1ère Chambre
ARRÊT N°183/2023
N° RG 22/02118 – N° Portalis DBVL-V-B7G-STWG
M. PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE RENNES
C/
DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ETDESENQUETES
DOUANIERES
Société JTLK ASIA M7 LTD
Société AVONBURG FINANCE LTD
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre entendue en son rapport,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 21 mars 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 juin 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 31mai 2023 à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur le Procureur Général près la cour d’appel de Rennes
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par M. Yves DELPERIE, avocat général
APPELANTE ET INTIMÉE :
La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières, prise en la personne de son directeur et dont le siège se situe
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Nolwenn TROADEC, Postulant, avocat au barreau de LORIENT
Représenté par Me Colin MAURICE et Me Claire LITAUDON de la SARL CM & L AVOCATS, Plaidants, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
AVONBURG FINANCE Ltd, société de droit étranger agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 9] (CHYPRE)
Représentée par Me Mikaël BONTE, avocat au barreau de RENNES Représentée par Me Bertrand COSTE de la SCP VILLENEAU ROHART SIMON & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
GTLK ASIA M7 Ltd société de droit étranger agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 7] (CHINE)
Représentée par Me Mikaël BONTE, avocat au barreau de RENNES Représentée par Me Bertrand COSTE de la SCP VILLENEAU ROHART SIMON & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
FAITS ET PROCÉDURE
Le 27 février 2022, le navire Pola Ariake a accosté dans le port de [Localité 8] (56).
Le 2 mars 2022, deux agents de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (la DNRED) ont dressé trois procès-verbaux’ayant pour objet’:
-l’audition libre de M. [C] [H], en sa qualité de capitaine du navire Pola Ariake appartenant à GTLK Asia M7 (propriétaire enregistré) et JSC GTLK (propriétaire bénéficiaire) et la recherche de renseignements sur le site Lloyds intelligence concernant le navire de commerce Pola Ariake,
-l’application des mesures de gel des avoirs prévues par le règlement (UE) n°2022/336 du 28 février 2022 modifiant l’annexe I du règlement (UE) n°296/2014 du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
Après avoir constaté que l’unique actionnaire de la société GTLK Asia M7 ltd est le ministère des transports de la fédération de Russie, que cet organisme est associé à M. [Y] [R] [L], ministre des transports, qu’il est cité dans l’annexe du règlement (UE) n°2022/336 du 28 février 2022 modifiant l’annexe I du règlement (UE) n°296/2014 du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, qu’il peut être considéré que M. [Y] [R] [L] contrôle le navire Pola Ariake, les agents de la DNRED ont notifié au capitaine du navire Pola Ariake une mesure d’immobilisation du navire.
Le 9 mars 2022, les sociétés de droit hong-kongais GTKL Asia M7 ltd et de droit chypriote Avonburg finance ltd ont saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient en nullité des procès-verbaux et aux fins de mainlevée de la mesure prise par l’administration.
Par ordonnance du 18 mars 2022, le juge des référés a :
-ordonné la mainlevée de la mesure de gel du navire Pola Ariake pratiquée selon procès-verbal du 2 mars 2022,
-condamné l’Etat, représenté par le directeur national du renseignement et des enquêtes douanières, à verser aux sociétés JTLK Asia M7 ltd et Avonburg finance ltd la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné l’Etat aux dépens.
Les 22 et 30 mars 2022, la DNRED et le procureur général de la cour d’appel de Rennes ont fait appel de tous les chefs de l’ordonnance.
Sur déclinatoires de compétence adressé à la cour le 11 avril 2022 par le préfet de région Bretagne et le 20 avril 2022 par le préfet du Morbihan, la cour d’appel a, par arrêt du 28 février 2023′:
-décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur l’action engagée le 9 mars 2022 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient par les sociétés GTLK Asia M7 ltd et société Avonburg finance ltd à l’encontre de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières.
Le 19 mars 2021 deux agents de la DNRED, ayant été informés que le navire Pola Ariake s’apprêtait à quitter le port pour se rendre en Norvège, se sont rendus sur place et ont dressé un procès-verbal de constat du délit de tentative de contournement des mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par le règlement UE n°2022/336 du 28 février 2022 mettant en oeuvre le règlement UE n°269/2014’concernant des mesures restrictives eu égard aux action compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Ukraine. Le procès-verbal précise qu’il est contrevenu aux dispositions de l’article 459 du code des douanes
Le 21 mars 2022, les sociétés de droit hong-kongais GTKL Asia M7 ltd et de droit chypriote Avonburg finance ltd ont assigné la DNRED devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient.
