Copies exécutoires République française
délivrées aux parties le : Au nom du peuple français
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 5
ORDONNANCE DU 23 MAI 2023
(n° /2023)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/02082 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHAZG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Octobre 2022 du Juge de l’exécution de PARIS – RG n° 2022/A601
Nature de la décision : Contradictoire
NOUS, Dorothée DIBIE, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.
Vu l’assignation en référé délivrée à la requête de :
DEMANDEUR
Madame [U] [Z] [P] épouse [E]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Et assistée de Me François RONGET de la SELARL SEATTLE AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : P206
à
DEFENDEURS
Madame [R] [Z] [P] épouse [B]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Madame [W] [Z] [P] épouse [X] [F]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Monsieur [L] [Z] [P]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Représentés par la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Et assistés de Me Agathe LEVY-SEBAUX de la SELAS GINESTIE MAGELLAN PALEY-VINCENT, avocat plaidant au barreau de PARIS, toque : R138
Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 22 Mars 2023 :
[V] [Z] [P] est décédé le [Date décès 1] 2018 à [Localité 10] en laissant pour lui succéder son conjoint survivant, Mme [Y], et ses enfants, Mme [U] [Z] [P] épouse[E] (Mme [E]) et M. [O] [Z] [P] issus de son union avec Mme [C], d’une part, et Mme [W] [Z] [P] épouse [X] [F], M. [L] [Z] [P] et Mme [R] [Z] [P] épouse [B], issus de son union avec Mme [I], d’autre part.
Soutenant avoir réglé la part de Mme [E], qui n’a procédé à aucun paiement à l’administration fiscale au titre des droits de succession, en dépit de nombreuses demandes qui lui avaient été faites, et ce afin d’éviter des pénalités conséquentes alors que les cohéritiers sont solidairement tenus envers l’administration fiscale, Mmes [W] [Z] [P] et [R] [Z] [P] ainsi que M. [L] [Z] [P] (les consorts [Z] [P]) l’ont fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris qui, par ordonnance du 4 mai 2021 assortie de l’exécution provisoire de droit, a notamment condamné Mme [E] à payer aux consorts [Z] [P] la somme provisionnelle de 3.705.810 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 décembre 2019 et dit que les intérêts porteront eux-mêmes intérêt en application de l’article 1343-2 du code civil.
Par déclaration du 4 juin 2021, Mme [E] a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 8 décembre 2021, le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris a rejeté la demande de Mme [E] tendant à l’arrêt de l’exécution provisoire dont est assortie l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Paris du 4 mai 2021 et a ordonné la radiation du rôle de la cour de l’affaire.
Parallèlement, se prévalant de cette décision, les consorts [Z] [P] ont entrepris à l’encontre de Mme [E] diverses mesures d’exécution forcée, à savoir :
– trois saisies-attributions du 26 mai 2021, dénoncées le 28 mai 2021,
– un commandement de payer aux fins de saisie-vente du 2 juin 2021,
– une saisie-attribution de créance à exécution successive entre les mains de la SA Société d’Exploitation Spéléologiques de Padirac du 15 juin 2021, dénoncée le 17 juin 2021,
– une saisie-attribution de droits d’associé et de valeurs mobilières entre les mains de la même société du 15 juin 2021, dénoncée le 17 juin 2021,
– une saisie attribution sur un compte auprès de la BNP Paribas le 2 février 2022 et une autre sur un compte auprès du Crédit Agricole le 5 avril 2022.
Par assignation en date du 25 juin 2021, Mme [E] a fait citer les consorts [Z] [P] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris aux fins de mainlevée des mesures d’exécution forcée qui, par décision du 20 décembre 2021, l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes. Ce jugement a été confirmé en toute ses dispositions par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 5 janvier 2023.
En outre, par jugement du 31 octobre 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et a :
– ordonné la saisie des rémunérations de Mme [E] par les consorts [Z] [P] pour la somme totale de 3.793.524,44 euros se décomposant comme suit :
– principal : 3.715.810 euros
– frais : 4.371,83 euros
– intérêts au 30 juin 2022 : 297.193,86 euros,
– acompte : 223.851,25 euros
– rejeté les demandes de Mme [E] :
– d’injonction des consorts [Z] [P] de produire un décompte actualisé,
– de délai de paiement,
– tendant à dire que les échéances porteront intérêts au taux légal,
– d’imputation des paiements en priorité sur le capital,
– formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à fixer la quotité saisissable,
– condamné Mme [E] à payer aux consorts [Z] [P] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 21 novembre 2022, Mme [E] a relevé appel de cette décision et, par actes d’huissier des 1er février 2023, elle a fait assigner les consorts [Z] [P] en référé devant le premier président aux fins de sursis à exécution.
Aux termes de son assignation, développée oralement à l’audience du 22 mars 2023, elle demande à la juridiction du premier président de juger qu’il existe au moins un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris du 31 octobre 2022 et, en conséquence, de surseoir à l’exécution des mesures de saisie-rémunération ordonnées par cette décision et de condamner solidairement les consorts [Z] [P] à la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle soutient pour l’essentiel :
– que les perspectives d’amélioration de sa situation financière, initiées par l’avance successorale de 400.000 euros octroyée par un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 14 décembre 2022, lui a permis de proposer de régler spontanément une partie de sa créance et de pouvoir, en conséquence, réintroduire au rôle l’appel formé contre l’ordonnance du 4 mai 2021, dont les chances d’infirmation sont extrêmement élevées, et d’obtenir des délais de paiement,
– les consorts [Z] [P] ne lui permettent pas de s’acquitter de sa créance en paralysant son patrimoine par de multiples saisies et en ne s’associant pas à sa demande d’avance successorale de sorte qu’il ne saurait lui être reproché l’absence d’exécution spontanée,
– elle s’est engagée par lettre de son conseil du 30 janvier 2023 à rembourser la somme de 209.465,68 euros qu’elle reste devoir aux consorts [Z] [P],
– elle justifie de sa situation financière et d’un reste à vivre de 4.017 euros et souligne que son patrimoine financier n’est constitué que de droits indivis et très minoritaires,
– le gel de l’intégralité de ses avoirs par les consorts [Z] [P], incluant les parts sociales et dividendes de la société d’exploitations spéléologiques de Padirac, ne lui permet pas d’obtenir un prêt bancaire,
– le juge de première instance a, par erreur, comptabilisé des éléments factuels erronés dans l’appréciation de sa quotité saisissable,
– les consorts [Z] [P] ont obtenu un prêt in fine leur permettant de décaler jusqu’au 18 novembre 2024 leur paiement des droits de succession auprès de l’administration fiscale alors que la saisie de ses rémunérations l’oblige à s’acquitter immédiatement de sa créance, créant ainsi une rupture d’égalité entre les cohéritiers.
Aux termes de leurs conclusions en réponse déposées et développées oralement à l’audience, les consorts [Z] [P] demandent à la juridiction du premier président de débouter Mme [E] de ses demandes et de la condamner au entiers dépens dont distraction au profit de Maître Audrey Schwab et à leur payer :
– 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent, en substance, que l’amélioration de la situation de Mme [E] n’est pas établie, que son versement de la somme de 400.000 euros n’a pas été spontané mais a été fait en échange de la mainlevée par les consorts [Z] [P] de leur saisie attribution et qu’en tout état de cause, il n’a pas d’incidence sur l’octroi de délais de paiement à Mme [E] ni sur la réintroduction de l’appel formée contre l’ordonnance du 4 mai 2021 dont l’issue est par ailleurs incertaine. Ils ajoutent que le juge de l’exécution n’est pas tenu par l’appel sur le titre exécutoire, de sorte que ce versement n’a aucune incidence sur la présente procédure.
Ils font également valoir que les saisies pratiquées n’interdisent pas à Mme [E] de régler spontanément sa créance et que faisant preuve de mauvaise foi, elle multiplie, au contraire, les procédures pour ne pas payer.
Ils ajoutent que Mme [E] ne justifie pas de sa situation financière et patrimoniale complète en ne communiquant aucun détail sur ses revenus de 2022 ni d’éléments sur ses charges et la composition de son patrimoine alors que son reste à vivre peut être évalué à au moins 13.500 euros par mois et qu’elle dispose d’une importante capacité d’emprunt.
Ils contestent toute erreur d’analyse du juge de première instance ainsi qu’une rupture d’égalité entre les cohéritiers en soulignant qu’elle n’aurait, en tout état de cause, aucun impact sur la saisie.
Ils sollicitent des dommages et intérêts au regard du caractère abusif de la présente procédure, guidée par la mauvaise foi et l’intention de nuire de Mme [E] qui reprend à nouveau son argumentation développée dans les instances précédentes pour échapper au paiement de sa créance.
A l’audience, les conseils des parties ont été entendus en leurs observations orales.
SUR CE,
Sur la demande de sursis à l’exécution
En application de l’article R. 121-22 du code des procédures civiles d’exécution, en cas d’appel, un sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution peut être demandé au premier président de la cour d’appel. La demande est formée par assignation en référé délivrée à la partie adverse et dénoncée, s’il y a lieu, au tiers entre les mains de qui la saisie a été pratiquée. Jusqu’au jour du prononcé de l’ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n’a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure. Le sursis à exécution n’est accordé que s’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.
Il résulte de ce texte que le sursis à exécution des décisions prises par le juge de l’exécution ne peut être accordé que s’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour, c’est-à-dire de la décision du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris du 31 octobre 2022, de sorte que les développements de Mme [E] sur les possibilités de réintroduire au rôle l’appel formé contre l’ordonnance du 4 mai 2021 qui relèvent du débat au fond, sont sans objet dans la présente procédure.
De même, elle ne saurait invoquer les autres procédures d’exécution engagées par les consorts [Z] [P] pour justifier des chances de réformation de la décision du juge de l’exécution du 31 octobre 2022, portant spécifiquement sur la saisie de ses rémunérations, qui s’appuie sur une ordonnance de référé assortie de l’exécution provisoire de droit constatant une créance liquide et exigible à son encontre.
Il en est de même de la rupture d’égalité entre les cohéritiers qu’elle invoque et qui est inopérante à l’appui du présent recours.
Sur sa demande de délai de paiement, Mme [E] se prévaut de l’avance successorale octroyée par un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 14 décembre 2022 à hauteur de 400.000 euros qui augure une amélioration de sa situation financière. Néanmoins, si cette avance en capital a permis à Mme [E] de désintéresser en partie ses cohéritiers, elle est insuffisante à caractériser une amélioration de sa situation financière susceptible de justifier des délais de paiement, dans le cadre de la présente procédure, notamment au regard du montant de la créance en principal de 3.715.810 euros et au fait que Mme [E] ne saurait préjuger de la décision de la juridiction qu’elle a à nouveau saisie d’une demande d’avance successorale.
Enfin, il résulte de l’attestation de l’expert comptable de la société De Padirac du 14 février 2022 que Mme [E] a perçu en moyenne sur les années 2019, 2020 et 2021 un salaire net après impôts de 169.404 euros par an soit 14.117 euros par mois auquel ils convient d’ajouter une pension alimentaire mensuelle de 500 euros suivant avis d’imposition de 2021.
Elle a également perçu, au cours de ces trois années, des dividendes de cette société pour la somme totale 240.853 euros dont elle ne justifie pas que la saisie pratiquée porte sur l’intégralité de cette somme.
Elle produit également son avis d’imposition sur la fortune immobilière qui fait ressortir qu’elle possède un patrimoine immobilier net imposable de 2.276.904 euros.
Mme [E] invoque des charges fixes, sur cette même période, d’un montant mensuel de 15.365 euros comprenant notamment ses dépenses alimentaires, les aides financières versées aux enfants et ses frais d’avocat et de notaire, dont elle ne justifie que partiellement, sans préciser leur répartition au sein du ménage et reconnaît une quotité disponible de 4.017 euros.
Si la saisie, dont il est demandé le sursis à exécution, porte sur les salaires de Mme [E], de sorte que les dividendes de la société De Padirac sont excluent du calcul de la quotité disponible, ces revenus tout comme son patrimoine permettent néanmoins d’apprécier la réalité de la situation financière de la requérante.
Dès lors, il ne résulte pas de la situation financière et patrimoniale de Mme [E], telle qu’elle en justifie, une impossibilité de régler la somme à laquelle elle savait devoir être tenue puisqu’il s’agit de droits dus à l’ouverture de la succession de son père décédé en 2018, ou à tout le moins une impossibilité de contracter un emprunt à cette fin, les deux refus d’emprunt – de la banque Rothschild du 27 septembre 2022 et du Crédit agricole du 18 novembre 2022 – produits par Mme [E] étant insuffisants à caractériser son impossibilité à offrir des garanties pour lui permettre d’emprunter au regard des termes des deux refus liés au caractéristiques du crédit demandé pour le premier et non justifié pour le second.
Aucun moyen sérieux de réformation ou d’annulation n’étant ainsi démontré, la demande formée par Mme [E] de sursis à l’exécution de la décision du juge de l’exécution de Paris du 31 octobre 2022 ne peut qu’être rejetée.
Sur la demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive
L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
L’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’est pas suffisante à faire dégénérer l’exercice de ce droit en abus et n’est pas en soi constitutive d’une faute, de sorte qu’en l’absence de caractérisation du caractère abusif de la présente procédure, et sans qu’il y ait lieu de se référer aux autres procédures en cours entre les parties, les consorts [Z] [P] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
Mme [E], partie perdante, sera tenue aux dépens de la présente instance, sans qu’il y ait lieu de faire application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, s’agissant d’une procédure où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire.
Elle sera condamnée à payer aux consorts [Z] [P] la somme globale de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Rejetons la demande de Mme [U] [Z] [P] épouse [E] de sursis à exécution du jugement du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris du 31 octobre 2022 ;
Rejetons la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Mmes [W] [Z] [P] et [R] [Z] [P] ainsi que M. [L] [Z] [P] ;
Disons n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Condamnons Mme [U] [Z] [P] épouse [E] aux dépens de la présente instance ;
Condamnons Mme [U] [Z] [P] épouse [E] à payer à Mmes [W] [Z] [P] et [R] [Z] [P] ainsi qu’à M. [L] [Z] [P] la somme globale de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
ORDONNANCE rendue par Mme Dorothée DIBIE, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
La Greffière, La Conseillère