acte notarié du 31 mars 2006 contenant deux prêts et se prévaut d’une déchéance du terme prononcée le 28 mars 2021 pour les deux prêts.
Aux termes de l’article 5 (Exigibilité anticipée) de l’offre de prêt acceptée et annexée à l’acte notarié liant les parties, « toutes les sommes dues au titre d’un prêt tant en principal qu’en intérêts et accessoires, deviendraient exigibles par anticipation de plein droit dans l’un des cas énumérés ci-après, sans que notre établissement ait à faire prononcer en justice la déchéance du terme ni à procéder à une mise en demeure, à savoir :
– inexécution d’une obligation contractée au titre du prêt, notamment en cas de non paiement d’une échéance, étant précisé que les régularisations postérieures ne feraient pas obstacle à cette exigibilité, … »
En outre, le troisième alinéa de l’article 7 (Indemnités ‘ Intérêts de retard) stipule : « au cas où notre établissement serait amené à résilier la présente convention par suite d’exigibilité anticipée [‘], l’emprunteur serait redevable d’une indemnité forfaitaire de 5 % du capital restant dû ».
Comme le soutient la SCI Ghibli, la déchéance du terme est un fait juridique, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens.
Pour soutenir que la déchéance du terme avait en réalité déjà été prononcée le 28 septembre 2015, la SCI Ghibli produit deux décomptes de créance émanant de la banque, arrêtés au 15 septembre 2016 qui font apparaître :
– pour le premier, sept échéances impayées du 28 mars au 28 septembre 2015 et le capital restant dû au 28 septembre 2015 pour un montant de 109.237,04 euros, soit un total dû de 130.051,19 euros, comprenant une indemnité forfaitaire de 5.461,85 euros ;
– pour le second, sept échéances impayées du 28 mars au 28 septembre 2015, celle de mars étant néanmoins partiellement régularisée, et le capital restant dû au 28 septembre 2015 pour un montant de 36.782,21 euros, soit un total dû de 43.364,93 euros, comprenant une indemnité forfaitaire de 1.839,11 euros.
Elle produit en outre deux tableaux d’amortissement édités le 26 octobre 2015 qui font apparaître que le capital restant dû pour les deux prêts au 28 septembre 2015 est bien, respectivement, de 109.237,04 euros et de 36.782,21 euros.
Contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, ces pièces démontrent sans équivoque la volonté du prêteur de rendre les prêts exigibles par anticipation au 28 septembre 2015, à la suite du non-paiement d’échéances, puisque ses décomptes de créance font état non pas seulement des mensualités impayées, mais également du capital restant dû, qui n’est autre que le capital à échoir, ainsi que d’une indemnité forfaitaire, laquelle n’est due par l’emprunteur qu’en cas d’exigibilité anticipée.
En outre, la SCI Ghibli justifie d’un courrier daté du 31 août 2016, émanant d’un service expertise mandaté par le Crédit Lyonnais, indiquant souhaiter visiter le bien dont la SCI Ghibly est propriétaire au [Adresse 3], afin d’estimer l’état et la valeur de ce bien. Une telle démarche du Crédit Lyonnais révèle sa volonté d’entreprendre une procédure de saisie immobilière sur le bien en question dont l’acquisition a été financée par les prêts, ce qui confirme qu’il en avait déjà prononcé la déchéance du terme.
Au regard de ces éléments, la cour estime que la SCI Ghibli soutient valablement que la déchéance du terme avait déjà été prononcée le 28 septembre 2015.
Il en résulte que lors de la délivrance du commandement de payer valant immobilière le 1er juin 2021, il s’était écoulé plus de cinq ans depuis la déchéance du terme, de sorte que la prescription était acquise tant pour l’ensemble des échéances impayées que pour le capital restant dû, étant précisé que la banque ne se prévaut d’aucun acte interruptif de prescription pendant cette période.
Dès lors, il convient d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de déclarer prescrites les créances du Crédit Lyonnais et d’annuler le commandement.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante, le Crédit Lyonnais sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. La demande de la SCI Ghibli fondée sur l’article 700 du code de procédure civile sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement d’orientation rendu le 31 août 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris,
Statuant à nouveau,
DÉCLARE prescrites les créances de la SA Le Crédit Lyonnais à l’encontre de la SCI Ghibli,
ANNULE le commandement de payer valant saisie immobilière délivré le 1er juin 2021 à l’encontre de la SCI Ghibli par la SA Le Crédit Lyonnais, publié le 26 juillet 2021 au service de la publicité foncière de Paris 1, sous le volume 2021 S n°72,
ORDONNE la radiation dudit commandement,
DIT que la présente décision devra être mentionnée en marge du commandement publié,
DÉBOUTE la SCI Ghibli de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA Le Crédit Lyonnais aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, Le président,