République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 3
ARRÊT DU 25/05/2023
N° de MINUTE : 23/459
N° R 22/03305 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UMCH
Jugement (N° 21/00491) rendu le 20 Juin 2022 par le Juge de l’exécution de Lille
APPELANTE
SCI Soki Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué assisté de Me Mercier, avocat au barreau de Rennes, avocat plaidant
INTIMÉE
SAS Aciam anciennement dénommée FIB NC 7 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai
ASSIGNEES en reprise d’instance
Selarl [V] [J] – Borkowiak Jean-Philippe prise en la personne de Maître [J] [V] ès qualités de mandataire judiciaire de la société Aciam
[Adresse 4]
[Localité 7]
Défaillante, à qui l’assignation en reprise d’instance a été délivrée par acte du 18 octobre 2022 remis à personne habilitée
Selarl Miquel [M] & associés prise en la personne de Maître [S] [M], ès qualités de mandataire judiciaire de la société Aciam
[Adresse 5]
[Localité 8]
Défaillante, à qui l’assignation en reprise d’instance a été délivrée par acte du 18 octobre 2022 remis à personne habilitée
DÉBATS à l’audience publique du 06 avril 2023 tenue par Sylvie Collière magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sylvie Collière, président de chambre
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Sylvie Collière, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 14 mars 2023
EXPOSE DU LITIGE
Par acte notarié du 8 mars 2016, la société civile immobilière Soki (la SCI Soki) a consenti à la SA Camaïeu international un bail portant sur un local à usage commercial situé [Adresse 3] pour l’exploitation d’un fonds de commerce de prêt à porter et accessoires en contrepartie d’un loyer annuel de
42 275 euros indexable.
Par jugement du 26 mai 2020, le tribunal de commerce de Lille métropole a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Camaïeu international.
Par jugement du 17 août 2020, le tribunal de commerce de Lille métropole a ordonné la cession des actifs corporels et incorporels de la société Camaïeu international, et notamment du fonds de commerce susvisé, au profit de la SAS Financière Immobilière Bordelaise (FIB), à laquelle s’est substituée la SAS FIB NC 7.
Par acte du 17 février 2021, la SCI Soki a fait signifier à la société FIB NC 7 un commandement de payer visant la clause de résiliation de plein droit insérée au bail, portant sur une somme de 27 801,60 euros au titre de l’arriéré locatif.
Selon procès-verbal en date du 26 octobre 2021, la société Soki a, en vertu de la copie exécutoire de l’acte notarié du 8 mars 2016, fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes bancaires de la société FIB NC7 ouverts dans les livres de la Société Générale, en vue du recouvrement d’une somme de 39 008,62 euros (dont 38 282,80 euros en principal).
Cette saisie-attribution a été dénoncée à la société FIB NC 7 par acte du 29 octobre 2021.
Par acte du 22 novembre 2021, la société FIB NC 7 a fait assigner la société Soki devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Lille aux fins de contester cette saisie.
Par jugement contradictoire du 20 juin 2022, le juge de l’exécution a :
– validé dans la limite de 26 751,27 euros la saisie-attribution effectuée au nom de la SCI Soki selon procès-verbal du 26 octobre sur le compte de la SAS FIB NC 7 ouvert auprès de la Société Générale pour le recouvrement d’une créance au montant énoncé, en principal, de 38 282,80 euros ;
– ordonné la mainlevée pour le surplus ;
– rejeté les demandes de dommages-intérêts formées par l’une et l’autre des
parties ;
– condamné la SAS FIB NC 7 à régler à la SCI Soki une indemnité pour frais irrépétibles d’instance de 1 000 euros ;
– condamné la SAS FIB NC 7 aux entiers dépens ;
– rejeté pour le surplus toute autre demande plus ample ou contraire.
Ce jugement a été notifié à la société FIB NC 7 par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 27 juin 2022 et à la société Soki par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 27 juin 2022.
Par déclaration du 8 juillet 2022, la société Soki a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il a :
– validé dans la limite de 26 751,27 euros la saisie-attribution ;
– ordonné la mainlevée pour le surplus ;
– rejeté sa demande de dommages-intérêts ;
– rejeté pour le surplus ses autres demandes plus amples ou contraires.
Par jugement du 1er août 2022, le tribunal de commerce de Lille métropole a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Aciam (anciennement FIB NC 7) et a désigné en qualité de mandataires judiciaires, la Selarl [V] Borkowiak prise en la personne de Maître [J] [V] et la société Miquel [M] & associés prise en la personne de Maître [S] [M].
Aux termes de ses dernières conclusions du 28 septembre 2022, la société Soki demande à la cour, au visa des articles L. 111-3, L. 111-7 du code des procédures civiles d’exécution, L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, d’infirmer le jugement déféré dans les termes de son acte d’appel et en conséquence de, considération prise du redressement judiciaire de la société Aciam:
– dire et juger la société Aciam redevable des loyers impayés cause de la saisie-attribution et des loyers impayés postérieurs jusqu’à la date du redressement judiciaire, y compris ceux au titre des périodes de fermeture administratives, soit la somme de 57 783,59 euros ;
– en conséquence, fixer au passif privilégié du redressement judiciaire de la société Aciam sa créance de 58 783,59 euros au titre des loyers et charges impayés en vertu du bail notarié du 8 mars 2016 et de la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile obtenu devant le juge de l’exécution ;
– condamner la société Aciam à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire ;
– confirmer le jugement pour le surplus ;
En tout état de cause,
– débouter la société Aciam de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société Aciam à verser à la société Soki la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la même au paiement des entiers dépens.
Par actes du 18 octobre 2022 délivrés à personne habilitées à recevoir la copie de l’acte, la SCI Soki a fait assigner en reprise d’instance la Selarl [V] [J] – Borkowiak Jean-Philippe prise en la personne de Maître [J] [V] et la SELARL Miquel [M] & associés prise en la personne de Maître [S] [M], ès qualités de mandataires judiciaires de la société Aciam.
MOTIFS
Sur la saisie-attribution :
Selon l’article L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent.
En l’espèce, la saisie-attribution a été pratiquée pour une somme de 39 008,62 euros, dont 38 282,80 euros en principal au titre du solde des loyers des 3ème et 4ème trimestres 2020, de l’année 2021 et de la taxe foncière 2021.
Le jugement déféré a validé la saisie-attribution pour une somme de 26 751,27 euros en tenant compte de ce que le magasin de [Localité 9] avait été fermé du 30 octobre au 28 novembre 2020 et du 3 avril au 19 mai 2021 à la suite des mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19 et qu’il convenait, pendant ces périodes, de retenir une impossibilité pour la société locataire d’utiliser les lieux loués conformément à la destination convenue, s’analysant en une perte partielle de la chose louée au sens de l’article 1722 du code civil et devant conduire à une dispense de règlement des loyers à hauteur de 11 531,53 euros
Or, édictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l’interdiction gouvernementale de recevoir du public, sur les périodes susvisées, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l’absence de première nécessité des biens ou des services fournis.
Cette interdiction a été décidée, selon les catégories d’établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.
L’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil.
En l’espèce, la société FIB NC 7 ne pouvait donc être dispensée du paiement des loyers pendant les périodes des 30 octobre au 28 novembre 2020 et du 2 avril au 19 mai 2021 durant laquelle elle n’a pu ouvrir le magasin de prêt à porter exploité dans les locaux loués à la société Soki.
Il en résulte que le jugement déféré doit être infirmé et la demande de mainlevée totale ou partielle de la saisie-attribution, pratiquée à hauteur de 39 008,62 euros, rejetée, de sorte que la mesure se trouve validée à hauteur de ce montant.
Sur la demande en fixation d’une créance au passif de la société Aciam :
La société Soki demande que sa créance au passif de la procédure collective de la société Aciam soit fixée à la somme de 58 783,59 euros comprenant l’arriéré locatif cause de la saisie-attribution pour 38 282,80 euros, la somme de 1 000 euros qui lui a été allouée par le jugement déféré sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les loyers et taxes échus postérieurement à la saisie-attribution jusqu’au 31 juillet 2022, pour 19 500,81 euros.
Or, la saisie-attribution ayant été validée partiellement par le jugement déféré à hauteur de 26 751,27 euros, la société Soki était et est toujours en droit, en application des dispositions de l’article R. 211-13 du code des procédures civiles d’exécution, d’obtenir le paiement de cette somme de la Société Générale, tiers saisi, sur présentation du jugement préalablement notifié aux parties.
S’agissant de la somme de 11 531,53 euros, objet de la mainlevée partielle ordonnée par le jugement déféré, la société Aciam en a retrouvé la libre disposition puisqu’en application de l’article R. 121-18 du code des procédures civiles d’exécution et en l’absence de décision de sursis à exécution du premier président de la cour d’appel, l’effet d’indisponibilité et d’attribution de la saisie a cessé, la SCI Soki indiquant d’ailleurs avoir donné mainlevée à hauteur de toute somme excédant celle de 26 751,27 euros. S’agissant d’une créance antérieure à l’ouverture du redressement judiciaire, cette somme doit, comme la somme de 1 000 euros allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, faire l’objet d’une déclaration de créance entre les mains du mandataire judiciaire, déclaration que la société Soki a d’ailleurs effectuée par courrier du 26 septembre 2022.
S’agissant enfin de la somme de 19 500,81 euros correspondant aux loyers et taxes échus postérieurement à la saisie-attribution et jusqu’au 31 juillet 2022, il convient de rappeler que selon L. 213-6 alinéa 1er du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
En l’espèce, il en résulte qu’en l’absence de mesure d’exécution forcée mise en oeuvre pour recouvrer ces loyers et taxes, il n’entre pas dans les attributions du juge de l’exécution, ni de la cour qui statue avec les pouvoirs de ce dernier de fixer le montant de la créance de la SCI Soki au passif du redressement judiciaire de la société Aciam au titre de cet arriéré locatif. Cette demande, formée en exécution du contrat de bail, ne constitue pas une contestation de la saisie-attribution mise en oeuvre le 26 octobre 2021. La créance doit faire l’objet d’une déclaration entre les mains du mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Aciam, ce qui a d’ailleurs été fait par la SCI Soki par courrier du 26 septembre 2022.
La SCI Soki doit donc être déboutée de sa demande tendant à voir fixer sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Aciam à la somme de 58 783,59 euros.
Sur la demande en dommages et intérêts de la société Soki :
La contestation de la saisie-attribution par la société Aciam ne peut être qualifiée d’abusive alors que celle-ci a été largement admise par le premier juge. Par ailleurs, si une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de la société Aciam le 1er août 2022, c’est après que le tribunal de commerce de Lille métropole ait considéré que cette dernière était dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible et était donc en état de cessation des paiements, de sorte qu’il ne peut être retenu qu’en sollicitant l’ouverture d’une procédure collective, la société Aciam aurait agi dans un but dilatoire à l’unique fin de ‘geler son passif’.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la SCI Soki de sa demande indemnitaire.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La SCI Soki n’ayant pas formé appel des dispositions du jugement déféré ayant condamné la société FIB NC 7 (devenue Aciam) aux dépens et à lui régler la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ces dispositions sont définitives.
Partie perdante en appel, la société Aciam sera condamnée aux dépens ainsi qu’à régler à la SCI Soki au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a été contrainte d’exposer en appel la somme de 1 000 euros.
La présente décision sera déclarée opposable à la Selarl [V] Borkowiak et à la Selarl Miquel [M] & associés, ès qualités de mandataires judiciaires
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l’appel,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté la société civile immobilière Soki de sa demande en dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la demande de mainlevée totale ou partielle de la saisie-attribution pratiquée le 26 octobre 2021 par la société civile immobilière Soki entre les mains de la Société Générale à hauteur de la somme de 39 008,62 euros ;
Déboute la société civile immobilière Soki de sa demande tendant à voir fixer sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Aciam à la somme de 58 783,59 euros ;
Condamne la société Aciam à payer à la société civile immobilière Soki la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Condamne la société Aciam aux dépens d’appel ;
Déclare le présent arrêt opposable à la Selarl [V] [J] – Borkowiak Jean-Philippe prise en la personne de Maître [J] [V] et à la Selarl Miquel – [M] & associés prise en la personne de Maître [S] [M], ès qualités de mandataires judiciaires de la société Aciam.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Sylvie COLLIERE