REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 25 MAI 2023
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/09600 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF2TF
Décision déférée à la cour :
Jugement du 12 avril 2022-Juge de l’exécution d’Evry
APPELANT
Monsieur [P] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Giulia PARIS, avocat au barreau de PARIS
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2022/019072 du 22/06/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMÉE
S.A.S. INTRUM
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Véronique HOURBLIN de la SCP HOURBLIN PAPAZIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : J017
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 13 avril 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Par ordonnance d’injonction de payer du 31 octobre 2014, devenue exécutoire le 6 janvier 2015, et à la requête de la SA Laser Cofinoga, le tribunal d’instance d’Étampes a condamné M. [P] [U] au paiement de la somme de 2.383,32 euros au titre d’un crédit utilisable par fraction qu’elle lui avait consenti.
Par exploit d’huissier du 5 mars 2015, cette ordonnance a été signifiée à M. [U] à domicile et un commandement de payer la somme de 2.886,83 euros lui a été délivré.
Par acte du 29 mars 2016, la société Laser Cofinoga a cédé sa créance issue de cette ordonnance d’injonction de payer à la SAS Intrum Justitia.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 18 mai 2016, M. [U] a fait opposition à l’ordonnance d’injonction de payer.
Par jugement du 15 décembre 2016, notifié le 28 janvier 2017, le tribunal d’instance d’Étampes a déclaré la citation caduque et constaté l’extinction de l’instance, faute pour le demandeur, la SA Laser Cofinoga, d’avoir comparu à l’audience pour laquelle elle avait fait assigner le défendeur, M. [U].
Par exploit d’huissier du 8 octobre 2021, la société Intrum Justitia a fait signifier à M. [U] un itératif commandement aux fins de saisie-vente et de signification de cession de créance, lui commandant de payer la somme de 3.550,81 euros dans un délai de huit jours.
Par exploit d’huissier 16 novembre 2021, un procès-verbal de saisie-vente des biens meubles corporels appartenant à M. [U] a été dressé.
Par courrier simple du 17 décembre 2021, une sommation de vente a été adressée à M. [U].
Par requête du 10 janvier 2022, M. [U] a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Évry aux fins d’obtenir l’annulation du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 8 octobre 2021, la mainlevée de la saisie et la condamnation de la société Intrum pour saisie abusive.
Par jugement du 12 avril 2022, le juge de l’exécution a :
ordonné la mainlevée du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 8 octobre 2021 et du procès-verbal de saisie-vente du 16 novembre 2021 ;
débouté M. [U] de sa demande de dommages-intérêts ;
condamné la SA Intrum Justitia à payer la somme de 700 euros à Maître Evano Beau en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi qu’aux dépens distraits au profit de cet avocat.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu que :
s’agissant de la demande de mainlevée de la saisie des biens meubles, aucun titre ayant force exécutoire ne permettait de fonder le commandement à fin de saisie-vente et le procès-verbal de saisie-vente, l’ordonnance du 31 octobre 2014 étant devenue non avenue en application de l’article 1419 du code de procédure civile ;
s’agissant de la demande de dommages-intérêts, M. [U] n’établissait pas l’abus ou la mauvaise foi de la SA Intrum Justitia lors de la mesure d’exécution forcée.
Par déclaration du 16 mai 2022, M. [U] a formé appel de ce jugement.
Par conclusions du 13 juillet 2022, M. [U] demande à la cour de :
infirmer le jugement du 12 avril 2022 en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts ;
condamner la SAS Intrum Justitia à lui payer la somme de 4.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
condamner la SAS Intrum Justitia à payer à Maître Giulia Paris la somme de 2.500 euros, ainsi qu’aux entiers dépens, conformément à l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
L’appelant soutient que :
l’ordonnance d’injonction de payer du 31 octobre 2014 a cessé de produire ses effets, conformément à l’article 1419 du code de procédure civile, dès lors que le jugement du 15 décembre 2016 a déclaré la citation caduque et constaté l’extinction de l’instance ;
malgré ses demandes répétées en ce sens (et de son épouse le jour du procès-verbal de saisie-vente), il ne lui a jamais été remis copie de l’ordonnance du 31 octobre 2014 avant la délivrance du commandement aux fins de saisie-vente le 8 octobre 2021 ;
la procédure de saisie-vente mise en ‘uvre par la SA Intrum Justitia est manifestement abusive puisqu’elle était informée de la disparition de son titre exécutoire par la notification par le greffe du jugement de caducité le 28 janvier 2017 ; la SA Intrum Justitia lui a causé un préjudice moral certain en faisant intervenir son huissier à son domicile à l’aube en présence de son épouse et de ses enfants et en lui dénonçant un procès-verbal d’indisponibilité du certificat d’immatriculation de son véhicule le 3 janvier 2022, alors qu’il l’avait avertie de son opposition à ordonnance d’injonction de payer puis, par courrier du 18 octobre 2021, avait informé l’huissier instrumentaire de cette opposition et de l’intervention du jugement de caducité.
Par dernières conclusions du 9 août 2022, la SAS Intrum Justitia demande à la cour de :
confirmer le jugement du 12 avril 2022 en toutes ses dispositions ;
débouter M. [U] de sa demande de dommages-intérêts et, de plus fort, du surplus de ses demandes ;
condamner M. [U] au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens avec recouvrement au profit de la SCP Hourblin Papazian conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’intimée fait valoir que :
elle ignorait l’existence du jugement de caducité du 15 décembre 2016, car elle était absente à l’audience faute de s’être vu adresser la convocation par M. [U], qui l’avait certes informée de son opposition, ou par le greffe, qui ignorait la cession de créance qui avait eu lieu entre elle et la SA Laser Cofinoga ; qu’elle n’a donc pas pu avoir connaissance du jugement puisque celui-ci n’a pas été rendu à son encontre ;
par conséquent, M. [U] ne rapporte pas la preuve de sa faute dans la mise en ‘uvre de la procédure d’exécution ni de la réalité de son préjudice.
MOTIFS
Il ressort de l’examen de la déclaration d’appel formée par M. [U] que celui-ci a entendu limiter son appel à la disposition du jugement le déboutant de sa demande en dommages-intérêts, fondée sur les dispositions de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution.
Aux termes de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie.
L’utilisation de mesures d’exécution, sur le fondement d’un titre exécutoire, est un droit dont l’exercice n’est susceptible de dégénérer en abus que s’il est dicté par une intention malicieuse, la mauvaise foi, ou résulte d’une erreur grossière équivalente au dol, ou encore procède d’une légèreté blâmable. Ce n’est qu’en cas d’abus de saisie que le juge de l’exécution peut, conformément à l’article L. 121-2 précité, allouer des dommages et intérêts au débiteur.
En l’espèce, le jugement de caducité rendu par le tribunal d’instance d’Etampes le 15 décembre 2016 a rendu non avenue l’ordonnance d’injonction de payer conformément aux dispositions de l’article 1419 alinéa 1er du code de procédure civile dans sa rédaction en vigueur à la date du jugement susvisé, selon lesquelles :
« Devant le tribunal d’instance, la juridiction de proximité et le tribunal de commerce, la juridiction constate l’extinction de l’instance si aucune des parties ne comparaît. (‘)
L’extinction de l’instance rend non avenue l’ordonnance portant injonction de payer. »
Certes la société Intrum soutient à juste titre n’avoir pas été convoquée à l’audience du tribunal d’instance et ce n’est pas à son égard mais à celui de la société Laser Cofinoga que ledit jugement a été rendu ni, par suite, notifié le 28 janvier 2017. Néanmoins la société Intrum est cessionnaire de la créance initiale résultant de l’ordonnance d’injonction de payer, et doit assumer les conséquences de la négligence de la société Laser Cofinoga dans la transmission à sa cessionnaire d’une convocation devant le tribunal d’instance.
En outre et surtout, M. [U] justifie avoir informé la société Intrum, par lettre du 26 mai 2016 que celle-ci ne conteste pas avoir reçue, de l’opposition formée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le 17 mai précédent, en lui rappelant que le requérant à l’ordonnance d’injonction de payer était la société Laser Cofinoga. Il produit également sa convocation du 9 juin 2016 pour l’audience du 15 décembre 2016, à laquelle il n’a pu se rendre pour raisons de santé (sa pièce n°6 : certificat médical du 14 décembre 2016, lui prescrivant de garder le lit pendant 5 jours).
Ensuite, il a répondu à l’huissier instrumentaire de l’itératif commandement aux fins de saisie-vente du 8 octobre 2021, fondé sur l’ordonnance d’injonction de payer litigieuse, par courrier suivi du 18 octobre suivant (sa pièce n°9), qu’il avait formé opposition à cette ordonnance et qu’un jugement définitif du tribunal d’instance d’Etampes avait constaté la caducité et « l’annulation » de l’ordonnance d’injonction de payer et que, par conséquent, toute mesure de recouvrement forcé sur la base de cette ordonnance serait abusive.
Par conséquent, c’est en toute connaissance de cause de l’existence du jugement de caducité rendant non avenue l’ordonnance d’injonction de payer et privant ainsi de titre exécutoire la mesure d’exécution forcée, que l’huissier de justice, mandataire de la société Intrum, a dressé un procès-verbal de saisie-vente le 16 novembre 2021 au domicile de M. [U], en l’absence de celui-ci et en présence de son épouse et de ses cinq enfants.
Ce faisant, la société Intrum s’est rendue coupable de légèreté blâmable envers M. [U] et lui a occasionné un préjudice moral certain en faisant dresser procès-verbal de saisie-vente à son domicile le 16 novembre 2021, auquel se sont ajoutés une sommation de vente délivrée par procès-verbal du 17 décembre 2021 informant le débiteur de ce que, à défaut de règlement de la somme visée à l’ordonnance d’injonction de payer du 31 octobre 2014, ses biens seraient vendus le 8 janvier suivant, puis, le 3 janvier 2022, la dénonciation de l’indisponibilité du certificat d’immatriculation de son véhicule (l’appelant précisant que cette mesure fait l’objet d’une contestation devant le juge de l’exécution d’Evry). Le préjudice résultant de la procédure de saisie-vente ainsi menée sans titre exécutoire sera réparé, au regard des circonstances susvisées, par une indemnité de 1500 euros.
Sur les demandes accessoires
Selon les dispositions de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991, les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre.
Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, à payer à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu’il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.
L’issue du litige commande la condamnation de l’intimée aux dépens d’appel et sa condamnation, par application des dispositions précitées, au regard de l’équité au paiement à Me Giulia Paris, avocate de M. [U] bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, d’une indemnité de 2500 euros.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l’appel,
Infirme le jugement entrepris seulement en ce qu’il a débouté M. [P] [U] de sa demande en dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la Sas Intrum à payer à M. [P] [U] la somme de 1500 euros à titre de dommages-intérêts ;
Condamne la Sas Intrum à payer à Me Giulia Paris la somme de 2500 euros, en application de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991, au titre des honoraires et frais exposés à hauteur d’appel et non compris dans les dépens ;
Condamne la Sas Intrum aux dépens d’appel.
Le greffier, Le président,