2ème Chambre
ARRÊT N°317
N° RG 20/05442
N° Portalis DBVL-V-B7E-RCAI
S.A. COMPAGNIE GENERALE DE LOCATION D’EQUIPEMENTS
C/
M. [E] [S]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me TROADEC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Mai 2023
devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 23 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
S.A. COMPAGNIE GENERALE DE LOCATION D’EQUIPEMENTS
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Nolwenn TROADEC, postulant, avocat au barreau de LORIENT
Représentée par Me Stéphanie BORDIEC de la SAS MAXWELL MAILLET BORDIEC, plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Monsieur [E] [S]
né le [Date naissance 3] 1989 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Assigné par acte d’huissier en date du 11/02/2021, délivré à personne, n’ayant pas constitué
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon offre préalable acceptée le 25 septembre 2017, la société Compagnie générale de location d’équipements (la CGLE) a, en vue de financer l’achat d’un véhicule Porsche [Localité 6] neuf auprès de la société TLA, consenti à M. [E] [S] un prêt de 65 650 euros au taux de 5,249 % l’an, remboursable en 35 mensualités de 1 134,67 euros et une ultime échéance de 34 862,22 euros hors assurances, outre 78,78 euros euros au titre des cotisations d’assurance vol et perte du véhicule et de 59 euros au titre de l’assurance pannes mécaniques.
Prétendant que les échéances de remboursement n’étaient plus honorées depuis janvier 2019 en dépit d’une lettre recommandée de mise en demeure de régulariser l’arriéré sous huitaine en date du 8 avril 2019, le prêteur s’est, par un second courrier recommandé du 13 mai 2019, prévalu de la déchéance du terme puis, par acte du 11 février 2020, a fait assigner l’emprunteur en paiement devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc.
Par jugement réputé contradictoire du 4 juin 2020, le premier juge, relevant d’office que le prêteur ne justifiait pas avoir remis à l’emprunteur les notices afférentes aux contrats d’assurance de groupe qu’il proposait et que la déchéance du droit du prêteur aux intérêts était encourue, a :
condamné M. [S] au paiement de la somme de 47 192,05 euros, avec intérêts au taux légal non majorés à compter du 11 février 2020,
débouté la CGLE du surplus de ses autres demandes,
dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
rappelé que l’exécution provisoire était de droit,
condamné M. [S] aux dépens.
La CGLE a relevé appel de cette décision le 10 novembre 2020, pour demander à la cour de l’infirmer en ce qu’elle a prononcé la déchéance du droit du prêteur aux intérêts et de :
condamner M. [S] au paiement de la somme de 63 356,80 euros, assortie des intérêts calculés au taux contractuel de 5,249 % sur le principal de 55 868,79 euros à compter de l’arrêté de compte du 7 juillet 2019, et au taux légal sur le surplus,
condamner M. [S] au paiement d’une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de la procédure d’appel.
M. [S] n’a pas constitué avocat devant la cour.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour la CGLE le 9 février 2021 et signifiées à l’intimé défaillant le 11 février 2021, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 9 mars 2023.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Aux termes des articles L. 312-29 et L. 341-4 du code de la consommation, lorsque l’offre de contrat de crédit est assortie d’une proposition d’assurance, le prêteur doit, à peine de déchéance totale de son droit aux intérêts, remettre à l’emprunteur une notice comportant les extraits des conditions générales de l’assurance le concernant, notamment les nom et adresse de l’assureur, la durée, les risques couverts et ceux qui sont exclus.
Pour déchoir la CGLE de son droit aux intérêts, le juge des contentieux de la protection a relevé que la clause type de l’offre par laquelle l’emprunteur a reconnu avoir reçu une telle notice ne suffisait pas à prouver sa remise, de sorte que le prêteur, qui se bornait à réclamer le bénéfice d’une telle clause sans même en produire un exemplaire, ne démontrait pas avoir respecté le texte précité.
Il est exact que la clause de l’offre, par laquelle M. [S] a reconnu avoir pris connaissance et rester en possession des notices comportant des extraits des conditions générales des assurances et prestations offertes, entraîne un renversement de la charge de la preuve de l’exécution des obligations incombant au prêteur et ne peut constituer qu’un indice qu’il incombe à ce dernier de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents.
La CGLE fait certes à juste titre valoir qu’aucun texte n’exigeait que les notices soient signées par l’emprunteur, mais il demeure qu’il lui appartient de compléter la preuve de leur remise à celui-ci par d’autres éléments que la clause type qu’elle a fait figurer dans l’offre soumise à l’adhésion de l’emprunteur.
À cet égard, la même clause figurant dans les bulletins d’adhésions aux assurances de groupe couvrant les risques de perte du véhicule et de pannes mécaniques peut en effet être regardée comme corroborant les mentions de l’offre, mais il demeure, ainsi que la décision attaquée l’a pertinemment relevé, que seule la production aux débats des notices concernées permet au juge, qui, aux termes de l’article L. 141-4 devenu R. 632-1, peut relever d’office tous les moyens tirés de l’application du code de la consommation, de s’assurer de la réalité de leur existence ainsi que de la régularité de leur contenu, notamment du fait que celui-ci doit être distinct de celui des conditions générales et particulières de la police tout en définissant avec une précision suffisante les risques garantis et les modalités de mise en oeuvre de l’assurance.
Or, si la CGLE a fini par produire en cause d’appel un exemplaire de la notice afférente à l’assurance de groupe ‘protection pécuniaire’ n° NIB07T 09.08.2017 E afférente aux risques de vol et de perte totale du véhicule moyennant une cotisation d’assurance de 78,78 euros par mois, elle ne justifie toujours pas devant la cour de l’existence et du contenu d’une notice afférente à l’assurance couvrant les risques de pannes mécaniques, également proposée à l’adhésion de l’emprunteur moyennant une prime mensuelle de 59 euros.
C’est donc à juste titre que le juge des contentieux de la protection a prononcé la déchéance totale du droit du prêteur aux intérêts.
Il résulte par ailleurs de l’article L. 341-8 du code de la consommation que, lorsque le prêteur est déchu de son droit aux intérêts, l’emprunteur n’est plus tenu qu’au remboursement du seul capital.
Ainsi, le premier juge a exactement condamné M. [S] au paiement de la somme de 47 192,05 euros, correspondant au montant du capital emprunté de 65 650 euros déduction faite des règlements effectués pour un montant total de 18 457,95 euros.
En revanche, contrairement à ce qu’a décidé le premier juge, cette somme produira, conformément à l’article 1231-6 du code civil, intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13 mai 2019, et non de l’assignation du 11 février 2020.
Néanmoins, s’agissant de la majoration du taux de l’intérêt légal prévue par l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, la CJUE, amenée à interpréter les dispositions de l’article L. 311-48 devenu L. 341-1 et suivants du code de la consommation issues d’une transposition de la directive n° 2008/48/CE du Parlement et du Conseil de l’Union européenne en date du 23 avril 2008, a, par arrêt en date du 27 mars 2014, dit pour droit que ce texte s’oppose à l’application d’intérêts au taux légal majoré de plein droit deux mois après le caractère exécutoire d’une décision de justice prononçant la déchéance du droit du prêteur aux intérêts si les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur à la suite de l’application de la sanction ne sont pas significativement inférieurs à ceux dont celui-ci pourrait bénéficier s’il avait respecté ses obligations.
Dès lors, quand bien même le pouvoir de supprimer cette majoration serait réservé au juge de l’exécution par le code monétaire et financier, il appartient au juge du fond, tenu d’assurer la prééminence du droit de l’Union, de statuer sur celle-ci afin de rendre effective la sanction de la déchéance du droit du prêteur aux intérêts.
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a écarté l’application de la majoration de taux de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier.
Il n’y a enfin pas matière à application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 24 juillet 2020 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, sauf en ce qu’il a fixé le point de départ des intérêts de retard au jour de l’assignation 11 février 2020 ;
Dit que la somme de 47 192,05 euros produira intérêts au taux légal à compter du 13 mai 2019, sans la majoration prévue par l’article L. 313-3 du code monétaire et financier ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Compagnie générale de location d’équipements aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT