RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 17 MAI 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/12023 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBJK
Décision déférée à la cour :
Jugement du 21 juin 2022-Juge de l’exécution de Bobigny-RG n° 21/07965
APPELANTE
Madame [U] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Miryam ABDALLAH, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 286
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2022/021623 du 19/07/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMÉ
Monsieur [K] [E]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Anne-Constance COLL de la SELASU CABINET COLL, avocat au barreau de PARIS, toque : E0653
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 06 avril 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement du 13 avril 2017, le tribunal correctionnel de Meaux a condamné Mme [U] [W] à payer à M. [K] [E] les sommes de 2.411,75 euros et de 387,20 euros en réparation du préjudice matériel.
Par exploit d’huissier du 2 juillet 2021, M. [E] a fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes de Mme [W] détenus auprès du Crédit Lyonnais pour avoir paiement de la somme totale de 3.875,54 euros, comprenant les intérêts et les frais. Cette saisie a été dénoncée à Mme [W] le 7 juillet 2021.
Par assignation du 28 juillet 2021, Mme [W] a saisi le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins d’annulation de la saisie ou, à titre subsidiaire, de cantonnement de la saisie ou, à titre infiniment subsidiaire, d’octroi d’un délai de paiement.
Par jugement du 21 juin 2022, le juge de l’exécution a :
rejeté [la demande] de mainlevée de la saisie-attribution du 2 juillet 2021 ;
autorisé Mme [W] à s’acquitter de sa dette au jour de la saisie et après attribution des sommes saisies, soit 3.130 euros en 23 versements d’un montant de 50 euros chacun, le solde au 24ème et dernier, le premier versement devant intervenir dans le mois suivant la signification de la présente décision et les suivants avant le 10 de chaque mois ;
dit qu’à défaut de paiement d’une seule mensualité, l’intégralité de la dette deviendra exigible ;
rejeté toute demande plus ample ou contraire ;
dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamné Mme [W] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge de l’exécution a retenu :
que l’erreur sur le montant des sommes dues avait seulement une incidence sur la portée de l’acte d’exécution, et non sur sa validité, que Mme [W] ne démontrait pas que son compte bancaire ne contenait que des sommes provenant de prestations sociales, que Mme [W] ne démontrait pas ni quels ni en quoi les frais de saisie ou de signification du jugement correctionnel, nécessaires en l’absence de paiement volontaire, n’étaient pas utiles et que le calcul des intérêts, prévus par l’article L.313-3 du code monétaire et financier, dans le décompte n’était pas contesté, de sorte qu’il n’y avait pas lieu à cantonnement ;
que des délais de paiement devaient être octroyés à Mme [W] compte tenu de ses faibles revenus, pour la part de la créance demeurée impayée après attribution à M. [E] des sommes bloquées.
Par déclaration du 27 juin 2022, Mme [W] a formé appel de ce jugement.
Par conclusions du 1er septembre 2022, Mme [W] demande à la cour de :
infirmer le jugement du 21 juin 2022 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
À titre principal,
dire et juger que le procès-verbal de saisie-attribution dressée le 2 juillet 2021 est nul ainsi que l’acte de dénonciation subséquent ;
en conséquence, dire et juger nulle et non avenue la mesure de saisie-attribution qui lui a été dénoncée le 7 juillet 2021 et en ordonner la mainlevée ;
À titre subsidiaire,
dire et juger insaisissables les sommes provenant des prestations sociales qu’elle a perçues ;
dire et juger qu’elle ne doit pas les sommes réclamées au titre de l’intérêt au taux légal ;
dire et juger qu’elle ne doit pas les frais d’exécution ;
débouter M. [E] de ses demandes de paiement au titre des intérêts et des frais d’exécution de la créance ;
À titre infiniment subsidiaire,
lui accorder un délai de grâce ;
dire et juger qu’elle pourra s’acquitter de sa dette au moyen de versements mensuels de 30 euros, jusqu’à apurement de celle-ci ;
En tout état de cause,
dire que chacun conservera la charge de ses dépens.
L’appelante soutient que :
la saisie-attribution est nulle car elle se fonde sur un titre exécutoire non liquide et exigible dans son intégralité en mettant à sa charge des intérêts et frais d’exécution alors que la décision en vertu de laquelle la saisie est pratiquée ne l’a pas condamnée aux intérêts ni aux dépens ;
la mainlevée de la saisie-attribution doit être ordonnée puisque les sommes figurant sur son compte bancaire étaient insaisissables comme provenant de prestations familiales ;
la saisie-attribution doit être cantonnée à la créance principale fixée dans le jugement du 13 avril 2017, soit 2.798,95 euros, les frais supplémentaires non nécessaires engagés par M. [E] pour le recouvrement de sa créance ne pouvant pas être mis à sa charge ;
sa situation financière est difficile puisqu’elle est sans emploi, ne perçoit qu’une ASS mensuelle de 516 euros, doit faire face à des charges mensuelles incompressibles de 226,79 euros et a un enfant mineur handicapé à sa charge.
Par conclusions du 23 septembre 2022, M. [E] demande à la cour de :
confirmer le jugement du 21 juin 2022 en toutes ses dispositions ;
débouter Mme [W] de sa demande tendant à la voir condamner à s’acquitter de sa dette au moyen de 23 échéances mensuelles de 30 euros et le solde à la 24ème mensualité ;
débouter Mme [W] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner Mme [W] à payer la somme de 2.400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’intimé fait valoir que :
la saisie-attribution comporte un décompte distinguant le principal, les frais et les intérêts ;
les coûts de signification du jugement du 13 avril 2017 et de la saisie-attribution, réalisée en l’absence d’exécution spontanée de Mme [W], l’émolument proportionnel prévu à l’article A444-31 du code de commerce, et la provision sur les frais à venir sont justifiés et à la charge de Mme [W] ;
en tout état de cause, si la cour estime que les intérêts et frais ne sont pas dus, la mention de ces sommes dans le décompte ne constitue pas une erreur entraînant la nullité de la saisie-attribution dans son intégralité ;
la saisie-attribution ne porte pas atteinte à l’interdiction de saisir des prestations familiales dans la mesure où des sommes à caractère alimentaire ont été laissées à la disposition de Mme [W] pour un montant identique ;
il n’y a pas lieu d’octroyer à Mme [W] des délais de paiement plus larges que ceux accordés en première instance au regard du refus de Mme [W] de s’exécuter.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité de la saisie-attribution
Aux termes de l’article L.211-1 du code des procédures civiles d’exécution, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations prévue par le code du travail.
En outre, il résulte de l’article R.211-1 alinéa 2 3°) du même code que l’acte de saisie-attribution doit mentionner, à peine de nullité, le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, majorées d’une provision pour les intérêts à échoir dans le délai d’un mois.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’acte de saisie-attribution du 2 juillet 2021 contient bien un décompte des sommes dues distinguant le principal, les intérêts et les frais.
M. [E] agit en vertu d’un jugement correctionnel du 13 avril 2017, signifié le 28 mai 2021 à Mme [W], qui a condamné celle-ci, sur l’action civile, à lui payer la somme de 2.411,75 euros et la somme de 387,20 euros en réparation du préjudice matériel.
Il est exact que le jugement, qui constitue assurément un titre exécutoire, ne prononce aucune condamnation au titre des dépens, ni des intérêts.
Toutefois, l’article 1231-7 alinéa 1er du code civil dispose : « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement. »
En l’espèce, il ressort du procès-verbal de saisie-attribution que les intérêts ont été calculés, au taux légal, à compter du 13 avril 2017, qui s’avère être la date du jugement. Ils sont donc bien dus par Mme [W], qu’il s’agisse des intérêts échus (402,07 euros) ou de la provision sur intérêts (8,07 euros).
Par ailleurs, l’article L.111-8 du code des procédures civiles d’exécution dispose :
« A l’exception des droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement qui peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, les frais de l’exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s’il est manifeste qu’ils n’étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés. Les contestations sont tranchées par le juge.
Les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire restent à la charge du créancier, sauf s’ils concernent un acte dont l’accomplissement est prescrit par la loi au créancier. Toute stipulation contraire est réputée non écrite, sauf disposition législative contraire.
Cependant, le créancier qui justifie du caractère nécessaire des démarches entreprises pour recouvrer sa créance peut demander au juge de l’exécution de laisser tout ou partie des frais ainsi exposés à la charge du débiteur de mauvaise foi. »
Le procès-verbal de saisie-attribution fait apparaître les frais suivants :
– actes : 71,82 euros
– frais de procédure : 107,25 euros
– droits de recouvrement : 94,07 euros
– coût du présent acte : 116,56 euros
– provision sur frais de dénonciation : 89,70 euros
– provision sur frais de « Signi. Non Contest. » : 76,93 euros
– provision sur frais de « Certificat Non Contest » : 51,07 euros
– provision sur frais de mainlevée : 59,05 euros.
Les provisions sur frais ne peuvent pas être réclamées dans le procès-verbal de saisie-attribution en application de l’article R.211-1 alinéa 2 3°) du code des procédures civiles d’exécution.
M. [E] ne justifie pas des frais de procédure engagés puisqu’il ne produit aucun acte. En outre, il ne bénéficie pas d’une condamnation aux dépens. Dès lors, seuls le coût de l’acte de saisie (116,56 euros) et le droit de recouvrement de l’huissier (94,07 euros) peuvent être mis à la charge de Mme [W].
Cependant, le montant erroné de la créance dans le procès-verbal de saisie-attribution ne remet pas en cause la validité de la saisie et en affecte seulement la portée. Il convient donc de rejeter la demande de nullité de la saisie fondée sur l’absence de titre exécutoire.
Sur la demande subsidiaire de mainlevée
Aux termes de l’article L.162-2 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution, le tiers saisi laisse à disposition du débiteur personne physique, dans la limite du solde créditeur du ou des comptes au jour de la saisie, une somme à caractère alimentaire d’un montant égal au montant forfaitaire, pour un allocataire seul, mentionné à l’article L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles.
L’article R.162-4 du même code dispose :
« Lorsque les sommes insaisissables proviennent de créances à échéance périodique, telles que rémunérations du travail, pensions de retraite, sommes payées à titre d’allocations familiales ou d’indemnités de chômage, le titulaire du compte peut, sur justification de l’origine des sommes, en demander la mise à disposition immédiate, déduction faite des opérations venues en débit du compte depuis le dernier versement de la créance insaisissable.
Si, à l’expiration du délai de quinze jours prévu à l’article L. 162-1 pour la régularisation des opérations en cours, le montant des sommes demandées par le débiteur en raison de leur insaisissabilité excède le solde qui demeure disponible au compte, le complément est prélevé sur les sommes indisponibles à ce jour. Le tiers saisi informe le créancier de ce prélèvement au moment de sa demande en paiement ; à peine d’irrecevabilité, ce dernier dispose d’un délai de quinze jours pour contester cette imputation. »
Il appartient à la débitrice d’apporter la preuve que son compte n’était alimenté que par des sommes insaisissables.
En l’espèce, la saisie-attribution est du 2 juillet 2021 et Mme [W] justifie par une attestation de Pôle Emploi du 6 juillet 2021 qu’elle perçoit l’allocation de solidarité spécifique (16,91 euros pas jour jusqu’au 30 juin 2021). Elle produit en outre ses relevés de compte sur la période du 5 juin au 2 juillet 2021 dont il ressort qu’elle a perçu le 1er juillet ses indemnités de Pôle Emploi d’un montant de 507,30 euros, alors que la somme saisie-attribuée, après déduction du solde bancaire insaisissable de 535,17 euros, s’élève à 745,57 euros. Ainsi, Mme [W] ne justifie pas de ce que le montant saisi serait constitué uniquement de sommes insaisissables, alors que la somme de 507,30 euros insaisissable a déjà été déduite, que son relevé bancaire indique un solde créditeur de 1.341,06 euros au 4 juin 2021 et ne fait pas mention d’autres versements de sommes insaisissables. Les pièces produites sont donc toujours insuffisantes à hauteur d’appel.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de mainlevée de la saisie-attribution.
Sur la demande subsidiaire de cantonnement
Au vu de ce qui précède sur les frais et les intérêts, il convient de cantonner les effets de la saisie-attribution à la somme de 3.419,72 euros, se décomposant comme suit :
– principal 1 : 2411,75 euros
– principal 2 : 387,20 euros
– intérêts échus : 402,07 euros
– provision sur intérêts : 8,07 euros
– droit de recouvrement : 94,07 euros
– coût de l’acte : 116,56 euros.
Sur la demande de délais de paiement
Comme l’a rappelé le juge de l’exécution, les délais ne peuvent porter que sur la part de la créance qui n’a pas été saisie-attribuée. La saisie a permis de payer la somme de 745,57 euros, de sorte que Mme [W] reste redevable d’un solde de 2.674,15 euros.
Les délais de paiement ne peuvent, en application de l’article 1343-5 du code civil rappelé par le premier juge, excéder deux années.
Compte tenu du montant de la dette, un échelonnement sur 24 mois revient à des mensualités égales de plus de 110 euros. Il n’est donc pas envisageable d’accorder à Mme [W] des délais à hauteur de 30 euros par mois comme elle le demande, car la 24ème mensualité devant solder la dette sera d’un montant trop important.
En outre, au vu des pièces justificatives fournies, Mme [W] perçoit désormais des allocations de la CAF pour son enfant handicapé, en plus des revenus qu’elle percevait déjà : aide personnalisée au logement (versée au bailleur), allocation de soutien familial, majoration parent isolé et indemnité de solidarité spécifique (Pôle emploi). Elle est donc en capacité de régler 50 euros par mois pour s’acquitter de sa dette envers M. [E].
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a accordé à Mme [W] des délais de paiement pendant 24 mois à hauteur de 50 euros par mois et le solde le 24ème mois.
Sur les demandes accessoires
L’issue du litige justifie de confirmer la condamnation de Mme [W] aux dépens, mais de laisser à chaque partie la charge de ses dépens d’appel.
L’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. M. [E] sera donc débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 juin 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bobigny,
Y ajoutant,
REJETTE la demande d’annulation de la saisie-attribution,
CANTONNE les effets de la saisie-attribution pratiquée le 2 juillet 2021 à l’encontre de Mme [U] [W] entre les mains du Crédit Lyonnais à la somme de 3.419,72 euros, se décomposant comme suit :
– principal 1 : 2411,75 euros
– principal 2 : 387,20 euros
– intérêts échus : 402,07 euros
– provision sur intérêts : 8,07 euros
– droit de recouvrement : 94,07 euros
– coût de l’acte : 116,56 euros,
DEBOUTE M. [K] [E] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que chaque partie gardera à sa charge les dépens qu’elle a exposés pour la procédure d’appel.
Le greffier, Le président,