Elles demandaient, selon les conclusions de la DNRED, au juge des référés de’:
-prononcer la nullité du PV de saisie n°1 du 19 mars 2022 pour violation des articles 62, 63, 334, du code des douanes et des articles 6§1 et 6§2 de la CEDH, ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie du navire Pola Ariake,
-constater que le navire Pola Ariake est la propriété de la société GTLK Asia M7 Ltd, qu’il est détenu par la société Avonburg Finance Ltd, que M. [L] n’est ni propriétaire, ni ne contrôle à son propre bénéfice ledit navire, ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie du navire.
-constater l’absence d’infraction à l’article 459 du code des douanes et ordonner en conséquence la mainlevée de la saisie du navire.
-condamner les douanes à payer, à titre de provision, la somme de 15 500 USD (ou sa contrevaleur en euros) multipliée par le nombre de jours écoulés entre le 19 mars 2022 et la date de l’ordonnance à intervenir,
-conformément à l’article L121-2 du code des procédures civiles d’exécution, condamner les douanes au paiement de la somme de 500 000,00 euros pour saisie abusive,
-enjoindre aux douanes de ne pas entraver l’appareillage du navire sous astreinte de 50 000,00 euros par jour à compter de la date de l’ordonnance à intervenir,
-juger que l’astreinte sera liquidée par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Lorient, conformément à l’article L131-3 du code des procédures civiles d’exécution,
-condamner les douanes aux dépens et au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 28 mars 2022, le juge des référés a, au visa de l’article 835 du code de procédure civile’:
-ordonné la mainlevée de la saisie du navire Pola Ariake pratiquée selon procès-verbal du 19 mars 2022,
-condamné l’Etat, représenté par le directeur national du renseignement et des enquêtes douanières, à verser aux sociétés JTLK Asia M7 ltd et Avonburg finance ltd une provision de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts,
-l’a condamné aux dépens et à leur verser la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le 1er avril 2022, la DNRED a fait appel de tous les chefs de l’ordonnance (RG 22-02155).
Le 30 mars 2022 le procureur général de la cour d’appel de Rennes a fait appel de tous les chefs de l’ordonnance, sauf en ce que l’Etat a été condamné aux dépens et en ce que les parties ont été déboutées du surplus de leurs demandes (RG 22-02118).
Saisi le 6 avril 2022 par le procureur général de la cour d’appel de Rennes aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire dans le dossier RG 22-02118, le magistrat délégué par le premier président, par ordonnance de référé du 31 mai 2022, a, notamment :
-rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire mais en a cantonné le montant au bénéfice de la société Avonburg finance ldt à la somme de 50 000 euros,
-rejeté la demande de radiation de l’appel faute d’exécution.
Saisi le 8 avril 2022 par les sociétés GTLK Asia M7 ltd et Avonburg finance ltd aux fins de radiation de l’affaire RG 22-02155 pour défaut d’exécution de la décision, le magistrat délégué par le premier président, par ordonnance de référé du 31 mai 2022, a débouté la DNRED de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire, l’a cantonnée à la somme de 50 000 euros, l’a autorisée à consigner le même montant et a ordonné la radiation de l’affaire du rôle de la cour.
Par ordonnance du 20 septembre 2022, la décision ayant été exécutée, le magistrat délégué par le premier président a ordonné le rétablissement de l’affaire au rôle, sous le numéro RG 22-05636.
Saisie le 11 mai 2022 par la société Avonburg finance ltd de conclusions d’incident dans la procédure RG 22-02118, la présidente de la chambre, par ordonnance du 27 septembre 2022, s’est déclarée incompétente pour statuer sur les demandes d’irrecevabilité de l’appel et d’absence d’effet dévolutif de l’appel du ministère public et de l’appel incident de la DNRED et a rejeté la demande de caducité de l’appel.
L’affaire sur le fond a été fixée à l’audience du 21 mars 2023.
Affaire RG 22-05636
La DNRED expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 23 février 2023, auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour de’:
-juger la DNRED, prise en la personne de son directeur, recevable et bien fondé en son appel, ainsi qu’en ses écritures,
-in limine litis, sur l’incompétence du juge des référés et de la cour d’appel ,
-infirmer l’ordonnance du juge des référés rendue le 28 mars 2022 en ce qu’il a dit avoir lieu à référé et a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par l’administration des douanes,
-statuant à nouveau,
-juger que le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient et la cour d’appel sont incompétents pour statuer sur les demandes de la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt qui relèvent de la compétence du tribunal correctionnel de Lorient,
-juger le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient et la cour d’appel incompétents pour statuer sur la demande visant à « enjoindre aux douanes de ne pas entraver l’appareillage du navire sous astreinte de 50 000,00 euros par jour à compter de la date de l’ordonnance à intervenir et à juger que l’astreinte sera liquidée par le président du tribunal judiciaire de Lorient, conformément à l’article L131-3 du code des procédures civiles d’exécution »,
-inviter en conséquence la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt à mieux se pourvoir.
A titre subsidiaire, elle demande à la cour de’:
-juger la société Avonburg finance ldt irrecevable en ses demandes, faute d’avoir la qualité pour agir,
-infirmer l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient du 28 mars 2022 en ce qu’il a dit qu’il y avait lieu à référé,
-statuant à nouveau,
-juger qu’il n’y a lieu à référé.
A titre très subsidiaire, elle demande à la cour de’:
-infirmer l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient rendue le 28 mars 2022 en ce que le juge des référés a ordonné la mainlevée de la mesure de saisie du navire Pola Ariake pratiquée selon procès-verbal du 19 mars 2022, a condamné l’Etat à verser aux sociétés GTLK Asia M7 ltd et Avonburg finance ldt la somme de 100 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, a condamné l’Etat à leur verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, a condamné l’Etat aux dépens,
-statuant de nouveau,
-rejeter l’ensemble des demandes formulées par la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt dans le cadre de leur assignation délivrée le 21 mars 2022, et notamment la demande d’annulation du procès-verbal de saisie n°1 du 19 mars 2022, la demande de mainlevée de la mesure de saisie du navire Pola Ariake, la demande de condamnation à verser une provision, la demande de condamnation pour saisie abusive et la demande visant à enjoindre aux douanes de ne pas entraver l’appareillage du navire sous astreinte.
Elle demande à la cour, en tout état de cause, de’:
-condamner in solidum la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-les condamner in solidum aux entiers dépens d’instance et d’appel.
La société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ltd ont constitué avocat le 2 avril 2022. Elles n’ont pas pris de conclusions.
Le 11 avril 2022 le ministère public a été informé de l’inscription de l’affaire.
Affaire RG 22-02118
Le procureur général près la cour d’appel de Rennes expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 11 mai 2022, auxquelles il est renvoyé.
Il demande à la cour de’:
-infirmer l’ordonnance du 18 mars 2022 en toute ses dispositions.
La DNRED expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 23 février 2023, auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour de’:
-juger la DNRED, prise en la personne de son directeur, recevable et bien fondé en son appel, ainsi qu’en ses écritures,
-in limine litis, sur l’incompétence du juge des référés et de la cour d’appel ,
-infirmer l’ordonnance du juge des référés rendue le 28 mars 2022 en ce qu’il a dit avoir lieu à référé et a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par l’administration des douanes,
-statuant à nouveau,
-juger que le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient et la cour d’appel sont incompétents pour statuer sur les demandes de la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt qui relèvent de la compétence du tribunal correctionnel de Lorient,
-juger le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient et la cour d’appel incompétents pour statuer sur la demande visant à « enjoindre aux douanes de ne pas entraver l’appareillage du navire sous astreinte de 50 000,00 euros par jour à compter de la date de l’ordonnance à intervenir et à juger que l’astreinte sera liquidée par le président du tribunal judiciaire de Lorient, conformément à l’article L131-3 du code des procédures civiles d’exécution »,
-inviter en conséquence la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt à mieux se pourvoir.
A titre subsidiaire, elle demande à la cour de’:
-juger la société Avonburg finance ldt irrecevable en ses demandes, faute d’avoir la qualité pour agir,
-infirmer l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient du 28 mars 2022 en ce qu’il a dit qu’il y avait lieu à référé,
-statuant à nouveau,
-juger qu’il n’y a lieu à référé.
A titre très subsidiaire, elle demande à la cour de’:
-infirmer l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient rendue le 28 mars 2022 en ce que le juge des référés a ordonné la mainlevée de la mesure de saisie du navire Pola Ariake pratiquée selon procès-verbal du 19 mars 2022, a condamné l’Etat à verser aux sociétés GTLK Asia M7 ltd et Avonburg finance ldt la somme de 100 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, a condamné l’Etat à leur verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, a condamné l’Etat aux dépens,
-statuant de nouveau,
-rejeter l’ensemble des demandes formulées par la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt dans le cadre de leur assignation délivrée le 21 mars 2022, et notamment la demande d’annulation du procès-verbal de saisie n°1 du 19 mars 2022, la demande de mainlevée de la mesure de saisie du navire Pola Ariake, la demande de condamnation à verser une provision, la demande de condamnation pour saisie abusive et la demande visant à enjoindre aux douanes de ne pas entraver l’appareillage du navire sous astreinte.
Elle demande à la cour, en tout état de cause, de’:
-condamner in solidum la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-les condamner in solidum aux entiers dépens d’instance et d’appel.
La société Avonburg finance ltd a constitué avocat le 10 mai 2022. Elle n’a pas pris de conclusions.
La société GTLK Asia M7 ltd a été régulièrement assignée le 20 avril 2022. Elle n’a pas constitué avocat.
A l’audience il a été demandé leurs observations aux parties sur la jonction des deux procédures et sur les conséquences de l’arrêt du 28 février 2023 statuant sur le déclinatoire de compétence.
Les parties n’ont pas fait valoir d’observations.
MOTIFS DE L’ARRÊT
1) Sur la jonction
Les deux procédures concernent l’appel de la même décision, rendue le 28 mars 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient.
Il y a lieu, pour une bonne administration de la justice, d’en ordonner la jonction.
2) Sur la compétence du juge des référés et de la cour d’appel
La demande de mainlevée de la saisie vise le procès-verbal dressé par les agents de la DNRED le 19 mars 2022.
Les agents des douanes disposent de l’ensemble des pouvoirs prévus par le code des douanes pour rechercher, constater et poursuivre les infractions fondées sur les dispositions de l’article 459 du code des douanes.
Le procès-verbal litigieux a été dressé sur le fondement de l’article 459 du code des douanes, alors que les agents des douanes avaient constaté «’Le 18 mars 2022 M. [H] [C] ayant reçu l’ordre de se rendre en Norvège, il devait quitter les eaux territoriales françaises. Par ailleurs, le 19 mars 2022, nous constatons que le départ du navire Pola Ariake est effectivement imminent (…) Cette tentative de départ contrevient aux mesures de gel prévues par la réglementation européenne. Au regard de l’article 459 du code des douanes, le bateau Pola Ariake et son propriétaire présumé sont donc responsables d’opérations frauduleuses.’»
L’article 459 1 et 1 bis du code des douanes dispose en effet’: «’1. Quiconque aura contrevenu ou tenté de contrevenir à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger, soit en ne respectant pas les obligations de déclaration ou de rapatriement, soit en n’observant pas les procédures prescrites ou les formalités exigées, soit en ne se munissant pas des autorisations requises ou en ne satisfaisant pas aux conditions dont ces autorisations sont assorties sera puni d’une peine d’emprisonnement de cinq ans, de la confiscation du corps du délit, de la confiscation des moyens de transport utilisés pour la fraude, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction et d’une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction.
1 bis. Est puni des mêmes peines le fait, pour toute personne, de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux mesures de restriction des relations économiques et financières prévues par la réglementation communautaire prise en application des articles 75 ou 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou par les traités et accords internationaux régulièrement approuvés et ratifiés par la France.’»
La DNRED soutient que le tribunal correctionnel était seul compétent pour statuer sur la demande de mainlevée de la saisie sollicitée par la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt.
Aucune juridiction correctionnelle n’a été saisie à la suite du constat de l’infraction, ainsi qu’il ressort des conclusions du ministère public. En tout état de cause, au moment de la saisine du juge des référés, le 21 mars 2022, aucun tribunal correctionnel n’était pas saisi.
L’article 357 alinéa 1 du code des douanes dispose’: «’Les tribunaux correctionnels connaissent de tous les délits de douane et de toutes les questions douanières soulevées par voie d’exception.’»
L’article 357 bis du code des douanes précise’: «’Les tribunaux judiciaires connaissent des contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l’administration des douanes et des autres affaires de douane n’entrant pas dans la compétence des juridictions répressives.’»
