REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 17 MAI 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général
N° RG 22/12096 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBQ4
Décision déférée à la cour
Jugement du 24 mars 2022-Juge de l’exécution de MELUN-RG n° 21/03286
APPELANTE
S.A. HSBC CONTINENTAL EUROPE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Yves LAURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0667
INTIME
Monsieur [Y] [B]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me François CHASSIN de l’AARPI CHASSIN COURNOT-VERNAY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0210
Plaidanr par Me Sandra BURGER, avocat au barreau de MELUN
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 5 avril 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte notarié du 28 février 2009, la SA HSBC Continental Europe a consenti à la SCI Dalis un prêt de 120.000 euros destiné à financer l’acquisition d’une boutique située à Issy-les-Moulineaux (92) pour un prix de 100.000 euros ainsi que des travaux d’aménagement à hauteur de 20.000 euros. Les associés de la SCI Dalis, M. [Y] [B] et Mme [M] [W], épouse [B], se sont portés caution solidaire à hauteur de la somme maximale de 144.000 euros.
La société HSBC Continental Europe a entrepris une procédure de saisie immobilière à l’encontre de la SCI Dalis portant sur le bien dont l’acquisition a été financée par le prêt, suivant commandement de payer valant saisie immobilière en date du 13 février 2017 et assignation devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 20 septembre 2017.
Par jugement d’adjudication du 5 avril 2018, le juge de l’exécution a adjugé le bien immobilier au prix principal de 124.000 euros.
Par ordonnance du 28 mai 2019, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a conféré force exécutoire au projet de distribution du prix de vente établi par la SA HSBC Continental Europe.
Le 24 septembre 2019, la SA HSBC Continental Europe a fait délivrer à M. et Mme [B], en leur qualité de cautions solidaires, une sommation de payer la somme de 46.282,88 euros, après déduction du versement reçu le 29 juillet 2019 provenant de la distribution du prix de vente.
Par requête du 3 décembre 2020, la SA HSBC Continental Europe a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Melun aux fins de saisie des rémunérations de M. [Y] [B] pour avoir paiement de la somme de 47.135,88 euros.
Par jugement du 24 mars 2022, le juge de l’exécution a :
dit que l’action de la SA HSBC France était prescrite ;
déclaré irrecevable l’action de la SA HSBC France aux fins de saisie des rémunérations de M. [Y] [B] ;
rejeté la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
rejeté toute demande plus ample ou contraire ;
condamné la SA HSBC France aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu que le contrat de prêt destiné à financer l’acquisition d’un local commercial n’était pas soumis à la forclusion biennale ni à la prescription biennale du code de la consommation mais à la prescription quinquennale de droit commun prévu par l’article 2224 du code civil ; que ce même délai était applicable à la personne physique se portant caution d’un tel prêt ; que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 20 août 2012, date de la première échéance impayée selon le décompte produit ; que la prescription avait donc été acquise le 20 août 2017 et que la banque ne justifiait pas d’un acte interruptif de la prescription intervenu avant cette date, faute d’avoir versé aux débats le commandement de payer du 3 février 2017.
Par déclaration du 28 juin 2022, la SA HSBC Continental Europe a formé appel de ce jugement.
Par conclusions en date du 2 septembre 2022, la SA HSBC Continental Europe (anciennement dénommée HSBC France) demande à la cour d’appel de :
dire que son action aux fins de saisie des rémunérations de M. [B] n’est pas prescrite ;
en conséquence, la déclarer recevable ;
infirmer le jugement du 24 mars 2022 ;
dire que sa créance à l’égard de M. [B] s’élève à la somme de 46.282,88 euros ;
l’autoriser à saisir les rémunérations de M. [B] à hauteur de ce montant ;
condamner M. [B] aux dépens.
L’appelante soutient que :
le délai de prescription applicable est celui de cinq ans prévu par les articles L.110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, puisque M. et Mme [B], associés uniques de la SCI Dalis, ont agi en qualité de professionnels, la société ayant pour objet d’acquérir une boutique louée par bail commercial ;
la prescription n’a jamais été acquise depuis la première échéance impayée du 20 août 2012 et les poursuites engagées à l’encontre de la SCI Dalis sur le fondement du même titre exécutoire ont interrompu la prescription à l’égard de M. [B], conformément aux règles de la solidarité, depuis le commandement de payer valant saisie immobilière du 13 juin 2017, tout comme la sommation de payer du 24 septembre 2019 et la saisine du tribunal ;
M. et Mme [B] ne démontrent pas avoir renoncé au déblocage de la somme de 20.000 euros pour les travaux d’aménagement de la boutique.
Par conclusions du 30 septembre 2022, M. [B] demande à la cour de :
confirmer le jugement du 24 mars 2022 en toutes ses dispositions ;
À titre principal,
constater que la SA HSBC ne justifie pas d’une action engagée avant l’expiration du délai de prescription de cinq ans à compter du premier incident de paiement non régularisé et de nature à l’interrompre au sens des dispositions prévues par les articles 2224 du code civil et L.111-2 et L.111-3 du code des procédures civiles d’exécution ;
en conséquence, déclarer prescrite l’action de la SA HSBC, en application des dispositions prévues par l’article 2224 du code civil ou L.110-4 du code de commerce ;
À titre subsidiaire et si l’action devait être jugée recevable,
déclarer que la SA HSBC ne justifie pas avoir débloqué la somme de 120.000 euros au titre du prêt principal de sorte qu’elle ne dispose pas d’une créance certaine, liquide et exigible venant au soutien de son action ;
En tout état de cause,
ordonner que la créance en principal de la SA HSBC ne saurait excéder la somme de 100.000 euros ;
déclarer soldée ladite créance de la SA HSBC à l’aide de la distribution du prix de vente du bien immobilier litigieux, soit la somme de 112.746,95 euros ;
déclarer irrecevable l’action de la SA HSBC aux fins de saisie de ses rémunérations ;
condamner la SA HSBC à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
L’intimé fait valoir que :
l’action de la SA HSBC aux fins de saisie des rémunérations est prescrite car le commandement de payer valant saisie immobilière du 13 juin 2017 invoqué n’a pas pu interrompre la prescription, puisqu’il ne vise que l’acte notarié, à l’exclusion de tout autre jugement exécutoire fixant une créance certaine, liquide et exigible, et n’a été délivré qu’à la SCI Dalis sous la forme d’un procès-verbal de remise à étude, et non à la caution ;
si l’action de la SA HSBC devait être jugée recevable, sa créance n’est pas certaine, liquide et exigible, son montant étant contesté, dès lors que seule la somme de 100.000 euros correspondant au prix d’achat de la boutique a été débloqué, et la banque n’établissant pas qu’elle a débloqué 120.000 euros ;
plus largement, la SA HSBC ne justifie pas de sa créance à hauteur de 158.706,85 euros ; et si le quantum de la créance devait être fixé, il ne saurait excéder la somme principale de 100.000 euros, la somme de 20.000 euros libérable au fur et à mesure de l’avancement des travaux n’ayant jamais été sollicitée par la SCI Dalis, et la SA HSBC doit être considérée comme désintéressée à la suite de la distribution du prix de vente du bien immobilier litigieux.
Par message rpva adressé aux avocats le 14 avril 2023, la cour a invité la banque HSBC à produire, dans un délai de 15 jours, un nouveau décompte de créance sur la base d’un capital emprunté de 100.000 euros, comprenant les mensualités impayées de août 2012 à février 2017, un capital restant dû au 20 février 2017 de 57.412,32 euros (selon tableau d’amortissement produit par la caution en pièce 4), les intérêts de retard sur les mensualités impayées, les intérêts de retard postérieurs à la déchéance du terme et la déduction de la somme de 112.746,95 euros perçue au titre de la distribution du prix de vente.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient de rappeler que selon l’article 954 du code de procédure civile, la cour n’est tenue de statuer que sur les prétentions formulées dans le dispositif des conclusions.
Sur la prescription
L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.
Il résulte des articles 2241, 2242 et 2244 du code civil que la prescription est interrompue par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée et que l’interruption résultant d’une demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance.
Par ailleurs, aux termes de l’article 2245 alinéa 1er du même code, l’interpellation faite à l’un des débiteurs par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.
De même, l’article 2246 dispose que l’interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.
En l’espèce, les parties admettent que la première échéance impayée, qui fait courir le délai de prescription, date du 20 août 2012.
La banque HSBC justifie avoir délivré au débiteur principal, la SCI Dalis, un commandement de payer valant saisie immobilière en date du 13 février 2017, soit avant l’expiration du délai quinquennal de prescription, et l’avoir assigné à l’audience d’orientation du juge de l’exécution le 20 septembre 2017. La prescription a donc été interrompue, par la délivrance du commandement, puis de l’assignation, tant à l’égard de la SCI Dalis qu’à l’égard des cautions, notamment M. [B]. Cet effet interruptif a perduré pendant toute la procédure de saisie immobilière, si bien qu’au moment du dépôt de la requête en saisie des rémunérations de M. [B] en décembre 2020, aucune prescription n’était acquise.
Il convient donc d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit que l’action de la société HSBC Continental Europe était prescrite et a déclaré irrecevable son action aux fins de saisie des rémunérations de M. [B]. Statuant à nouveau, la cour rejettera la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Sur le fond
Aux termes de l’article R.3252-1 du code du travail, le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie des sommes dues à titre de rémunération par un employeur à son débiteur.
Il ressort de l’acte notarié de prêt en date du 28 février 2009 :
– que la société HSBC France a consenti à la SCI Dalis un prêt de 120.000 euros,
– que la somme de 100.000 euros représentant partie du prêt a été versée entre les mains du notaire le jour de la signature de l’acte, ce que l’emprunteur a reconnu,
– que l’objet du prêt est :
le financement de l’acquisition, au prix de 100.000 euros, d’une boutique à [Localité 5],
le financement des travaux d’aménagement que l’emprunteur se propose d’y faire exécuter pour un coût TTC de 32.031,03 euros ;
– que les modalités de déblocage des fonds sont les suivantes : à hauteur de 100.000 euros entre les mains du notaire chargé de la rédaction de l’acte d’acquisition et à hauteur de 20.000 euros au fur et à mesure de l’avancement des travaux, entre les mains des entrepreneurs sur présentation de leurs appels de fonds approuvés par l’emprunteur.
M. [B], caution, conteste le déblocage de la somme de 20.000 euros prévue initialement pour financer les travaux, indiquant que la SCI Dalis n’a finalement jamais sollicité cette somme.
Il appartient à celui qui demande le remboursement du prêt qu’il a consenti de justifier du versement des fonds à l’emprunteur et de leur montant.
Or en l’espèce, la société HSBC ne justifie pas du versement de la somme de 20.000 euros pour financer les travaux d’aménagement initialement prévus.
Elle produit un décompte de créance actualisé au 12 septembre 2019 (après distribution du prix de vente) qui fait apparaître que le montant du prêt était de 120.000 euros. Le décompte mentionne un capital restant dû de 88.193,68 euros au 20 février 2017. Cette somme correspond exactement au montant du capital restant dû au 20 février 2017 figurant dans le tableau d’amortissement produit par la banque (pièce 2) daté du 20 juin 2012. Ce tableau d’amortissement part d’un capital de 108.545,04 euros (108.277,84 + 317,20) avant l’échéance du 20 juillet 2012.
M. [B] produit, quant à lui, un tableau d’amortissement au nom de la SCI Dalis en date du 26 mars 2009 (pièce 4) qui porte sur un capital de 100.000 euros avant paiement de la première échéance et dont il ressort qu’au 20 février 2017, le capital restant dû s’élevait à 57.412,32 euros.
Il est donc établi non seulement que la banque HSBC ne justifie pas avoir débloqué des fonds au-delà des 100.000 euros versés entre les mains du notaire, mais également que sa créance a été calculée sur la base d’un capital emprunté d’un montant supérieur.
Il y a donc lieu de recalculer sa créance au vu du tableau d’amortissement produit par M. [B]. Il est constant que les échéances sont restées impayées du 20 août 2012 au 20 février 2017 et que la banque a perçu la somme de 112.746,95 euros provenant de la distribution du prix de vente le 29 juillet 2019.
La cour a sollicité, en cours de délibéré, un nouveau décompte de créance sur la base d’un capital emprunté de 100.000 euros, comprenant les mensualités impayées d’août 2012 à février 2017, le capital restant dû au 20 février 2017 de 57.412,32 euros (selon tableau d’amortissement produit par M. [B]), les intérêts de retard sur les mensualités impayées, les intérêts de retard postérieurs à la déchéance du terme et la déduction de la somme de 112.746,95 euros perçue au titre de la distribution du prix de vente.
En l’absence de réponse de la société HSBC, la cour ne peut recalculer la créance (notamment s’agissant des intérêts de retard). Il convient donc d’ordonner la réouverture des débats pour production du décompte.
Il sera donc sursis à statuer sur la demande de saisie des rémunérations et les prétentions au fond de M. [B]. Les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement rendu le 24 mars 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Melun en ce qu’il a dit que l’action de la SA HSBC Continental Europe était prescrite et a déclaré irrecevable l’action de celle-ci aux fins de saisie des rémunérations de M. [Y] [B],
Statuant à nouveau,
REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription invoquée par M. [Y] [B],
Sur le fond, avant-dire droit,
ORDONNE la réouverture des débats à l’audience du jeudi 6 juillet 2023 à 14h00,
ENJOINT à la SA HSBC Continental Europe de produire un nouveau décompte de créance sur la base d’un capital emprunté de 100.000 euros, comprenant les mensualités impayées d’août 2012 à février 2017, le capital restant dû au 20 février 2017 de 57.412,32 euros (selon tableau d’amortissement produit par la caution en pièce 4), les intérêts de retard sur les mensualités impayées, les intérêts de retard postérieurs à la déchéance du terme et la déduction de la somme de 112.746,95 euros perçue au titre de la distribution du prix de vente, et ce avant le 23 juin 2023,
SURSEOIT à statuer sur la demande de saisie des rémunérations de M. [Y] [B],
RAPPELLE qu’en vertu de l’article 11 du code de procédure civile, les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction, sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus,
SURSEOIT à statuer sur les prétentions subsidiaires de M. [Y] [B] et sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
RESERVE les dépens.
Le greffier, Le président,