République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 3
ARRÊT DU 22/06/2023
N° de MINUTE : 23/580
N° RG 22/03833 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UN33
Jugement (N° 21/00394) rendu le 18 Juillet 2022 par le Juge de l’exécution de Lille
APPELANTS
Monsieur [M] [U]
de nationalité Française
[Adresse 1]
Compagnie d’assurance Mutuelle des Architectes Francais
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentés par Me Véronique Ducloy, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
Société Nord Climatisation
[Adresse 3]
Représentée par Me Laurent Guilmain, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 25 mai 2023 tenue par Sylvie Collière magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sylvie Collière, président de chambre
Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Sylvie Collière, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 2 mai 2023
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 22 avril 1993, la société civile immobilière Cevim (la SCI Cevim) a confié à M. [M] [U], architecte, une mission de maîtrise d’oeuvre portant sur la rénovation de locaux à usage de restaurant situés à [Localité 5].
Le lot chauffage et refroidissement a été confié à la société Nord climatisation.
Par ordonnance de référé du 22 février 1994,le président du tribunal de grande instance de Lille, saisi par Mme [S] [O] et la société Cevim, présentés comme propriétaires des lieux, et la Sarl Cev, exploitante du restaurant, qui se plaignaient de malfaçons et d’inexécutions, a ordonné une expertise, d’abord limitée à M. [U] et ensuite étendue à tous les intervenants aux opérations de construction litigieuses.
L’expert a déposé un rapport daté du 6 mai 2004.
Par jugement du 21 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Lille a notamment :
– condamné M. [U] et la société Nord climatisation in solidum à payer à la société Cev les sommes de 38 152,40 euros et 3 815,24 euros (soit 41 967,64 euros au total) ;
– condamné M. [U] et la société Nord climatisation à se garantir mutuellement de cette condamnation dans les proportions respectives de 41% et de 54% ;
– fixé à 2,5% du montant de cette condamnation les créances de M. [U] et de la société Nord climatisation contre la société Veralubois au titre de leurs appels en garantie.
Par lettre du 23 octobre 2012, la Mutuelle des architectes français, a, en exécution du contrat d’assurance responsabilité la liant à M. [U], transmis à l’avocat de la société Cev ‘les moules’, un chèque libellé à l’ordre de la Carpa pour un total de 64 735,96 euros en paiement, entre autres, de la quote-part de 41% de M. [U] sur les sommes de 38 152,40 euros et 3 815,24 euros dues au titre du poste ‘Installation chauffage/clim’, correspondant à un montant de 17 206,73 euros.
Par actes du 22 décembre 2015, la SAS Friterie moderne ‘les moules’, venant aux droits de la société Cev ‘les moules’, a fait signifier à M. [U], en vertu du jugement du 21 septembre 2012, deux commandements de payer aux fins de saisie-vente, l’un d’eux portant sur la somme en principal de 41 967,64 euros.
Par lettre du 15 janvier 2016, la Mutuelle des architectes français a adressé à l’huissier instrumentaire un chèque global de 54 840,84 euros dans lequel figurait un décompte mentionnant comme soldé le paiement de la somme de 41 967,64 euros. Ce courrier mentionnait que l’assureur ne réglait pas la part de la société Nord climatisation, le conseil de celle-ci lui ayant confirmé que sa cliente avait procédé au règlement.
Par lettre du 16 février 2016, l’huissier mandaté par la société Friterie moderne ‘les moules’ a adressé à la société Mutuelle des architectes français une demande en paiement d’une somme complémentaire de 25 404,50 euros correspondant au solde la créance de 41 967,64 euros, au titre de la condamnation in solidum prononcée par le jugement du 21 septembre 2012, ainsi que des frais et intérêts.
Par lettre du 13 avril 2016, la Mutuelle des architectes français a transmis à cet huissier un chèque de 25 070,93 euros après avoir déduit la franchise de l’adhérent pour 253,24 euros.
Par lettre du même jour, la Mutuelle des architectes français a demandé à la société Nord climatisation le remboursement de la somme de 24 274,98 euros (soit 22 662,53 euros au titre de sa quote-part de 54 % et 1 049,19 euros au titre de la quote-part de 2,5 % de la société Veralubois, radiée, outre les intérêts).
Par acte du 22 juillet 2021, M. [U] a fait signifier à la société Nord climatisation le jugement du 21 septembre 2012 ainsi qu’un commandement de payer aux fins de saisie-vente portant sur une somme de 25 059,96 euros dont 24 814,06 euros en principal.
Selon procès-verbal du 17 août 2021, M. [U] a, en vertu du jugement du 21 septembre 2012, fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes de la société Nord climatisation ouverts dans les livres de la société BNP Paribas pour le recouvrement d’une somme en principal de 24 814,06 euros.
Fructueuse à hauteur de 1 356,22 euros, cette saisie-attribution a été dénoncée à la société Nord climatisation par acte du 25 août 2021.
Par acte du 14 septembre 2021, la société Nord climatisation a fait assigner M. [U] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de [Localité 5] afin d’obtenir la mainlevée de cette saisie-attribution.
La Mutuelle des architectes français est intervenue volontairement à l’instance.
Par jugement contradictoire du 18 juillet 2022, le juge de l’exécution a :
– accueilli l’intervention volontaire de la Mutuelle des architectes français ;
– ordonné la mainlevée de la saisie-attribution réalisée par procès-verbal du 17 août 2021 au nom de M. [M] [U] sur le compte de la société Nord climatisation ouvert auprès de la banque BNP Paribas ;
– rejeté les demandes de dommages et intérêts formées par M. [U], la Mutuelle des architectes français et la société Nord climatisation ;
– dit n’y avoir lieu à indemnité au titre des frais irrépétibles d’instance ;
– condamné in solidum M. [U] et la société Mutuelle des architectes français aux entiers dépens ;
– rejeté pour le surplus toute autre demande plus ample ou contraire au dispositif du présent jugement ;
– rappelé la nature exécutoire à titre provisoire du présent jugement.
Par déclaration adressée par la voie électronique le 3 août 2022, M. [U] et la société Mutuelle des architectes français ont relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a accueilli l’intervention volontaire de la société Mutuelle des architectes français et a débouté la société Nord climatisation de sa demande en dommages et intérêts.
Aux termes de leurs dernières conclusions du 28 avril 2023, M. [U] et la Mutuelle des architectes français demandent à la cour, au visa des articles L. 111-1, L. 111-7, L. 121-1, L. 124-5, L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, 31 du code de procédure civile, L. 121-12 du code des assurances, 1346 et suivants du code civil, de :
– déclarer leur action non prescrite ;
par conséquent,
– fixer leur créance ou la créance de l’un ou de l’autre née de l’exécution du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille le 21 septembre 2012 en lieu et place de la société Nord climatisation, en principal à la somme de 24 814,06 euros ;
– déclarer la saisie-attribution pratiquée sur les comptes de la société Nord climatisation le 17 août 2021 parfaitement valable ;
par conséquent,
– annuler sinon réformer le jugement ;
statuant à nouveau,
– débouter la société Nord climatisation de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution réalisée par procès-verbal du 17 août 2021 sur son compte bancaire ouvert dans les livres de la société BNP Paribas en vertu du jugement du 21 septembre 2012 ;
en tout état de cause,
– débouter la société Nord climatisation en son appel incident et en ses demandes de dommages et intérêts et d’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Nord climatisation à payer à M. [U] d’une part et à la société Mutuelle des architectes français d’autre part chacun une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, dont à ajouter 5 0000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les frais et dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de Maître Véronique Ducloy, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions du 1er mai 2023, la société Nord climatisation demande à la cour d’appel, au visa des articles L. 111-1, L. 121-2, L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution et 31 du code de procédure civile, de :
– recevoir M. [U] et la société Mutuelle des architectes français en leur appel principal ;
– les dire non fondés, les en débouter ;
– la recevoir en son appel incident ;
– confirmer le jugement en ce qu’il ordonne la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 17 août 2021 ;
– l’infirmer pour le surplus ;
– déclarer irrecevable l’intervention volontaire de la Mutuelle des architectes français ;
– condamner M. [U] à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de saisie ;
– condamner M. [U] et la Mutuelle des architectes français à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers frais et dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais de saisie.
MOTIFS
Sur l’intervention de la Mutuelle des architectes français :
Selon l’article 325 du code de procédure civile, l’intervention n’est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
En l’espèce, la Mutuelle des architectes français qui a réglé la dette de M. [U], son assuré, et qui se trouve subrogée dans les droits de ce dernier à l’encontre du co-responsable des dommages a intérêt à agir pour soutenir le bien fondé de la mesure d’exécution pratiquée par M. [U], puisqu’elle soutient que ce dernier y a procédé pour son compte. L’intervention volontaire de la Mutuelle des architectes français se rattache donc par un lien suffisant aux prétentions de M. [U].
Le jugement qui a déclaré cette intervention recevable sera donc confirmé.
Sur la demande de mainlevée de la saisie-attribution :
Selon l’article L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent.
L’assuré tenu in solidum avec d’autres au règlement d’une indemnité qui, après que son assureur ait indemnisé la victime de la totalité de l’indemnité, n’a plus qualité à agir contre son co-responsable pour la quote-part mise à la charge de ce dernier, ne peut, sauf convention expresse ou tacite l’y habilitant, agir en recouvrement dans l’intérêt de l’assureur, subrogé dans ses droits.
En l’espèce, il résulte des pièces produites que la Mutuelle des architectes français a réglé à la société Cev ‘les moules’ puis à la société Friterie moderne ‘les moules’ venant aux droits de cette dernière, pour le compte de son assuré, M. [U], en exécution du contrat d’assurance des responsabilités professionnelles des architectes qui les liait, les sommes que le jugement du 21 septembre 2012 l’avait condamné à régler, in solidum avec la société Nord climatisation.
Par ce paiement, elle s’est trouvée, en application des dispositions de l’article L.121-12 du code des assurances et 1251-3° du code civil dans sa rédaction applicable en l’espèce, subrogée dans les droits de celui-ci contre son co-responsable, la société Nord climatisation, et avait donc seule qualité à agir en recouvrement à l’encontre de cette société, sauf démonstration d’une convention expresse ou tacite habilitant M. [U] à agir pour son compte.
Pour affirmer l’existence d’une telle convention, les appelants font valoir les stipulations de l’article 10 intitulé ‘conduite du litige’ du contrat d’assurance les liant, selon lesquelles : ‘en cas de litige porté devant une juridiction et en ce qui concerne les seuls intérêts civils, l’assureur, dans les limites des plafonds de la garantie, assume seul la direction de la procédure, le choix des avocats et autres intervenants, et a le libre exercice des droits de recours. L’adhérent lui donne dès à présent tous les pouvoirs nécessaires à cet égard et s’engage à les renouveler en tant que de besoin (…). L’adhérent s’abstient de toute communication à toute personne autre que l’assureur ou ses conseils, sans accord préalable de ceux-ci’.
Or, une telle clause concerne la direction par l’assureur d’un procès intenté à son assuré mais ne peut être interprétée comme donnant, après le procès, mandat exprès ou même tacite à M. [U] d’agir en recouvrement pour le compte de son assureur de la quote-part mise à la charge de la société Nord climatisation par le jugement du 21 septembre 2012, en faisant pratiquer des mesures d’exécution forcée.
De plus, par courrier du 27 juillet 2021 adressé à l’huissier ayant délivré le commandement du 22 juillet 2021 à la société Nord climatisation en son nom , M. [U], prévenu par cette société, avait indiqué qu’il n’avait effectué aucune réclamation à son égard, s’était étonné de ce que son nom soit utilisé sans qu’il en soit informé et avait interrogé l’huissier sur l’origine de cette initiative.
La Mutuelle des architectes français lui avait alors répondu, par courrier du 13 août 2021, que les stipulations susvisées du contrat d’assurance relatives à la conduite du litige, ainsi que celles selon lesquelles ‘l’assureur est subrogé dans les droits et actions de l’adhérent contre tous les responsables du sinistre’, lui permettaient de réclamer à la société Nord climatisation les sommes qu’elle avait avancées en ses lieu et place pour son compte. Elle ajoutait que le courrier de M. [U] du 27 juillet 2021 la mettait dès lors en difficulté par rapport à sa débitrice et le remerciait de ne plus communiquer directement avec l’adversaire sans la consulter au préalable afin de ne pas entraver l’exécution de ses recours.
Il est exact que la Mutuelle des architectes français se trouvait subrogée dans les droits de M. [U] à l’égard de la société Nord climatisation, co-responsable. Elle pouvait ainsi, même si elle n’était pas partie dans l’instance ayant abouti au jugement du 21 septembre 2012, faire pratiquer, sur le fondement de ce titre exécutoire qui lui avait été transmis par l’effet de la subrogation, comme accessoire de la créance, toute mesure d’exécution utile pour récupérer la quote-part de la somme réglée à la société Cev ‘les moules’ et à la société Friterie moderne ‘les moules’ venant aux droits de cette dernière, mise à la charge de la société Nord climatisation. Elle devait toutefois faire pratiquer ces mesures en son nom et non au nom de M. [U] qui n’était plus créancier de la société Nord climatisation et avec lequel aucune convention n’était intervenue, la clause de conduite du litige ne pouvant être utilement invoquée.
Le silence gardé par M. [U] après réception du courrier de la Mutuelle des architectes français en date du 13 août 2021 ne peut davantage être assimilé à la convention expresse ou tacite habilitant l’assuré à agir contre le débiteur pour le compte de l’assureur.
La saisie-attribution du 17 août 2021 ne pouvait donc être pratiquée au nom de M. [U] qui n’avait pas la qualité de créancier.
C’est donc à juste titre que le premier juge a ordonné la mainlevée de cette mesure d’exécution dont les frais resteront à la charge des appelants.
Sur les demandes en dommages et intérêts des parties :
Selon l’article L. 121-2 du même code, le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages et intérêts en cas d’abus de saisie.
Si, la société Nord climatisation fait valoir que l’abus de saisie lui a causé un préjudice évident tant en termes d’image vis à vis de son banquier qu’en termes de frais bancaires exposés, force est de constater qu’elle ne verse aux débats aucun élément démontrant les préjudices allégués. Le jugement déféré qui l’a déboutée de sa demande en dommages et intérêts sera donc confirmé.
Compte tenu de la mainlevée de la saisie-attribution, le jugement déféré qui a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [U] et de la Mutuelle des architectes français pour procédure abusive sera confirmé.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné in solidum M. [U] et la Mutuelle des architectes français aux dépens et a rejeté les demandes des parties fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante en appel, M. [U] et la Mutuelle des architectes français seront condamnés in solidum aux dépens d’appel et nécessairement déboutés de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel.
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Nord climatisation la charge des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer devant la cour.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Condamne in solidum M. [M] [U] et la Mutuelle des architectes français aux dépens d’appel.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Sylvie COLLIERE