Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 11
ARRET DU 23 JUIN 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/02779 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHC7H
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2023 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2021062445
APPELANTE
S.A. ENEDIS
société anonyme à directoire et à conseil de surveillance, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 6]
[Localité 4]
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 444 608 442
représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
INTIMEES
S.A.S.U. FRANCE TURBOT ICHTUS
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 5]
[Localité 3]
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de LA ROCHE-SUR-YON sous le numéro 808 856 587
représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
S.A.S. SÉJOURNÉ
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 2]
immatriculée au registre du commerce et des sociétés sous le numéro 340 810 274
représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant M. Denis ARDISSON, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Denis ARDISSON, Président de chambre
Mme Marion PRIMEVERT, conseillère,
Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, conseillère,
Qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier présent lors de la mise à disposition.
1. Il sera succinctement rapporté que la société France Turbot lchtus (‘société FTI’) exploite une activité d’aquaculture dans son établissement situé à Noirmoutier et dans des bassins dont la température et l’oxygénation de l’eau sont maintenues par des pompes alimentées par le courant électrique fourni en exécution d’un contrat d’accès au réseau public de distribution et de fourniture d’électricité tripartite passé avec Electricité de France et la société Enedis.
2. Ce contrat stipule à ses ‘conditions générales de vente’ un point XXIII relatif au ‘Droit applicable ‘ Juridiction’ aux termes duquel :
‘Le Contrat est soumis à la loi française, et les litiges s’y rapportant que les Parties n’auraient pu résoudre à l’amiable dans un délai d'(1) mois seront soumis à la juridiction compétente des Tribunaux de Paris’.
3. Ces conditions générales de vente sont assorties d’une annexe régissant les relations entre la société Enedis et le société FTI stipulant, sur le point 7. Relatif aux ‘réclamations et recours’, un point 7.2 traitant des ‘Réclamation avec demande d’indemnisation’ selon lequel :
‘En cas de désaccord sur le principe ou le montant de l’indemnisation, le Client peut demander à Enedis via son Fournisseur d’organiser une expertise amiable. A défaut d’accord à l’issue de l’expertise, le Client pourra saisir le tribunal compétent.’
4. Et au point 7.3 relatif au ‘Recours’ selon lequel :
‘en cas de litige sur l’interprétation et/ou l’exécution des dispositions de la présente annexe (…) Le client peut également soumettre le différend devant la juridiction compétente’.
5. A la suite de coupures dans l’alimentation électrique des moteurs des pompes des bassins survenues les 10 et 13 février 2019, ainsi que des interventions des techniciens de la société Enedis le 10 février 2019, puis de ceux de la société Sejourné les 11 et 12 février suivant, la société FTI a déploré le 14 février la disparition de la quasi-totalité de son cheptel de turbots privés de leur oxygénation.
6. Sur la base d’expertises amiables, la société FTI a vainement réclamé à la société Enedis la réparation de son préjudice avant de l’assigner, ainsi que la société Séjourné, devant le président du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon saisi en référé et qui, par ordonnance du 9 décembre 2019, a rejeté l’exception d’incompétence et ordonné une expertise confiée à M. [O] [I] qui a déposé son rapport le 28 mars 2021.
7. Par ordonnance de référé du 14 juin 2021, la même juridiction a condamné la société Enedis à verser à la société FTI une provision de 900.000 euros à valoir sur son préjudice définitif, outre 6.000 euros au titre des frais d’expertise judiciaire et 15.000 euros au titre des frais irrépétibles.
8. La société Enedis a d’abord réclamé la suspension de l’exécution provisoire de l’ordonnance de référé du 14 juin 2021 que le premier président de la cour d’appel de Poitiers a rejetée le 15 juillet 2021, puis la société Enedis a interjeté appel de la décision du 14 juin 2021 que la cour d’appel de Poitiers a rejeté par arrêt du 14 décembre 2021 tant sur la compétence que sur la condamnation au paiement de la provision.
9. Enfin, par jugement du 22 octobre 2021, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nanterre a rejeté la demande de mainlevée de la saisie-attribution que la société FTI a fait pratiquer sur ses comptes.
10. Le 23 décembre 2021, la société Enedis a fait assigner la sociétés FTI devant le tribunal de commerce de Paris en vue d’ordonner une expertise sur l’origine des dommages ainsi que sur leurs conséquences économiques et financières, la société Enedis présentant ultérieurement la demande additionnelle de condamnation de la société FTI à lui reverser les sommes allouées par les juridictions des référés.
11. Enfin, le 12 avril 2022, la société FTI a fait assigner les sociétés Enedis et Séjourné, la première en paiement de la somme de 7.864.275,19 euros de dommages et intérêts, et la seconde en garantie.
* *
12.Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris 31 janvier 2023 par lequel il a :
– débouté la société France Turbot lchtus (‘société FTI’) et la société Sejourné de voir déclarer la société Enedis irrecevable en ses demandes au titre de l’autorité de la chose jugée,
– dit irrecevable la demande d’expertise formulée par la société Enedis à titre principal,
– dit recevable la demande de la société Enedis formulée à titre subsidiaire,
– déclaré la juridiction commerciale incompétente territorialement au profit du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon,
– dit qu’il n’y a lieu de statuer sur l’exception de litispendance,
– débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
– dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties,
– dit qu’en application de l’article 84 du code de procédure civile, la voie de l’appel est ouverte contre la décision dans le délai de quinze jours à compter de sa notification,
– dit qu’à défaut d’appel dans ce délai, le dossier sera transmis à la juridiction susvisée dans les conditions de l’article 82 du code de procédure civile,
– condamné la société Enedis aux entiers dépens ;
13.Vu l’appel du jugement interjeté le 15 février 2023 par la société Enedis ;
14.Vu l’ordonnance du 23 février 2023 autorisant la société Enedis à assigner à jour fixe les sociétés France Turbot Ichtus et Sejourné ;
* *
15.Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 15 février 2023 pour la société Enedis afin d’entendre, en application des articles 73 et suivants du code de procédure civile :
– déclarer recevable et bien fondé l’appel formé par la société Enedis,
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 janvier 2023 en ce qu’il s’est déclaré incompétent territorialement au profit du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon, débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– annuler et à défaut, infirmer le jugement en ce qu’il a dit irrecevable la demande d’expertise formulée par la société Enedis à titre principal,
– déclarer le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître du litige au fond opposant la société FTI la société Enedis, en application des dispositions du contrat unique d’accès au réseau public de distribution et de fourniture d’électricité,
– déclarer recevable la demande d’expertise formulée par la société Enedis à titre principal.
en tout état de cause,
– condamner la société FTI à verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens ;
16.Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 21 mars 2023 pour la société France Turbot Ichtus aux fins d’entendre, en application des articles 46 et 48, 144 et 146, 122 et 460 du code de procédure civile :
– confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 31 janvier 2023 en ce qu’il s’est déclaré incompétent territorialement au profit du Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, dit irrecevable la demande d’expertise formulée par la société Enedis à titre principal,
– infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 31 janvier 2023 en ce qu’il a permis de statuer sur la compétence matérielle du Tribunal de commerce de Paris, dit recevable la demande de la société Enedis formulée à titre subsidiaire,
– déclarer incompétent matériellement le tribunal de commerce de Paris pour statuer sur les demandes d’expertises,
subsidiairement,
– déclarer irrecevable la demande subsidiaire de la société Enedis tendant à condamner solidairement les société FTI et Sejourné à restituer à la société Enedis l’intégralité des sommes versées en exécution de l’ordonnance de référé rendue le 14 juin 2021 par le président du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, le jugement du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nanterre du 22 octobre 2021 et l’arrêt rendu le 14 décembre 2021 par la cour d’appel de Poitiers,
en tout état de cause,
– débouter les parties de l’ensemble de leurs demandes formulées à l’encontre de la société FTI,
– condamner la Société anonyme Enedis à payer à la société FTI la somme de 8.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Enedis aux entiers dépens ;
17.Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 27 mars 2023 pour la société Sejourné aux fins d’entendre, en application des articles 42 et suivants, 75, 83 et suivants du code de procédure civile :
– confirmer l’incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon,
– ordonner le renvoi de l’affaire au tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon,
– condamner Enedis au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont recouvrement au profit de Me Stéphane Jeambon, avocat aux offres de droit.
* *
La clôture de l’instruction et la jonction des affaires enregistrées sous les numéros 23/00117 et 23/02779 ont été ordonnées par le président à l’audience du 6 avril 2023.
SUR CE, LA COUR,
18. Les appels de la société Enedis enregistrés sous les numéros 22/17950 et 22/00670 opposent les mêmes parties et ont le même objet en sorte que leur jonction doit être ordonnée.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.
I. Sur la compétence matérielle de la juridiction d’après les termes de la clause attributive de compétence
19. Pour voir infirmer le jugement en ce qu’il a écarté sa compétence au profit de celle du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon sur le territoire duquel le dommage est survenu, la société Enedis se prévaut de la clause attributive de compétence du tribunal de commerce de Paris telle qu’elle est stipulée au point XXIII du contrat cité au paragraphe 2 ci-dessus, et conclut que l’annexe, telle qu’elle est prévue à l’article l’article L.111-92 du code de l’énergie, fait corps avec le contrat tripartite et se rattache directement aux conditions générales de vente applicables depuis le début de la fourniture d’électricité, de sorte que les stipulations de compétence aux points 7.2 et 7.3 de l’annexe citées au paragraphes 3 et 4 ci-dessus ne dérogent pas à celle du point XXIII et sont d’autant moins inconciliables que l’annexe précise :
‘Le présent document est un résumé des clauses des dispositions générales relatives à l’accès et à l’utilisation du Réseau Public de Distribution (RPD) HTA, qui explicitent les engagements d’ENEDIS et du Fournisseur vis-à-vis du Client, ainsi que les obligations que doit respecter le Client.’
20. Toutefois, il est énoncé à l’article 48 du code de procédure civile que :
‘Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée’.
21. Et à l’article 46 du même code que :
Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
– en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service ;
– en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi’ ;
22. Connaissance prise par la cour du contrat et de son annexe, il est manifeste que la clause attributive de compétence du tribunal de commerce de Paris mentionnée au point XXIII ne se distingue pas de manière très apparente du corps du texte et de la présentation d’ensemble des conditions générales de vente de son annexe, et alors que Electricité de France n’est pas partie à l’instance, il se déduit des stipulations des points 7.2 et 7.3 de l’annexe, qui régit distinctement les relations entre la société Enedis et la société FTI et qui aménagent la faculté ‘du client de saisir la juridiction compétente’, une alternative équivoque dans la dérogation aux règles de compétence qui ne sont régies par aucune disposition du code de l’énergie, ce qui justifie de faire application du droit commun.
23. Alors qu’il est constant que le lieu où a été fournie l’électricité, dont il est soutenu qu’elle est à l’origine du dommage imputée à la société Enedis, est situé sur le territoire du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon et met en cause des parties en leur qualité de commerçant, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a décliné sa compétence et désigné cette juridiction pour attribution.
II. Sur le surplus des chefs de jugement
24. La juridiction qui s’est déclarée incompétente pour connaître du litige n’était pas fondée à relever l’irrecevabilité de la demande d’expertise présentée par la société Enedis, par ailleurs susceptible d’être souverainement appréciée par le juge en application des articles 10 et 144 du code de procédure civile, ni à écarter la demande incidente de la société Enedis en condamnation au paiement des provisions, dont la cour relève par ailleurs que l’absence de lien suffisant de cette demande avec les prétentions originaires de la société Enedis n’est pas motivée par le jugement dans les conditions de l’article 70 du code de procédure civile, en sorte que le jugement sera annulé de ces chefs.
III. Sur les dépens et les frais irrépétibles
25. La société Enedis succombant à l’action, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a décidé des dépens et des frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d’appel, elle sera condamnée aux dépens et à payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 2.000 euros à la société FTI et à la société Séjourné.
PAR CES MOTIFS :
ORDONNE la jonction des appels enregistrés sous les numéros 23/00117 et 23/02779 ;
ORDONNE la clôture des débats ;
CONFIRME le jugement en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon ;
ANNULE le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables la demande de la société Enedis d’expertise et sa demande additionnelle en paiement ;
CONDAMNE la société Enedis aux dépens et dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile en ce qui concerne la société Séjourné ;
CONDAMNE sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile la société Enedis à payer la somme de 2.000 euros à la société France Turbot Ichtus et à la société Sejourné ;
DIT que le greffe notifiera sans délai l’arrêt au tribunal de commerce de Paris pour l’exécution des diligences de l’article 82 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT