COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 25 MAI 2023
N° 2023/390
Rôle N° RG 22/10758 N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ2CV
S.C.I. NTS [Localité 4]
C/
[P] [T]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jean-François JOURDAN
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l’exécution de NICE en date du 11 Juillet 2022 enregistré au répertoire général sous le n° 22/00278.
APPELANTE
S.C.I. NTS [Localité 4]
inscrite au RCS de MONACO sous le n° 17 SC 18518
représentée par son représentant légal en exercice et domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]
représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JOURDAN / WATTECAMPS ET ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Jean-Louis FACCENDINI, avocat au barreau de NICE
INTIME
Monsieur [P] [T]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 7] (BELGIQUE),
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Akiko NAGASAWA, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Marc DUCRAY, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 22 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : .
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023,
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Madame Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure, prétentions des parties :
La SCI NTS [Localité 4], propriétaire d’un bien immobilier situé [Adresse 5], à [Localité 6], consentait à l’agence Cap-Martin Properties, un mandat exclusif de vente de cette villa le 1er janvier 2019, renouvelé par un avenant du 4 décembre 2019 pour une durée d’un an. Le 15 janvier 2020, l’agence précitée déléguait l’exécution du mandat à la société Côte d’Azur Sotheby’s Cap Ferrat.
Le 25 mai 2020, monsieur [T] signait une offre d’achat du bien immobilier désigné succinctement : ‘ terrain de 1 700 m2 environ, surface habitable de 400 m2, 5 chambres, 5 salles de bain, piscine, cuisine américaine ‘.
Le 28 mai 2020, une promesse unilatérale de vente du bien immobilier était signée entre monsieur [T] et la SCI NTS [Localité 4], contre un prix de 6 900 000 € dont 1 000 000 € au titre des meubles. Il stipulait une jouissance anticipée à compter du 21 juin 2020 du bien immobilier par l’acheteur sous condition de verser 1 000 000 € à titre d’acompte sur le prix. Ladite somme était payée le 3 juin 2020 entre les mains du notaire et la remise des clés opérée par un protocole du 18 juin 2020.
Aux termes d’un courriel du 26 juin 2020, monsieur [T] notifiait au notaire, rédacteur de la promesse, une anomalie sur la surface du bien immobilier, 400 m2 sur l’annonce immobilière et l’offre d’achat et 305 m2 de surface habitable sur le diagnostic de performance énergétique du 23 août 2019 communiqué après la signature de la promesse du 28 mai 2020.
Selon acte d’huissier du 28 août 2020, la SCI NTS [Localité 4] faisait délivrer sommation à monsieur [T] de comparaître devant notaire, le 5 octobre suivant, aux fins de signature de l’acte authentique de vente. Un procès-verbal de carence était établi à cette date auquel était annexée une lettre de monsieur [T] sur les motifs de son refus pour vice du consentement et quant aux caractéristiques du bien et autres anomalies. Après sommation du 8 octobre 2020, monsieur [T] procédait, le 12 octobre suivant, à la restitution des clés de la villa.
Le 9 octobre 2020, monsieur [T] faisait assigner la SCI NTS [Localité 4] devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins de nullité de la promesse unilatérale de vente du 28 mai 2020 et de restitution de la somme de 1 000 000 € versée à titre d’indemnité d’immobilisation.
Une ordonnance du 21 janvier 2021 du juge de l’exécution de Nice autorisait monsieur [T] à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur l’immeuble situé à [Adresse 5], aux fins de garantie du paiement de la somme de 1 075 000 €.
Le 21 février 2022, la société NTS [Localité 4] faisait assigner monsieur [T] devant le juge de l’exécution de Nice aux fins de mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire.
Aux termes d’un jugement du 11 juillet 2022, le juge de l’exécution de Nice déboutait la société NTS [Localité 4] de toutes ses demandes, disait n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et condamnait la société NTS [Localité 4] aux dépens de l’instance.
Par déclaration reçue le 25 juillet 2022 au greffe de la cour, la SCI NTS [Localité 4] formait appel du jugement précité.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 août 2022, auxquelles il sera renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la SCI NTS [Localité 4] demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
– statuant à nouveau, ordonner la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire autorisée par ordonnance du 21 janvier 2021 du juge de l’exécution de Nice,
– condamner monsieur [T] au paiement d’une indemnité de 4 000 € pour frais irrépétibles et aux dépens de l’instance.
Elle conteste l’existence d’une créance fondée en son principe aux motifs que monsieur [T] est un homme d’affaires très avisé qui n’a pas été trompé dès lors que la promesse unilatérale de vente ne mentionne pas la surface du bien immobilier vendu et que l’intimé n’aurait pas manqué de la faire figurer s’il s’agissait d’un élément déterminant de son consentement.
Elle affirme que la promesse unilatérale de vente du 28 mai 2020 prévaut sur les contrats antérieurs, notamment l’offre d’achat du 25 mai 2020, que la surface n’est pas entrée dans le champ contractuel dès lors que la promesse ne stipule pas de garantie de contenance (p 14) ni le protocole d’entrée en jouissance du 18 juin 2020.
Elle considère que monsieur [T] a refusé de signer l’acte authentique de vente sans motif pertinent de sorte que l’indemnité d’immobilisation lui est acquise conformément aux stipulations de la promesse (p 10). Elle soutient que l’entrée dans les lieux vaut levée tacite de l’option contenue dans la promesse de vente du 28 mai 2020.
Elle conteste aussi l’existence d’un péril dans le recouvrement de la créance au motif que les deux prêts initiaux souscrits auprès de And Banq [Localité 4] ont été soldés au moyen d’un prêt consenti par le Crédit du Nord de sorte que les deux inscriptions d’hypothèque prises au nom de la première sont devenues sans objet. Elle conclut à l’absence d’inscription d’hypothèque pour un montant cumulé de 3 845 000 €.
Elle fait état d’une valeur vénale du bien immobilier de 6 800 000 €, selon expertise Nemesis Consulting, et non 4 050 000 € selon expertise judiciaire sur la base d’une valeur locative de 5 920 € par mois alors qu’elle a obtenu un engagement de location à hauteur de 20 000 € par mois. Enfin, elle affirme que ses deux associés sont résidents monégasques et parfaitement solvables.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 15 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, monsieur [T] demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
– y ajoutant, condamner solidairement les appelants à lui payer une indemnité de 5 000 € pour frais irrépétibles et les entiers dépens.
Il invoque une créance paraissant fondée en son principe en l’état de l’annonce d’une vente d’un bien immobilier de 400 m2 suivie d’une offre d’achat avec la même mention alors que le diagnostic de performance énergique communiqué postérieurement à la signature de la promesse unilatérale de vente mentionne une surface habitable de 305 m2. Il y a un manquement au devoir précontractuel d’information sur le fondement de l’article L 1112-1 du code civil et une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue pour une différence de surface de 95 m2.
Le juge du fond a d’ailleurs fait droit à sa demande dans le jugement du 5 janvier 2023 de sorte que l’existence d’une apparence de créance ne peut plus être discutée.
Un risque de non-recouvrement existe en l’état d’une SCI NCS [Localité 4] créée pendant l’année 2017 et propriétaire d’un unique bien immobilier, celui objet du litige, lequel a été financé par un crédit consenti par Andbank [Localité 4] pour lequel deux inscriptions hypothécaires ont été prises pour un montant de 1 475 000 € en principal outre 295 000 € en accessoires.
Elle constate l’absence de preuve d’un prétendu rachat de prêt par le Crédit du Nord et relève que les contestations de l’appelante sur l’évaluation du bien immobilier sont sans lien avec la condition de circonstances de nature à menacer le recouvrement de la créance.
Elle invoque la remise en vente du bien immobilier selon constat d’huissier du 12 février 2021 et le risque de transfert de fonds, en cas de vente, sur un compte à l’étranger non répertorié par le Ficoba. Enfin, elle considère que les affirmations sur la parfaite solvabilité des associés sont purement gratuites et non établies par des éléments de preuve versés au débat.
L’instruction de la procédure était close par ordonnance du 21 février 2023.
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
Selon l’article L 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge, l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
– Sur l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe :
Selon les articles 1130 et 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manoeuvres ou des mensonges, ou encore la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il saisit le caractère déterminant pour l’autre partie. Il doit être prouvé et avoir déterminé le consentement de la partie, victime du dol, qui n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
En l’espèce, il appartient à monsieur [T] d’établir une apparence de tromperie à l’origine du préjudice qu’il allègue constitué par le montant de l’acompte payé de 1 000 000 €.
Il verse au débat une annonce de vente diffusée par l’agence Sotheby’s sous la référence CA7-367, laquelle mentionne notamment que la maison, propriété de la société NTS [Localité 4], est de ‘ 400 m2 habitable’ et en seconde page, décrit le bien comme ‘ villa neuve 400 m2 face à [Localité 4] ‘.
La promesse unilatérale de vente notariée du 28 mai 2020 contient une clause de non-garantie de surface et, en annexe, le bilan énergétique du 22 août 2019 portant mention d’une surface habitable de 305 m2. Cependant, ce dernier porte exclusivement sur le diagnostic énergétique du bien immobilier et ne constitue pas un document informatif donné par le vendeur à l’acquéreur sur la surface habitable du bien immobilier vendu.
De même, la promesse unilatérale de vente précitée n’a pas vocation à se substituer aux actes préalables antérieurs à examiner pour apprécier l’apparence d’une tromperie de nature à fonder la restitution de l’acompte de 1 000 000 €.
L’offre d’achat du 25 mai 2020 signé par monsieur [T] et l’agent immobilier, mandataire de la société NTS [Localité 4], pour un prix de 6 900 000 € dont 1 000 000 € au titre des meubles meublant, désigne succinctement le bien vendu notamment par la mention ‘ 400 m2 habitable’. Or, il résulte du bilan énergétique du bureau d’études [M] du 22 août 2019 qu’il mentionne une surface habitable de 305 m2 dont le vendeur avait donc connaissance depuis août 2019. Cependant, il a persisté à présenter le bien immobilier à la vente, en mai 2020, pour une surface de 400 m2 habitable supérieure de 25 % à sa surface réelle. Le courriel du 29 mai 2020 de l’agent immobilier, mandataire de la SCI NTS [Localité 4], à monsieur [T], reconnaît son défaut de diligence et de vérification de la surface et conclut qu »une différence de 25 % est néanmoins significative.’
Ainsi, le fait de communiquer sciemment à monsieur [T] une information fausse, à savoir une majoration de 80 m2 (d’une valeur de 1 180 000 €) de la surface habitable, est susceptible de caractériser un dol sur un élément déterminant de nature à vicier son consentement à la vente.
D’ailleurs, la décision du juge du fond du 3 janvier 2023 de condamner la société NTS [Localité 4] à restituer à monsieur [T] la somme de 1 000 000 € sur le fondement du dol, établit, sous réserve de l’appel en cours, l’existence d’une créance à titre de restitution de l’acompte.
Il s’en déduit que monsieur [T] justifie d’une créance paraissant fondée en son principe d’un montant de 1 000 000 € à l’égard de la société NTS [Localité 4].
– Sur l’existence de circonstances de nature à menacer son recouvrement :
La société NTS [Localité 4] est une société civile immobilière récente enregistrée le 2 janvier 2017 (cf pièce n°50 intimée ). Son capital social est limité à 1 500 € réparti pour moitié entre ses deux associés, les époux [L], de nationalité ukrainienne. Il n’est pas établi qu’elle soit propriétaire d’un autre bien immobilier que celui situé à [Localité 6]. L’acte d’achat du 10 février 2017 stipule que le paiement du prix a été intégralement financé par deux prêts souscrits auprès de la banque dénommée And Bank [Localité 4].
Un relevé sur formalités au 25 octobre 2020 (pièce n° 51) mentionne une inscription d’hypothèque conventionnelle :
– publiée le 17 février 2017 au profit de la And Bank [Localité 4] pour un montant de 120 000 € en principal outre 24 000 € au titre des accessoires,
– publiée le 30 janvier 2020 au profit du Crédit du Nord et reprise pour ordre le 7 août 2020 pour un montant principal de 1 700 000 € outre 255 000 € au titre des accessoires.
Ainsi, le montant des garanties précitées porte atteinte à l’effectivité du droit de gage de monsieur [T] dont le montant important de la créance (1 000 000 €) accentue la nécessité de prendre une garantie.
La contestation entre les parties sur la valeur du bien immobilier vendu est sans incidence sur les circonstances de nature à menacer le recouvrement de la créance précitée.
Par ailleurs, le bien immobilier a été remis rapidement à la vente selon constat d’huissier du 12 février 2021 d’une nouvelle annonce. Les annonces produites (p 42 et 43 intimé ) mentionnent toujours une surface habitable de 400 m2 de nature à créer un nouveau contentieux avec de potentiels acheteurs.
Le siège de la SCI NTS [Localité 4] à l’étranger et la nationalité étrangère de ses deux associés font craindre des difficultés à l’exécution d’un titre à l’international et au risque de versement du prix sur un compte bancaire à l’étranger non identifiable par un commissaire de justice français.
Enfin, l’apport des deux associés au capital de la SCI NTS [Localité 4] limité à 750 € ne permet pas d’établir leur solvabilité en l’absence de pièce justificative sur leur patrimoine personnel. Leur seul statut de résident monégasque ne saurait suffire à lui seul, à établir leur capacité financière à payer une somme supérieure à 1 000 000 €.
Ainsi, monsieur [T] établit les circonstances de nature à menacer le recouvrement de sa créance.
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé dans toutes ses dispositions.
– Sur les demandes accessoires :
L’équité commande d’allouer à monsieur [T] une indemnité de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société NTS [Localité 4], partie perdante, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant après débats en audience publique et en avoir délibéré, conformément à la loi, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société NTS [Localité 4] au paiement d’une indemnité de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société NTS [Localité 4] aux dépens d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE