24/05/2023
ARRÊT N°343/2023
N° RG 22/02425 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O3QN
CBB/MB
Décision déférée du 07 Juin 2022 – Président du TJ de TOULOUSE ( 22/00593)
[C] [L]
S.A.R.L. FRANCE EXPERTISE ENCHERES – FEE [W] [O]
C/
[N] [D]
Etablissement Public L’ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT QUATRE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
S.A.R.L. FRANCE EXPERTISE ENCHERES – FEE [W] [O] Représentée par son gérant en exercice
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-Marie BEDRY de la SELARL BEDRY- JULHE-BLANCHARD ‘BJB’, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et la SELARL SULTAN -LUCAS-DE LOGIVIERE-PINIER-POIRIER avocat plaidant au barreau d’ANGERS
INTIMÉS
Monsieur [N] [D]
Assigné le 26/09/2022 à personne
[Adresse 4]
[Localité 6]
Sans avocat constitué
Etablissement Public L’ASSISTANCE PUBLIQUE HOPITAUX DE PARIS Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domicilié en cette qualité au siège [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Olivier THEVENOT de la SELARL THEVENOT MAYS BOSSON, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et Me Xavier NORMAND BODARD de la SELARL NORMAND & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C.BENEIX-BACHER, Président chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
C. BENEIX-BACHER, président
O. STIENNE, conseiller
E.VET, conseiller
Greffier, lors des débats : I. ANGER
ARRET :
– REPUTE CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BENEIX-BACHER, président, et par I. ANGER, greffier de chambre
FAITS
En 2016, l’Établissement Public Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP) dont relève l’hôpital [9] à [Localité 5] a entrepris d’importants travaux qui ont nécessité le démontage pierre par pierre y compris le portail et les portes du porche datant du XVIIIème siècle, situé [Adresse 1], qui devait être remonté [Adresse 10].
Les travaux de dépose et d’entreposage ont été effectués par la société Sicra en 2017.
Une nouvelle phase de travaux nécessitant l’évacuation de pierres a été confiée à la société RAID en 2021.
Fin janvier 2022, l’AP-HP était informée de la publication sur le site actu.fr d’un article annonçant une future vente aux enchères le 16 avril 2022, à [Localité 8], par Monsieur [W] [O] de la SARL FEE, commissaire priseur, de la « la porte et entourage en pierres XVIIIème de l’hôpital [9] », la vente prévue ne comprenant pas les éléments du portail qui demeurent toujours stockés sur le site [9].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 mars 2022, l’ APHP a mis en demeure M. [O] de renoncer à la vente aux enchères de cette partie du portail en lui signifiant qu’il faisait partie de son domaine public en application de l’article L 6148-1 du code général de la propriété des personnes publiques, prévoyant que « les propriétés qui relèvent du domaine public des Etablissements publics de santé (‘/’) sont inaliénables et imprescriptibles ».
Par lettre du 16 mars 2022, M. [O] de la SARL FEE donnait l’identité du mandant de la vente M. [D].
PROCEDURE
Par actes en date du 29 mars 2022, l’Établissement Public Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP), préalablement autorisé par ordonnance du 25 mars 2022, a fait assigner M. [O] et M. [D] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse, selon la procédure de référé d’heure à heure, pour obtenir, sur le fondement des articles 894 du code de procédure civile, L1, L2111-1 et L3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques et L6148-1 du code de la santé publique, l’interdiction pour les assignés de vendre la partie du portail de l’hôpital [9] et leur condamnation à restituer à l’APHP l’ensemble du portail sous astreinte de 1000€ par jour de retard passé un délai d’un mois après la signification de l’ordonnance à intervenir.
Par acte d’huissier en date du 13 avril 2022, l’Assistance Publique des Hopitaux de Paris a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O].
Par ordonnance réputée contradictoire en date du 7 juin 2022, le juge a au vu des articles 49 et 835 du code de procédure civile et L. 6148-1 du code de la santé publique,
– ordonné la jonction des procédures RG n° 22/00703 et 22/00593 sous ce second numéro,
– déclaré le juge judiciaire compétent pour statuer sur les demandes formulées,
– ordonné la mise hors de cause de M. [W] [O],
– fait défense à la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] de poursuivre le projet de vente aux enchères de la partie du portail de l’hôpital [9] qui leur aurait été confiée par M. [D] ainsi que de vendre à quiconque cette partie du portail de l’hôpital [9],
– condamné M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] à restituer à l’AP-HP, dans les locaux de son choix et aux frais des défendeurs, l’ensemble des éléments du portail litigieux dans un délai d’un mois après la signification de l’ordonnance à intervenir,
– dit qu’à défaut, M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] seront condamnés à payer une astreinte de 500 euros par jour de retard,
– dit que cette astreinte courra sur un délai de 3 mois à compter de sa mise en oeuvre,
– dit que le juge de l’exécution reste compétent pour liquider cette astreinte et/ou en prononcer une nouvelle
– condamné solidairement M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] à payer à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] aux dépens,
– rappelé que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit en application de l’article 514 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 28 juin 2022, la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] a interjeté appel de la décision. L’ensemble des chefs du dispositif de l’ordonnance sont critiqués, sauf en ce qu’elle a ordonné la jonction des procédures RG n° 22/00703 et 22/00593 sous ce second numéro et ordonné la mise hors de cause de M. [W] [O].
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O], dans ses dernières écritures en date du 10 novembre 2022, demande à la cour au visa des articles 32, 75, 81, 835 du code de procédure civile et 1231-1 et suivants du code civil, de’:
– infirmer l’ordonnance de référé rendue le 7 juin 2022 par le Président du tribunal judiciaire de Toulouse en ce qu’elle a :
* déclaré le juge judiciaire compétent pour statuer sur les demandes formulées;
* fait défense à la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] de poursuivre le projet de vente aux enchères de la partie du portail de l’hôpital [9] qui leur avait été confiée par M. [D] ainsi que de vendre à quiconque cette partie du portail de l’hôpital [9] ;
* condamné M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] à restituer à l’AP ‘ HP, dans les locaux de son choix et aux frais des défendeurs, l’ensemble des éléments du portail litigieux dans un délai d’un mois après la signification de l’ordonnance à intervenir ;
* dit qu’à défaut M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] seront condamnés à payer une astreinte de 500 € par jour de retard ;
* dit que cette astreinte courra sur un délai de trois mois à compter de sa mise en oeuvre ;
* dit que le juge de l’exécution reste compétent pour liquider cette astreinte et/ou prononcer une nouvelle ;
* condamné solidairement M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] à payer à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
* condamné solidairement M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] aux dépens.
et, statuant à nouveau, à titre liminaire,
– se déclarer incompétent pour connaître de cette affaire au profit du Président du tribunal administratif de Toulouse, statuant en référé ;
– renvoyer l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris à mieux se pourvoir;
à titre principal,
– débouter l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
en tout état de cause, à titre reconventionnel,
– condamner M. [N] [D] à garantir et relever indemne la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] de l’ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;
– condamner l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, ou à défaut Monsieur [N] [D], à verser à la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] la somme de 6.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, ou à défaut Monsieur [N] [D], aux entiers dépens.
L’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, dans ses dernières écritures en date du 28 décembre 2022, demande à la cour au visa des articles 49, 367 et 835 du code de procédure civile, L 1, L 2111-1 et L 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, L 6148-1 du code de la santé publique, de’:
– déclarer la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] mal fondée en son appel et en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– l’en débouter ;
– confirmer en conséquence l’ordonnance du 7 juin 2022 ;
– y ajoutant faire défense à M. [D] de vendre à quiconque la partie du portail de l’hôpital [9] déposée entre les mains de la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] ;
– condamner la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] et M. [D] in solidum à payer à l’AP-HP la somme de 6.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel ;
– les condamner en tous les dépens.
M. [D] n’a pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 mars 2023.
MOTIVATION
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu’aux dernières conclusions déposées.
En vertu de l’article 954 du code de procédure civile, M. [D] qui n’a pas conclu en appel est réputé s’être approprié les motifs de la décision déférée.
I Sur la compétence du juge judiciaire statuant en référé
La SARL FEE [W] [O] soutient qu’il existe une contestation sérieuse de la propriété alléguée de l’AP-HP sur le portail litigieux et sur l’éventuelle domanialité publique du bien, dès lors que M. [D], personne physique de droit privé, en revendique la propriété, qu’il a produit une facture d’achat des pierres et que l’APHP ne justifie pas de sa qualité de propriétaire alors même qu’elle reconnaît avoir accepté de laisser à la libre disposition de la société RAID des pierres de la porte d’entrée litigieuse pour procéder à leur enlèvement.
Or, suivant l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dès lors, en l’absence de certitude de la propriété de l’établissement public sur le portail et de sa domanialité, il ne peut être exclu a priori la compétence du juge judiciaire pour prendre toute mesure conservatoire destinée à prévenir un dommage imminent ou à mettre fin à un trouble manifestement illicite.
La décision qui s’est déclarée compétente et a rejeté la demande de question préjudicielle sera donc confirmée.
II Sur le fond
Dès lors que l’APHP invoque tout à la fois le dommage imminent et le trouble manifestement illicite, il appartient au juge de vérifier les conditions de mise en euvre de l’une ou l’autre des options du texte de l’article 835 du code de procédure civile.
Le dommage imminent se définit comme celui qui n’est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer, alors que le trouble manifestement illicite se définit comme toute perturbation constitutive d’une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire’; et dans ce cas, le dommage est réalisé et il importe d’y mettre un terme.
En l’espèce, l’ APHP soutient la domanialité des biens objets de la vente aux enchères en ce qu’il n’est pas contesté et même revendiqué qu’il s’agit d’éléments composant le portail de l’hôpital [9], que s’agissant d’une personne morale de droit public ses biens sont inaliénables et particulièrement comme en l’espèce où il n’est pas justifié d’une décision de déclassement et alors que la facture produite par M. [D] est suspecte en ce qu’il n’y est pas précisé que les pierres vendues à la tonne constituaient des éléments du portail [9] (facture du 28 janvier 2022 d’un lot de 100 tonnes de pierres en l’état pour 12 000€ par l’entreprise BE n°79327202200021).
M. [D] a déclaré sur la réquisition de vente du 19 janvier 2022 que l’objet de la vente est constitué de «’la porte et entourage en pierres XVIII° de l’hôpital [9]’»’; il n’a pas contesté qu’ils ont appartenu à l’ APHP dont relève l’hôpital [9] personne morale de droit public et il ne justifie pas d’une décision de déclassement qui aurait permis la vente ou l’abandon au profit de la société RAID chargée de l’évacuation ou au profit de l’entreprise BE qui les a vendus.
Ainsi, eu égard à la contestation sérieuse de la propriété de M. [D] sur «’ la porte et entourage en pierres XVIII° de l’hôpital [9]’» tels que figurant sur la réquisition de vente et au regard de l’absence de décision de déclassement malgré la facture d’achat de pierres du 28 janvier 2022 d’un montant de 12 000€ (100 tonnes), il existe une risque majeur de voir procéder à la vente du bien d’autrui.
Un simple report de la vente tel qu’admis amiablement par la SARL FEE [W] [O] ne suffit pas à faire disparaître le risque de dommage et son imminence.
Et dès lors qu’en vertu de l’article 835, le juge des référés dispose d’une très grande latitude dans le choix des mesures de nature à empêcher la réalisation d’un dommage, il convient de confirmer la décision qui fait défense de poursuivre la vente. Il convient en outre d’en ordonner la suspension jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la propriété de l’objet de la vente visée à la réquisition du 19 janvier 2022 par le juge compétent qu’il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir.
Dans ces conditions, la décision qui a ordonné la restitution à l’APHP aux frais des intimés sera réformée en ce qu’elle n’apparaît pas comme une mesure conservatoire puisqu’elle préjuge de la propriété de l’objet de la vente.
La SARL FEE [W] [O] et M. [D] succombant pour l’essentiel de leur appel seront tenus aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour
– Confirme l’ordonnance du juge des référés du Tribunal Judiciaire de Toulouse sauf en ce qu’il a’:
*condamné M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] à restituer à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris dans les locaux de son choix et aux frais des défendeurs, l’ensemble des éléments du portail litigieux dans un délai d’un mois après la signification de l’ordonnance à intervenir,
*dit qu’à défaut, M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] seront condamnés à payer une astreinte de 500 euros par jour de retard,
*dit que cette astreinte courra sur un délai de 3 mois à compter de sa mise en oeuvre,
*dit que le juge de l’exécution reste compétent pour liquider cette astreinte et/ou en prononcer une nouvelle
*condamné solidairement M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] à payer à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
*condamné solidairement M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] aux dépens.
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
– Ordonne la suspension de la vente de «’la porte et entourage en pierres XVIII° de l’hôpital [9]’» jusqu’à ce qu’il soit tranché la propriété devant le juge compétent qu’il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir.
– Déboute l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris de sa demande de restitution de l’objet de la vente par la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] et M.[D] à leurs frais et sous astreinte.
– Vu l’article 700 du code de procédure civile, déboute l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris de sa demande.
– Condamne M. [D] et la SARL France Expertises Enchères – FEE [W] [O] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
I. ANGER C. BENEIX-BACHER