Il en ressort qu’à défaut de saisine de la juridiction pénale, seul le juge judiciaire civil est compétent pour statuer sur une demande de mainlevée d’une mesure administrative prise par les services des douanes.
C’est donc à tort que la DNRED soutient que seul le tribunal correctionnel est compétent.
Contrairement à ce qu’elle soutient, le juge des référés n’a pas ajouté une condition à l’article 357 du code des douanes. Cet article ne peut s’appliquer que si le tribunal correctionnel est saisi de poursuites pénales et, dans ce cadre, d’une exception portant sur une question douanière. A défaut le tribunal correctionnel, dont la compétence principale est de prononcer des sanctions pénales, ne peut être saisi à titre principal d’une question douanière et notamment d’une demande de mainlevée d’une mesure de saisie ou d’immobilisation.
L’exception d’incompétence soulevée sera rejetée.
3) Sur la recevabilité de l’action de la société Avonburg finance ldt
La DNRED soutient, devant la cour, que l’action de la société Avonburg finance ldt est irrecevable pour défaut de qualité à agir.
Il ressort de l’ordonnance de référé que la société Avonburg finance ldt a agi en qualité d’affréteur du navire.
Dans la mesure où la société Avonburg finance ldt était locataire du navire, elle a intérêt à agir aux côté du propriétaire de celui-ci pour contester les mesures prises par l’administration des douanes, qui vont à l’encontre de ses intérêts.
Son action est donc recevable en application de l’article 31 du code de procédure civile en ce qu’elle a intérêt à agir, nonobstant le fait qu’elle n’est pas la propriétaire du bien immobilisé.
3) Sur la demande de nullité du procès-verbal du 19 mars 2022 et de mainlevée de la saisie
Le 2 mars 2022 les services des douanes ont informé le capitaine du navire qu’il était sous l’effet d’une mesure de gel, décidée par les instances européennes, et que s’il quittait le port de [Localité 8] il commettrait une infraction susceptible de donner lieu à des poursuites pénales.
La mesure d’immobilisation du navire a donc été prise à cette date, ainsi qu’il ressort du procès-verbal n°2, folio 3, dressé le 2 mars 2022.
Le juge des référés a statué au vu des dispositions de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile’: «’Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.’
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.’»
Il a rappelé que le 18 mars 2023 le juge des référés avait ordonné la main levée de la saisie et que, de ce fait, aucune infraction de violation d’une mesure de saisie ne pouvait être constatée le 19 mars 2022. Il a en conséquence, et sur ce seul motif, ordonné la mainlevée de la saisie.
Le fait de dresser un procès-verbal de constat d’infraction, alors qu’une décision judiciaire, exécutoire par provision, avait ordonné la mainlevée de la mesure d’immobilisation, constitue bien un trouble manifestement illicite. Le constat d’une infraction est en effet un acte préliminaire à l’engagement de poursuites pénales.
Mais, pour autant, le juge des référés ne pouvait, à titre de mesure conservatoire ou de remise en état au sens de l’article 835 du code de procédure civile, ordonner «’la mainlevée de la saisie du navire Pola Ariake pratiquée selon procès-verbal du 19 mars 2022’».
Aucune mesure de saisie (notamment au sens de l’article 323 du code des douanes), aucune mesure d’immobilisation n’a été prise le 19 mars 2023. Le procès-verbal dressé à cette date n’est qu’un procès-verbal de constat d’infraction.
La notification de la mesure d’immobilisation résulte du précédent procès-verbal du 2 mars 2022, qui a donné lieu à l’ordonnance de référé du 18 mars 2022 aux termes de laquelle le juge des référés a ordonné, nonobstant la formulation de sa décision («’mainlevée de la mesure de gel’») la mainlevée de la mesure d’immobilisation. La mainlevée de la saisie ou de la mesure d’immobilisation avait donc déjà été ordonnée par une décision exécutoire par provision.
En conséquence, le juge des référés ne pouvait, aux fins de remise en état et de rétablissement de la société GTLK Asia M7 ltd et de la société Avonburg finance ldt dans leurs droits, ordonner la mainlevée de la mesure d’immobilisation, cette mesure n’étant pas la conséquence du procès-verbal du 19 mars 2022 mais celle du procès-verbal du 2 mars 2022.
Le juge des référés était également saisi d’une demande de nullité du procès-verbal du 19 mars 2022, demande formée par la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt d’une à l’appui de leur demande de mainlevée de la saisie.
Il a rejeté cette demande dans le dispositif de sa décision en déboutant les parties du surplus de leurs demandes. Il n’avait cependant pas le pouvoir juridictionnel de prononcer la nullité du procès-verbal, car une telle demande relève du juge du fond.
Le rejet de la demande de nullité du procès-verbal du 19 mars 2022 sera donc finalement confirmé.
En conséquence,’après infirmation de l’ordonnance de référé, la demande de la société GTLK Asia M7 ltd et de la société Avonburg finance ldt d’ordonner la mainlevée de la saisie du navire Pola Ariake sera rejetée.
4) Sur la demande d’injonction de ne pas entraver l’appareillage du navire
Le juge des référés a rejeté la demande de la société GTLK Asia M7 ltd et de la société Avonburg finance ldt d’enjoindre aux douanes de ne pas entraver l’appareillage du navire sous astreinte et de juger que l’astreinte sera liquidée par le président du tribunal judiciaire de Lorient, conformément à l’article L131-3 du code des procédures civiles d’exécution.
La DNRED a fait appel de ce chef de l’ordonnance mais elle demande cependant, dans le dispositif de ses conclusions, de la rejeter.
En conséquence, à défaut de moyens contraires, l’ordonnance de référé sera confirmée pour avoir rejeté cette demande.
5) Sur la demande d’indemnité provisionnelle
Le juge des référés a fait droit à la demande d’indemnité provisionnelle de la société GTLK Asia M7 ltd et de la société Avonburg finance ldt en application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile.
Compte-tenu de l’appel qui a été formé, le 22 mars 2022, à l’encontre de l’ordonnance de référé du 18 mars 2022, dont le bien fondé est discuté, du fait qu’il ne ressort pas de la procédure que l’Etat a agi illégalement, et alors que la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt ne soutiennent pas leur demande de provision devant la cour, il n’est pas démontré que l’Etat est débiteur d’une obligation d’indemnisation non sérieusement contestable envers ces deux sociétés.
C’est donc à tort que le premier juge leur a alloué une indemnité provisionnelle pour compenser le préjudice d’exploitation invoqué par ces sociétés, subi entre le 19 mars 2022 et le jour de l’ordonnance.
L’ordonnance sera infirmée de ce chef et la demande d’indemnité provisionnelle sera rejetée.
6) Sur la demande pour saisie abusive
Le juge des référés a rejeté la demande de la société GTLK Asia M7 ltd et de la société Avonburg finance ldt, sur le fondement de l’article L121-2 du code des procédures civiles d’exécution, en paiement de la somme de 500 000,00 euros pour saisie abusive,
La DNRED a fait appel de ce chef de l’ordonnance mais elle demande cependant, dans le dispositif de ses conclusions, de la rejeter.
En conséquence, à défaut de moyens contraires, l’ordonnance de référé sera confirmée pour avoir rejeté cette demande, qui en tout état de cause ne concerne que les procédures civiles d’exécution et ne relève que de la compétence du juge de l’exécution .
7) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
L’ordonnance de référé sera infirmée de ces deux chefs.
Les dépens exposés en première instance et en appel seront mis à la charge de la société GTLK Asia M7 ltd et de la société Avonburg finance ldt, parties perdantes.
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la DNRED les frais qu’elle a exposés qui ne sont pas compris dans les dépens et sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les n°s RG 22-02118 et RG 22-05636,
Rejette l’exception d’incompétence soulevée par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières,
Déclare recevable l’action de la société Avonburg finance ldt,
Infirme l’ordonnance rendue le 28 mars 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient SAUF en ce qu’elle a’rejeté les demandes de’:
-prononcer la nullité du procès-verbal du 19 mars 2022,
-condamner les douanes au paiement de la somme de 500 000,00 euros pour saisie abusive,
-enjoindre aux douanes de ne pas entraver l’appareillage du navire sous astreinte et juger que l’astreinte sera liquidée par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Lorient,
Statuant à nouveau,
Déboute la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt de leur demande d’ordonner la mainlevée de la mesure de saisie du navire Pola Ariake et de leur demande en paiement d’une indemnité provisionnelle,
Déboute la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société GTLK Asia M7 ltd et la société Avonburg finance ldt aux dépens exposés en première instance et en appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE