REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 25 MAI 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/12353 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCMT
Décision déférée à la cour :
Jugement du 17 juin 2022-Juge de l’exécution de CRÉTEIL-RG n° 22/01430
APPELANTE
S.A.S. MAPA
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Plaidant par Me Stéphane DAYAN de la SELAS SELAS ARKARA AVOCATS SDPE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.C.I. [Adresse 3]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241
Plaidant par Me Emmanuelle CHAVANCE de la SELARL BJA, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame Catherine Lefort, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bénédicte Pruvost, président
Madame Catherine Lefort, conseiller
Monsieur Raphaël Trarieux, conseiller
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Créteil en date du 8 avril 2021, signifiée le 16 juillet 2021, le juge des référés a notamment :
– condamné la SAS Mapa à payer à la SCI [Adresse 3] la somme provisionnelle de 40.004,33 euros au titre de l’arriéré locatif au 25 janvier 2021,
– dit que la société Mapa pourra s’acquitter de cette somme, en plus des loyers courants, en un versement de 8.000 euros payable au plus tard dans le mois de l’ordonnance, puis en huit mensualités égales et consécutives de 4.000 euros, le premier versement devant intervenir le 1er du mois suivant la signification de l’ordonnance et les versements suivants le 1er de chaque mois,
– ordonné rétroactivement la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours de ces délais,
– dit que les loyers et charges courants devront être payés dans les conditions fixées par le bail commercial,
– dit que faute pour la société Mapa de payer à bonne date, en sus du loyer, charges et accessoires courants, une seule des mensualités, et huit jours après l’envoi d’une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception,
le tout deviendra immédiatement exigible,
la clause résolutoire sera acquise,
il sera procédé à l’expulsion immédiate de la société Mapa et à celle de tous occupants de son chef des lieux loués situés à [Localité 7] (94), [Adresse 3],
une indemnité provisionnelle égale au montant du loyer contractuel augmenté des charges sera mise à sa charge, en cas de maintien dans les lieux, jusqu’à libération effective des lieux par remise des clés.
Un commandement de quitter les lieux a été signifié à la société Mapa le 21 janvier 2022.
Par acte d’huissier du 22 février 2022, la société Mapa a fait assigner la SCI [Adresse 3] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil aux fins de nullité du commandement de quitter les lieux et d’obtention d’un délai de 36 mois pour quitter les lieux.
Par jugement contradictoire du 17 juin 2022, le juge de l’exécution a notamment :
– débouté la société Mapa de sa demande de nullité de commandement de quitter les lieux,
– débouté la société Mapa de sa demande de délais pour quitter les lieux,
– condamné la société Mapa au paiement d’une somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Pour statuer ainsi sur l’absence de nullité du commandement, le juge a tout d’abord écarté le moyen tiré de la nullité de la signification de l’ordonnance de référé, retenant que l’exécution de l’ordonnance était volontaire de sorte que la société Mapa, qui avait signé l’accusé de réception de la lettre recommandée adressée par l’huissier en application de l’article 659 du code de procédure civile, ne démontrait pas avoir subi un grief. Ensuite, il a considéré que la société Mapa n’avait pas respecté les termes de l’ordonnance du 8 avril 2021 en ce qu’elle n’avait payé le loyer du 4ème trimestre 2021, appelé le 1er octobre 2021, que le 3 novembre 2021, et qu’elle avait bien reçu une mise en demeure, de sorte que la clause résolutoire était acquise, sans que le commandement de quitter les lieux ne puisse être annulé. Sur les délais, il a estimé que la société Mapa ne démontrait pas en quoi son départ des lieux pourrait entraîner l’ouverture d’une procédure collective à son encontre et qu’elle ne justifiait d’aucune démarche en vue de son relogement.
Par déclaration du 30 juin 2022, la société Mapa a fait appel de ce jugement.
L’expulsion a eu lieu le 9 novembre 2022.
Par conclusions n°4 du 4 avril 2023, la société MAPA demande à la cour de :
réformer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
prononcer la nullité de la signification de l’ordonnance du 8 avril 2021,
déclarer recevable sa demande de dommages-intérêts du fait de son expulsion irrégulière,
En conséquence,
prononcer la nullité du commandement de quitter les lieux du 21 janvier 2022,
juger que la procédure d’expulsion est irrégulière et qu’elle est nulle et de nul effet,
condamner la SCI [Adresse 3] à lui payer la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts,
A titre subsidiaire,
dire et juger que le commandement de quitter les lieux lui a été délivré alors que la clause résolutoire n’était pas acquise,
En conséquence,
prononcer la nullité du commandement de quitter les lieux du 21 janvier 2022,
juger que la procédure d’expulsion est irrégulière et qu’elle est nulle et de nul effet,
condamner la SCI [Adresse 3] à lui payer la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts,
A titre très subsidiaire,
dire et juger que le commandement de quitter les lieux n’a pas été précédé d’une mise en demeure valable,
En conséquence,
prononcer la nullité du commandement de quitter les lieux du 21 janvier 2022,
juger que la procédure d’expulsion est irrégulière et qu’elle est nulle et de nul effet,
condamner la SCI [Adresse 3] à lui payer la somme de 500.000 euros à titre de dommages-intérêts,
En tout état de cause,
condamner la SCI [Adresse 3] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Sur la nullité de la signification de l’ordonnance de référé selon les dispositions de l’article 659 du code de procédure civile, elle fait valoir que les diligences de l’huissier sont insuffisantes puisqu’il a seulement interrogé une société voisine, et que contrairement à ce que cette dernière a déclaré, elle n’a jamais quitté les locaux et a d’ailleurs reçu la lettre recommandée de l’huissier. Elle estime que faute de signification régulière, aucune échéance n’a pu commencer à courir, de sorte que le commandement est nul. Elle précise que l’existence d’un grief est ici sans importance.
Subsidiairement, sur le respect des termes de l’ordonnance, elle fait valoir que le bail ne prévoit pas de dates précises quant au paiement des loyers puisqu’il mentionne « aux époques ordinaires de l’année », ce qui ne signifie pas nécessairement 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre ; qu’elle a payé les loyers des 2ème et 3ème trimestres 2021 les 4 mai et 2 juillet 2021, soit avant la signification de l’ordonnance de référé ; qu’à la date de la mise en demeure du 1er octobre 2021, elle s’était parfaitement conformée aux termes de l’ordonnance et pouvait encore payer le 4ème trimestre 2021, de sorte que ce courrier de mise en demeure n’a pu produire aucun effet et était totalement infondé. Elle conclut que le commandement est nul, faute d’acquisition de la clause résolutoire.
Subsidiairement, sur l’absence de mise en demeure valable, elle soutient que le courrier du 1er octobre 2021 n’est pas explicite sur l’obligation demandée et ne précise pas le délai dans lequel l’obligation doit être respectée, de sorte qu’il ne vaut pas mise en demeure. Elle conclut qu’en l’absence de mise en demeure infructueuse dans un délai de huit jours, la clause résolutoire ne peut être acquise, de sorte que le commandement de quitter les lieux est nul.
Elle ajoute que sa demande de dommages-intérêts fondée sur l’irrégularité de son expulsion est parfaitement recevable, puisqu’elle fait suite à l’expulsion intervenue le 9 novembre 2022, soit après le jugement attaqué et après ses premières conclusions d’appelant. Sur le fond, elle explique qu’en l’absence de commandement de quitter les lieux valable, l’expulsion est irrégulière, ce qui lui a causé un préjudice pouvant être évalué à 500.000 euros compte tenu de la durée prévisible minimale nécessaire pour se réinstaller dans de nouveaux locaux et la perte de revenus.
Par conclusions n°3 du 4 avril 2023, la SCI [Adresse 3] demande à la cour de :
débouter la société Mapa de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
juger valable la signification de l’ordonnance du 8 avril 2021,
juger valable le commandement de quitter les lieux délivré le 21 janvier 2022 à la société MAPA,
juger que la demande de la société MAPA tendant à obtenir la nullité de la procédure d’expulsion est une demande nouvelle formulée pour la première fois en cause d’appel et irrecevable,
juger que la demande de la Société MAPA tendant à obtenir la condamnation de la société [Adresse 3] à lui verser une somme de 500.000 euros à titre de dommages et intérêts compte tenu de son expulsion est une demande nouvelle formulée en cause d’appel et irrecevable,
En conséquence,
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
débouter la société Mapa de sa demande de nullité de la procédure d’expulsion,
débouter la société Mapa de sa demande de dommages-intérêts,
En tout état de cause,
condamner la société Mapa au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction.
Sur la nullité de la signification de l’ordonnance, elle fait valoir que la société Mapa, qui a bien réceptionné la lettre de l’huissier et a exécuté l’ordonnance en réglant les loyers des 2ème et 3ème trimestres 2021 avant même la signification, n’a subi aucun grief du fait de cette signification en application de l’article 659 du code de procédure civile, de sorte qu’en vertu de l’article 114 du code de procédure civile, elle ne peut arguer de la nullité de cette signification.
Sur le non-respect des termes de l’ordonnance, elle soutient que les loyers sont payables d’avance en début de trimestre, soit les 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre de chaque année ; que le loyer du 4ème trimestre 2021 payable le 1er octobre 2021 n’a pas été réglé, ni le 1er octobre 2021, ni dans le délai de huit jours de la réception de la mise en demeure le 6 octobre 2021 ; que la clause résolutoire était donc acquise, de sorte que le commandement est parfaitement valable.
Sur l’irrégularité alléguée de la mise en demeure, elle fait valoir que la société Mapa n’apporte pas la preuve d’un vice de forme affectant le commandement ni d’un quelconque grief, étant rappelé qu’elle avait une parfaite connaissance de l’ordonnance de référé ; que l’objet de la lettre du 1er octobre 2021 était parfaitement clair de sorte que celle-ci constituait une interpellation suffisante puisqu’il lui était demandé de respecter le dispositif de l’ordonnance.
Sur l’irrégularité de l’expulsion et la demande de dommages-intérêts de l’appelante, elle soutient qu’il s’agit de prétentions nouvelles en appel en ce qu’elles n’ont pas été formulées en première instance ni dans la déclaration d’appel, et qu’il n’est pas possible d’étendre la dévolution par des demandes nouvelles, en application des articles 542, 562 et 564 du code de procédure civile. Elle estime que ces demandes nouvelles sont d’autant plus irrecevables qu’elles n’ont pas été formulées dans les premières conclusions d’appelant, en contravention avec les dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile. Sur le fond, elle soutient d’une part que le commandement de quitter les lieux étant parfaitement valable, l’expulsion, la remise des clés et la restitution des locaux intervenues les 9 et 16 novembre 2022 ne sauraient être contestées, d’autre part que la demande de dommages-intérêts est infondée et injustifiée, la société Mapa étant responsable de son préjudice.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur la nullité du commandement de quitter les lieux
1) Sur la nullité de la signification de l’ordonnance de référé
Il résulte de l’article 503 du code de procédure civile que les décisions de justice ne peuvent être exécutées contre ceux auxquels elles sont opposées qu’après leur avoir été notifiées, à moins que l’exécution n’en soit volontaire.
La SCI [Adresse 3] ne peut invoquer l’exécution volontaire de l’ordonnance de référé du 8 avril 2021 en ce que la société Mapa a payé les loyers des 2ème et 3ème trimestres 2021 (exigibles les 1er avril et 1er juillet) avant la signification de l’ordonnance, dans la mesure où le paiement de loyers constitue davantage l’exécution du contrat que l’exécution de la décision de justice.
L’article 659 du code de procédure civile dispose :
« Lorsque la personne à qui l’acte doit e’tre signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un proce’s-verbal ou’ il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.
Le me’me jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l’huissier de justice envoie au destinataire, à la dernie’re adresse connue, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie du proce’s-verbal, à laquelle est jointe une copie de l’acte objet de la signification.
Le jour me’me, l’huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l’accomplissement de cette formalité.
Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d’un acte concernant une personne morale qui n’a plus d’établissement connu au lieu indiqué comme sie’ge social par le registre du commerce et des sociétés. »
Il en résulte que l’huissier de justice qui signifie un acte doit procéder à des investigations pour rechercher l’adresse du destinataire, s’il s’avère que l’adresse connue à laquelle il se rend n’est pas la bonne.
Il ressort des articles 693 et 694 du code de procédure civile que les règles de notification prévues par les articles 654 à 659 sont prescrites à peine de nullité, laquelle est régie par les dispositions relatives à la nullité des actes de procédure, soit la nullité pour vice de forme.
L’article 114 du même code dispose :
« Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. »
En l’espèce, le procès-verbal de signification de l’ordonnance de référé daté du 16 juillet 2021 mentionne que l’huissier s’est rendu au dernier domicile connu de la société Mapa, dont le siège social est à [Adresse 2]. L’acte indique :
« Audit endroit, j’ai constaté qu’à ce jour, aucune personne répondant à l’identification du destinataire de l’acte n’y a son domicile, sa résidence ou son établissement.
En conséquence, il a été procédé aux diligences suivantes, pour rechercher le destinataire de l’acte :
il m’a été déclaré par une société voisine que la SAS Mapa était partie sans laisser d’adresse.
Toutes les démarches décrites ci-dessus n’ont pu permettre de retrouver la nouvelle destination du signifié. »
Ainsi, l’huissier n’a pas fait toutes les diligences requises pour retrouver le destinataire de l’acte, puisqu’il n’a même pas effectué la moindre recherche dans les pages jaunes. A supposer que l’huissier ait demandé à la société voisine si elle connaissait la nouvelle adresse de la société Mapa (ce qui n’est même pas certain au regard de la rédaction du procès-verbal), force est de constater qu’il n’a accompli que cette seule et unique diligence, ce qui est insuffisant. En outre, il n’a pas tenté de signifier l’ordonnance de référé à l’adresse des lieux loués ([Adresse 3] à [Localité 7]) qui figurait pourtant dans l’ordonnance, ni à l’autre adresse mentionnée sur la première page de l’ordonnance de référé ([Adresse 4] à [Localité 8]).
Cependant, il est constant que la société Mapa, qui indique que son siège social n’a pas changé, a reçu la lettre recommandée de l’huissier, de sorte qu’elle n’a subi aucun grief de cette irrégularité, puisqu’elle a été en mesure de prendre connaissance de l’acte.
L’ordonnance de référé a donc été valablement signifiée.
2) Sur le respect des termes de l’ordonnance de référé et l’irrégularité de la mise en demeure
Aux termes de l’ordonnance de référé du 8 avril 2021, la société Mapa devait s’acquitter de la somme de 40.004,33 euros au titre de l’arriéré locatif au 25 janvier 2021, en plus des loyers courants, en un versement de 8.000 euros payable au plus tard dans le mois de l’ordonnance, puis en huit mensualités égales et consécutives de 4.000 euros, le premier versement devant intervenir le 1er du mois suivant la signification de l’ordonnance et les versements suivants le 1er de chaque mois.
Le juge des référés a subordonné l’exigibilité de la dette, l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion au non-paiement à bonne date, en sus du loyer, charges et accessoires courants, d’une seule des mensualités, et huit jours après l’envoi d’une simple mise en demeure adressée par lettre recommandée avec avis de réception.
L’ordonnance a été signifiée le 16 juillet 2021.
Il est constant que la société Mapa a payé, le 4 mai et le 2 juillet, les loyers des 2ème et 3ème trimestres 2021.
Contrairement à ce qu’elle soutient, le bail stipule que le loyer doit être payé « à terme d’avance et par trimestre, aux époques ordinaires de l’année », ce qui signifie qu’il est exigible le premier jour de chaque trimestre, soit le 1er janvier, le 1er avril, le 1er juillet et le 1er octobre de chaque année.
Les loyers des 2ème et 3ème trimestres 2021 ont donc été versés avec retard, mais ils ont été payés.
En outre, la société Mapa justifie avoir payé les sommes de :
– 4.000 euros le 5 mai 2021,
– 4.000 euros le 28 mai 2021,
– 4.000 euros le 29 juin 2021,
– 4.000 euros le 29 juillet 2021,
– 4.000 euros le 1er septembre 2021,
– 4.000 euros le 1er octobre 2021,
– 4.000 euros le 29 octobre 2021,
soit un total de 28.000 euros.
Certes, la somme de 8.000 euros n’a pas été payée dans le mois de l’ordonnance, puisque seule une somme de 4.000 euros a été payée dans ce délai. Toutefois, la SCI [Adresse 3] admet qu’elle n’était due qu’à compter de la signification de l’ordonnance intervenue le 16 juillet 2021. Dans ces conditions, la société Mapa a payé, dès avant la signification de la décision, une somme totale de 12.000 euros. Puis elle a régulièrement payé 4.000 euros le 29 juillet (échéance exigible le 1er août), le 1er septembre et le 1er octobre 2021.
La société Mapa a reçu une lettre recommandé datée du 1er octobre 2021, soit le jour d’exigibilité du loyer du 4ème trimestre, rédigée comme suit : « Nous vous prions de bien vouloir respecter le dispositif de l’ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Créteil du 8 avril 2021. Comptant sur votre diligence. Veuillez agréer… ». Elle a ensuite fait l’objet d’une saisie-attribution en date du 3 novembre 2021 pour un montant total de 22.213,20 euros (correspondant, s’agissant du principal, à la somme de 40.004,33 euros au titre de l’arriéré locatif au 25/01/2021 et à celle de 13.181,69 euros au titre du loyer et des charges du 4ème trimestre 2021, et ce sous déduction des versements de 32.000 euros).
Une mise en demeure de payer doit être suffisamment comminatoire et doit comporter le montant dû, le délai pour régulariser et la sanction encourue en cas de non-paiement. Or en l’espèce, force est de constater que la lettre du 1er octobre 2021 ne contient aucune de ces informations et n’est nullement comminatoire.
D’ailleurs, il résulte de ce qui précède qu’à la date de cette lettre recommandée, la société Mapa n’avait aucun retard de paiement des échéances fixées par l’ordonnance de référé pour l’arriéré locatif. En outre, la SCI [Adresse 3] ne pouvait, au 1er octobre 2021, reprocher à la société de ne pas avoir payé le loyer du 4ème trimestre, exigible à la même date. A tout le moins, il aurait fallu au minimum qu’elle le précise dans son courrier et permette à la débitrice de régulariser dans un délai de huit jours, à défaut de quoi la clause résolutoire serait acquise.
Certes, la société Mapa n’a pas payé volontairement le loyer du 4ème trimestre 2021, ni à la date d’exigibilité du 1er octobre, ni dans les huit jours, ni même courant octobre, puisqu’il a finalement été payé par la saisie-attribution du 3 novembre 2021. Mais il n’en reste pas moins que la SCI [Adresse 3], avant de procéder à cette saisie-attribution et à la délivrance du commandement de quitter les lieux en janvier 2022, aurait dû adresser à la société Mapa une mise en demeure régulière, ce que ne constitue pas le courrier recommandé du 1er octobre 2021.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour estime qu’à la date de délivrance du commandement de quitter les lieux, la clause résolutoire n’était pas acquise dans les conditions prévues par l’ordonnance de référé, de sorte que la SCI [Adresse 3] ne pouvait mener la procédure d’expulsion. Dès lors, le commandement de quitter les lieux est nul, de même que l’expulsion qui a suivi.
Il convient donc d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Mapa de sa demande tendant au prononcé de la nullité du commandement et de l’annuler.
II. Sur les demandes nouvelles en appel
1) Sur la recevabilité des demandes nouvelles
L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
L’article 910-4 du même code dispose :
« A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. »
C’est donc à tort que la SCI [Adresse 3] soutient qu’il n’est pas possible d’élargir le champ de la dévolution de l’appel par des demandes nouvelles, alors que les textes précités, qu’elle invoque, admettent la possibilité de former des prétentions nouvelles pour faire juger une question née de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Ainsi, les demandes de nullité de l’expulsion intervenue le 9 novembre 2022 et de dommages-intérêts pour expulsion irrégulière sont parfaitement recevables en ce qu’elles ont été formulées à la suite de la survenance d’un fait, à savoir l’expulsion, pendant la procédure d’appel, donc après le jugement du juge de l’exécution, et après les premières conclusions d’appelant.
La SCI [Adresse 3] ne saurait en toute bonne foi soutenir que ces demandes auraient dû être formulées par la société Mapa dès la première instance dans la mesure où le risque d’expulsion existait déjà. La société Mapa avait demandé, outre la nullité du commandement de quitter les lieux, des délais pour quitter les lieux. C’est donc naturellement l’évolution du litige qui l’a conduite à ne pas maintenir sa demande de délais, devenue sans objet, pour demander à la place la nullité de l’expulsion et des dommages-intérêts. Ces nouvelles prétentions auraient assurément été considérées comme étant prématurées, donc irrecevables, si elles avaient été présentées en première instance, le juge de l’exécution ne pouvant annuler à l’avance une expulsion qui n’a pas eu lieu, ni indemniser un préjudice qui n’est pas encore né.
Il convient donc de déclarer recevables les demandes de nullité de l’expulsion et de dommages-intérêts.
2) Sur le bien fondé des demandes
Il résulte de l’article L.411-1 du code des procédures civiles d’exécution que l’expulsion ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux.
Au regard de ce qui précède sur la nullité du commandement de quitter les lieux en date du 21 janvier 2022, l’expulsion intervenue le 9 novembre 2022 ne peut qu’être annulée également.
Cette expulsion irrégulière a nécessairement causé un préjudice à la société Mapa qui avait en outre saisi la justice d’une demande de délais pour quitter les lieux afin de lui permettre de retrouver un autre local pour continuer d’exercer son activité, et qui s’est finalement retrouvée abusivement privée de locaux du jour au lendemain pendant la procédure d’appel.
Toutefois, elle ne justifie pas de la perte de revenus qu’elle invoque ni des difficultés qu’elle éprouve pour se réinstaller dans de nouveaux locaux, de sorte que sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 500.000 euros apparaît disproportionnée et injustifiée.
Son préjudice doit être réparé par la juste somme de 8.000 euros, à laquelle il convient de condamner la SCI [Adresse 3].
III. Sur les demandes accessoires
La SCI [Adresse 3], partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’au paiement d’une somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Mapa. Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a condamné la société Mapa.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
INFIRME le jugement rendu le 17 juin 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu’il a débouté la SAS Mapa de sa demande de nullité du commandement de quitter les lieux et condamné celle-ci à payer à la SCI [Adresse 3] une somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant,
DECLARE nul le commandement de quitter les lieux délivré le 21 janvier 2022 à la SAS Mapa par la SCI [Adresse 3],
DECLARE recevables les demandes de nullité de l’expulsion et de dommages-intérêts formulées pour la première fois devant la cour par la SAS Mapa,
DECLARE nulle l’expulsion de la SAS Mapa intervenue le 9 novembre 2022,
CONDAMNE la SCI [Adresse 3] à payer à la SAS Mapa la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts pour expulsion irrégulière,
CONDAMNE la SCI [Adresse 3] à payer à la SAS Mapa la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI [Adresse 3] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, Le président,